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Bibliothèque/Préface

La bibliothèque libre.
Bibliothèque d’Apollodore
Traduction par Étienne Clavier.
Delance et Lesueur (Tome premierp. i-29).

PRÉFACE.



L’ouvrage suivant est la plus ancienne compilation qui nous soit parvenue sur la Mythologie et l’Histoire héroïque de la Grèce. On l’attribue à Apollodore, célèbre grammairien d’Athènes, qui vivoit dans la 158e Olympiade, environ 150 ans avant notre ère. Suidas nom apprend qu’il étoit fils d’Asclépiades, qu’il avoit étudié la philosophie sous Panætius, et la grammaire sous le célèbre Àristarque. Il s’étoit acquis une telle réputation que, suivant Pline, (L. iii, C. 37), les Amphictyons lui décernèrent des honneurs publics. Il avoit fait un très-grand nombre d’ouvrages, dont on peut voir les titres et les fragmens à la suite des deux éditions de sa bibliothèque, données par M. Heyne. Les principaux étoient un Traité sur les Dieux, en xx livres au moins ; un Commentaire en xii livres sur le Catalogue des vaisseaux d’Homère, et une Chronique en vers Iambiques. Quant à celui dont je donne la traduction, est-il réellement de lui ? Quelques critiques célèbres, tels que Henri de Valois, Tanneguy Lefebrvre et Isaac Vossius en ont douté, et ce doute est fondé sur le silence des Anciens, qui ont souvent cité les autres ouvrages d’Apollodore, mais qui n’ont jamais parlé de celui-ci. Photius est le premier auteur dont nous connoissions l’époque, qui le lui ait attribué, et il est trop récent pour que son autorité puisse être d’un grand poids. Quant aux scholiastes qui citent souvent cette Bibliothèque, il n’y en a presque aucun dont l’époque nous soit connue ; leur témoignagene prouve donc rien

Ce silence des Anciens n’est, à la vérité, qu’ne preuve négative, mais elle acquiert beaucoup de force lorsqu’on jette les yeux sur le grand nombre de fautes dont cet ouvrage est rempli ; fautes qu’on ne peut attribuer à un grammairien aussi savant qu’Apollodore. On a cherché, à la vérité, à en pallier quelques-unes, en les attribuant aux copistes ; mais on verra par mes notes qu’elles sont, pour la plupart, du compilateur lui-même[1]. Ces fautes, et la manière plus que succincte de laquelle notre auteur s’explique très-souvent, ont fait conjecturer à Tannegui Lefebvre, que cet ouvrage n’étoit qu’un abrégé de celui d’Apollodore ; et malgré toutes les raisons qui ont été alléguées par Thomas Gale et M. Heyne, je crois cette Conjecture très-fondée ; et elle me paroît autorisée par le style même de l’ouvrage, qui est tellement rempli d’expressions poétiques, qu’on y reconnoît à chaque instant, disjecti membra poetœ. Cela vient sans doute de ce que l’auteur original a soit rapporté les passages mêmes des poètes dont il s’autorisoit, comme l’a fait Athénée, et comme l’avoit fait Etienne de Byzance, à en juger par l’article Dodone et quelques autres qui nous sont restés en entier. L’abréviateur n’a pas conservé les vers, mais il ne s’est pas donné la peine d’en changer les expressions ; ce qui est aisé à remarquer dans l’histoire de Mélampe, dans celle d’Admète, de Minos, et dans beaucoup d’autres endroits. Un écrivain du siècle des Ptolémées auroit évité soigneusement ce défaut, qu’on ne remarque que dans les compilateurs du Bas-Empire. Je ne doute donc pas que cet ouvrage ne soit un abrégé ; et je vais même plus loin que Tannegui Lefebvre, car je crois qu’Apollodore n’avoit fait aucun ouvrage qui portât le nom de Bibliothèque, et que celui que nous avons n’est autre chose qu’un extrait de ceux qu’il avoit faits sur la Mythologie et l’Histoire héroïque, tels que son Traité sur les Dieux, son Commentaire sur le catalogue des vaisseaux, et sa Chronique. Je fonde ma conjecture sur un passage d’Etienne de Byzance qui, au mot Δύμη, cite Apollodore, ou celui qui a abrégé ses ouvrages. On voit par là qu’il en existoit déjà un abrégé à cette époque, c’est-à-dire, vers la fin du ve siècle ; c’est probablement à cet abrégé qu’on a donné le nom de Bibliothèque. Le passage qu’Etienne de Byzance cite, pouvoit se trouver dans la partie que nous avons perdue ; car Photius (Biblioth., p. 236) dit, qu’outre l’Histoire des Dieux et des Héros, cette Bibliothèque contenoit les noms des fleuves, des pays, des peuples et des villes, ce qui se trouvoit sans doute dans l’histoire du siège de Troyes, dans celle du retour des Grecs, et des divers établissemens qu’ils formèrent à cette époque.

