Bibliothèque historique et militaire/Histoire générale/Livre XXIX

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Histoire générale
Traduction par Vincent Thuillier.
Texte établi par Jean-Baptiste Sauvan, François Charles LiskenneAsselin (Volume 2p. 942-951).
FRAGMENS
DU

LIVRE VINGT-NEUVIÈME.


I.


Ambassade des Romains dans l’Égypte.


Le sénat romain, informé qu’Antiochus était maître de l’Égypte et le serait bientôt d’Alexandrie, ne crut pas qu’il lui fût indifférent de permettre à ce prince d’étendre sa domination. C’est pourquoi il envoya sur les lieux C. Popilius, tant pour porter à la paix ces deux princes ennemis, que pour savoir au juste en quel état étaient les affaires. (Ambassades.) Dom Thuillier.


II.


Préparatifs de Persée contre les Romains. — Différentes ambassades de ce prince vers Gentius, Eumène, Antiochus et les Rhodiens.


Avant l’hiver, Hippias arriva d’Illyrie, où il était allé pour engager Gentius à faire alliance avec le roi de Macédoine, et dit à Persée que ce roi était tout disposé à se déclarer contre les Romains, pourvu qu’on lui donnât trois cents talens et des assurances convenables. Sur ce rapport, Persée, qui jugeait que cette alliance lui était nécessaire, envoya Pantauchus, un de ses plus intimes amis, en Illyrie, avec ordre de promettre l’argent demandé, de donner et de recevoir les sermens accoutumés, d’offrir tels ôtages qu’il lui plairait, de recevoir de Gentius ceux qui seraient désignés dans le traité, et de convenir avec ce prince du temps et de la manière que les trois cents talens lui seraient portés. Pantauchus partit sur-le-champ, et joignit Gentius à Météon, chez les Labéates. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour déterminer ce jeune prince à prendre le parti de Persée. Le traité écrit et les sermens prêtés, Gentius envoya les ôtages que Pantauchus avait indiqués, et avec eux Olympion pour recevoir de Persée les sermens et les ôtages. D’autres députés furent chargés du soin de lui apporter l’argent qui lui avait été promis.

Pantauchus fit plus que tout cela. Il persuada encore à Gentius de joindre à ses députés d’autres ambassadeurs qui, avec ceux que Persée devait envoyer, iraient à Rhodes pour porter cette république à faire alliance avec eux. Il lui fit entendre que si les Rhodiens y consentaient, jamais les Romains ne pourraient tenir contre ces trois puissances jointes ensemble. Gentius donna encore les mains à cette proposition, et ayant choisi pour cette ambassade Parménion et Morcus, il leur ordonna de partir pour Rhodes dès qu’ils auraient reçu les sermens et les ôtages, et qu’on serait convenu du transport des trois cents talens. Pantauchus laissa cette nombreuse ambassade prendre le chemin de Macédoine, et resta auprès du roi d’Illyrie pour l’avertir et le presser de faire sans délai les préparatifs de guerre, et de se tenir prêt à gagner les villes, les postes, les alliés avant les ennemis. Il le pria surtout de se préparer à une guerre sur mer, que les Romains, de ce côté-là, étaient absolument sans défense, et que sur la côte d’Épire, comme sur celle d’Illyrie, il ferait sans peine, par lui-même ou par ses généraux, tout ce qu’il voudrait. Gentius, aussi docile sur cet article que sur les autres, se disposa en effet à l’une et à l’autre guerre.

Sur la nouvelle que les ambassadeurs et les ôtages du roi d’Illyrie arrivaient dans la Macédoine, Persée sortit de son camp, qui était sur l’Énipée, avec toute sa cavalerie, et fut au-devant d’eux jusqu’à Dium ; et, dès qu’il les eut joints, il prêta les sermens devant toutes les troupes qui l’avaient suivi, voulant que ses Macédoniens ne pussent ignorer l’alliance que Gentius faisait avec eux, alliance qu’il comptait devoir augmenter leur courage et leur confiance. Il reçut ensuite les ôtages, et donna les siens à Olympion. Les principaux étaient Limnée, fils de Polémocrate, et Balauchus, fils de Pantauchus. Les ambassadeurs qui étaient venus pour prendre les trois cents talens, il les fit aller à Pella comme pour y recevoir cette somme. Il envoya ceux qui devaient aller à Rhodes chez Métrodore, à Thessalonique, leur recommandant de se tenir prêts à s’embarquer. Ils y allèrent en effet, et persuadèrent aux Rhodiens d’entrer de leur part dans la guerre contre les Romains.

