Bibliothèque historique et militaire/Essai sur les milices romaines/Chapitre V

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Essai sur les milices romaines
Asselin (Volume 2p. 36-47).

CHAPITRE V.


Ordres de marche des années romaines. — Ordres de bataille ; préceptes de Végèce ; préceptes de Jomini.


Une armée avec laquelle les anciens consuls marchaient contre l’ennemi, consistait en quatre légions, dont deux composées de citoyens, et les deux autres d’alliés. On joignait à cette infanterie un corps de dix-huit cents cavaliers ; mais les Romains n’en formaient que le tiers, trois cents pour chacune de leurs légions.

Ces légions, du temps de Polybe, comptaient quatre mille deux cents hommes, et furent souvent portées à cinq ou six mille, selon les circonstances. Les consuls, avec ces armées de quatre légions, ont entrepris les guerres les plus importantes, et vaincu des nations supérieures aux Romains en population et en richesses. Le sénat augmentait toutefois le nombre des légions quand les intérêts de la république l’exigeaient, et surtout lorsqu’elle se trouva attaquée en différents endroits par des ennemis puissans et aguerris. C’est ainsi que, dans les premiers temps de la république, on en vit paraître jusqu’à dix pour s’opposer aux Latins et aux Volsques ; et plus tard, pendant les guerres puniques, on compta sur pied dix-neuf, vingt, et même vingt-trois légions.

Tous ces corps se distinguèrent entre eux par les nombres cardinaux qu’ils reçurent à l’époque de leur création. Il y eut la première, la seconde, la troisième légion, et jusqu’à la vingt-troisième.

Quand on licenciait ces corps après la guerre, les enseignes sous lesquelles ils avaient combattu, étaient rapportées au temple de Saturne ou à l’ærarium, et on ne les en tirait qu’en levant des légions nouvelles. Celle qui était appelée la première, recevait l’aigle consacrée à la première légion ; la seconde, prenait l’aigle qui jadis avait servi à celle que l’on nommait la seconde, et ainsi des autres. On ne s’écarta de ces anciens usages que pendant les guerres civiles, alors que les chefs de parti levaient des troupes à la hâte, sans l’autorité du sénat.

Les armées grecques étaient très faciles à remuer. Comme ces peuples ne combattaient que sur une seule ligne, dans la marche, la profondeur des files permettait à la colonne de ne pas tenir plus d’étendue qu’en ordre de bataille. La cavalerie s’avançait à la tête ; la phalange venait ensuite, rompue par sections plus ou moins fortes, selon le terrain ; les bagages prenaient la queue, couverts par une arrière-garde de cavalerie. C’était l’inverse que l’on suivait en se retirant. L’infanterie légère, qui se portait, selon le besoin, à la tête, à la queue ou sur les flancs, n’allongeait pas la colonne de route.

Dans une marche parallèle à l’ennemi, la phalange ne se rompait point ; elle s’avançait par l’aile, et l’armée n’avait à faire qu’un à-droite ou un à-gauche pour se mettre en bataille ; les bagages filaient alors du côté opposé.

On trouve, il est vrai, chez les Grecs, quelques exemples de marches faites sur plusieurs colonnes. Alexandre ordonna la sienne en diphalangie ou phalange doublée, lorsqu’il s’approcha du Granique pour en forcer le passage ; Machanidas allant combattre Philopœmen, était sur trois colonnes ; et ce fut avec une disposition semblable que Philopœmen sortit de Mantinée pour se mettre en bataille ; enfin Thucydide nous apprend que la troisième année de la guerre du Péloponnèse, les Lacédémoniens et leurs alliés s’avancèrent aussi sur trois colonnes en allant vers Stratos, ville d’Arcanie, lorsque celle du centre tomba dans une embuscade où elle fut très maltraitée. Mais ces sortes de marches sont rares chez les Grecs. Les déploiemens de leurs colonnes de route devenaient d’ailleurs très faciles, même dans les armées les plus nombreuses.

Il n’en est pas de même des Romains qui, n’étant pas rangés dans un ordre serré, ni sur une profondeur égale à celle des Grecs, admettaient des intervalles sur le front, et se formaient ordinairement sur plusieurs lignes. Il fallait plus d’art pour combiner un mouvement latéral entre des parties si différemment liées.

Bien, que la légion eût commencé seulement à changer son ordonnance vers le temps de Marius, nous l’avons dit, antérieurement et dans certaines circonstances, on réunissait un manipule de hastaires, un de princes, un de triaires, pour en former une cohorte ; mais la différence des armes ne permettant pas de mettre ces trois sortes de combattans sur le même front, les quatre premiers rangs de cette cohorte étaient occupés par les hastaires, les quatre rangs suivans se composaient des princes, et les deux derniers des triaires. Ou bien, les hastaires se plaçaient aux huit premiers rangs de la droite, les princes aux huit rangs de la gauche, et les triaires occupaient encore les deux derniers rangs.

