Berthe aux grands pieds/VII

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 41-43).

VII

LE DERNIER ADIEU

Et toujours Blanchefleur a suivi son enfant.
De soir en soir, de ville en ville, elle diffère
L’inévitable adieu qu’il faudra bientôt faire.
Le cœur lui sanglote et lui fend.

Voici que les chemins vont quitter la Hongrie.
Maintenant, c’est la Saxe, avec ses rochers nus,
L’effroi de traverser des pays inconnus,
Sans qu’un visage vous sourie.

La reine Blanchefleur se sent plus triste encor,
Songeant qu’il va falloir chevaucher en arrière.
Le cortège a fait halte au bord d’une clairière
Dans un silencieux décor.

Et toutes deux, la mère et la fille, s’étreignent ;
Elles voudraient sourire et leurs yeux sont en pleurs ;
Des nids d’oiseaux heureux chantent parmi les fleurs ;
Tout bas, sans savoir, elles craignent.

« Donnez-moi votre anneau, ma fille, en souvenir
Des jours où votre main m’était proche et câline,
Et pour garder de vous, pauvre mère orpheline,
Un don que je puisse bénir.

« Et maintenant, puisqu’il le faut, Dieu vous conserve !
Alix vous accompagne où l’amour vous conduit.
Aimez-la. Qu’elle soit pour vous, dès aujourd’hui,
Votre sœur et non votre serve.

« Je l’ai voulu choisir, vierge de tout soupçon,
Parce que vous l’aimez et qu’elle vous ressemble
Au point qu’on vous prendrait, quand vous êtes ensemble,
Pour deux fleurs du même buisson.

« Sa présence sera douce à votre souffrance.
Elle, du moins, elle est heureuse et rien ne perd :
Car sa mère Margiste et son cousin Tybert
Vous suivent avec elle en France ;

« Ils veilleront sur vous, ma fille, tous les trois… »
Elle dit, et l’embrasse, et le navrant cortège
S’éloigne ; et Blanchefleur, pour que Dieu les protège,
Fait dans l’ombre un signe de croix.