Bibliothèque historique et militaire/Essai sur la tactique des Grecs/Chapitre II

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Essai sur la tactique des Grecs
Anselin (1p. 15-21).

CHAPITRE II.


Invasion de Darius ; bataille de Marathon. — Invasion de Xerxès ; combat des Thermopyles.


Les états de la Grèce, gouvernés par des rois, venaient de se constituer en républiques ; et ce changement de gouvernement, bien qu’il produisît des rivalités et des haines, excita chez ces peuples une noble émulation : Athènes et Sparte, l’une par ses vertus rigides, l’autre par son industrie, son commerce et son goût pour les sciences et les beaux-arts, prirent parmi ces républiques un ascendant qu’elles conservèrent tour-à-tour. Des ligues se formèrent souvent pour tenir ces deux puissances en équilibre ; mais le besoin de se réunir contre un ennemi commun suspendit quelquefois aussi les guerres intestines, et c’est alors que furent livrées ces batailles mémorables qui ont illustré la Grèce, et qui restent comme un témoignage de ce que peut faire la science militaire unie au courage.

Il s’était écoulé près de quarante ans depuis la mort de Cyrus, lorsque Darius, qui régnait alors sur l’empire immense que ce grand prince avait fondé, voulut étendre sa domination jusqu’à l’Europe. Plus de cent mille Perses passent la mer, viennent fondre sur l’Attique, et semblent annoncer son asservissement. Les Athéniens réclament le secours de Lacédémone. On leur répond qu’une coutume religieuse empêche de se mettre en campagne avant la pleine lune ; qu’il faut attendre quelques jours. Les autres peuples, saisis d’épouvante, n’osent bouger, excepté les Platéens, qui envoient mille soldats.

Dans un péril si pressant, Athènes arme ses esclaves et parvient ainsi à rassembler dix mille combattans. Le nombre des généraux était un mal plus dangereux que le manque de troupes : il y en avait dix ; ils devaient commander alternativement. La jalousie, qui engendre la contrariété des opinions, pouvait tout perdre.

Tandis qu’on délibérait pour savoir si l’on devait attaquer l’ennemi ou l’attendre dans la ville, Miltiade, contre l’avis de tous, soutint qu’un coup de vigueur pourrait donner la victoire. Aristide adopte aussitôt cette opinion, entraîne les autres généraux par son éloquence, et, comprenant bien que l’exécution d’un pareil projet demande d’être confiée à un seul, il renonce en faveur de Miltiade à son jour de commandement. Chacun suit cet exemple généreux.

Maître d’agir à sa volonté, Miltiade vint camper à une demi-lieue de l’armée des Perses, au pied d’une montagne qui se courbait en forme de fer à cheval[1]. Afin de fortifier ses ailes, il éleva sur ses flancs des retranchemens avec des abatis, embarrassa par des arbres tous les endroits de la montagne qu’on supposait accessibles et se décida, dans le cas où l’ennemi accepterait la bataille, de refuser son centre et d’attaquer par ses ailes.

Datis, qui commandait les Perses, resserré comme les Grecs entre deux petites rivières, ne pouvait étendre le front de son armée en proportion de sa force numérique ; il dut bien vite juger combien les dispositions de Miltiade étaient sages ; mais, ne voulant pas donner aux Lacédémoniens le temps d’arriver, il résolut d’engager l’affaire.

Tout était calculé de la part de Miltiade. Son armée, rangée au pied d’une montagne, ne pouvait être enveloppée ; les arbres qu’il avait fait couper lui servaient de retranchement, et les Grecs se trouvaient encore fortifiés par deux petites rivières, dont les cours, rapprochés à leurs sources, s’éloignaient l’un de l’autre en descendant vers la mer, et formaient des marais impraticables.

Comme les Perses étaient arrivés sur un grand nombre de petits navires, ils n’avaient point amené de chariots de guerre, et les deux phalanges qui formaient l’armée grecque resserrèrent l’intervalle qu’on laissait ordinairement ouvert pour le passage des chars. Ces deux phalanges rangées, selon le terrain, sur huit ou douze de profondeur, n’offraient guère que mille ou douze cents files, c’est-à-dire un front de bataille de douze à quinze cents pas.