Au reste, que cet ouvrage soit l’abrégé d’un ou de plusieurs traités d’Apollodore, il n’en est pas moins très-important par le grand nombre de faits qu’il renferme ; faits, dont beaucoup nous sont inconnus d’ailleurs, ce qui le rend absolument nécessaire pour l’intelligence des poètes et l’explication des monumens antiques. Il seroit beaucoup plus utile si l’abréviateur avoit mis plus de soin à faire ses extraits. Nous voyons, en effet, qu’Apollodore avoit sous les yeux les poëtes cycliques et les premiers écrivains en prose, tels que Pbérécydes, Hellanicus, Acusilas, Hécatée de Milet, etc. Il avoit sans doute comparé leurs récits avec ceux des lyriques et des tragiques, et avoit cherché à séparer les traditions les plus vraisemblables de celles qui étoient purement de l’invention des poëtes. C’étoit même le but de son commentaire sur le Catalogue des vaisseaux, qui étoit, suivant les apparences, un traité sur l’origine des différeras peuples de la Grèce. Nous ne trouvons presque rien de tout cela dans l’abrégé qui nous reste, et son auteur, qui vivoit à une époque où les poëtes tragiques étoient beaucoup plus connus, a souvent négligé ces anciennes traditions, et s’est contenté de rapporter celles qui pouvoient servir à expliquer les auteurs qu’on lisoit le plus de son temps.

J’ai cherché à réparer cette omission, et j’ai rassemblé, autant que je l’ai pu, les fragmens de ces anciens écrivains, ce qui m’a souvent conduit à des découvertes assez importantes. Il ne faut pas croire, en effet, que l’histoire des temps héroïques soit entièrement le produit de l’imagination des anciens poëtes, ou, comme d’autres l’ont supposé, qu’elle ne soit qu’une allégorie perpétuelle. La poésie n’étant depuis long-temps qu’un art d’imagination, ceux qui s’y livrent s’inquiètent très-peu de la vérité des sujets qu’ils traitent, pourvu qu’ils leur fournissent les moyens de fixer l’attention par des récits agréables. Mais il n’en étoit pas de même dans les premiers temps ; comme l’usage de l’écriture étoit très-peu répandu, et que la mémoire étoit presque le seul moyen qu’on eût pour transmettre à la postérité les événemens importans, il falloit trouver l’art d’y fixer le plus grand nombre possible de faits, et cela ne se pouvoit qu’en revêtant le récit qu’on en faisoit, d’une certaine mesure qui les rendit plus faciles à apprendre. Les premières histoires durent donc être rédigées en vers, et l’on n’y joignit le merveilleux que pour mieux les imprimer dans la mémoire, en frappant plus vivement l’imagination. D’après cela, il est aisé de sentir que les anciens poëtes n’étoient autre chose que des historiens. Ils n’avoient pas besoin de chercher à inventer des sujets, l’histoire d’un pays divisé en autant de petits États que la Grèce l’étoit alors, leur en fournissoit assez. Ils se contentoient donc de revêtir des charmes de la poésie et du merveilleux les traditions qui leur avoient été transmises par leurs ancêtres. Aussi voyons-nous que toutes les parties de l’histoire grecque avoient été traitées dans différens poèmes dont, excepté l’Iliade et l’Odyssée, il ne nous reste que les titres et quelques fragmens. Je ne parlerai pas des Théogonies, des Titanomachies, et des Gigantomachies, qui renfermoient sans doute beaucoup de traditions historiques ; mais je vais donner une liste de poèmes purement historiques que je trouve cités par les Anciens.

