Berthe aux grands pieds/XV

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 83-86).

XV

LE BON ERMITE

La cloche a guidé Berthe à travers la forêt,
Puis s’est tue ; elle arrive auprès d’une clairière.
Au seuil de sa cabane un ermite en prière,
Des deux mains se frappant la poitrine, adorait.

— Il voit Berthe, et d’abord, craignant un de ces pièges
Que les démons subtils tendent à la vertu,
Redoutable, il s’écrie : « Arrière, que veux-tu ?
Je veille, et c’est en vain, Satan, que tu m’assièges. »

Mais Berthe se rapproche et lui parle humblement :
« Ne me repoussez pas. Je suis lasse et perdue ;
J’ai froid, j’ai faim, j’ai soif ; votre pitié m’est due,
Mon père, et je l’implore au nom de saint Clément. »

L’ermite se rassure, et, songeant que le diable
Ne se présente pas au nom d’un saint, voici,
D’un visage plus calme et d’un ton radouci,
Qu’il ose sans remords se montrer pitoyable.

Il interroge Berthe, et Berthe sans détour
Lui dit son nom royal, son cœur, son espérance,
Son départ de Hongrie et son entrée en France,
L’amour du roi Pépin promis à son amour.

Elle dit le filet de maligne imposture
Dont la serve Margiste a su l’envelopper,
Le remords des sergents au moment de frapper,
Et sa nuit dans les bois, fuyante à l’aventure.

Le bon vieillard l’écoute avec recueillement ;
Et quand elle a fini cette histoire touchante,
Le matin rit au ciel, le bois s’éveille et chante,
Et les fleurs des buissons s’entr’ouvrent doucement.

« Votre temps reviendra d’aimer et d’être aimée,
Dit l’ermite, et, tout bas, dût-il être lointain,
Gardez au fond du cœur l’espoir d’un clair matin,
Vibrant de soleil souple et de brise embaumée.

« Dieu même punira vos lâches assassins :
Attendez les retours que sa bonté vous garde ;
Priez, résignez-vous, sachant qu’il vous regarde,
Et qu’il vous a sauvée, et qu’il a ses desseins.

« D’ici là, je connais une sainte famille ;
Le père est sabotier ; dans cette humble maison,
Vous vivrez doucement, sans peur de trahison ;
Vous serez leur bon ange et vous serez leur fille.

« À votre sort ancien dites un long adieu.
Que nul, excepté moi, ne sache qui vous êtes…
Et maintenant voici des fruits et des noisettes.
Reposez-vous, ma sœur, et rendez grâce à Dieu ! »