Persée ne se borna point à ces deux puissances. Il dépêcha encore vers Eumène, Cryphon qu’il y avait déjà auparavant envoyé, et Télemnaste de Crète, vers Antiochus. Ce dernier ambassadeur avait ordre d’exhorter le roi de Syrie à ne pas laisser échapper l’occasion ; qu’il ne s’imaginât pas que les Romains n’eussent en vue que la Macédoine ; qu’il subirait lui-même bientôt les lois de ces durs et impérieux maîtres, s’il ne secourait Persée, ou en procurant la paix, ce qui serait le plus à souhaiter, ou, si cela ne se pouvait pas, en lui aidant à soutenir la guerre. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Deux ambassades des Rhodiens, l’une à Rome pour finir la guerre contre Persée, l’autre en Crète pour faire alliance avec les Candiots.


Le conseil assemblé à Rhodes, on délibéra sur le parti que l’on devait prendre dans les circonstances présentes ; on proposa d’envoyer des ambassadeurs pour négocier une paix entre Rome et Persée, et ce sentiment prévalut. Mais on vit clairement dans cette délibération que les Rhodiens n’agissaient pas tous de concert et dans le même esprit. Nous avons dit d’où vient dans les républiques ce partage de sentimens, lorsque nous avons parlé de l’usage de haranguer le peuple : dans cette occasion, le nombre des partisans de Persée fut beaucoup plus grand que celui des amateurs de la patrie et des lois. Les prytanes choisirent donc d’abord les ambassadeurs qui devaient ménager une paix. Agésipolis et Cléombrote furent dépêchés à Rome ; quatre autres furent chargés de la même négociation auprès du consul et de Persée, savoir, Damon, Nicostrate, Agésiloque et Télèphe. Une autre faute suivit la précécédente, combla la mesure et rendit les Rhodiens inexcusables. Ils envoyèrent aussitôt après une autre ambassade en Crète, pour renouveler l’alliance qu’ils avaient avec les peuples de cette île, et pour les exhorter à faire une sérieuse attention au péril dont la Grèce était menacée, à s’unir avec les Rhodiens, et avoir avec eux les mêmes amis et les mêmes ennemis. Ces derniers ambassadeurs avaient ordre de donner les mêmes avis aux villes particulières. (Ibid.)



Ce qui se passa à Rhodes après que les ambassadeurs de Gentius y furent arrivés.


Parménion et Morcus, ambassadeurs du roi d’Illyrie, et Métrodore, ambassadeur de celui de Macédoine, ne furent pas plutôt arrivés à Rhodes, que l’on assembla le conseil. Le trouble et la confusion y furent extrêmes. Tandis que Dinon soutenait hautement les intérêts de Persée, Théætète était épouvanté de ce qui venait d’arriver. Le retour des vaisseaux, le grand nombre de gens de cheval qui avaient été tués, l’union de Gentius avec Persée, tout cela l’effrayait. Le succès de l’assemblée fut tel qu’on devait l’attendre d’une délibération tumultueuse. On y résolut de répondre civilement aux ambassadeurs que le décret avait été fait pour terminer la guerre entre les deux puissances ennemies, et qu’au reste on les exhortait à entrer de bonne grâce dans l’accommodement qui serait proposé. Après quoi l’on régala magnifiquement les ambassadeurs d’Illyrie. (Ibid.)


Gentius, dit Polybe, dans son livre xxixe, était un roi d’Illyrie qui, par suite de la violence de son caractère, commit beaucoup de crimes pendant sa vie. Il passait le jour et la nuit à s’enivrer. Après avoir tué son frère Pleurate, fiancé à la fille de Ménunius, il épousa lui-même cette jeune fille. Il se montra toujours cruel envers ses sujets. (Athenæi lib. x, c. 1.) Schweighæuser.


Les Romains combattaient courageusement, protégés par leur parma (espèce de petit bouclier) et par leur bouclier ligurien. (Suidas in Πάρμη.) Schweigh.


De Paul-Émile.