Ces poèmes sont : la Phoronide, qui traitoit sans doute de la fondation du royaume d’Argos, et par conséquent des premiers temps de la Grèce ; la Danaïde, la Deucalionide, le Poëme sur Europe, la Mèlampodie, l’Œdipodie, la Thébaïde, la Guerre des Epigones, l’Eumolpie, la Minyade, les Argonautiques, l’Héracleïde, la Prise d’Œchalie, les Noces de Céyx, la Thésëide, l’Amazonide, les Vers Cypriens, l’Iliade, la Petite Iliade, l’Æthiopide, la Prise de Troyes, les Retours, l’Odyssée, la Télégoniade, les Naupactiques, la Thesprotide, l’Ægimius, etc. Les auteurs de ces poëmes, presque tous antérieurs aux lyriques, avoient rassemblé toutes les anciennes traditions. Il y avoit sans doute beaucoup de contradictions entre eux ; chacun, en effet, avoit dû chercher à illustrer, au préjudice de tous les autres, le pays qui lui avoit donné le jour, ou le peuple qui étoit le plus puissant à l’époque où il écrivoit[2]. Mais en se tenant en garde contre ces préjugés, et en ne regardant comme avérés que les faits qui étoienk rapportés par des poètes de nations différentes, il ne devoit pas être difficile de découvrir la vérité historique.

L’histoire grecque ayant fourni très-peu d’événemens remarquables, depuis l’établissement des Doriens dans le Péloponnèse, jusqu’à l’invasion des Perses, et ces événemens étant trop récens pour que le merveilleux pût y être admis, les poëtes continuèrent à puiser leurs sujets dans l’histoire héroïque. Mais comme ces sujets avoient déjà été traités, et qu’ils vouvoient dire quelque chose de nouveau, ils se permirent de les arranger à leur manière, et de les varier au gré de leur imagination. C’est pourquoi nous trouvons des traditions si singulières dans Pindare et dans les fragment qui nous restent des autres poëtes lyriques qui remplirent cette seconde époque.

Mais les libertés que ces poëtes avoient prises, n’étoient rien en comparaison de celles que se donnèrent les tragiques. Comme ils étoient presque tous Athéniens, ou tout au moins établis à Athènes, ils s’occupèrent beaucoup moins de rappeler les anciennes traditions, que d’en forger de nouvelles pour capter les suffrages du peuple, qui devoit récompenser leurs talens. Ils cherchèrent donc à tout rapporter à l’histoire de l’Attique. Les anachronismes les plus grossiers, les mensonges les plus palpables, les contradictions les plus révoltantes, rien ne leur coûta ; et ils y mirent si peu de précaution, qu’il n’est pas rare de voir le même fait raconté dé trois manières différentes dans le petit nombre de tragédies qui nous reste, et j’en ai donné plusieurs exemples dans mes notes.

