Bibliothèque Canadienne/Tome I/Numéro 1/Physique

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Bibliothèque Canadienne/Tome I/Numéro 1
La Bibliothèque Canadienne, Tome I, Numéro 1, Texte établi par M Bibaud, éditeur et propriétaire, Imprimerie J. LaneVolume I, Numéro 1 (juin 1825) (p. 9-11).

PHYSIQUE.

Le morceau qui suit a été publié dans le Canadien, il y a une vingtaine d’années ; ce qui ne doit rien lui ôter de son mérite, non plus que de sa nouveauté pour la plupart de nos lecteurs. D’ailleurs, nous désirerions suivre dans les sciences, comme dans l’histoire, une espèce d’ordre chronologique ; et s’il était des morceaux scientifiques écrits plus anciennement en Canada, et sur le Canada, il n’en est pas du moins qui traite de choses plus anciennes.

La Ville de Québec est bâtie sur une montagne qui, à une époque reculée, formait une île. Cette montagne s’étend en longueur depuis le confluent de la rivière St. Charles et du fleuve St. Laurent jusqu’à la rivière du Cap Rouge, et en largeur, depuis la rive du nord du fleuve jusqu’à la côte d’Abraham. Elle n’est bien visible que du côté du fleuve ; le reste est couvert d’alluvions depuis deux jusqu’à cinq à six pieds d’épaisseur : de sorte que cette terre est arable partout, et qu’on y sème annuellement des grains. Elle n’est point non plus de formation primitive ou coexistante avec ce continent ; mais le résultat d’alluvions ou de dépositions successives. Ses couches ou lits vont du nord-est au sud-ouest, et inclinent un peu vers le nord. On dirait, au premier coup d’œil, qu’elle est composée de schiste argileux. Mais d’après l’analyse que j’ai faite de plusieurs échantillons de pierre, pris en divers endroits de la montagne, elle est composée de pierre calcaire. Cette pierre calcaire est bien loin d’être pure ou de formation primitive, telle que celle qui se trouve à Beauport, au nord de Québec, mais est chargée de différentes matières étrangères. On y trouve aussi des cristaux de roche et du marbre blanc. Au nord de cette montagne est une vaste plaine, coupée par la rivière St. Charles, qui charie les eaux des montagnes voisines dans le fleuve St. Laurent.

J’ai cru devoir vous faire ce petit détail, avant d’en venir à l’époque où ce continent était entièrement submergé.

Je pense donc qu’au tems de la submersion du continent d’Amérique, les plus hautes montagnes furent couvertes d’eau. Cette supposition ne paraîtra pas gratuite, si l’on considère que l’on a trouvé des substances marines, tels que des coquillages de mer, sur les montagnes de Kaatskill dans l’État de New-York. À cette époque mémorable, la montagne que nous habitons n’existait pas encore. Une vaste mer couvrait les campagnes d’alentour. Mais cet ordre de choses ne devait pas toujours durer. Les phénomènes de la vaporisation, de la cristallisation et de la congélation devant bientôt s’opérer, les eaux commencèrent à se retirer, et ce continent prit alors la forme constante et durable que nous lui remarquons à présent. Les fleuves et les rivières prirent leurs lits et les eaux furent amenées par divers canaux à un réservoir général qui forme l’Océan Atlantique,

C’est de ce tems reculé que nous devons dater la formation du Cap-au Diamant. La chaux venant à se cristalliser, ou en d’autres termes, devant se saturer de gaz acide carbonique, s’est déposée par couches, qui ont suivi, comme il paraît, la direction des courans. Ceci s’accorde parfaitement avec les monumens encore subsistans de cette catastrophe de la nature. Car je conçois que les couches de cette montagne ont été déposées, et en quelque sorte comprimées par les courans contraires des eaux du fleuve St. Laurent et de celles qui descendaient des montagnes voisines. Cette assertion n’est point du tout invraisemblable, si l’on envisage que l’on trouve actuellement différentes pierres étrangères, incorporées ou incrustées dans les lits qui sont dégradés de la montagne. Les cristaux de roche et le marbre blanc, qu’on y trouve, se sont formés en vertu des attractions électives. Ainsi la conformation actuelle du Cap-au-Diamant prouve donc que cette montagne a été formée à une époque postérieure à la création, et que la direction de ses couches a été entièrement déterminée par des courans contraires.

