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Betty petite fille/05

La bibliothèque libre.
(pseudonyme non identifié)
Librairie artistique et Édition parisienne réunies (p. 57-63).


CHAPITRE V


Sa mère partie, Betty se sauva dans sa chambre. Elle avait hâte d’être seule, sans bien savoir pourquoi. Une exaspération morbide était en elle, il lui fallait l’apaiser par n’importe quel moyen.

Fébrile, elle se dévêtit tout entière, éprouvant le besoin d’être ainsi, en une tenue inaccoutumée et qu’elle considérait comme extravagante.

Ses pauvres nerfs surexcités pendant une matinée entière, ne résistèrent plus. Elle eut une véritable crise d’hystérie, qui la roula follement sur la chaise-longue, où elle se crispait.

Un désir ardent la brûlait, tout son jeune sang bouillonnait, échauffé par l’imagination débridée.

Furieuse, elle cherchait une sensation physique et ne trouvait que l’exaltation cérébrale.

Le visage enfoui dans un coussin de soie, elle râlait, se remémorant les brefs contacts du matin, auprès du parrain rusé. Puis elle sut mieux ce qu’elle avait espéré et une rage violente contre l’homme qui ne l’avait pas comprise, monta son exaspération au paroxysme. Elle se demandait ce qu’il lui faudrait faire, pour obtenir un résultat.

Un véritable délire s’empara de son pauvre cerveau surchauffé. Brusquement elle se redressa, et les sourcils froncés, le regard brillant, elle se fixa dans la glace, examinant sa nudité blonde que la nubilité ombrait.

Enfin, elle comprenait que ce qui manquait à sa sensualité impatiente, elle pouvait se le procurer en attendant mieux.

Un frisson la secoua, une langueur détendit tout son être et un serrement de cœur lui fit la respiration plus courte.

Quoiqu’il pût en résulter, elle voulait s’abandonner à une audace, tenter une démarche scabreuse dont elle avait honte mais qui lui donnerait en même temps une joie aiguë.

Doucement elle ouvrit la porte et dans l’antichambre, s’élança en une course échevelée. Elle poussait de grands cris, feignant de se livrer à une bonne farce, quand uniquement une perversité la tourmentait. Mais son hypocrisie savait s’accommoder de ces stratagèmes, ils lui venaient naturellement, sans qu’elle eût besoin de chercher.

Léontine tirée de sa somnolence habituelle par ces hurlements stridents, apparut soudain.

Une minute elle resta ahurie à la vue de cette vierge affolée et nue. Elle bégaya, ne comprenant pas :

— Ah ben ! Ah ben !

Puis sa curiosité s’éveilla, le désir à son tour l’effleura, sans qu’elle parvînt cependant à le préciser.

Les traits crispés, elle considérait la fillette, ne s’étonnant déjà plus de la voir ainsi. Dans son esprit paresseux, montait lentement une idée trouble, un besoin de pervertir la fille de la patronne, qu’elle détestait de toute sa rancune longuement amassée.

— Attendez un peu que je vous flanque une fessée, goguenarda-t-elle.

Ce n’était point la brutalité qui l’attirait, mais le contact de cette chair jeune et fraîche.

Betty s’arrêta palpitante : enfin, elle allait goûter au fruit défendu.

— Chiche ! fit-elle narquoise.

L’autre se rapprocha, l’allure féline, une bave mousseuse aux commissures des lèvres.

La fillette haletait ; elle attendait sans crainte, mais secouée par une nervosité inaccoutumée. À l’avance elle acceptait les coups, en échange d’un peu de libertinage qui lui aurait fourni un avant-goût des plaisirs charnels.

La goton sûre de l’impunité, avançait toujours, s’apprêtant à agir. Ses yeux, longuement parcouraient le corps dénudé et blond qui s’offrait à elle.

Et soudain, elle saisit Betty à la taille, la ployant sur son bras vigoureux.

La fillette eut un grand éclat de rire, pour voiler son embarras ; mais elle aimait se sentir étreinte ainsi brutalement.