Le signal ne fut pas plutôt donné (490 av. not. ère), que les Athéniens, au lieu d’attendre le choc de l’ennemi, suivant leur coutume, s’élancèrent avec furie. Miltiade avait à dessein renforcé les ailes, car il fallait surtout empêcher les Perses de se placer entre eux et leurs ravins ; Aristide et Thémistocle, qui commandaient le centre, devaient même le refuser, afin de provoquer l’effort de l’ennemi sur ce point. Les barbares s’y précipitèrent.

Mais les deux phalanges qui s’étaient volontairement séparées l’une de l’autre, sans rompre l’ordre de bataille, se rejoignirent bientôt ; et ainsi, coupant en deux la colonne en désordre qui s’était introduite dans leur intervalle, achevèrent de mettre la confusion dans les rangs de Datis.

Les Spartiates, qui pour réparer leur faiblesse avaient fait une marche forcée de trois jours, n’arrivèrent que le lendemain de la bataille, et furent bien étonnés de ne plus trouver d’ennemis. La terreur avait été si grande parmi les Perses, qu’ils ne laissèrent que six mille hommes sur le champ de bataille ; perte très petite pour leur armée nombreuse et hors de toute proportion avec une défaite aussi générale. Sans essayer de se rallier, ils se précipitèrent vers leurs embarcations et s’éloignèrent du rivage. Ce fut alors qu’un soldat tout fumant encore du sang des ennemis courut porter à Athènes la nouvelle de cette victoire, et tomba mort aux pieds des magistrats, après avoir dit : « réjouissez-vous, nous sommes vainqueurs. »

Une victoire aussi complète fut le résultat de la résolution hardie de Miltiade. Un général qui se sent de beaucoup supérieur à son ennemi néglige ordinairement quelques-unes des précautions qu’on est contraint de multiplier sans cesse à la guerre ; le plus faible n’en oublie aucune ; lorsqu’ensuite ce général se trouve en face de l’ennemi qu’il a méprisé, et que ce dernier ose former la première attaque, celui qui s’était cru le plus fort s’étonne d’abord de l’audace du plus faible, mais il finit par lui supposer des ressources qu’il ne connaît pas. L’effet de cette surprise tourne presque toujours en frayeur et en découragement.

Les Athéniens perdirent environ deux cents hommes. Ils étaient, comme nous l’avons dit, au nombre de dix mille, en y comprenant les Platéens. Tous étaient pesamment armés, sans infanterie légère ni cavalerie. Cependant on aurait pu tirer un grand parti des troupes légères, soit en les plaçant sur les sommités ou derrière les abatis, soit en les destinant à attaquer les Perses par derrière ou à les inquiéter pendant le combat, soit enfin en les faisant surveiller l’ennemi, qui, vu son grand nombre et la possibilité où l’on est toujours de tourner une montagne quand elle est gardée par peu de monde, aurait du songer à cette manœuvre, qui mettait l’armée des Grecs en péril.

La journée de Marathon fut la source des grandes victoires que les Grecs remportèrent par la suite sur les Perses : elle détruisit l’opinion qu’on avait eue jusqu’alors de cette puissance formidable, et prouva qu’une armée, si nombreuse qu’elle soit, lorsqu’elle manque de discipline et de tactique, n’a rien de redoutable que le nom.

La défaite des Perses irrita Darius, et l’on n’ignorait pas en Grèce les préparatifs qu’il faisait pour une seconde expédition, lorsque la mort vint le surprendre. Xerxès, qui lui succéda, résolut de suivre les projets de son père, et dix ans après la bataille de Marathon, il entra dans la Grèce avec une armée qui s’élevait à plusieurs millions d’hommes, si l’on s’en rapporte à Hérodote, le plus ancien des historiens.

Athènes et Lacédémone résolurent de former une ligue assez puissante pour s’opposer à ce nouvel essaim de barbares. Une diète fut convoquée à l’isthme de Corinthe, et l’on en fit partir des députés, qui coururent de ville en ville afin de les entraîner dans la confédération.

Pendant qu’obtenait conseil sur la manière de conduire cette guerre, Xerxès surprit des espions. Au lieu de les punir, il les fit promener dans son camp et les renvoya en les chargeant de donner chez eux un détail exact de ce qu’ils avaient vu. C’est un moyen souvent employé avec succès à la guerre, où l’on doit toujours utiliser un espion et rarement le faire périr. Dans sa situation, il faut même avouer que Xerxès ne pouvait rien faire de mieux que d’user avec les Grecs d’une pareille politique, s’il n’espérait pas gagner ceux qui s’étaient introduits dans son camp.

