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Barzaz Breiz/1846/Le Cygne, ou le Retour de Jean le Conquérant

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LE CYGNE,


OU


LE RETOUR DE JEAN LE CONQUÉRANT.
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ARGUMENT.


Charles de Blois avait péri à la bataille d’Auray (1564), et Jean de Montfort, son rival, était resté maître de la Bretagne. Mais l’amour de Jean pour les étrangers qui l’avaient aidé à la conquérir, l’accueil qu’il leur fit à sa cour, les faveurs dont il les combla au préjudice des hommes nés sur le sol breton, ne tardèrent pas à soulever les passions nationales : mis en demeure par ses barons ou de chasser les Anglais de la Bretagne, ou de quitter lui-même le pays, il choisit le dernier parti, et se retira en Angleterre. Charles V crut voir dans la conduite des barons révoltés une preuve de sympathie pour la France, et voulut en profiter pour changer en pouvoir direct le droit de suzeraineté qu’il s’arrogeait sur la Bretagne. Il fit donc déclarer le pays réuni à la couronne de France, et y envoya une armée pour faire exécuter l’arrêt de confiscation. Le roi s’était attendu à n’éprouver aucune résistance des Bretons : il connaissait mal cette race, toujours rebelle au joug des conquérants[1], comme s’exprime un vieil auteur. « Se croyant déjà maître de la Bretagne, dit un poëte contemporain, il avait mis sur pied d’élégantes compagnies toutes fraîches de gentils Français bien polis, qui se réjouissaient à l’idée de voir les Bretons venir d’eux-mêmes se soumettre. Il pensait avoir sans débat la Bretagne et ses habitants, pour les tondre comme des moutons. Ils avaient souffert tant de maux en défendant la France contre la servitude anglaise ! ils étaient si défigurés, si balafrés, si mutilés ! Les uns étaient devenus borgnes, les autres estropiés ; la peau de leur visage était comme une écorce ; leurs habits tombaient en lambeaux ; leurs chevaux étaient morts, leur fortune perdue ; ils étaient blessés tous, mais plus blessés par devant que par derrière communément. Les Français, au contraire, étaient bien peignés ; ils avaient la peau douce et fine, et la barbe taillée en fourche ; ils ne savaient pas de rivaux pour danser en salles jonchées ; ils chantaient comme des sirènes ; ils étaient couverts de perles et de broderies ; ils étaient mignons et pimpants, et les Bretons lourds et sots : à l’avis de ceux-ci, cela n’importait guère. Mais quand vint le jour décisif, les Bretons, ayant tenu conseil, commencèrent à aiguiser leurs épées ; chacun cherchait et fer et bois, harnais, dague, cotte d’acier, hache, maillet ou gros bâtons à tête ; chacun vendait son bœuf et sa vache pour acheter coursier ou cheval (ils craignaient tant les nouveaux maîtres ! ) : c’est qu’ils voulaient défendre leur liberté jusqu’à la mort ! Car la liberté est une chose délectable, elle est belle, elle est bonne, elle est profitable ! Ils avaient horreur de la servitude, quand ils voyaient comment elle régnait en France.... Ils aimaient mieux mourir en guerre que de se mettre eux et leur pays en servitude, avec leur race[2] ».

Le duc Jean, rappelé d’Angleterre par ses barons, chevaliers, écuyers, bourgeois, bonnes villes et gens de commun état, s’embarqua pour venir se mettre à la tête du parti national. Son retour excita un enthousiasme tel, qu’on vit paysans, bourgeois et nobles se jeter ensemble à la mer pour aller au-devant du navire qui le portait, et le vicomte de Rohan, autrefois l’ennemi le plus acharné de sa politique, chose plus incroyable encore, la veuve de Charles de Blois elle-même s’agenouiller sur la grève devant le libérateur du pays ! « Le duc, allant à eux, les releva doucement, dit le poëte déjà cité ; il les embrassa en soupirant, et, saluant tout le monde, il pleura. » Puis, sans perdre de temps et suivi désormais d’hommes nés en Bretagne, il marcha à la rencontre de l’armée française (3 août 1379).

Le chant de guerre qu’on va lire, qui m’a été appris par un des compagnons de Tinteniac et de Georges Cadoudal, nommé Mikel Floc’h, du village de Kerc’hoant, dans les montagnes d’Arez, fut certainement composé pour cette circonstance.


XXXI


LE CYGNE.


( Dialecte de Cornouaille. )


Un cygne, un cygne d’outre-mer, au sommet de la vieille tour du château d’Armor !

Dinn ! dinn ! daon ! au combat ! au combat ! Oh ! dinn ! dinn ! daou ! Je vais au combat.

Heureuse nouvelle aux Bretons ! et malédiction rouge aux Français !

Dinn ! dinn ! daou ! au combat ! au combat! etc.

Un navire est entré dans le golfe, ses blanches voiles déployées ;

Le seigneur Jean est de retour, il vient défendre son pays ;

Nous défendre contre les Français, qui empiètent sur les Bretons.

Un cri de joie part, qui fait trembler le rivage ; — Les montagnes du Laz résonnent ; la cavale blanche[3] hennit, et bondit d’allégresse ;

Les cloches chantent joyeusement, dans toutes les villes, à cent lieues à la ronde.

L’été revient, le soleil brille ; le seigneur Jean est de retour !

Le seigneur Jean est un bon compagnon ; il a le pied vif comme l’œil.

Il a sucé le lait d’une Bretonne, un lait plus sain que du vin vieux.