Une claque retentit, puis une seconde, une troisième. Ni l’une ni l’autre, des deux actrices de ce drame ne riait plus. Des pensées grivoises tourbillonnaient dans leur esprit.

La morsure des coups n’était point une souffrance pour la fillette, dans l’état d’éréthisme où elle se trouvait.

La servante jugea plaisant de poursuivre l’aventure jusqu’à son extrême limite. On n’entendit plus un bruit dans l’appartement, le silence enveloppait les deux combattantes, comme un voile brûlant, leur faisant percevoir l’âpreté sensuelle des minutes qui passaient.

Mais le souillon s’acharna avec une haine farouche, comprenant malgré sa bêtise, qu’elle était en l’occurrence, un facteur de dépravation pour cette gamine, ignorante malgré toute son effronterie.

Dès ce jour, elles devinrent amies, et ce fut pour Betty un dérivatif momentané à sa fièvre intime.

Sa mère, en rentrant le soir après l’heure du thé, ne remarqua pas son teint blafard et ses grands yeux noirs cernés de mauve.

Encore une fois la fillette se moqua du prochain en général et de sa mère en particulier, arrivant à la conviction certaine que tout était permis, avec un peu d’hypocrisie et d’habileté.

Lorsqu’elle se coucha, une meurtrissure nouvelle rendait ses reins pesants et le souvenir agrandit les sensations éprouvées, enflammant son imagination si active naturellement.

Le lendemain, dès le retour de l’école, elle courut à la cuisine retrouver Léontine. Durant la classe entière, elle avait songé à cette entrevue, que l’espérance faisait attrayante.

La fille rit bêtement de sa fougue, mais ne jugea point cela si extraordinaire. Cette petite Parisienne, simple paquet de nerfs, lui apparaissait comme un être à part, à qui tout était permis, même les extravagances.

Tout en effet incitait la fillette aux folies durant les longues heures du jour. C’était le mouvement hallucinant de la rue ; c’étaient les couleurs qui chatoyaient devant ses yeux à chaque coin de boulevard ; c’étaient aussi les parfums multiples et différents qui flottaient autour d’elle, la noyant dans un océan d’éréthisme. Et enfin, elle voyait continuellement l’homme lancé aux trousses de la femelle et celle-ci s’offrant sur le bord des trottoirs, poussée en cela par l’avarice et la coquetterie.

Comme tous, elle subissait les effets de cette électricité éparse qui la pénétrait, mettait en son être naissant et vigoureux, un besoin vague, jamais précis et jamais apaisé.

Alors en revenant au logis, elle cherchait auprès de la servante, une satisfaction quelconque, la première qui fût permise.

Ayant cette distraction, elle se désintéressait momentanément de l’homme, ayant compris que son âge arrêtait les audaces. Mais elle attendait son heure.

Avec la confiance naïve de l’enfant, elle s’attachait à la goton, qui lui rendait cette affection par une haine farouche et sournoise. Lentement, elle déformait son pauvre cerveau si malléable, lui infusant des goûts bizarres, des penchants hétéroclites.

Toutefois, par prudence, elle lui recommandait de conserver intact, ce que Félicien Champsaur, aurait probablement appelé « sa fleur ». En agissant ainsi, elle n’obéissait à aucun bon sentiment, seulement à la crainte d’un scandale.

Betty se moquait de ces avertissements, se répétant que l’occasion la guiderait.

Et Madame Cérisy, emportée par ses rêves de coquetterie intéressée, ne voyait rien. Pourtant elle crut remarquer que sa fille pâlissait ; elle lui fit prendre du sirop iodo-tannique et fut tranquillisée.

Aux amis qui s’inquiétaient, elle répondait avec un sourire grivois :

— C’est la croissance !

Dans ce mot il y avait une foule de sous-entendus égrillards. L’explication lui suffisait à elle-même comme aux autres.

Il n’en restait pas moins vrai, que la fillette s’exaspérait au moral et s’épuisait au physique.