Cette conduite sage forme un contraste bien frappant avec les folies qu’on a débitées sur ce prince, qui, dit-on, fit donner des coups de fouet à la mer, parce qu’un pont de bateaux sur lequel ses troupes devaient passer, avait été rompu par la tempête. Les historiens qui se plaise à rapporter ces vieilles sornettes et souvent à les amplifier, ajoutent, comme complément de la démence de Xerxès, qu’il ordonna de percer le mont Athos afin d’ouvrir un passage à sa flotte.

Mais la flotte des Perses avait éprouvé, quelque temps auparavant, combien il était dangereux de doubler cette montagne qui se prolonge dans une presqu’île, et n’est attachée au continent que par un isthme d’une demi-lieue de large. La prudence voulait, ou que Xerxès transportât sa flotte à force de bras par dessus l’isthme, ou qu’il fît passer un canal à travers le mont Athos. Celui qu’on creusa pouvait recevoir de front deux galères ; il n’avait rien dans ce projet qui ne fût digne d’un monarque puissant.

Ses ambassadeurs avaient été massacrés à Lacédémone. Deux Spartiates apprennent que les Dieux, irrités de ce meurtre, rejettent les sacrifices des Lacédémoniens : ils croient se dévouer pour le salut de leur patrie, se présentent devant Xerxès, et sans craindre de l’irriter davantage, refusent de se prosterner, suivant la coutume des Orientaux. Le monarque, étonné d’abord de ce manque de respect, leur fit cette réponse mémorable : « Allez dire à Lacédémone que si cette ville est capable de violer le droit des gens, Xerxès ne suit pas un pareil exemple ; jamais il n’expiera en vous ôtant la vie le crime dont elle s’est souillée. »

Ordinairement le plus grand obstacle qu’on éprouve à faire mouvoir des armées nombreuses provient de la difficulté de les approvisionner. Il n’est pas une personne raisonnable qui puisse croire que Xerxès traînât avec lui plusieurs millions d’hommes à la conquête de la Grèce ; mais en acceptant la donnée des auteurs les plus modestes, on peut demander quel est le général qui de nos jours, oserait prendre sur lui la responsabilité d’une administration de dix-huit cent mille combattans ?

Les historiens n’ont pas manqué de dire que cette multitude de barbares ravageait toutes les contrées pour vivre ; comme si le pillage ne se voyait pas dans les armées les mieux disciplinées. Xerxès avait divisé la sienne en trois corps : l’un suivait les rivages de la mer, les deux autres marchaient à certaines distances dans l’intérieur des terres ; toutes les mesures étaient prises d’ailleurs pour leur procurer des moyens de subsistance. Trois mille vaisseaux chargés de vivres longeaient la côte et réglaient leurs mouvemens sur ceux de l’armée. Le prince avait même eu la précaution de faire approvisionner plusieurs places de la Thrace et de la Macédoine par les Égyptiens et les Phéniciens.

Certainement, Xerxès qu’on nous dépeint comme un homme entièrement nul, prouve par ses actions, qu’il constituait assez bien la guerre, comme ses paroles nous démontrent qu’il ne manquait pas d’un certain tact dans sa politique. Malheureusement la science du meilleur capitaine offre une bien faible ressource, quand elle n’est pas secondée par le courage et l’instruction militaire de ses soldats. Notre dessein, au reste, n’est pas de relever toutes les erreurs des écrivains qui ont travaillé sur l’histoire ancienne ; mais, quand on place des armées en présence, il faut faire connaître la main qui les dirige.

Par crainte ou par adresse, Xerxès ayant attiré dans son parti les Argiens, les Syracusains et les Thessaliens, après avoir neutralisé les habitans de Crète et ceux de Corcyre, il ne restait pour la défense de la Grèce, qu’un petit nombre de peuples et de villes. Thémistocle était l’âme de leurs conseils et relevait leurs espérances, employant tour à tour la persuasion et l’adresse, la prudence et l’activité. Depuis quelques années, il prévoyait que la bataille de Marathon n’était que le prélude des guerres qui allaient menacer les Grecs ; il leur fit entendre qu’ils resteraient toujours maîtres du continent, s’ils pouvaient l’être de la mer ; qu’il viendrait un temps où leur salut dépendrait de celui d’Athènes, et celui d’Athènes du nombre de ses vaisseaux. Il les engagea de porter leurs vues du côté de la marine, et les Grecs avaient deux cents galères dans les ports de l’Attique lors de l’invasion de Xerxès.