Ainsi, on connaissait la cohorte dès le temps de Polybe. Cette disposition, il est vrai, n’était pas celle dont on se servait habituellement pour combattre ; mais on l’employait dans les marches, lorsque le terrain ne permettait pas de former trois colonnes.

Que l’on s’avançât, au reste, par cohortes ou par manipules, la marche s’ouvrait toujours de la même manière. Les extraordinaires faisaient l’avant-garde. Ce corps consistait en autant de cohortes qu’il y avait de légions dans l’armée, on le tirait des troupes alliées, et l’on joignait à cette infanterie quatre cents cavaliers ou le tiers de la cavalerie des alliés, dans une armée consulaire forte de quatre légions.

Après les extraordinaires, venait la première légion des alliés, en commençant par la droite ; les deux légions romaines défilaient ensuite, puis l’autre des alliés. Chaque légion était suivie de ses bagages, portés par des bêtes de somme. La cavalerie marchait quelquefois à la queue de la légion dont elle dépendait ; d’autres fois, elle côtoyait la colonne pour contenir et assurer les bagages, ou bien elle se tenait à la tête et à la queue. Quand on faisait une retraite, les extraordinaires formaient l’arrière-garde.

Les armés à la légère étaient employés à éclairer la marche. On détachait aussi de petits corps de cavalerie que l’on nommait éclaireurs (exploratores), et qui se portaient assez loin en avant pour battre le pays.

Si l’ennemi paraissait et qu’il fallût combattre, les équipages se retiraient à l’écart, les légions se joignaient et l’on se mettait en bataille. Quand l’ennemi n’était pas éloigné, et que l’on s’avançait dans le dessein formé de l’attaquer, on laissait les équipages au camp, ou bien on les faisait suivre à la queue de l’armée.

Jugeait-on à propos de marcher par cohortes ? Les trois manipules correspondans se joignaient dans l’ordre que nous avons dit pour ne faire qu’un seul corps. Lorsque le terrain le permettait, on doublait la colonne afin de présenter un front de deux cohortes. Vous comprenez que les principes sur lesquels on formait cet ordre de marche du temps de Marius et de César, ne devaient pas différer de ceux que l’on suivait lors de la première ordonnance, puisque les manipules étaient réunis accidentellement de la même manière, que lorsqu’on en eut fait une règle constante. Au lieu des extraordinaires, c’étaient des cohortes choisies ou des auxiliaires tirés des pays conquis, qui faisaient les avant et arrière-gardes ; on y joignait de l’infanterie légère et autant de cavalerie qu’on le jugeait à propos. Les déploiemens de ces colonnes se faisaient en tiroir, les cohortes marchant par leur flanc pour former la ligne, de la même manière que nous le pratiquerions aujourd’hui avec des colonnes serrées par divisions.

Pour exprimer une semblable disposition de marche, on se servait du mot pilatim, par analogie avec pilum, cette arme si longue du légionnaire. Pilatim iter facere, marcher sur une seule colonne.

La seconde disposition des Romains, était particulière à l’ordonnance par manipules, et à sa manière d’établir ses trois lignes ; c’était l’ordre de bataille même, marchant par son flanc. Tous les hastaires formaient une colonne, chaque manipule ayant son bagage devant soi ; les princes en faisaient une autre, et les triaires la troisième, les bagages placés de même entre les manipules. Ces trois colonnes s’avançaient très peu éloignées l’une de l’autre, à la distance observée entre les lignes de bataille. Les manipules marchaient par leur front, comme dans la disposition par cohortes, afin de ne pas diminuer l’espace laissé aux équipages.

Cet ordre de marche s’employait pour les cas inopinés, lorsqu’on ignorait les desseins de l’ennemi. S’il se présentait du côté des hastaires (supposant qu’ils formassent la colonne de droite), tous les manipules faisaient à droite et s’avançaient par leur flanc autant qu’il fallait pour sortir de l’embarras des équipages. Chaque manipule opérait ensuite le quart de conversion à droite, et l’armée se trouvait en bataille ayant ses équipages derrière elle.

Si l’ennemi se montrait du côté des triaires, on faisait à gauche, et ceux-ci se trouvaient alors en première ligne ; mais il fallait bien peu de temps pour y porter les hastaires, au moyen d’une contre-marche par manipules.

La manœuvre ne pouvait pas être aussi prompte, lorsque l’ennemi se jetait avec toutes ses forces sur les têtes des colonnes. Toutefois, les extraordinaires qui étaient de ce côté, se disposaient de manière à couvrir le mouvement. Les armés à la légère devaient aussi s’emparer de tous les postes qui pouvaient arrêter l’ennemi dans son attaque, et pendant ce temps, les trois lignes débarrassées de leurs équipages gagnaient un terrain convenable.

Cette manière de marcher était désignée par le terme passim, du mot pandere, répandre ou étendre, indiquant assez bien l’étendue de terrain que les armées occupaient en s’avançant sur plus d’une colonne.