Cette montagne, qui n’est plus qu’une presqu’ile, formait dans son origine une île : parceque, premièrement, chaque extrémité de la montagne forme un angle saillant, et secondement les eaux de la rivière du Cap-Rouge, qui charrie aussi des eaux des montagnes voisines, ont été jetées avec une telle force du côté opposé, par l’angle sud-ouest de la montagne, qu’on dirait que ces lieux viennent d’être sillonnés par quelque grande inondation, tant l’empreinte de leur ancien état est profond.

Cette vaste plaine, qui se trouve actuellement entre cette île d’autrefois et les montagnes du nord, formait aussi par conséquent le lit d’un lac immense. On y remarque encore aujourd’hui les ondulations ou les coteaux formés par les courans. On y voit encore épars çà et là des pièces énormes de granit que les courans ont détachées et fait descendre des montagnes voisines. Car, pourquoi ces pièces de granit se trouveraient-elles à présent à de si grandes distances de leur montagne-mère ? Pourquoi celles qui se trouvent dans les plaines sont-elles arrondies ou sphériques, tandis que celles des montagnes sont angulaires ? Il faut donc admettre un agent qui les ait travaillées, et cet agent ne peut être que l’eau, agitée par des courans rapides.

Si tout ce qui vient d’être dit n’était pas suffisant, pour vous convaincre de la vérité de mes avancés, je demanderais comment ont pu se former les lacs qui se trouvent au nord des montagnes et dont les eaux se déchargent, par de longs détours dans le fleuve St. Laurent ? La rivière Ste. Anne, par exemple, fait plus de trente lieues de détours pour parvenir au fleuve. Cela ne prouve-t-il pas que ces lacs, dont il résulte des rivières, ont été formés par un déluge universel, et que leurs eaux n’ayant pu se faire jour à travers les montagnes, ont été forcées de faire de longs détours pour parvenir au fleuve ? Toutes les rivières des environs sont absolument dans le même cas, et leurs lits font mille tours divers.

La rivière du Sud, qui se jette dans le fleuve, douze lieues en bas de Québec, offre encore un exemple bien frappant de la submersion universelle de ce continent, et de ce que l’eau peut opérer, lorsqu’elle roule rapidement sur un lit argileux. Cette rivière, qui n’a pas plus d’un arpent ou deux de largeur, se trouve entre deux élévations considérables, à la distance d’environ deux lieues l’une de l’autre. Le terrain qui est entre ces côteaux est magnifique, et annonce qu’il fut jadis le lit d’un lac considérable ; mais aussitôt que ce lac commença à diminuer, la rivière sillonna alors son lit, et amena dans le fleuve les eaux des montagnes adjacentes. On a peine à concevoir comment l’eau a pu creuser la terre d’une manière aussi profonde. Plusieurs éboulis ont eu lieu, il y a quelques années passées, et l’écore est élevée à plus de cent pieds audessus du niveau de la rivière.

Vous me demanderez actuellement comment ce volume immense d’eaux a pu se retirer. Je répondrai à cette question, en disant que les phénomènes de la vaporisation, de la cristallisation, de l’oxydation des métaux, et de la congélation, furent indubitablement les premières causes de la diminution des eaux. L’atmosphère ayant sans doute rendu, à cette époque mémorable, toute l’eau qu’il tenait en dissolution, la vaporisation dut s’opérer plus rapidement qu’à présent. Ensuite, la végétation devenant considérable, dut en décomposer une grande partie. Les volcans, les canaux souterrains, les tremblemens de terre, devant alors se faire sentir, contribuèrent de leur côté à leur diminution. Les fleuves et les rivières devant creuser leurs lits ou s’enfoncer, pour ainsi dire, dans la terre, laissèrent par ce moyen les campagnes voisines à découvert. Car c’est une erreur de croire que le lit du fleuve St. Laurent était aussi profond dans ces tems reculés qu’à présent. Il est bien vrai qu’il chariait ses eaux de niveau avec les plus hautes écores d’aujourd’hui. Mais s’il n’en est point ainsi, c’est qu’outre l’évaporation et les autres causes que nous venons de citer, son lit devenant beaucoup plus profond, ses eaux ont dû baisser considérablement et laisser à découvert les campagnes adjacentes.

Cette idée est d’autant plus fondée que l’on remarque que là où le lit du fleuve est de pierre, il n’y a presque point d’écore. C’est de cette inégalité du lit du fleuve, indépendamment de l’ascension graduelle du terrain, vers sa source, que résultent plusieurs rapides, tels que ceux du Sault St. Louis et du Richelieu. Ce phénomène a donc dû contribuer à faire retirer les eaux des campagnes, et faire croire que les anciennes écores, que l’on observe tout le long du fleuve St. Laurent, avaient été laissées à sec d’une manière soudaine.