C’est de ces trois classes de poètes que les historiens grecs ont tiré presque tout ce qu’ils nous ont appris sur les antiquités de leur nation, mais ils n’ont pas tous su y puiser avec le même discernement. Ceux des premiers temps, tels que les deux Phérécydes, Hellanicus, Hécatée de Milet, Acusilas, Charon de Lampsaque, Denys de Milet, Hérodote, etc., avoient en général remonté aux sources, et n’avoient rien tiré des poètes lyriques et tragiques, qui n’avoient pas encore paru, ou qui n’avoient point encore acquis d’autorité à l’époque où ils écrivoient. Ceux qui leur succédèrent furent moins scrupuleux. Bien plus occupés de la manière de présenter les faits, que de s’assurer de leur vérité, ils puisèrent avec une égale confiance dans les poëtes héroïques des premiers siècles, dans les lyriques et dans les tragiques. C’est ainsi qu’Ephore, Théopompe, Callisthènes, Timée, Héraclides de Pont, etc., avoient accrédité beaucoup de, traditions, qui n’avoient d’autre fondement que l’imagination dé quelques poètes. Cependant, comme ils avoient recueilli beaucoup de choses, leurs ouvrages, nous apprendroient bien des faits que nous ignorons, et qui nous aideroient à former un système suivi d’histoire pour ces temps reculés, mais ils sont malheureusement perdus ; et de tous les historiens originaux qui se sont occupés des antiquités de la Grèoe, il ne nous reste qu’Hérodote. Nous sommes donc obligés de puiser nos connoissances dans quelques compilateurs plus modernes, tels que Diodore de Sicile, Denys d’Halicarnasse, Strabon, Plutarque et Pausanias, et dans un nombre infini de grammairiens, de scholiastes, de pères de l’église, dans lesquels on trouve quelquefois des fragments précieux des écrivains originaux que nous avons perdus.

C’est au milieu de ces traditions éparses, comme on le voit, dans une infinité d’ouvrages, et souvent contradictoires, que j’ai cherché à découvrir la vérité. Quelques points principaux, indiqués par Homère, Hérodote et Pausanias, qui, bien que d’un âge très-inférieur, a rassemblé beaucoup de traditions originales, m’ont guidé dans ces recherches, et je crois être parvenu à éclaircir quelques parties très-obscures de l’histoire primitive de la Grèce. Il y a beaucoup de choses que je n’ai fait qu’indiquer, et sur lesquelles je m’étendrai davantage dans mes notes sur Pausanias, auxquelles cet ouvrage-ci doit servir d’introduction.

On demandera sans doute quelle peut être l’utilité de toutes ces recherches ; le voici : outre qu’elles peuvent servir à expliquer beaucoup de passages des auteurs anciens, comme on le verra dans mes notes, et les monumens des arts, dont je n’ai pas pu m’occuper ; outre cela, dis-je, il me semblé qu’elles ont pour nous un autre genre d’intérêt L’histoire des anciens Grecs est réellement celle de nos ancêtres. L’Asie étoit depuis long-temps civilisée, comme on peut s’en convaincre par la vue dé ses monumens, tandis que l’Europe étoit encore dans l’état le plus sauvage. Quelques Phéniciens viennent s’établir à Argos, ils y fondent moins une colonie qu’un comptoir commercial ; mais les habitans du pays se réunissent autour d’eux, s’empressent de profiter de leurs connoissances, apprennent d’eux les arts les plus utiles, et surtout celui de l’agriculture, qui les met en état d’accroître leur population, et d’envoyer bientôt eux-mêmes des colonies sur les côtes de l’Attique, de la Thessalie, de l’Italie, de l’Asie Mineure, de la Thrace, et dans presque toutes les îles de la Méditerranée. Dès lors la face de l’Europe change, et cette partie du monde, qui jusque-là avoit été inçonnue, ne tarde pas à jouer le rôle principal dans l’histoire. C’est donc aux Grecs que nous devons notre existence civile, et je crois même pouvoir avancer que toutes les nations du midi de l’Europe, en y comprenant la France, ne sont autre chose que des colonies grecques, et je n’en veux d’autres, preuves que leurs langues, dans lesquelles il y a plus des deux tiers des mots qui sont ou purement grecs, ou venus du grec par le latin.