C’était aussi le quadratum agmen que l’on trouve si souvent dans les anciens auteurs, car ce terme n’a jamais signifié chez eux une disposition à quatre faces, une armée rangée sur autant de front que de profondeur. Cette expression indique seulement la figure décrite par l’armée sur le terrain, savoir un parallélogramme à angles droits.

On ne trouve dans toute l’antiquité, qu’un seul exemple d’une disposition à quatre faces ; c’est celle que prit Germanicus, selon Tacite, en traversant des bois où l’ennemi l’attendait. Ce lieu ne paraît pas très commode pour faire marcher un grand carré tout formé, et il est au moins vraisemblable que la tête et la queue s’avançaient sur plusieurs petites colonnes, qui devaient se déployer pour former la ligne.

Ce dernier ordre de marche (passim), était affecté particulièrement à l’ordonnance par manipules, soit dans le cas où l’on côtoyait l’ennemi, ou bien lorsque l’on craignait d’être attaqué à l’improviste. Cette disposition disparut pour faire place aux cohortes permanentes. Toutefois, quand on partait du camp dans le dessein arrêté d’aller droit à l’ennemi pour le combattre, on le faisait au moins sur deux colonnes, le plus souvent sur trois, principalement si l’armée dépassait le nombre de quatre légions.

Chaque colonne était composée de cohortes qui devaient être en première, en seconde, en troisième ligne. On marchait sur autant de front que le terrain le permettait, et dès que l’on était arrivé assez près de l’ennemi, les colonnes se déployaient pour se recoudre et former l’ordre de bataille.

C’est ce que l’on appelait triplici acie incedere ; triplici acie institutâ ad locum venire : ou duplici acie, quand il n’y avait que deux colonnes. L’ordre de bataille se désignait par triplex acies, duplex acies, simplex acies, pour indiquer l’armée rangée sur trois lignes, sur deux, ou sur une seule. Duplici acie pugnare, combattre sur deux lignes ; triplici acie, sur trois. Et l’on disait prima acies pour la première ligne ; seconda acies venait ensuite ; enfin, subsidia ou acies postrema, indiquait la troisième ligne.

Mais le mot acies avait encore une autre signification ; il désignait une partie du front de la ligne de bataille. Une armée consulaire se trouvait divisée en trois parties distinctes, le centre media acies qu’occupaient les légions romaines ; et les ailes, cornua, où se plaçaient les alliés. Ces différentes significations du mot acies ont été, pour les érudits, le sujet de discussions grammaticales interminables ; il appartenait aux militaires d’intervenir dans une question qu’eux seuls pouvaient décider.

Quand on combattait par manipules, l’ordre de bataille se formait avec les légions romaines au centre, et les alliées aux ailes. Il y avait quarante manipules à chaque ligne.

Dans l’ordonnance par cohortes sur deux lignes, dix cohortes romaines, étaient au centre, et dix alliées aux ailes. On faisait aussi entrer les légions entières dans chaque ligne ; la première présentant alors une légion romaine et une alliée ; la seconde, une alliée et une romaine.

Enfin, lorsque les légions combattaient sur trois lignes, ou l’on rangeait ces corps l’un à côté de l’autre dans les trois lignes, les deux légions romaines, au centre, les alliées aux ailes ; ou bien encore on plaçait deux légions dans la première ligne, une dans la seconde et une dans la troisième.

Les extraordinaires qui n’avaient pas de poste fixe, pouvaient entrer alors dans la seconde ligne pour la rendre un peu plus forte ; ces troupes servaient aussi sur les ailes afin d’étendre la ligne de bataille ; quelquefois on leur confiait la garde du camp.

Pendant les premiers siècles de l’empire, les troupes ayant subi des modifications qui ne touchaient point au fond de la constitution, les marches étaient ordonnées à-peu-près comme du temps de César et même de Polybe. Quand on ne craignait aucun danger et que l’on s’avançait dans le dessein d’aller prendre un camp, l’armée était ordinairement composée d’une seule colonne qui suivait la route la plus facile. Mais quand on allait combattre, ou que l’on se trouvait dans des circonstances périlleuses, on prenait des dispositions propres à la marche et au combat. Incessit itineri et prœlio, dit Tacite, en racontant la marche de Germanicus.

Tout changea pendant le cours de la décadence. L’introduction des machines de guerre dans la légion dut nécessairement embarrasser son ordonnance, détruire la mobilité sur laquelle sa force reposait en grande partie, attaquer enfin le moral du soldat en l’habituant à porter sa confiance ailleurs qu’en lui-même. L’homme est moins timide en rase campagne que derrière un parapet.

Il ne nous reste aucun écrit de ces vieux tacticiens latins qui devaient expliquer l’ordonnance de la légion et ses diverses manières de manœuvrer avec autant de clarté qu’Élien et Arrien nous ont détaillé la phalange. Végèce qui vivait dans un temps où l’ancienne tactique n’était plus en usage, ne paraît pas avoir eu le génie nécessaire pour mettre en œuvre les excellens ouvrages qu’il pouvait consulter ; aussi les instructions qu’il nous donne pour les marches, bien qu’elles soient bonnes, ne nous mettent-elles pas au fait de la pratique des anciens par rapport à cette importante partie de la science.

