Bibliographie de l’anarchie.djvu/Préface

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PRÉFACE.



L’ouvrage que nous publions aujourd’hui ne pouvait être entrepris que par un bibliophile érudit disposant en outre de la collaboration dévouée de nombreux amis. Les amis se sont présentés et ce concours désintéressé de forces nous paraît être une preuve entre mille que les anarchistes, tout en « faisant ce qu’ils veulent », savent pourtant unir leurs volontés individuelles en un vouloir collectif. Nul chef, nul conseil élu ou s’imposant lui-même n’a donné d’ordre pour que ce livre parût.

L’essai de bibliographie rédigé par notre ami Nettlau sera certainement très utile aux chercheurs sincères, aux historiens consciencieux du socialisme, à tous ceux qui veulent remonter aux sources pour étudier les problèmes du mouvement contemporain. Que de fois des interlocuteurs honnêtes nous ont-ils demandé naïvement s’il existait une littérature anarchiste. Nous pouvons leur répondre maintenant : « Voyez » !

J’avoue pour ma part que je ne nous savais pas si riches : l’importance qu’a prise ce recueil, encore incomplet, m’a beaucoup surpris. Les idées anarchistes, développées consciemment sous leur forme actuelle, sont d’origine si récente qu’on se les imagine volontiers comme se trouvant encore dans une période rudimentaire de propagande. Sans doute, la plus grande part des documents cités dans ce recueil est destinée à disparaître et même ne mente guère d’être conservée, mais quelques-unes de ces œuvres feront certainement date dans l’histoire du dix-neuvième siècle. Certes, il a pu être difficile parfois aux anarchistes de dire ce qu’ils croient être la vérité, mais on ne saurait les accuser d’avoir « caché la lumière sous le boisseau ». Nous l’avons dressée aussi haut que peuvent l’élever nos mains, et désormais, nul dans le monde, qu’il nous aime ou qu’il nous haïsse, ne pourra prétendre nous ignorer.

D’ailleurs, la littérature anarchiste proprement dite n’est qu’une partie infime de celle qui forme le véhicule de nos idées. Maintenant nos adversaires eux-mêmes se chargent de propager la semence de révolte. Il n’est guère d’écrit, il n’en est pas même un seul digne d’être lu, dans lequel ne se trouve un ferment de renouveau, soit à propos de la ci-devant morale convenue ou de la religion traditionnelle, soit encore à propos des castes dirigeantes ou de l’économie politique orthodoxe. Quel est l’homme de conviction qui, dans ses plaidoyers, ne soit quelque peu révolutionnaire ! S’il peut espérer d’avoir une certaine influence, ce n’est jamais que par les idées neuves, socialistes ou anarchistes, de son enseignement, car le reste n’est que simple répétition, que redite pure de ce que des milliers d’individus avaient exposé avant lui. À leur point de vue de conservateurs intransigeants, les fanatiques de la loi ou de la religion qui ne voulaient pas d’un autre livre que le Code, le Coran ou la Bible avaient absolument raison ! « Tout nouvel ouvrage est inutile s’il corrobore la vérité, funeste s’il en diffère ». C’est dire que toute la littérature contemporaine est anarchiste par quelque côté ; à notre propagande directe s’associent les mille propagandes indirectes de la foule des poètes, romanciers, philosophes et sociologues.

Mais n’y eût-il aucun livre dans le monde pour exposer nos idées en leur ensemble ou en leurs détails, le grand drame de la société contemporaine suffirait pour montrer à tous ceux qui pensent quel mouvement nous entraîne et vers quel idéal se dirige l’humanité. Nous voyons avec combien d’impatience l’individu subit maintenant les volontés et les caprices d’autres individus nobles, riches ou constitués en dignité ; il est avéré pour tous que l’autorité ne se maintient plus par la douce résignation des faibles aux devoirs incompris, mais qu’il faut rassurer désormais par une force de plus en plus tendue et risquant incessamment de se briser : les puissances de ce monde sont devenues la cible de toutes les dérisions, de tous les mépris, et leur prestige s’envole dans l’espace comme tant d’autres illusions mensongères. D’autre part, nous constatons que l’individu, tout en se réclamant plus énergiquement ce qu’il considère comme son droit personnel de vivre, s’associe plus intimement à tous ceux qui sont amenés des mêmes idées et revendiquent également l’entière satisfaction de leurs besoins. Nous avons assisté à la naissance d’une Internationale de Travailleurs que l’on cherche sans cesse à détruire et qui sans cesse se reconstitue plus nombreuse, promettant d’embrasser bientôt le monde, et proclamant son vouloir, en vingts, en cent langues diverses, de l’Europe aux Antipodes.

Voilà ce que nous enseigne le grand livre de la société ouvert devant nous, et c’est pour aider à en rendre la lecture plus facile que Max Nettlau signale ici aux hommes de bonne volonté toutes les œuvres de propagande anarchiste.


Elisée RECLUS.