Je dois maintenant rendre compte des secours que j’ai eus pour entreprendre ce travail. J’ai fait usage de toutes les éditions qui ont précédé la mienne, et qui ne sont pas très-nombreuses. La première est celle d’Ægius Spoletinus, qui publia à Rome, en 1550, cet auteur, avec une traduction latine et des notes qui annoncent beaucoup d’érudition. Il le publia d’après les manuscrits du Vatican ; mais il s’est souvent permis, suivant la mauvaise coutume de son siècle, de corriger le texte d’Apollodore, d’après ses propres conjectures, ou d’après les anciens scholiastes. Quelques-unes de ces corrections sont nécessaires, mais il auroit été à souhaiter qu’il en eût averti dans ses notes, ce qu’il n’a fait que très-rarement ; cependant son travail est très-estimable, et j’ai été souvent obligé de recourir à cette première édition.

Jérôme Commelin fit réimprimer cet auteur à Heideiberg, en 1699, avec la traduction latine d’Ægius Spolétinus. Il revit le texte sur les Mss. de la Bibliothèque Palatine, dont les variantes sont à la tête de son édition, et il mit entre des crochets les passages qui ne se trouvoient point dans ces Mss.

Tannegui Lefebvre fit réimprimer cette édition à Saumur, en 1661, in-8o. ; il y ajouta quelques notes remplies de sagacité, et qui font regretter qu’il n’ait pas donné sur cet auteur un commentaire plus étendu, commee il en avoit le projet.

On imprima à Paris, en 1675, sous le titre de Hisoriæ poeticæ Scriptores, un recueil d’ouvrages grecs sur la Mythologie, du nombre desquels est la Bibliothèque d’Apollodore. Il paroît que le libraire de Paris vendit son édition à un libraire de Londres, qui pria le savant Thomas Gale d’y faire des notes et un discours préliminaire. C’est là tout ce qu’il y a de bon dans cette édition ; car le texte et la traduction sont défigurés par les fautes les plus grossières, et il est presque impossible d’en faire usage.

Je ne dirai rien de deux autres éditions d’Apollodore, l’une grecque et latine, imprimée à Amsterdam, en 1666, in-12, et l’autre toute grecque, qui parut à Londres en 1686, in-12. Elles ne sont que des répétitions de celles de Commelin.

Le premier qui ait donné un travail complet sur Apollodore, a été le savant M. Heyne, qui publia à Gottingue, en 1782, le texte de cet auteur, revu sur les manuscrits, et qui y joignit, en 1783, un commentaire rempli d’érudition. Cette édition est en quatre volumes in-12, savoir : un volume de texte, deux volumes de notes, et un volume qui contient une dissertation sur Apollodore, les fragmens de ses autres ouvrages, et les tables. M. Heyne vient de faire réimprimer cette édition à Gottingue, en 1803, en deux volumes in-8°, avec quelques augmentations. Il l’a aussi disposée d’une manière différente. Le premier volume contient le texte avec des notes critiques au-dessous, et les fragmens. Les notes et les tables forment le second volume. Il avoit fait collationner pour ce travail les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, et il avoit, outre cela, tous les matériaux que Van Swinden avoit rassemblés pour donner une nouvelle édition d’Apollodore, dont on peut voir un échantillon dans le recueil intitulé Miscellanœ observationes novæ, T. iii, p. 37 et suivantes.

Il a aussi paru à Berlin, en 1789, in-8°., une nouvelle édition d’Apollodore ; mais elle a été faite pour les collèges, et n’a aucun mérite particulier.

Je ne connois qu’une seule traduction française d’Apollodore : Passerat, qui en est l’auteur, ne jugea pas à propos de la publier de son vivant Elle fut imprimée à Paris, en 1605, in-12, par les soins de Rougevalet son neveu, et elle est très-rare. Cette traduction, qui est sans doute l’ouvrage de la jeunesse de Passerat, n’est pas, à beaucoup près, aussi parfaite qu’elle auroit pu l’être s’il y avoit mis tous ses soins. Cependant elle n’a pas laissé de m’être utile, et il a souvent mieux saisi le sens que le traducteur latin.

