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Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850/W

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V Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850


Note de Wikisource : À partir de la lettre S, l’auteur rédige chaque article en un seul bloc, ou presque ; pour rendre le document plus homogène et faciliter la lecture, nous avons effectué en redécoupage en paragraphe, comme cela l’a été pour les lettres précédentes de l’alphabet.

Né à Duncan-Castle, dans le comté de Meath, le 1er mai 1769, année de la naissance de Napoléon. Élève de l’école militaire d’Angers en France, enseigne en 1787, lieutenant dans la même année.

En 1793, son frère, le marquis de Wellington lui acheta la lieutenance-colonelle du 33e régiment. Il commanda une brigade dans la retraite de Hollande. Envoyé dans l’Inde en 1797, gouverneur de Seringapatam en 1799. Major-général en 1800. Retourné en Angleterre en 1805, il fit la campagne de l’île de Walcheren sous les ordres de lord Cathcart.

Député à la Chambre des communes en 1806 ; premier secrétaire de l’Irlande en 1807 ; envoyé en Espagne en 1808, il fut compromis dans la négociation du général Dalrymphe ; commandant en chef des troupes britanniques en Portugal en 1809. Pair d’Angleterre et vicomte de Talavera, grand d’Espagne de première classe en 1812, et duc de Ciudad-Rodrigo, comte d’Angleterre, feld-maréchal, marquis de Douro et duc de Wellington.

Ambassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire près la cour de France en 1814. Ministre plénipotentiaire au Congrès de Vienne. Généralissime des troupes européennes dans les Cent-Jours. Prince de Waterloo. Généralissime des troupes alliées de l’occupation, Feld-maréchal de Russie en 1818.

« Wellington n’a qu’un talent spécial, Berthier avait bien le sien, il y excelle peut-être ; mais il n’a pas de création : la nature a plus fait pour lui qu’il n’a fait pour elle. Quelle différence avec ce Marlborough, désormais son émule et son parallèle ! Marlborough, tout en gagnant des batailles, maniait les cabinets et subjuguait les hommes. Pour Wellington, il n’a su que se mettre à la suite des vues et des plans de Castelreagh. Aussi Madame de Staël avait-elle dit, que hors de ses batailles, il n’avait pas deux idées… Ses victoires, leur résultat, leur influence, hausseront encore dans l’histoire, mais son nom baissera même de son vivant, etc., etc., etc. » (LAS CAZES.)

On m’a assuré, disait Napoléon, que c’est par lui que je suis ici, et je le crois. C’est digne, du reste, de celui qui, au mépris d’une capitulation solennelle, a laissé périr Ney, avec qui il s’était souvent rencontré sur le champ de bataille. Il est sûr que pour moi, je lui ai fait passer un mauvais quart-d’heure. C’est désormais un titre pour les grandes âmes, la sienne ne l’a pas senti. Ma chute et le sort qu’on me réservait lui ménageaient une gloire bien supérieure encore à toutes ses victoires, et il ne s’en est pas douté. « D’abord sans la trahison d’un général qui sort de nos rangs pour avertir l’ennemi, je dispersais, je détruisais toutes ces bandes, sans qu’elles eussent pu se réunir en corps d’armée. — Puis, sur ma gauche, sans les hésitations inaccoutumées de Ney, aux Quatre-Bras, j’anéantissais toute l’armée anglaise. — Enfin sur ma droite, les manœuvres inouïes de Grouchy, au lieu de me garantir une victoire certaine, ont consommé ma perte et précipité la France dans un gouffre. » (O’MÉARA.)

« M. de Las Cases avait remarqué qu’en général il répugnait à Napoléon de mentionner lord Wellington, et qu’il évitait même de faire connaître son jugement, probablement parce que l’Empereur se sentait gauche à ravaler celui sous lequel il avait succombé. Toutefois, le 16 novembre 1816, Napoléon, abreuvé d’amertume, pour toutes les indignités dont il était l’objet à Sainte-Hélène, s’est abandonné sans mesure, et à livré sa pensée tout entière. » (LAS CASES.) —

Quelques-uns ont poussé la flagornerie jusqu’à comparer, comme militaire, Wellington à Napoléon… Risum teneatis ! … Mais examinons sous les rapports administratifs, et comparons les six mois qui suivirent en France le 18 brumaire avec six mois du ministère de Wellington en 1828. Napoléon avait tout à réorganiser, une armée à créer et l’Italie à conquérir pour la seconde fois. Au moment où il s’occupait de réunir à Dijon les forces imposantes qui, après avoir gravi le mont Saint-Bernard, devaient délivrer l’Italie du joug autrichien, il achevait de détrôner l’anarchie directoriale, et rétablissait au dedans l’ordre le plus parfait dans toutes les branches du gouvernement. Déjà placé au rang des premiers capitaines des temps modernes, à quel monument désirait-il avec le plus d’ardeur que la postérité attachât son nom ? Au Code civil dont il jetait alors les bases ? A-t-on vu sous le ministère Wellington une seule de ces grandes réformes nécessaires à la législation judiciaire et civile de l’Angleterre. Si quelque réforme s’est effectuée, c’est en dépit de l’invincible tendance du noble duc à maintenir tous les abus. Tête dure, volonté de bronze, impassibilité invincible.