Un chapitre de Végèce, qui traite des ordres de bataille, mérite ici notre attention. C’est ce chapitre qui a fait tant de bruit, et que l’on regarde comme le plus savant de son ouvrage, mais nos lecteurs reconnaîtront bien vite que les ordres de bataille décrits par Végèce ont été employés par les généraux grecs long-temps avant l’établissement de la milice romaine.

Quelques-unes des évolutions dont il parle n’avaient même aucune analogie avec l’ordonnance légionnaire ; c’étaient de pures manœuvres de la phalange. Cuneus, qui voulait dire coin, a été employé par les Romains sous la forme d’une colonne, disposition qui a plus de hauteur que de front ; ils s’en seront servi dans des cas extraordinaires pour percer et se tirer d’un mauvais pas ; mais non en pleine bataille, selon la manière donnée par Végèce, qui ne s’aperçoit pas que l’usage qu’il fait de cette manœuvre ne peut convenir qu’à la tactique des Grecs. C’est l’embolon dont nous avons parlé ailleurs, lequel formait une sorte de triangle un peu tronqué sur la pointe d’attaque. On lui opposait la tenaille, celembolon ou forceps, dans la langue de Végèce, c’est-à-dire une phalange brisée à angle rentrant qui embrassait le coin.

La lutte que les Romains soutinrent contre Pyrrhus et la première guerre punique qui suivit d’assez près, leur avaient ouvert une communication avec la Grèce et l’Afrique. Les livres Grecs ne tardèrent pas à s’introduire dans Rome où ils répandirent de nouvelles idées sur l’art de la guerre.

Les manœuvres de la légion étaient simples, en petit nombre, déterminées pour chaque occasion. Le général exerçait son armée, selon l’usage reçu, en y ajoutant ce qu’il croyait propre à la circonstance, et tirait ensuite de son propre fonds les ressources que lui dictaient l’expérience ou le génie.

C’est ainsi que les Romains se conduisirent jusqu’à la seconde guerre punique. Vaincus souvent dans le cours de cette guerre par le grand Annibal, ils durent rechercher davantage les principes d’une science aussi importante, et c’est alors qu’ils sentirent mieux que jamais combien l’adresse l’emporte sur la force. Depuis cette époque on remarque plus de finesse dans leurs grandes manœuvres, plus d’habileté dans la conduite de la guerre.

Rome, alarmée d’abord de ses défaites, se trouvait enfin rassurée par Fabius qui avait su arrêter les progrès d’Annibal sans combattre. À ce chef d’œuvre de défensive, Scipion joignit un modèle d’offensive non moins admirable. Nommé à l’âge de vingt-six ans pour remplacer son père et son oncle tués en Espagne, il recueillit les restes dispersés de leurs troupes, ranima la confiance du soldat, évita les fautes qui avaient occasionné les revers, et par une marche aussi hardie que savante, surprit Carthage-la-neuve, dépôt principal des ressources de l’ennemi. Bientôt après, combattant à Ilinga contre Asdrubal, il y déploya tout ce que l’art de la tactique pouvait avoir de plus raffiné, et remporta une victoire complète. Celle de Zama, qui finit cette guerre par l’humiliation de Carthage, fut de même le fruit de son profond savoir.

Il est certain que la manœuvre brillante de l’armée romaine à Ilinga, où elle attaqua en double oblique (par les deux ailes en refusant le centre), était un des ordres de batailles désignés par Grecs, et que Scipion ne pouvait l’avoir étudié que dans leurs ouvrages. Il s’en servit en l’appliquant avec beaucoup d’art à l’ordonnance de ses troupes : mais tous ceux qui se livrèrent à l’étude de la guerre et qui voulurent traiter ces matières dans des livres, n’y mirent pas le même discernement. Ils copièrent souvent les auteurs grecs, sans s’occuper de l’application, ne distinguant pas ce qui n’était propre qu’à la phalange, ou ce qui pouvait convenir à l’ordonnance légionnaire. Tels furent sans doute quelques-uns des écrivains dans lesquels puisa Végèce.

Les ordres de bataille que nous venons d’indiquer en traitant des marches, appartiennent tous à l’ordre direct, lorsque les deux armées se choquaient rangées sur un front parallèle et sur plusieurs lignes, fronte longâ quadrato exercitu. C’est ce que Végèce appelle la première disposition.

« Les habiles militaires ne trouvent cependant pas cet ordre le meilleur, ajoute cet écrivain, parce que l’armée, occupant dans sa longueur un terrain fort étendu, et par conséquent sujet à des inégalités, court risque d’y être aisément enfoncée. D’ailleurs, si l’ennemi vous est assez supérieur en nombre pour vous déborder à l’une de vos ailes, il la prendra en flanc et l’enveloppera, si vous n’avez l’attention d’y porter promptement quelques troupes de la réserve qui soutiennent le premier choc. »

Le conseil que donne ensuite Végèce de n’employer cet ordre qu’à la tête d’une armée plus brave et plus nombreuse que celle de l’ennemi, afin de le prendre par les deux flancs et de front en même temps, paraît être un conseil à peu près inutile. On a dit, avec raison, que pour une armée décidément supérieure en nombre et en bravoure, tous les ordres sont bons, et l’on ne voit pas trop quelles leçons on peut donner à un général qui ne sait pas tirer parti d’un pareil avantage.