Comme ce prince continuait sa marche, il fut résolu dans la diète de l’isthme que Léonidas, roi de Sparte, s’emparerait du passage des Thermopyles, situé entre la Thessalie et la Locride, tandis que l’armée navale des Grecs attendrait celle des Perses aux parages voisins, dans un détroit formé par les côtes de la Thessalie et par celles de l’Eubée. Là, les vaisseaux des Perses éprouvèrent un échec considérable, ayant voulu attaquer la flotte grecque dans un lieu nommé Artemisium.

Le passage que la diète confiait à Léonidas est le seul chemin par lequel une armée puisse pénétrer de la Thessalie dans la Locride, la Phocide, la Béotie, l’Attique et les régions voisines. Voici la description qu’en donnent les anciens : en partant de la Phocide pour se rendre en Thessalie, on passe par le petit pays des Locriens, et l’on arrive au bourg d’Alpénus, situé sur la mer. Comme il est à la tête du détroit, on l’a fortifié. Le chemin n’offre d’abord que la largeur nécessaire pour le passage d’un chariot ; il se prolonge ensuite entre des marais que forment les eaux de la mer et des rochers presque inaccessibles qui terminent la chaîne des montagnes connues sous le nom d’Œta.

À peine est-on sorti d’Alpénus, que l’on trouve à gauche une pierre consacrée à Hercule Mélampyge, et c’est là qu’aboutit le sentier qui conduit au haut de la montagne. Plus loin, on traverse un courant d’eaux chaudes. Tout auprès est le bourg d’Anthéla. Au sortir de la plaine qui l’entoure, on trouve un chemin, ou plutôt une chaussée qui n’a que sept à huit pieds de large. Ce point est à remarquer. Les Phocéens y construisirent autrefois un mur pour se garantir des incursions des Thessaliens. Ce mur, qui avait des portes que les Grecs appellent pylas, et le courant d’eaux chaudes, ont fait donner à ce lieu le nom de Thermopyles[2].

Après avoir passé le Phœnix dont les eaux finissent par se mêler avec celles de l’Asopus, qui sort d’une vallée voisine, on rencontre un dernier défilé ; sa largeur est d’un demi-plethre (sept à huit toises). La voie s’élargit ensuite jusqu’à la Trachinie, qui tire son nom de la ville de Trachis. Ce pays présente de grandes plaines arrosées par le Sperchius et par d’autres rivières. Tout le détroit, depuis le défilé placé en avant d’Alpénus jusqu’à celui qui est au-delà du Phœnix, peut avoir quarante-huit stades de long (environ deux lieues). Sa largeur varie presque à chaque pas ; mais partout on a d’un côté, des montagnes escarpées, et de l’autre la mer, ou des marais impénétrables. Le chemin est souvent détruit, ou par des eaux stagnantes, ou par des torrens.

En apprenant le choix de la diète, Léonidas prit pour l’accompagner trois cents Spartiates ; les Thébains lui donnèrent quatre cents hommes ; bientôt son détachement se grossit successivement. Mille soldats de Tégée et de Mantinée arrivèrent, cent vingt d’Orchomène, mille des autres villes d’Arcadie, quatre cents de Corinthe, deux cents de Phlionte, quatre-vingts de Mycènes, sept cents de Thespies, mille de la Phocide, enfin la petite nation des Locriens se rendit au camp avec toutes ses forces.

D’après la description du détroit des Thermopyles, il ne devait pas être difficile à sept mille combattans d’y arrêter une armée très nombreuse, puisqu’elle ne pouvait approcher des Grecs que par des défilés, où trois hommes de front passaient à peine. Mais s’il était bien de profiter de cette fortification naturelle, il fallait au moins la garder avec précaution, les surprises étant le premier élément de succès à la guerre.

Ni Léonidas, ni les Grecs qui allèrent aux Thermopyles n’en connaissaient le chemin, suivant Hérodote ; ce furent les Trachiniens qui les y conduisirent ; et l’on voit que Léonidas, au lieu d’examiner les lieux qu’il fallait fermer, se contente de faire relever l’ancienne muraille que te temps avait détruite, et de poster mille Phocéens sur les hauteurs du mont Œta, afin d’observer un sentier qui commençait à la plaine de Trachis, et qui après différens détours, aboutissait par la montagne auprès d’Alpénus. Pour lui, il se plaça avec six mille hommes contre Anthéla, et mit quelques troupes en avant du mur qu’il avait fait rétablir.

