Bien-né. Nouvelles et anecdotes. Apologie de la flatterie/Requête d’un Conseiller du Parlement

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Requête d’un Conseiller du Parlement.


Sire, je ſupplie votre Majeſté en termes clairs & ſimples de faire élargir mes confreres.

Ne leur dites, ni : c’eſt par grace, ni : c’eſt par juſtice, & alors s’ils veulent reſter où ils ſont, c’eſt leur affaire & j’eſpere qu’on n’en parlera plus. Tandis que quelques-uns de ces meſſieurs ne ceſſent de faire des phraſes alambiquées où ils croyent voir du patriotiſme & des vertus Romaines au lieu que c’eſt du plus petit eſprit François, je ne puis dire combien pluſieurs d’entre nous s’impatientent & s’ennuyent. Votre Majeſté doit compatir à nos maux, puiſque c’eſt de l’avoir impatientée & ennuyée qu’elle punit ſi ſéverement mes ſuſdits confreres, ne les accuſant pas, je penſe, d’avoir prêché la révolte, d’avoir tramé contre ſon état ou ſa perſonne. Sire c’eſt une grande mal-adreſſe d’impatienter un puiſſant Roi, & certainement à force de vouloir profiter de l’occaſion de vous dire la vérité on en a étrangement abuſé, mais qu’il me ſoit permis de repréſenter à votre Majeſté qu’elle a reſſenti un peu trop vivement, ce manque de tact & de meſure, car mes confreres n’étoient pas obligés au même ſavoir vivre que vos légers & gentils courtiſans. Faites les élargir, Sire ; votre bienfaiſance reſſemblera ſi fort à de la juſtice & votre juſtice à de la bienfaiſance que chacun pourra s’y méprendre & vous applaudir ou vous remercier ſelon qu’il voudra voir en vous ſoit le Roi juſte, ſoit le bon Roi. Perſonne, Sire, ne ſera plus reconnoiſſant que moi & quelques uns de mes confreres, car outre que nous ſerons délivrés d’un grand ennui, nous en aurons la tête plus libre pour nos fonctions de Juges, & non-ſeulement les mépriſes qui font condamner les innocens en ſeront plus rares, mais nous pourrons nous occuper des moyens d’obtenir des loix & des formes de juſtice qui les rendent preſque impoſſibles.

Ceux qui diſent que nous nous oppoſerions à des réformes néceſſaires, & nous jugent tous ſur le réquiſitoire de M. Séguier, nous calomnient, & nous ôtent l’honneur auſſi injuſtement que l’on auroit ôté la vie à Bradier, L’ardoiſe & Simare. Ah ! Sire, quand nous n’y gagnerions, vous & nous, que de ne plus entendre tant de lugubres hiſtoires, ces réclamations, ce blâme, ces plaintes, ces mots deſpotiſme, injuſtice, indolence, iniquité qui, non-ſeulement bourdonnent à nos oreilles mais accompagnent nos noms, ou les noms de nos fonctions, d’un pôle à l’autre, ne ſeroit-ce pas la peine pour vous de régner ſans Lettres de Cachet, & pour nous de mieux juger ?