Outre ce premier ordre, qui est la véritable acies quadrata des Romains, Végèce en rapporte six autres qui furent également en usage dans leurs armées. Voici la disposition du second qu’il appelle oblique, et qu’il regarde avec raison comme l’un des meilleurs.

« Dans l’instant où les deux armées s ébranlent, éloignez votre gauche de la droite de l’ennemi, hors de la portée de toutes ses armes. Que votre droite, composée de ce que vous avez de meilleur, tant en infanterie qu’en cavalerie, tombe sur sa gauche, la joigne corps à corps, la pénètre ou l’enveloppe de façon à pouvoir la prendre en queue. Si vous parvenez à la chasser de son terrain, vous remporterez une victoire complète et certaine avec le reste de votre aile droite et de votre centre, qui tomberont en même temps sur l’ennemi, tandis que votre gauche, tranquille et sans danger, tiendra sa droite comme en échec. Supposez que votre adversaire ait eu recours le premier à cette disposition savante, vous pouvez soutenir votre gauche par un détachement considérable de la réserve, afin de balancer par la force les avantages de l’art. »

Le troisième ordre, conseillé par Végèce, est l’oblique inverse, refusant la droite et attaquant par la gauche. « Si votre gauche, dit-il, se trouvait plus forte que votre droite, fortifiez-la encore par des fantassins et des cavaliers d’élite. Après avoir éloigné votre droite hors de l’épée et même des traits de l’ennemi, tombez tout-à-coup par votre gauche sur sa droite, et tâchez de l’envelopper. Mais prenez garde que, pendant ces mouvemens, votre centre, nécessairement découvert, ne soit pris en flanc, et enfoncé par des coins. »

Végèce regarde ce troisième ordre comme plus faible et plus périlleux que l’autre, et n’en conseille l’usage qu’avec beaucoup de circonspection. Il ne dit pas quels motifs le font penser ainsi, mais nous les trouvons dans l’armement des troupes grecques et Romaines. Ces peuples portant leur bouclier sur le bras gauche, s’en servaient pour se couvrir lorsqu’ils obliquaient sur la droite. Il n’en était pas de même en marchant vers la gauche, puisque alors leur côté droit restait exposé aux traits de l’ennemi. Il devient évident que ces considérations disparaissent avec l’organisation des troupes modernes, et qu’aujourd’hui l’ordre oblique peut s’employer avec une égale chance de succès, de quelque côté que l’on porte l’attaque.

On trouve dans l’antiquité beaucoup d’exemples de ces deux dispositions. La deuxième bataille de Mantinée, décrite dans l’Essai sur la Tactique des Grecs ; celle du Métaure, dont nous parlerons plus tard, peuvent être citées comme les plus mémorables.

Végèce prescrit ainsi sa quatrième disposition : « Dès que vous serez arrivé en bataille, à quatre ou cinq cents pas de l’ennemi, que vos ailes se détachent et fondent vivement sur les siennes. Vous pouvez l’effrayer par ce mouvement rapide auquel il ne s’attend pas, le mettre en fuite, remporter une pleine victoire, surtout si vos ailes sont vigoureuses ; mais si l’ennemi en soutient le premier choc, il aura beau jeu pour battre vos ailes séparées du centre, qui restera lui-même à découvert sur ses flancs. »

Nous avons déjà signalé la bataille d’Ilinga qui montre une application savante de ce quatrième ordre indiqué par Végèce. Le résultat des batailles de la Trebbia et de Cannes, présente la même disposition.

Il semble que le cinquième ordre dont parle notre auteur ne soit que le complément du quatrième. « Vous pouvez, dit-il, éviter l’inconvénient de compromettre votre centre, en y plaçant des troupes légères capables de soutenir le choc auquel vous devez vous attendre. Alors le combat se décidera avec vos ailes. Si vous enfoncez celles de l’ennemi, vous avez vaincu ; si elles résistent, au moins ne craignez-vous rien pour votre centre. »

Végèce explique ensuite son sixième ordre de bataille : « Dès que vous serez à portée de l’ennemi, que votre droite, composée de tout ce que vous avez de meilleures troupes, attaque sa gauche. Rangez le reste de votre armée en forme de broche _|¯, par une évolution qui l’éloigne considérablement de la droite ennemie. Si vous pouvez prendre sa gauche en flanc et en queue, il sera battu sans ressource. Il ne peut, en effet, marcher au secours de sa gauche, ni par sa droite, ni par son centre, parce qu’au moindre mouvement, il trouverait en front le reste de votre armée qui se présente à lui sous la forme d’un I. Cette façon de combattre est d’un grand usage en marche. »

Vous voyez que cette sixième disposition ne diffère de la seconde qu’en ce que l’aile droite, au lieu d’être détachée du corps de bataille, pour se porter en avant, y tient encore obliquement, toute l’armée étant disposée en échelons, comme le prescrivit Épaminondas à Leuctres. Cette explication est la seule raisonnable que l’on puisse donner de la comparaison de Végèce in similitudinem veru, « en forme de broche ; » comparaison, du reste, assez bizarre et qui a tant embarrassé les savans.