Entre ceux qui composaient son conseil, Scipion Nasica, gendre de Scipion l’Africain, et qui eut ensuite tant d’autorité dans le sénat, s’offrit le premier à y conduire des troupes pour tourner l’ennemi. Fabius Maximus, l’aîné des fils de Paul-Émile, qui était encore dans sa jeunesse, se présenta le second et fit paraître la même ardeur. Paul-Émile, ravi de leur bonne volonté, leur donna un corps de troupes moins nombreux que ne le croit Polybe, mais tel que le dit Scipion lui-même en écrivant à un roi pour lui rendre compte de son expédition..... Persée, qui voyait Paul-Émile tranquille dans son camp, était loin de s’attendre à ce qui le menaçait, lorsqu’un transfuge crétois, quittant la route et s’éloignant des troupes, vint lui apprendre le détour que prenaient les Romains pour venir l’envelopper. Cette nouvelle l’effraya, mais elle ne lui fit pas remuer son camp : seulement il envoya, sous la conduite de Milon, dix mille mercenaires et deux mille Macédoniens, avec ordre d’aller le plus promptement possible s’emparer des hauteurs. Polybe dit que les Romains tombèrent sur cette troupe pendant qu’elle était endormie ; mais Nasica raconte qu’il eut à soutenir sur le haut de la montagne un combat rude et périlleux ; qu’il fut lui-même attaqué par un soldat thrace d’entre les mercenaires qu’il tua d’un coup de sa javeline dans la poitrine ; que les ennemis ayant été mis en déroute, et Milon s’étant honteusement sauvé sans armes et en simple tunique, il les avait poursuivis sans aucun danger, et avait fait descendre son armée dans la plaine. (Plutarch. in Æmilio Paullo.) Schweigh.


En voyant une éclipse de lune, sous Persée, le peuple en tira la conséquence que cette éclipse présageait la mort du roi. Cette opinion augmenta le courage des Romains et diminua celui des Macédoniens : tant est vrai le proverbe qu’à la guerre les choses les plus importantes dépendent souvent des plus frivoles. (Suidas in Πολλὰ κενά.) Schweigh.


De Persée.


Lucius Émilius, avant d’avoir vu la phalange manœuvrer sous Persée, avoua ensuite à Rome qu’il ne connaissait rien de plus terrible et de plus formidable que la phalange macédonienne, bien qu’il eût vu et livré lui-même beaucoup de combats. (Suidas in Φάλαγκξ, et in Ἀνθωμολογεῖτο.) Schweigh.


Persée avait pris la résolution de vaincre ou de mourir ; mais, dans cette circonstance, il ne sut pas conserver sa fermeté d’âme, et succomba à la crainte, comme les connaisseurs en chevaux..... À l’approche du danger, Persée perdit courage à l’exemple des athlètes faibles et lâches ; car, au moment où le danger exigeait le plus de courage, et où le combat devait décider de tout, dompté par la crainte, il était vaincu d’avance.

 

Pour le roi de Macédoine, il vit à peine l’action engagée, que, suivant le récit de Polybe, n’étant pas maître de sa frayeur, il se sauva à toute bride dans l’île de Pydna, sous prétexte d’y sacrifier à Hercule. Mais ce dieu ne reçoit pas les sacrifices des cœurs lâches ; il n’exauce pas les vœux coupables qu’ils lui adressent. (Suidas in Ἀπεδειλίας et in Καχεκτοῦντες, tum Plutarchus in Æmilio Paullo.) Schweigh.


Accueil que reçoivent à Rome les ambassadeurs de Rhodes.