Si Léonidas, au lieu de s’en rapporter aux indications étrangères, avait fait une reconnaissance dans la montagne, il aurait vu que le sentier qui la traversait était aussi important à défendre que le pas des Thermopyles ; rien n’était plus facile que de fortifier ce nouveau poste ; ses sept mille hommes lui permettaient de le défendre avec avantage ; et il pouvait aussi bien arrêter l’armée de Xerxès sur ce point, qu’il le fit auprès d’Anthéla.

Remarquons encore que le temps ne manquait point pour prendre ces précautions vulgaires qu’un général ne doit négliger dans aucun cas ; qu’ici les Grecs ne pouvaient être inquiétés par les Perses ; et que ce fut long-temps après leur arrivée aux Thermopyles que Xerxès fit marcher ses troupes et donner l’assaut.

Les Mèdes et les Cissiens se présentèrent d’abord et furent repoussés avec un carnage effroyable ; dix mille Perses, commandés par Hydarnès et connus sous le nom de corps des immortels, tentèrent ensuite, mais vainement, d’écraser les Grecs. En un mot, pendant deux jours ils se maintinrent contre l’armée entière, tant ils étaient favorisés par l’avantage du terrain qui les rendait invulnérables, tandis que les premiers rangs ennemis tombaient percés de coups.

Xerxès désespérait de forcer le passage, lorsqu’un habitant de ces cantons, nommé Épialtès, vint lui découvrir le sentier fatal, par lequel on pouvait tourner les Grecs. Le prince, transporté de joie, détacha aussitôt Hydarnès avec le corps des immortels qui brûlait de venger sa défaite. Ils partent au commencement de la nuit sous la conduite d’Épialtès, surprennent le détachement des Phocéens, qui craint d’être enveloppé et se disperse, et après avoir marché toute la nuit, arrivent au haut de la montagne. L’armée suit ce mouvement.

Si jusqu’ici Léonidas montre peu de capacité comme général, on est forcé de convenir qu’une fois tourné, rien n’est plus beau que l’héroïsme qu’il développe et le plan hardi qu’il forme de surprendre Xerxès dans son propre camp.

Il avait été instruit pendant la nuit du projet des Perses, et au point du jour il apprit leur succès par les sentinelles accourues du haut de la montagne. Aussitôt il assemble les chefs des Grecs : « Les lois de Sparte ne me permettent pas de quitter le poste qui m’est confié, leur dit-il ; mais vous, il vous faut réserver pour des temps meilleurs et pour le salut de la Grèce ; allez, elle réclame vos bras. » Les Thespiens protestent qu’ils ne quitteront point les Spartiates ; les quatre cents Thébains prennent le même parti, le reste de l’armée sort du défilé.

Léonidas attendit la nuit (480 av. not. ère), et avec les mille braves qui lui restaient, ayant pénétré dans le camp des Perses, il en fit un massacre épouvantable. Deux frères de Xerxès périrent, et le roi lui-même fut sur le point de tomber entre les mains des Grecs. L’obscurité favorisant leur audace, le carnage dura pendant la nuit entière ; mais au point du jour on reconnut le petit nombre des assaillans, et sans oser les approcher, on les écrasa sous des coups innombrables.

Certes on ne peut douter que le dévouement de ces mille héros n’ait produit un effet moral immense sur la Grèce entière ; l’histoire a donc eu raison d’honorer l’action de Léonidas. Cependant le devoir du général n’est pas celui du soldat ; et si au lieu de se laisser tourner, faute irréparable, Léonidas, par des dispositions plus prudentes, eût arrêté l’armée de Xerxès aux Thermopyles, il aurait plus fait pour sa patrie, et son courage n’exciterait pas moins l’admiration de la postérité. La preuve que l’avantage de la manœuvre appartient aux Perses, c’est qu’ils pénétrèrent en Grèce.




  1. Voyez l’Atlas.
    A. Armée des Grecs.
    B. Armée des Perses.
    C. Camp des Grecs.
    D. Camp des Perses.
  2. Voyez l’ATLAS.