On sait que Bachet de Méziriac avoit fait un commentaire sur la Bibliothèque d’Apollodore, et il le cite souvent dans ses notes sur les Héroïdes d’Ovide. Ce commentaire, qu’on avoit long-temps cru perdu, étoit, en 1730, entre les mains de l’abbé Sallier, comme on le voit par une de ses lettres à l’abbé Papillon, citée p. 77 de la vie de Bachet de Méziriac, qui fait partie d’un ouvrage intitulé : Eloges de quelques auteurs françois ; Dijon, 1742, in-12. Il paroît qu’il s’est, perdu de nouveau depuis cette époque ; car, malgré toutes mes recherches, je n’ai pu le découvrir. MM. les conservateurs des Mss. de la Bibliothèque Nationale, de la complaisance desquels je ne saurois assez me louer, ont eu à la vérité la bonté de me communiquer un exemplaire de cet ouvrage, de l’édition de Commelin, dont les marges avoient été remplies de notes par Bachet de Méziriac, et entre chaque feuillet duquel il avoit intercalé quatre ou cinq morceaux de papier, sur lesquels il avoit recueilli différens passages relatifs au texte d’Apollodore ; mais on ne peut regarder cela que comme des matériaux, et il les avoit sans doute mis en ordre, car l’abbé Sevin, dans le commentaire manuscrit dont je vais parler tout à l’heure, rapporte souvent, sous le nom de Bachet de Méziriac, des corrections et des discussions dont je n’ai trouvé aucune trace dans ce volume.

MM. les conservateurs m’ont aussi communiqué un commentaire manuscrit sur Apollodore, de l’abbé Sevin, savant très-connu par un voyage qu’il fit au Levant, où il fit diverses acquisitions pour la Bibliothèque du Roi, à laquelle il étoit attaché, et par les savans mémoires dont il a enrichi le recueil de l’Académie des Inscriptions dont il étoit membre. Ce commentaire, écrit en latin, est très-étendu, et il m’a été de la plus grande utilité. Sevin avoit collationné tous les Mss. de la Bibliothèque du Roi, et un Ms. de Besançon qui m’est inconnu. Il avoit aussi entre les mains le commentaire de Bachet de Méziriac qu’il cite très-souvent, et il en avoit sans doute tiré tout ce qu’il y avoit de bon, ce qui doit diminuer le regret qu’on pourroit avoir de sa perte.

Quoique j’aie beaucoup profité des travaux de Sevin et de M. Heyne, il ne faut pas croire que je n’aie fait que les extraire. J’ai lu presque tous les auteurs Grecs et Latins dans lesquels j’ai cru pouvoir trouver quelque chose de relatif à ce travail et à celui dont je m’occupe sur Pausanias, ce qui m’a donné lieu de faire beaucoup d’observations qui avoient échappé à ceux qui m’avoient précédé dans la même carrière.

Les Mss. de la Bibliothèque Nationale ayant été collationnés par Sevin et par Van Swinden, dont M. Heyne a eu les papiers, j’ai cru pouvoir me dispenser du travail pénible de les collationner de nouveau. Je ne me suis asservi, quant au texte, à aucune des précédentes éditions. J’y ai souvent rétabli d’anciennes leçons qu’on avoit changées mal à propos. Quelquefois je l’ai corrigé d’après mes propres conjectures ou d’après celles de quelques savans, et surtout d’après celles de mon ami le D. Coray, qui, en jetant un coup d’œil sur les épreuves, y a découvert beaucoup de fautes de grammaire qui avoient échappé à tous les éditeurs précédent. On m’accusera sans doute de témérité, mais je crois que ce respect religieux pour les Mss., dont quelques savans font profession, n’est nécessaire que lorsqu’on publie pour la première fois un auteur, ou lorsque les éditions en sont très-rares. Mais quand on fait réimprimer un ouvrage aussi répandu que celui-ci, c’est moins pour le faire connoître que pour le rendre plus intelligible, et alors on ne doit pas, par une timidité ridicule, y laisser subsister des fautes évidentes, lorsqu’on peut les corriger par le changement d’une lettre ou d’une syllabe.