Après la défaite et la fuite de Persée, le sénat fit appeler les ambassadeurs qui étaient venus de Rhodes pour négocier une paix entre ce prince et les Romains, comme s’il eût plu à la fortune de produire sur un grand théâtre la sottise des Rhodiens, si cependant l’on doit attribuer aux Rhodiens ce qui ne convient proprement qu’à quelques particuliers qui avaient alors le plus de crédit dans la république. Agésipolis introduit dit qu’il était venu pour terminer la guerre ; que les Rhodiens l’avaient envoyé parce que cette guerre traînant en longueur, ils s’étaient persuadé que les grands frais qu’il fallait faire pour la soutenir incommodaient également les Grecs et les Romains ; que cette guerre étant finie comme les Rhodiens le souhaitaient, il venait pour en féliciter le sénat et prendre part à la joie que cet heureux événement lui donnait. Il ne dit rien davantage et se retira. Le sénat, ravi de trouver cette occasion de punir les Rhodiens d’une manière qui pût servir d’exemple, fit courir dans le public sa réponse, qui contenait en substance que ce n’était ni pour les Grecs, ni pour eux-mêmes, mais uniquement en faveur de Persée qu’ils avaient envoyé cette ambassade ; que si en cela ils eussent eu en vue de rendre service aux Grecs, il eût été bien plus à propos de l’envoyer lorsque Persée, campé dans la Thessalie pendant près de deux ans, ravageait les plaines et les villes de Grèce, au lieu que, dépêchant à Rome pour finir la guerre, après que les légions romaines étaient entrées dans la Macédoine, avaient enveloppé Persée de toutes parts, et l’avaient réduit à ne pouvoir leur échapper, il était évident que le but de l’ambassade n’était pas de faire la paix, mais de délivrer Persée, autant qu’il serait possible, du péril où il s’était jeté, et de le rétablir dans son premier état ; qu’ainsi les ambassadeurs ne devaient attendre ni présens, ni réponse favorable. C’est ainsi que le sénat reçut les ambassadeurs de Rhodes. (Ambassades.) Dom Thuillier.


III.


Les rois d’Égypte demandent aux Achéens des troupes auxiliaires, et en particulier Lycortas et Polybe. — Délibération des Achéens à ce sujet.


Dans le Péloponnèse, l’hiver n’était pas encore passé, qu’il y arriva une ambassade solennelle de la part des deux Ptolémées pour demander quelque secours aux Achéens. Il y eut sur cela une délibération où chacun soutint son sentiment avec beaucoup de chaleur. Callicrate, Diophane et Hyperbatone ne voulaient pas qu’on accordât le secours demandé. Archon, Lycortas et Polybe étaient d’un avis contraire, et l’appuyaient sur l’alliance qu’on avait faite avec les deux rois ; car le plus jeune des Ptolémées avait été déclaré roi depuis peu, et l’aîné, revenu de Memphis, régnait avec son frère. Tous deux, ayant besoin de troupes, avaient dépêché aux Achéens Eumène et Dionysidore pour en obtenir mille fantassins que Lycortas conduirait, et deux cents chevaux dont Polybe aurait le commandement. Outre cela, ils avaient écrit au Sicyonien Théodoridas de lever mille soldats mercenaires. Ces trois Achéens étaient connus particulièrement des deux rois. Nous avons dit plus haut ce qui leur avait procuré cet honneur.

Ces ambassadeurs étant donc arrivés à Corinthe, où se tenait l’assemblée des Achéens, après avoir rappelé l’étroite liaison qu’il y avait entre l’Égypte et la ligue, et mis sous les yeux les conjonctures fâcheuses où se trouvaient les deux rois, ils demandèrent qu’on allât à leur secours. La multitude était très-disposée à leur envoyer non-seulement une partie de ses forces, mais même tout ce qu’elle en avait s’il en était besoin ; mais Callicrate s’y opposa, et dit que si, en général, il était de l’intérêt des Achéens de ne pas se mêler des affaires étrangères, il l’était surtout dans les circonstances présentes, où il portait de ne pas diviser leurs forces, et d’être en état de servir les Romains, qu’on croyait devoir donner au premier jour une bataille générale à Persée, puisque Marcius avait ses quartiers dans la Macédoine.

Là-dessus on hésitait, de peur de manquer l’occasion de servir les Romains. Alors Lycortas et Polybe, prenant la parole, dirent, entre autres choses, que l’année précédente Polybe étant allé trouver Marcius pour lui offrir le secours que la ligue des Achéens lui avait décerné, ce consul, en le remerciant, lui avait dit qu’une fois entré dans la Macédoine il n’avait plus besoin des forces des alliés ; qu’on ne devait donc pas se servir de ce prétexte pour abandonner les rois d’Égypte ; que dans les conjonctures où ces princes se trouvaient, il fallait saisir l’occasion de leur être utile ; qu’on ne pouvait sans ingratitude oublier les bienfaits qu’on en avait reçus, et qu’en manquant à ce devoir on violerait les traités et les sermens sur lesquels l’alliance était fondée. Déjà la multitude penchait à accorder le secours, lorsque Callicrate congédia les magistrats, sous prétexte que les lois ne permettaient pas de délibérer sur une affaire de cette nature dans une telle assemblée.

