Bibliographie de l’anarchie.djvu/Avertissement/Chapitre 1

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CHAPITRE ier



Précurseurs de l’anarchie.


La littérature anarchiste n’a pas d’origine déterminée, n’étant pas l’expression d’un système inventé et progressivement élaboré, mais la négation même des systèmes. Elle est née du besoin de battre en brèche l’arbitraire sous toutes ses formes, les règles et devoirs imposés par les préjugés ou par la force et de donner essor au libre développement de l’humanité. Tout acte donc qui fût accompli et toute parole qui toi prononcée en haine de cette contrainte et en faveur de cette liberté sont œuvre consciente ou inconsciente de l’anarchie.

N’ayant pas fait d’études approfondies sur les littératures anciennes, mon travail sera forcément incomplet. Du reste, il n’entre pas dans mes intentions de donner ici la liste de tous les ouvrages à tendances libertaires qui, le plus souvent, ne font qu’effleurer la question sans en chercher les racines profondes, mais de retrouver les traces des quelques penseurs qui ont entrevu un état de société se passant de lois et de gouvernement, chose plus hardie, dans on temps où la superstition et l’autorité ne souffrent pas d’être discutées, que le fait d’imaginer une société, communiste peut-être, mais encore autoritaire comme on en voit tant éclore.

Sans remonter aux récits fabuleux, évocateurs de légendes, comme celles de Prométhée, de Caïn et tant d’autres, l’Histoire, dès ses origines, nous montre toujours çà et là, et souvent de toutes parts à la fois, des négateurs du principe d’autorité. Au Moyen-Age, on le voit attaqué, en Allemagne et dans tonte l’Europe occidentale, par des sectes hérétiques, formulant à propos de religion leurs aspirations sociales, et dont nous ne mentionnerons que l’Association des Frères et des Sœurs du Libre Esprit. François Rabelais énumère les préceptes de l’Abbaye de Thélème, que pourraient encore revendiquer les praticiens de l’anarchie. Dans le Mondo Savio (v. Mondi celesti, terrestri ed infernali degli Academici Pellegrini… Vinegia, 1562, in-8°, pp. 172-184), A. F. Doni expose une théorie que ne renierait pas le communisme libertaire. Les paysans de la Bétique (chap. vii de Télémaque) vivent en société communautaire ainsi que les indigènes de la Terre australe, aux coutumes desquels nous initient les Aventures de Jacques Sadeur… (1676). Sans entrer dans plus de détails, les descriptions de l’âge d’or dans tous les pays et dans toutes les littératures décrivent des mœurs essentiellement libertaires, mais cet âge d’or, relégué dans un passé tellement lointain que le souvenir même en est effacé, combien peu ont compris qu’il est dans l’avenir et qu’il dépend de nous de le réaliser ; combien invoquaient la Liberté sans y voir autre chose qu’un idéal de démocratie perfectible !

Citons Étienne de la Boëtie avec son ouvrage : la Servitude Volontaire ou le Contr’un (réimprimé sur le manuscrit d’Henry de Mesmes par D. Jouaust, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1872, xii-66 pp. ; beaucoup d’autres éditions, dont une avec préface de A. Vermorel).

La littérature française du xvie siècle a été étudié à notre point de vue par le camarade Körner, mort récemment, et qui a retrouvé, entr’autres œuvres intéressantes, les Apophthegmes et Discours notables recueillis de divers auteurs : contre la Tyrannue et les Tyrranges, fol. 522-554 de Mémoires de l’Estat de France sous Charles ix, vol.ii, 1578, s. l., 12°, seconde édition (Simon Goulart).

Il y aurait à parcourir les ouvrages des socialistes anglais de l’époque de Cromwell et ceux, incomparablement plus nombreux, des écrivains français du xviiie siècle, parmi lesquels Dom Deschamps (voir Émile Beaussire : Antécédents de l’Hégélianisme…, Paris, 1865, in-8° et B. Malon : Dom Deschamps. Un Bénédictin du xviiie siècle, précurseur de l’Hégélianisme, du Transformisme et et du Communisme Anarchiste, « Revue socialiste », sept. 1888, pp. 250-266), mais surtout Diderot (voir par ex. le Supplément au Voyage de Bougainville et Les Éleuthéromanes, édition du Centenaire, Paris, 1884, pp. 87-101, 16° ; pp. 5-83 : commentaire) ; cf. I costumi del Popolo di Taiti…, Venezia, 1892, 17 pp. (brochure de propagande publiée par Carlo Monticelli) ; de longs extraits dans « le Glaneur anarchiste », 1,  2, dans le supplément de « la Révolte » et dans « El Productor ».

De la littérature de la Révolution, je citerai seulement : Dame Nature à la Barre de l’Assemblée Nationale par Sylvain Maréchal (1791, 46 pp., in-8°), sollicitant l’Assemblée de déclarer que la Nature n’impose à l’homme ni Dieu ni lois. Mais je dois dire que n’ayant pas lu ce factum, je ne saurais affirmer l’exactitude du renseignement. L’Adresse de Jacques Roux, présentée à la Convention Nationale… (1793, in-8°) et les Vœux formés par des Français libres…, de Jean Varlet(1791  ? in-4°) pourraient être revendiqués par les socialistes, mais non par les libertaires. Les Hébertistes n’ont pas encore été suffisamment étudiés sous ce rapport (Voir G. Tridon, les Hebertistes, plainte contre une calomnie de l’Histoire, 48 pp. ; 1er édit. dans « Candide », fin de 1864 ; Anacharsis Clootz…, de G. Avenel, 1865). Les Enragés,  etc.

La littérature allemande du xviiie siècle, représentée par Schiller, Lessing, etc., est traversée par un fort courant libertaire. (V. Sturn und Drang, die Räuber, etc. ; voir aussi E. Weller : Die Freiheitsbestrebungen der Deutschen im 18. und 19. Jahrhundert, dargestellt in Zugnissen ihrer Literatur, Leipzig, 1847, ; 344 pp. in-8°). Ideen zu einem Versuch, die Grenzen der Wirksamkeit des Staates zu bestimmen par Wilhelm von Hunboldt, 1792, est un mélange curieux d’idées essentiellement anarchistes et de préjugés autoritaires (édition de 1851, Œuvres de W. v. Humboldt, et celle de Leipzig 189?, 206 pp., in-16°) : — traduction française : Essai sur les limites de l’Action d’État, deux éditions, 1866 et 1867 ; — traduction anglaise : The Sphere and Duties of Government,… (Londres 1§54, nouvelle édition 1870).