Barzaz Breiz/1846/Notre-Dame du Folgoat/Bilingue

La bibliothèque libre.
Barzaz Breiz, édition de 1846
Notre-Dame du Folgoat



VII


NOTRE-DAME DU FOLGOAT.


( Dialecte du Léon. )


I.


— Santé et joie à vous, mon père !

— Que faites-vous là si matin ?

Pourquoi laver ces nappes plus blanches que neige ? que faites-vous là, ma fille ?

— Je suis venue vous prier, mon père, d’aller pour moi au Folgoat ;

Et d’y aller à pied, et pieds nus, et sur vos deux genoux, si vous pouvez y tenir.

Vous y trouverez les cendres du cœur que vous avez nourri.

— Qu’avez-vous fait, ma pauvre fille, pour être ainsi réduite en cendres ?

— Un petit enfant a été tué, et on m’accuse, mon père, de l’avoir fait mourir. —


II.


Un jour, monsieur De Pouliguen était allé chasser avant dîner.

— Tiens! voici un lièvre écorché , ou un petit enfant étranglé ;

On l’a pendu à la branche de l’arbre ; il a encore le ruban au cou. —


Et il vint trouver sa femme, en rêvant tristement dans son cœur.

— Voyez ! ce pauvre enfant qu’on a tué ; qui a pu le mettre au monde ?

La dame, sans rien répondre, se rendit aussitôt à la ferme.

— Vous vous portez bien, fermière ? Voilà du chanvre qui pousse à merveille.

— Mon chanvre ne pousse guère bien ; il s’en va tout avec vos pigeons.

— Où sont allées vos filles, que je ne vois que vous ?

— Deux sont à la rivière avec les bardes, et deux autres à préparer le chanvre ;

Et deux autres à préparer le chanvre ; et les deux dernières à le peigner.

Pour Marie Fanchonik, ma nièce, elle est au lit malade ;

Elle est au lit malade, depuis huit ou neuf jours.

— Ouvrez-moi, ma fermière, que je voie ma filleule.

— Dites-moi, ma filleule, où avez-vous mal ?

— C’est entre mon ventre et mon cœur que j’ai mal, ma marraine.

— Levez-vous, levez-vous, ma filleule, et allez vous confesser au père François ;


Confessez-lui votre péché et prenez garde à vous, je vous y engage.

— Je ne suis point pécheresse : il y a huit jours que j’ai été confessée.

— Ne mentez pas ; vous avez fait un grand péché : C’est vous qui êtes allée ce matin au bois ; vos sabots sont rougis de sang ! —


III.


— Mon petit page, dis-moi, qui est-ce qui passe dans la rue ?

— Vos métayers de Guigourvez, le bourreau et votre filleule. —

Dur eût été celui qui n’eût pas pleuré, sur la place du Folgoat, quand elle arriva ;

Quand arriva la jeune fille de quinze ans, entre deux archers, pour être pendue ;

Une pauvre vieille petite femme, en avant, portait un cierge devant elle ;

Et la jeune fille disait, en marchant : — Cet enfant-là n’était pas à moi ! —

Par derrière venait la dame, demandant instamment grâce pour sa filleule.

— Rendez-moi ma filleule, et je vous donnerai son pesant d’argent,

Et, si cela ne vous convient pas, je vous en donnerai le poids de ma haquenée.


Je vous en donnerai le poids de ma haquenée, la jeune fille et moi dessus.

— Votre filleule ne vous sera pas rendue ; quiconque a tué, on le tue. —


IV.


Comme le sénéchal allait dîner, le bourreau alla la pendre.

Au bout d’un peu de temps, il vint trouver le sénéchal :

— Monsieur, excusez-moi, Marie Fanchonik ne meurt pas ;

Quand je lui mets le pied sur l’épaule, elle se détourne vers moi, et rit.

— Prenez-la, jetez-la, menez-la au bûcher.

— Prenons-la, jetons-la, faisons du feu et de la fumée pour la brûler ! —

Au bout d’un peu de temps, le bourreau revenait :

— Monsieur le sénéchal, excusez-moi, Marie Fanchonik ne meurt pas ;

Elle a du feu jusques au sein, et elle rit de tout son cœur.

— Avant que je croie ce que vous dites, ce chapon-ci aura chanté. —

(Un chapon rôti sur un plat, et tout mangé, hormis les pattes.)


Le sénéchal resta confus : le chapon venait de chanter.

Marie Fanchonik, pardonnez-moi, c’est moi qui ai failli et non vous ;

C’est moi qui ai failli et non vous : qui vous préserve de ce feu ?

— Notre-Dame Marie du Folgoat le balaye de dessous mes pieds ;

La Vierge, mère des chrétiens, le balaye d’autour de mon sein.

— Qu’on envoie vite à Guigourvez, qu’on envoie chez la fermière ;

Qu’on envoie chez la fermière, qu’on sache qui est la pécheresse. —

Ils passèrent tous à travers les flammes, et aucun d’eux ne sourcilla ;

Ils passèrent tous sans sourciller ; la servante seule y resta.

________