Quelque temps après, le sénat s’étant assemblé à Sicyone, non-seulement tous les membres du conseil s’y rendirent, mais encore tous ceux qui étaient âgés de plus de trente ans. Entre ceux qui reparlèrent de la même affaire, Polybe y ayant répété que les Romains n’avaient nul besoin de secours, qu’il devait en être cru, puisqu’il le savait du consul même, qu’il avait vu l’année précédente dans la Macédoine, il ajouta que quand même il serait nécessaire de secourir les Romains, cela ne devait pas empêcher que la république ne prêtât la main aux Ptolémées, puisque ces princes ne demandaient que mille fantassins et deux cents chevaux ; qu’une si petite diversion ne diminuerait pas beaucoup ses forces, puisqu’elle était en état de mettre sur pied, sans s’incommoder, trente ou quarante mille hommes. Ce discours toucha la multitude, et il n’y eut personne qui ne se sentît porté à envoyer du secours aux rois d’Égypte. Le lendemain, qui était le jour que le conseil devait faire son décret, Lycortas proposa celui-ci : qu’il fallait envoyer du secours ; mais Callicrate proposa, au contraire, qu’il fallait envoyer des ambassadeurs à Antiochus pour le porter à faire la paix avec les Ptolémées. Nouvelle délibération, nouvelle dispute, mais où Lycortas eut une grande supériorité. Il compara ensemble les deux royaumes, et en fit voir la différence ; qu’à la vérité, Antiochus avait donné à la Grèce des preuves de sa grandeur d’âme et de sa générosité, mais que dans les siècles passés on ne trouvait presque aucun vestige de liaison entre la Syrie et les Grecs ; au lieu qu’autrefois ils avaient reçu tant de bienfaits de l’Égypte, que personne n’en avait été plus favorisé. Lycortas appuya sur cette différence avec tant de force et de dignité, qu’on la sentit tout entière, et que l’on conçut une grande idée des rois d’Égypte. En effet, autant il était difficile de compter le nombre des bons offices que les rois d’Alexandrie avaient rendus, autant il était impossible de découvrir quel avantage était jamais venu aux Achéens de la part du royaume de Syrie. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Fourberie de Callicrate pour empêcher que les Achéens n’envoyassent du secours aux Ptolémées.


Andronidas et Callicrate, voyant que, malgré les instances qu’ils faisaient depuis quelque temps, ils ne pouvaient persuader à personne qu’il fallût travailler à mettre la paix entre les rois d’Égypte et celui de Syrie, s’avisèrent de ce stratagème : ils introduisirent sur le théâtre un courrier qui, de la part de Quintus Marcius, apportait une lettre, par laquelle ce consul exhortait les Achéens à s’entremettre pour finir la guerre qui était entre les Ptolémées et Antiochus, et à se conformer en cela aux intentions des Romains, qui avaient envoyé Némésius vers eux pour le même sujet. Or, cela n’était qu’un vain prétexte ; car Titus, ayant essayé de pacifier ces princes, était retourné à Rome sans avoir rien fait. Polybe alors, n’osant contredire la lettre qu’il croyait de Marcius, renonça au gouvernement des affaires publiques, et les Ptolémées ne reçurent pas les secours qu’ils demandaient. Il fut donc fait un décret par lequel il était ordonné qu’on députerait vers les rois pour les mettre d’accord, et l’on choisit pour cette ambassade Archon d’Égire avec Arcésilas et Ariston, tous deux de Mégalopolis. Les ambassadeurs des Ptolémées, frustrés du secours qu’ils espéraient, donnèrent aux magistrats une lettre de la part de leurs maîtres, par laquelle ces princes demandaient Lycortas et Polybe, pour les employer dans la guerre qu’ils avaient à soutenir. (Ibid.)


Popilius va en qualité d’ambassadeur trouver Antiochus en Égypte. De là il passe dans l’île de Chypre. — Ce qu’il y fait.