Sa lance, quand il la balance, jette de tels éclairs, qu’elle éblouit tous les regards.

Son épée, quand il la manie, porte de tels coups, qu’il fend en deux homme et cheval.

— Frappe toujours ! tiens bon ! seigneur duc ; frappe dessus ! courage ! lave-les (dans leur sang) ! lave-les !

Quand on hache comme tu haches, on n’a de suzerain que Dieu !

Tenons bon, Bretons ! tenons bon ! ni merci, ni trêve ! sang pour sang !

Notre-Dame de Bretagne ! viens au secours de ton pays !

Nous fonderons un service (en ton honneur), un service commémoratif !

Le foin est mûr : qui fauchera ? Le blé est mûr : qui moissonnera ?

Le foin, le blé, qui les emportera ? Le roi prétend que ce sera lui ;

Il va venir faucher en Bretagne, avec une faux d’argent ;

Il va venir faucher nos prairies avec une faux d’argent, et moissonner nos champs avec une faucille d’or.

Voudraient-ils savoir, ces Français, si les Bretons sont manchots ?

Voudrait-il apprendre, le seigneur roi, s’il est homme ou Dieu ?

Les loups de la basse Bretagne grincent des dents, en entendant le ban de guerre ;

En entendant les cris joyeux, ils hurlent : à l’odeur des Français, ils hurlent de joie.

On verra bientôt, dans les chemins, le sang couler comme de l’eau ;

Si bien que le plumage des canards et des oies blanches qui y nageront, deviendra rouge comme la braise.

On verra plus de tronçons de lances éparpillés qu’il n’y a de rameaux sur la terre, après l’ouragan.

Et encore plus de têtes de morts qu’il n’y en a dans les ossuaires du pays.

Là où les Français tomberont. ils resteront couchés jusqu’au jour du jugement ;

Jusqu’au jour où ils seront jugés et châtiés avec le Traître qui commande l’attaque.

L’égout des arbres sera l’eau bénite qui arrosera leurs tombeaux !

Dinn ! dinn ! daon! au combat! au combat! Oh ! dinn ! dinn ! daon ! Je vais au combat.


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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


On voudrait pouvoir en douter, mais la chose n’est pas possible, le chef de l’armée française que l’auteur de ce chant de guerre énergique flétrit du nom de traître est Bertrand du Guesclin ! Il dut tout naturellement devenir odieux a ses compatriotes du jour où, les Anglais chassés, et le pays restant exposé aux seuls envahissements de la France, il fit, lui Breton, cause commune avec les ennemis de la liberté bretonne, et commanda l’expédition dirigée contre sa patrie. « Le changement des siens à son égard le surprit et lui fut très-pénible, dit un contemporain. En vain essaya-t-il d’y porter remède : dans tous les lieux où il allait, les Bretons lui tournaient le dos. Ses parents mêmes étaient chagrins de le voir, ainsi en révolte, amener Picards ou Genevois pour combattre son vrai seigneur. Ce n’était pas très-noble guerre : ses propres soldats le quittaient pour passer dans l’armée bretonne ; tout connétable qu’il était, aucun ne lui restait fidèle[4]. » Ce titre et les autres faveurs dont Charles V l’avait comblé lui firent sacrifier au roi son pays par reconnaissance. « Le roi, poursuit l’auteur que je viens de citer, l’avait aveuglé par ses dons » Mais du Guesclin ne recueillit pas le fruit de son dévouement à la France. Vaincu ou tenant tête à son pays, il se vit bassement soupçonner par Charles d’infidélité ; juste châtiment de la félonie trop réelle qui fit exclure son image de la salle des états de Bretagne. Un historien de nos jours, et je le dis a regret, un Breton, a blâmé la sévérité des États. Dans son étude, très-remarquable d’ailleurs, mais trop empreinte des sentiments modernes sur le connétable de France, M. de Carné a trouvé la conduite de du Guesclin légitimée par la gloire. La gloire ne légitime rien, mais les regrets du bon connétable lui ont assuré le pardon : ils furent si vifs, qu’il en mourut[5]. Charles V, alors, « apprenant l’union, la résolution et l’audace des Bretons, se repentit amèrement, et craignant de plus grands désastres, il offrit la paix a leur duc (1381)[6]



Mélodie originale



  1. Semper contumax regibus (cité par d’Argentré, Histoire de Bretagne, p. 87).
  2. Trop doubtoient avoir nouveaulx maistres !
    Et si pensoient deffendre fort
    Leur liberté jusqu’à la mort ;
    Car liberté est délectable,
    Belle et bonne, et bien proufitable.
    De servitude avoient horreur,
    Quant ils veoient tretout entour
    Comment en France elle regnoit :
    Foulx estoit qui paour n’en avoit...
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    Et mieux amoient mourir en guerre.
    Que de mettre eulx et leur terre
    En servitude, avec leurs hoirs.

    (Chronique du bon roy Jehan, éd. de M. Charrière, p. 314 et passim.)

  3. La mer.
  4. Guillaume de Saint-André, éd. de M. Charrière, p. 324.
  5. Trop grand deuil en son cuer avoit.
    En voyant la dissension
    Estant entre sa nacion
    Et les Françzois que il aimoit ;
    Marri estoit ; plus ne povoit.

    (Id., ibid.)

  6. Karolus Francorum rex, audiens unionem, voluntatem et audaciam Britonum..., doluit valde et timmit ne deteriora sibi et suo regno contingerent. (Chroncon. Brioncense ; ap. D. Morice, Preuves, t. I, col. 55.)