Si l’on était attaqué sur un des flancs pendant la marche, il est certain que l’on pourrait se servir de cette sixième disposition avec avantage, en faisant front sur ce flanc, et avançant ensuite d’une manière oblique, selon la circonstance, par la tête ou par la queue de la colonne.

Comme la première attention du général doit être, dans tous les cas, d’examiner le terrain sur lequel il va combattre, afin d’en profiter, on peut dire que la septième et dernière disposition de Végèce n’est pas un ordre de bataille particulier. « Si vous pouvez, par exemple, dit-il, vous ménager le voisinage d’une rivière, d’un lac, d’une ville, d’un marais, d’un bois qui soit à l’abri, appuyez-y l’une de vos ailes, rangez votre armée sur cet alignement, en portant à l’autre aile, qui est découverte, la plus grande partie de vos forces, et surtout votre meilleure cavalerie. Ainsi fortifié d’un côté par la nature du terrain, de l’autre par la supériorité du nombre, vous combattrez sans presque courir de risques. »

On a dit qu’il est impossible de fixer des règles précises sur la disposition d’une armée en bataille ; que les chances d’un engagement sont infinies, et ne sauraient être réglées par quelques préceptes tracés d’avance. Il faut prendre, ajoute-t-on, toutes les directions, toutes les formes, toutes les lignes qui, dans leur rectitude ou leurs sinuosités, sont propres à conduire vers ce but. Et les mêmes écrivains déclarent ensuite (ce qui est au moins singulier), qu’il n’existe que deux lignes en géométrie.

Afin de gendre plus complet le travail que nous présentons ici sur les ordres de bataille, nous allons donner le résumé des principes du général Jomini. Aujourd’hui que les dissentions politiques, qui ont animé tant d’écrivains contre cet homme célèbre sont apaisées, nul ne contestera, je le suppose, la haute portée de ses ouvrages ; nul n’osera dire non plus que ce savant militaire n’est pas celui qui a jeté le plus de jour sur la science si difficile des combats.

Jomini distingue trois sortes de batailles : les défensives, que livre une armée qui attend dans une position avantageuse. Les batailles offensives, lorsqu’on attaque l’ennemi sur un terrain reconnu ; enfin, les batailles imprévues, ou celles qui s’engagent entre deux partis en marche.

Les préceptes qu’il donne pour les rencontres inattendues, sont précisément ceux que nous ont légués les anciens. Arrêter les avant-gardes et les déployer à droite ou à gauche selon les circonstances, puis réunir le gros des forces sur le point convenable d’après le but que l’on se proposait avant l’attaque. C’est dans ce cas principalement, au milieu du fracas des armes, dit Jomini, qu’il importe d’être bien pénétré du principe fondamental de l’art, et des différentes manières de l’appliquer. Il cite les batailles de Marengo, d’Eylau, d’Abensberg, d’Essling et de Lutzen, comme les plus mémorables parmi celles où les deux partis ont pu agir subitement, sans avoir pu rien prévoir.

Un général qui attend l’ennemi sans autre parti pris que celui de combattre vaillamment, succombera toujours s’il est bien attaqué. Il n’en est pas ainsi de celui qui a formé le projet de passer de la défensive à l’offensive, car il a l’avantage de voir venir l’ennemi, et ses troupes bien disposées d’avance selon le terrain, favorisées aussi par des batteries avantageusement placées, peuvent faire payer chèrement à un adversaire présomptueux le terrain qui sépare les deux armées. Mais il faut un coup-d’œil sûr et beaucoup de sang-froid, pour juger du moment précis où l’on doit ressaisir l’avantage moral que donne toujours l’impulsion offensive ; il devient surtout nécessaire que le général, qui se trouve dans cette situation, commande à des troupes sur lesquelles il puisse compter. Ici encore, Jomini prescrit de ne point négliger, d’appliquer les principes qui auraient présidé à l’ordre de bataille, si l’on avait commencé par être l’agresseur. On peut citer comme des chefs-d’œuvres de défensive-offensive, Rivoli et Austerlitz.

Jomini compte dix espèces d’ordres de bataille offensifs : 1o. l’ordre parallèle simple ; 2o. l’ordre parallèle avec une ou deux ailes débordantes ; 3o. l’ordre oblique sur une aile ; 4o. l’ordre perpendiculaire sur l’extrémité de la ligne ennemie ; 5o. le même ordre sur les deux extrémités ; 6o. l’ordre concave sur le centre ; 7o. l’ordre convexe ; 8o. l’ordre en échelons sur une aile ou sur deux ailes ; 9o. l’ordre échelonné sur le centre ; 10o. enfin l’ordre mêlé d’une attaque sur le centre et sur une extrémité en même temps.