Antiochus marchait vers Ptolémée pour s’emparer de Péluse, lorsque, rencontrant Popilius, capitaine romain, il le salua de loin et lui tendit la main. Alors Popilius avait dans la sienne des tablettes où était écrit le décret du sénat. Il les présenta au roi et lui ordonna de les lire avant toutes choses, ne voulant, comme je crois, lui donner aucune marque d’amitié avant de savoir à qui il avait affaire, à un ami ou à un ennemi. Le roi, après avoir lu ce décret, dit qu’il en ferait part à ses amis, et qu’ensemble ils délibéreraient sur les mesures qu’il y aurait à prendre. À ce mot, Popilius fit une chose qui paraît étrangement dure et impérieuse : avec une baguette qu’il portait, il fit un cercle autour d’Antiochus, et lui défendit d’en sortir qu’il n’eût donné sa réponse. Le roi fut étonné de cet orgueil ; il demeura quelque temps comme interdit, et répondit enfin qu’il exécuterait les ordres des Romains. Ce fut alors que Popilius lui prit la main et le salua. Ce décret lui ordonnait de finir incessamment la guerre qu’il faisait à Ptolémée. Pour y obéir, au bout d’un certain nombre de jours qu’on lui avait marqué, il conduisit ses troupes à Agrie. Ce ne fut pas sans se plaindre et sans gémir intérieurement de se voir réduit à cette extrémité ; mais il fallait céder au temps. Pour Popilius, après avoir mis ordre aux affaires d’Alexandrie, exhorté les rois à vivre en bonne intelligence, et leur avoir donné ordre d’envoyer Polycrate à Rome, il se mit en mer pour aller en Chypre et en faire retirer les troupes qui y étaient. Il y trouva les généraux de Ptolémée, qui avaient été défaits, et les affaires de l’île fort dérangées. Il campa dans le voisinage, et resta là jusqu’à ce que les troupes fussent parties pour la Syrie. C’est de cette manière que les Romains sauvèrent le royaume de Ptolémée, royaume si ébranlé et qui touchait presque au moment de sa ruine. On voit par ce trait le caprice de la fortune : elle disposa tellement en souveraine des affaires de Persée et des Macédoniens, que pour rétablir celles d’Alexandrie et de toute l’Égypte, elle se servit de la décadence de ce malheureux prince ; car je doute qu’Antiochus se fût soumis aux ordres des Romains, si Persée n’eût été défait et que sa défaite n’eût pas été connue.


IV.


J’ai long-temps hésité sur ce que je devais faire dans cette circonstance. En effet, écrire hardiment et avec exactitude quelques faits accomplis mystérieusement par les rois entre eux, il y a, je crois, faute et danger ; mais taire complètement ce qui m’a paru devoir se faire dans cette guerre, et qui a donné lieu aux malheurs qui suivirent, c’est une preuve pour moi de paresse et de timidité. Cependant je me résous à n’écrire que sommairement ce qui est conjecture, et les apparences, les probabilités qui m’y ont conduit ; j’interrogerai pour cela les temps, et, plus que toute autre chose, les faits en eux-mêmes et en détail. (Angelo Mai, etc., ubi suprà.)


Il est dit que le Crétois Cydas de l’armée d’Eumène et favori de ce capitaine, rencontra une première fois Chimarus loin des officiers de Persée, près de la ville d’Amphipolis ; et qu’une autre fois, à Démétriade, il communiqua d’abord avec Ménécrate, puis avec Antimaque, et que deux fois Hérophon fut envoyé comme ambassadeur par Persée à Eumène. À Rome, on avait conçu des soupçons sur le roi Eumène, et au contraire on avait favorisé Attalus ; car on lui permit de venir de Brindes à Rome, et d’y chercher de l’argent. On l’avait renvoyé avec de bonnes paroles, quoiqu’il n’eût vraiment pas aidé la république dans la guerre contre Persée, ni auparavant ; tandis qu’Eumène, qui lui avait été d’un grand secours, et contre Antiochus et contre Persée, non-seulement ne put descendre à Rome, mais fut forcé, au cœur de l’hiver, de sortir à jour fixe de l’Italie. Qu’il y ait eu rapprochement entre Persée et Eumène, rapprochement qui motive la haine des Romains pour ce dernier, c’est ce que prouvera ce qui précède. Il nous reste à examiner de quelle nature il fut et jusqu’où il alla. (Angelo Mai, etc.)


