Berthe aux grands pieds/XIV

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 79-80).

XIV

À TRAVERS BOIS

Elle a marché toute la nuit dans les ténèbres
Que les loups emplissaient de hurlements funèbres,
Et la ronce méchante a déchiré ses mains,
Et seule, à travers bois, sans lune et sans chemins,
Elle va gémissante, et meurtrie, et brisée,
Dans sa robe fragile et blanche d’épousée.
Son corps fiévreux grelotte, elle a peur, elle a froid,
Et s’arrête, et gémit. Pauvre fille de roi !

Jusqu’à ce jour, hélas ! depuis qu’elle était née,
De parfums, de tiédeurs toujours environnée,
Elle ignorait l’horreur des nuits sous le ciel noir
Et l’angoisse d’errer sans gîte et sans espoir,
À l’heure où, remuant les branches endormies,
Rôdent confusément des bêtes ennemies.
Elle n’a même plus la force de s’enfuir,
Et son corps sans courage est près de la trahir.
Épuisée et dolente, au bord d’une fontaine,
Elle pleure, elle songe à sa mère lointaine,
La reine Blanchefleur qui venait doucement,
Penchée à son chevet, baiser son front dormant.
Elle songe à Margiste et tout bas lui pardonne :
Elle a recommandé son âme à la Madone
Et fait de longs adieux à tout ce qu’elle aimait.
Maintenant, elle attend la mort et se soumet,
— Quand voici tout à coup, dans l’ombre toute proche,
Tinter pieusement l’appel clair d’une cloche.