S’il n’y a aucune habileté à faire combattre les deux partis à chances égales, bataillon contre bataillon, il existe néanmoins un cas important, dit Jomini, dans lequel cet ordre devient convenable ; c’est lorsqu’une armée ayant pris l’initiative des grandes opérations stratégiques, aura réussi à se porter sur les communications de son adversaire, et à lui couper sa ligne de retraite, tout en couvrant la sienne. Alors, quand le choc définitif aura lieu entre les armées, celle qui se trouve sur les derrières peut livrer une bataille parallèle, puisqu’ayant terminé la manœuvre décisive avant l’action, il ne lui reste plus qu’à repousser l’effort que fait l’ennemi pour s’ouvrir un passage.

Ce savant tacticien admet encore l’ordre parallèle, dans le cas où l’assaillant serait assez supérieur à l’ennemi pour lui présenter un front aussi étendu que le sien, indépendamment d’une masse un peu respectable qu’il placerait en crochet sur l’extrémité de l’aile agissante. Bien entendu que la véritable attaque serait alors portée de ce côté.

On ne met pas seulement hors des coups de l’ennemi l’aile affaiblie qu’on refuse, dans la disposition oblique ; cette aile remplit encore la double destination de tenir en respect la partie de la ligne qu’on ne veut pas attaquer, et de servir de réserve à l’aile agissante. Comme l’ordre oblique offre aussi l’avantage de porter les masses sur un seul point de la ligne ennemie, c’est celui que Jomini regarde comme le plus convenable pour une armée inférieure qui en attaque une plus forte. Chez les modernes, l’exemple le plus brillant des avantages de cette disposition fut donné à la bataille de Lissa ou Leuthen, par Frédéric II.

Dans l’ordre oblique, toute la ligne ennemie se trouve constamment tenue en échec ; mais dans l’ordre perpendiculaire sur une aile, où la partie qui n’est point attaquée ne voit aucun adversaire devant elle, on peut aisément courir au point menacé. Jomini fait observer aussi, qu’il est bien difficile de s’établir sur l’extrémité d’une ligne sans que l’ennemi en soit instruit.

L’ordre perpendiculaire sur deux ailes peut être très avantageux, quand l’assaillant se trouve supérieur en nombre ; mais une armée inférieure, qui formerait une double attaque contre une seule masse supérieure, violerait le principe fondamental qui consiste à porter la majeure partie de ses forces sur le point décisif.

Jomini ne conseille l’ordre concave que lorsqu’on le prend par suite des événemens de la bataille, c’est-à-dire, quand l’ennemi s’engage au centre qui cède devant lui. Il est clair, en effet, que si l’on formait une figure concave avant la bataille, et que l’ennemi, au lieu de se jeter au centre, tombât sur une des ailes qui présentent ainsi leurs extrémités, il resterait peu de ressource à la ligne assaillie.

Mais une armée forme rarement un demi-cercle. Elle prend plutôt une ligne brisée rentrant vers le centre, comme le firent les Anglais aux célèbres journées de Crécy et d’Azincourt. L’écrivain judicieux dont nous présentons ici les principes, préfère cette disposition à l’autre, parce qu’elle ne prête pas autant le flanc, permet de marcher en avant par divisions échelonnées, et conserve tout l’effet de la concentration du feu. Toutefois, ajoute-t-il, ces avantages disparaissent, si l’ennemi, au lieu de se jeter follement dans le centre concave, se borne à le faire observer de loin, et se porte, avec le gros de ses masses, sur une aile.

L’ordre convexe ne se prend guère que pour combattre immédiatement après un passage de fleuve, lorsqu’on est forcé de refuser les ailes pour appuyer au rivage et couvrir les ponts. Les Français prirent cet ordre à Fleurus en 1794, et réussirent, parce que le prince de Cobourg, au lieu de fondre en force sur le saillant du convexe ou sur une seule de ses extrémités, dirigea ses attaques sur cinq ou six rayons divergens, et notamment sur les deux ailes à-la-fois. Jomini justifie Napoléon qui combattait avec le Danube à dos, et qui n’avait pas la faculté de manœuvrer sans découvrir ses ponts, d’avoir pris à Essling une disposition à-peu-près semblable ; il le blâme, avec trop de sévérité, aux deuxième et troisième journées de Leipzig, où cet ordre eut, dit-il, le résultat qu’il devait avoir.

L’ordre échelonné sur les deux ailes tend à s’établir sur les flancs de la ligne ennemie ; mais il est moins dangereux que l’ordre perpendiculaire, en ce qu’il ne laisse pas le centre ennemi entièrement libre de manœuvrer. Cette disposition ressemble beaucoup à l’ordre concave quand il est formé par une ligne brisée, rentrant vers le centre.

