Betzi/Préface
Mais ce n’est pas un roman.
— Le titre vous l’annonce.
— C’est tout-au-plus le fragment d’une peinture assez libre, assez vive, assez singulière.
— Si la peinture était vraie, serait-il sans intérêt, ce nouveau fragment du chapitre de l’histoire du cœur humain, le plus inépuisable, le plus obscur peut-être, quoique le plus souvent lu, le plus éloquemment expliqué ?
— Votre morale trouve-t-elle une pareille lecture sans danger ?
— Elle ne peut intéresser que des ames susceptibles d’un sentiment honnête ; elle doit ennuyer infailliblement les autres.
— Et ce sont les ames honnêtes que vous ne vous faites aucun scrupule de corrompre ?
— Comme les unes sont fort au-dessous de ce genre de séduction, les autres sont à une hauteur où de telles impressions ne peuvent les atteindre.
— Pour quelle classe avez-vous donc écrit ?
— Pour une classe très-nombreuse : pour les caractères faibles, légers, sensibles, mais que leur sensibilité, leurs faiblesses même peuvent ramener, d’un instant à l’autre, au sentiment de leur devoir, à l’amour des vertus les plus touchantes.
— De quelle tâche vous êtes-vous chargé là ?
— Si dans la condition des femmes où se trouve placée mon héroïne, vous eussiez rencontré l’être du monde le plus séduisant et le plus aimable, si vous deviez à cet être une grande partie du bonheur dont vous avez joui sur la terre, que vous inspirerait votre reconnaissance ?
— Je serais fâché que ce fût un mauvais roman.
— Mais ne penseriez-vous pas alors mériter un peu l’indulgence que je vous demande ?
— Je ne sais.
— Laissez-moi quelques momens encore à ma douce illusion ; elle ne s’évanouira sans doute que trop tôt.