Il est aisé de comprendre qu’Eumène n’aurait pas voulu voir Persée vainqueur et maître de tout. Outre leurs divisions domestiques et leurs griefs particuliers, cette homogénéité de puissance devait alimenter sans cesse entre eux la méfiance, la jalousie et la plus complète opposition. Il ne restait plus qu’à se tromper et à se tendre mutuellement des piéges ; ce qu’ils firent. Eumène, voyant Persée dans la détresse, et attaqué de tous côtés, décidé à tout accepter pour se débarrasser de la guerre, mais renvoyé d’année en année à d’autres généraux ; voyant les Romains très-gênés aussi par leur peu de succès dans cette guerre jusqu’au consulat de Paul-Émile et par l’instabilité des affaires de l’Étolie, Eumène, dis-je, entrevit qu’il était possible que les Romains consentissent à terminer la guerre, ou à faire une trève, et il se crut un médiateur, un conciliateur très-capable dans cette affaire. (Ibid.)


C’est d’après cette idée qu’il fit sonder Persée par le Cretois Cydas, la première année. Il demandait combien valait cette espérance. Cela peut être, selon moi, l’origine de leur accommodement. Entre deux hommes dont l’un était si rusé, l’autre si avare, le combat dut être risible. Eumène mettait en avant toutes les espérances possibles, et fournissait un appât abondant, voulant séduire Persée à force de promesses. Persée courait bien vers l’appât, mais il ne se contentait pas de promesses, au point de laisser aller quelque chose de ce qu’il tenait. (Ibid.)


Voici de quelle nature étaient ces conventions. Eumène demandait, pour se tenir en repos et ne pas aider les Romains pendant quatre ans ni sur terre ni sur mer, cinq cents talens, et pour finir la guerre, quinze cents. Il promettait de donner des ôtages et des garanties. Au sujet des ôtages, Persée demandait qui il enverrait, et quand et comment on les garderait chez les Cnossiens. Quant à l’argent, je veux dire aux cinq cents talens : « N’était-il pas honteux, disait-il, pour celui qui les donnerait, moins encore que pour celui qui les recevrait, de ne paraître se tenir en paix qu’à prix d’or ? » Pour les quinze cents talens, il devait les envoyer par ses gens à Polémocrate de Samos, chez lequel on les garderait en dépôt. Or, il était maître de Samos. Eumène, qui brûlait, comme les médecins charlatans, de tenir des arrhes plutôt que d’attendre un payement, se désista de ses desseins, désespérant de vaincre par ses ruses les subterfuges de Persée. De cette façon, après une belle et sainte lutte d’avarice, ils se séparèrent à avantage égal, comme deux vaillans athlètes. De tout cet argent, une partie fut dissipée de suite par les mains des amis de Persée. Cela nous prouve que l’avarice est un artisan de maux de toute espèce. (Ibid.)


J’ajouterai à cette pensée que l’avarice aveugle aussi les hommes. Qui ne comprend, en effet, la folie des deux rois ? d’Eumène qui espère, malgré la haine de Persée, s’en faire écouter, s’en faire croire, et s’approprier des trésors si considérables sans pouvoir donner à Persée aucune garantie solide dans le cas où il n’aurait pas tenu ses engagemens ? Comment espérait-il aussi tromper la vigilance des Romains en recevant tant d’or ? S’il l’eût fait pour le présent, comptait-il le faire toujours ? Il eût fallu payer ces richesses d’une guerre avec Rome, dans laquelle, une fois déclaré ennemi de la république, il eût perdu et l’argent soustrait, et son royaume, et peut-être la vie. Si, en effet, pour n’avoir pas agi, mais pour avoir seulement voulu agir, il a couru les plus grands dangers, que lui fût-il arrivé raisonnablement, son entreprise étant menée à fin ? (Ibid.)


Passons à Persée maintenant. N’est-il pas étrange qu’il ait cru trouver un parti plus sage et plus avantageux que celui de livrer ses richesses à Eumène, et de lui abandonner l’appât ? Car, si Eumène eût tenu sa parole et assoupi la guerre, l’emploi de cet argent était bon. Si Persée se fût vu trompé dans cet espoir, il jetait son ennemi dans la haine des Romains. N’était-il pas le maître de révéler toute cette intrigue ? Qu’il fût heureux ou malheureux dans la guerre, il le pouvait. Il regardait Eumène comme la cause de tous ses maux ; la meilleure vengeance à en tirer était de le rendre ennemi de Rome. Quelle est donc la cause de cette déraison manifeste ? l’avarice. Peut-on le nier ? L’un, pour avoir ce qu’il n’a pas, néglige tout et se charge de tout ; l’autre, pour éviter sa ruine, n’a pas le courage de faire un sacrifice.

Après cela, Persée dans l’affaire des Galates et celle de Gentius..... (Ibid.)