Barzaz Breiz/1846/Le Retour d’Angleterre/Bilingue

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Barzaz Breiz, édition de 1846
Le Retour d’Angleterre



XVII


LE RETOUR D’ANGLETERRE.


( Dialecte de Cornouaille. )


Entre la paroisse de Pouldergat et la paroisse de Plouaré[1], il y a de jeunes gentilshommes qui lèvent une armée pour aller à la guerre, sous les ordres du fils de la Duchesse, qui a rassemblé beaucoup de gens de tous les coins de la Bretagne ;

Pour aller à la guerre, par delà la mer, au pays des Saxons J’ai mon fils Silvestik qu’ils attendent ; j’ai mon fils Silvestik, mon unique enfant, qui part avec l’armée, à la suite des chevaliers du pays.

Une nuit que j’étais couchée, et que je ne dormais pas, j’entendis les filles de Kerlaz chanter la chanson de mon fils ; et moi de me lever aussitôt sur mon séant : — Seigneur Dieu ! Silvestik, où es-tu maintenant ?

Peut-être es-tu à plus de trois cents lieues d’ici, ou jeté dans la grande nier, en pâture aux poissons. Si tu eusses voulu rester près de la mère et de ton père, tu serais fiancé maintenant, bien fiancé ;

Tu serais à présent fiancé et marié à la plus jolie fille du pays, à Mannaik de Pouldergat, à Manna, ta douce belle, et tu serais avec nous et au milieu de les petits enfants, faisant grand bruit dans la maison.

J’ai près de ma porte une petite colombe blanche qui couve dans le creux du rocher de la colline ; j’attacherai à son cou, j’attacherai une lettre avec le ruban de mes noces, et mon fils reviendra.


— Lève-toi, ma petite colombe, lève-toi sur tes deux ailes ; volerais-tu, volerais-tu loin, bien loin, par delà la grande mer, pour savoir si mon fils est encore en vie ?

Volerais-tu jusqu’à l’armée, et me rapporterais-tu des nouvelles de mon pauvre enfant ?

— Voici la petite colombe blanche de ma mère, qui chantait dans le bois ; je la vois qui arrive au mât, je la vois qui rase les flots.

— Bonheur à vous, Silvestik, bonheur à vous, et écoutez : j’ai ici une lettre pour vous.

— Dans trois ans et un jour j’arriverai heureusement ; dans trois ans et un jour je serai près de mon père et de ma mère. —

Deux ans s’écoulèrent, trois ans s’écoulèrent — Adieu, Silvestik, je ne le verrai plus ! Si je trouvais tes pauvres petits os, jetés par la mer au rivage, oh ! je les recueillerais, je les baiserais ! —

Elle n’avait pas fini de parler, qu’un vaisseau de Bretagne vint se perdre à la côte ; qu’un vaisseau du pays, sans rames, les mâts rompus, et fracassé de l’avant à l’arrière, se brisa contre les rochers.

Il était plein de morts ; nul ne saurait dire ou savoir depuis combien de temps il n’avait vu la terre ; et Silvestik était là ; mais ni père, ni mère, hélas ! ni ami n’avait aimé ses yeux !


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  1. Dans la baie de Douarnenez, à quatre lieues de Quimper, en Cornouaille.