On trouvera peut-être mes notes un peu longues, mais mon but étant, comme je l’ai dit, de les faire servir d’introduction à celles que je prépare sur Pausanias, j’ai cru pouvoir me livrer à beaucoup de discussions qui, sans être essentielles à l’explication d’Apollodore, jettent quelque lumière sur différens points très-obscurs de l’histoire de la Grèce, J’ose même espérer qu’on ne regardera pas ces digressions comme la partie la moins intéressante de cet ouvrage ; j’y ai éclairci une foule innombrable de faits relatifs à l’origine des différentes peuplades grecques. En distinguant des personnages qui avoient porté le même nom, en mettant de côté les fables inventées par les tragiques, j’ai donné une face absolument nouvelle à une histoire qu’on n’avoit regardée comme fabuleuse, que parce qu’on ne s’étoit pas donné la peine d’y porter le flambeau de la critique ; et je ne crains pas d’avancer qu’on peut extraire de mes notes une histoire de la Grèce avant le siège de Troie, bien plus complète que toutes celles que nous avons jusqu’à présent. Je ne me flatte cependant pas d’avoir tout éclairci ; il y a des choses que nous ignorerons toujours, faute de monumens ; il y en a d’autres (comme par exemple ce qui concerne la famille de Tantale) dont je n’ai rien dit, parce que la partie de l’ouvrage d’Apollodore où il en étoit question, ne nous est pas parvenue ; mais j’en parlerai dans mes notes sur Pausanias. Comme ce dernier auteur nous a conservé une infinité de détails très-précieux sur l’origine et l’histoire des principales villes de la Grèce, cela me fournira l’occasion d’en discuter les points les plus importans. Ma traduction est achevée ; j’ai même revu le texte sur les manuscrits de la Bibliothèque Nationale ; et soit par le secours de ces manuscrits, soit à l’aide de quelques conjectures, je crois être parvenu à rétablir et à expliquer beaucoup de passages qui n’avoient pas été entendus. J’ai la plus grande partie des matériaux nécessaires pour mes notes ; il ne me manque qu’un peu de loisir pour les mettre en ordre ; et quoique les fonctions pénibles auxquelles je suis attaché ne m’en laissent pas beaucoup, je pourrai, à ce que je crois, livrer avant peu cet ouvrage à l’impression, si toutefois il se trouve quelque libraire qui veuille bien s’en charger ; ce que je n’ose pas trop espérer, vu le discrédit dans lequel la littérature ancienne est tombée en France.

Malgré tous les soins que j’ai donnés A l’impression de cet ouvrage, soins qui ne m’ont pas été très-pénibles, grâce à l’intelligence de MM. Delance et Lesueur, qui sont du très-petit nombre de ceux qui soutiennent encore à Paris l’honneur d’un art qui y a jadis été porté au plus haut degré de perfection par les Etienne, les Morel, les Turnèbe et tant d’autres dont le nom ne périra jamais, tant que la langue grecque sera cultivée[3] ; malgré tout cela, dis-je, il s’y est glissé quelques fautes d’impression, que j’ai indiquées dans l’errata que j’ai mis à la fin du second voPage:Apollodore - Bibliothèque (éd. Clavier), vol. 1.djvu/34

  1. Voyez L. i, C. vi, note ii ; C. ix, note 74, 76 et 108. L. ii, C. i, note 50 ; C. V, notes 49, 54, 59 ; C. vii, note 41.
  2. On en voit un exemple dans Pausanias, L. ii, C. 26, qui suppose que certains vers, sur la naissance d’Esculape, avoient été faits ou par Hésiode, ou sous son nom, pour flatter les Messéniens.
  3. M. Delance est louable surtout d’avoir eu, dès l’an V, époque à laquelle presque toutes les Imprimeries étoient fermées à la littérature, le courage d’embrasser cette partie difficile et peu lucrative, qu’il n’a cessé de suivre avec autant de zèle que de succès.