Ainsi que l’ordre convexe, l’ordre échelonné sur le centre seulement, n’est pas sans danger, à moins que l’on attaque une ligne morcelée et trop étendue. Mais si la position est unie et serrée, les réserves se trouvant ordinairement à la portée du centre, et les ailes pouvant agir, soit par un feu concentrique, soit en prenant l’offensive, une armée qui ferait une pareille manœuvre renouvellerait la scène des Romains à Cannes, celle de la colonne anglaise à Fontenoy ; enfin, dit Jomini, la catastrophe plus récente de Waterloo.

Bien qu’il soit vrai de dire que l’armée française combattit à Mont-Saint-Jean sous un ordre semblable, ce n’est être exact que de ne pas tenir compte des accidens qui ont contrarié Napoléon dans cette disposition dont il connaissait mieux que personne le fort et le faible. L’explication savante que le général Jomini a bien voulu donner de cette bataille aux éditeurs de la Bibliothèque militaire, confirme certainement la justesse de cette observation.

L’ordre d’attaque en colonnes sur le centre et sur une extrémité en même temps, est moins chanceux que l’autre ; car l’aile qui déborde l’ennemi et le prend en flanc, pendant qu’il est menacé par les masses qui agissent vers son centre, doit le mettre dans une position désespérée. Telle fut la manœuvre de Napoléon à Wagram et à Ligny. Il voulut la tenter à Borodino ; mais elle ne lui réussit qu’imparfaitement, dit Jomini, à cause de l’héroïque défense des troupes de l’aile gauche des Russes, et de la division Paskewitsch dans la fameuse redoute du centre. Enfin, ajoute cet écrivain célèbre, l’empereur des Français l’employa aussi à Bautzen où il aurait obtenu des succès inouïs, sans un incident qui dérangea la manœuvre de sa gauche, destinée à couper la route de Wurschen.

Jomini fait judicieusement observer que ces différens ordres de bataille ne doivent point être pris au pied de la lettre, ainsi qu’on eût pu le faire au temps de Louis XIV ou de Frédéric II, alors que les armées campaient sous la tente, presque constamment réunies, et que l’on se trouvait plusieurs jours face à face avec l’ennemi. Aujourd’hui que les troupes bivouaquent ; que leur organisation en plusieurs corps les rend plus mobiles ; qu’elles s’abordent à la suite de dispositions prises hors du rayon visuel, et souvent même sans avoir eu le temps de se reconnaître mutuellement avec exactitude, tous les ordres de bataille dessinés au compas, comme des figures de géométrie, doivent se trouver en défaut.

Cependant, ajoute-t-il, un habile général peut aisément recourir à des formations approximatives, qui s’éloigneront peu de l’un ou l’autre des ordres de bataille indiqués. Dans les dispositions improvisées, il devra s’appliquer à saisir les rapports de la ligne ennemie avec les directions stratégiques décisives. Il jettera alors les deux tiers de ses forces sur ce point dont la possession serait pour lui le gage de la victoire, et fera servir l’autre tiers à contenir ou à observer l’ennemi. Agissant de cette manière, il aura rempli toutes les conditions que la science de la grande tactique peut imposer au plus habile capitaine ; il aura obtenu l’application la plus parfaite des principes de l’art. Tels sont les préceptes d’après lesquels Jomini veut que l’on forme des ordres de bataille offensifs, préceptes qui encâdrent, pour ainsi parler, tous les cas prévus, puisqu’il ne s’agit plus que de les modifier suivant les circonstances.

De toutes les figures que les armées peuvent prendre pour former des ordres de bataille, il n’y en a pas qui n’offrent quelque côté plus faible que l’autre. L’ennemi, pour combattre, nous présente toujours la partie la plus forte, c’est-à-dire le front ; mais ceux qui sont habiles, tâchent de l’éviter, et c’est ce que l’on peint, d’une manière si pittoresque, en style militaire, quand on dit qu’il ne faut pas attaquer le taureau par les cornes.

Les parties faibles d’une ligne de bataille sont les flancs et le derrière. C’est donc de ce côté que l’on doit diriger son attention et ses efforts. On peut aussi choisir une portion du front de cette ligne, et là, porter rapidement plus de troupes que l’ennemi n’en peut opposer actuellement. Mais il faut que les manœuvres préparatoires soient courtes, que l’attaque devienne imprévue, foudroyante, afin que l’ennemi n’ait pas le temps de la paralyser par des corps tirés des parties qui ne sont pas menacées. Voilà le principe général sur lequel on doit former les ordres de bataille offensifs.

On prétend qu’après la journée mémorable d’Austerlitz, un aide-de-camp de Napoléon étant allé, de sa part, trouver l’empereur Alexandre, ce prince lui témoigna son étonnement de ce que ses adversaires, inférieurs en nombre, eussent paru avec des forces supérieures sur tous les points où l’on s’était battu. — Sire, répondit le général français, c’est l’art de la guerre.