« Peut-on oublier jamais la conduite de Wellington à Paris, à l’époque de la fatale condamnation du maréchal Ney qu’il eût pu prévenir d’un seul mot. » (Wellington, jugé par les Anglais.)

« Peu d’hommes sont plus complètement dénués des moyens de plaire que lord Wellington. Doux sourires, flatteuses promesses, séductions de cour, toutes ces ressources qui coûtent si peu aux ministres et coûtent cher aux nations, lui sont étrangères. La raideur de son humeur et de son maintien a mérité de devenir proverbiale ; l’inflexibilité de ses idées et la crudité de son langage correspondent assez bien avec cet extérieur privé de grâce ; la bonhomie lui manque pour plaire au peuple, comme l’élégance des manières pour flatter l’aristocratie. Ceux-ci le trouvent sombre et hautain ; ceux-là, dont il ne flatte point la faiblesse orgueilleuse, l’accusent de grossièreté et de rudesse… Un bon sens vulgaire, mais d’excellent usage dans la pratique ordinaire de la vie l’avait élevé sur le pavois des triomphes guerriers. La même qualité l’a sauvé au milieu des dangers de la politique intérieure… On ne peut disconvenir que son administration n’ait été bienfaisante, sinon dans ses détails, au moins dans l’ensemble de ses actes. » (Idem.)

« Le duc de Wellington est le représentant le plus complet et le plus opiniâtre des antiques préjugés. L’humeur inflexible qui le caractérise lui prête une espèce d’éloquence : ces dispositions intellectuelles, cette résistance à tous les avis, cette obstination froide qui respire dans chacune de ses paroles, produisent quelque effet. À tort ou à raison, il est convaincu, et cette conviction est une puissance. Il a foi dans la nécessité des abus, il croit que l’espèce humaine ne peut être gouvernée que par des institutions mauvaises, anormales, injustes. Il est né stationnaire ! Tel est son destin et son penchant. » (Idem.)

« Le duc de Wellington a une physionomie si remarquable qu’on l’oublie difficilement quand on l’a vu. Ses traits sont prononcés. Son visage est excessivement long et hors de proportion avec sa taille qui est moyenne et aussi maigre que celle d’un malade à la diète. » — « Le duc est très-actif, mais jamais affairé ; dépêchant rapidement la besogne, mais jamais avec précipitation ; froid, prompt, décidé, peut-être despotique, mais calme et ferme dans des circonstances où tout autre serait embarrassé et indécis. — Sa manière habituelle de parler est abrupte et rapide ; son débit lourd et peu distinct. Mais il parle avec assurance et exprime ses idées avec clarté, concision et force. Sa conversation indique encore mieux son caractère que ses discours ; au lieu de nourrir l’entretien par des répliques qui étouffent le sens sous l’abondance stérile des mots, il laisse intervenir des pauses dans le dialogue et tout à coup laisse éclater brusquement sa pensée. Mais à part l’art de la guerre, son esprit manque d’étendue et de profondeur. Pour les hommes d’imagination, le caractère de Wellington est un de ces caractères qu’on admire, mais non pas de ceux qu’on aime. Incapable de sensibilité comme d’enthousiasme, il renvoie un ministre avec la même indifférence qu’il met au rebut un vieil habit. Il va se battre en duel ou déjeuner avec la même absence d’émotion. Tout ce qu’il fait, il semble le faire parce qu’il a résolu d’avance qu’il le fera. »

Nous croyons devoir compléter la biographie de Wellington par le récit de la bataille de Waterloo ; cette journée si terrible par ses résultats, et dans laquelle, peut-être, la gloire du vainqueur n’égale pas celle du vaincu.

Au 12 juin, alors que 220.000 hommes étaient réunis, l’Empereur voulut prévenir un plus grand rassemblement d’ennemis ; son idée était de surprendre et de battre ses adversaires en détail. Rien n’était mieux combiné, en effet. Le feld-maréchal Blücher avait son quartier général à Namur ; celui du duc de Wellington était à Bruxelles : il fallait au moins deux jours à l’armée anglo-hollandaise pour se rassembler sur Charleroi et Fleurus. Le deuxième corps de l’armée prussienne avait huit lieues à faire pour se porter en ligne, le troisième, quatorze lieues, et le quatrième quinze lieues. — Au 15 juin, les armées ennemies pouvaient encore être surprises : elles le furent en effet ; mais déjà les corps qui les composaient étaient assez rapprochés pour que cette surprise ne pût leur être fatale. Le plan de campagne fut donc, comme il devait l’être, d’opérer la disjonction de l’armée anglaise de l’armée prussienne, de manière à pouvoir agir séparément contre l’une et l’autre. — Napoléon se décida à attaquer d’abord les Prussiens ; il jugeait d’après le caractère connu du duc de Wellington, qu’il ne viendrait au secours des Prussiens que lentement et après avoir rassemblé toute son armée, tandis que, si le duc avait été attaqué ie premier, le vieux feld-maréchal était homme à lui amener les deux premiers bataillons qu’il aurait pu rassembler. — Le mouvement en avant de l’armée française avait été si bien masqué, que les ennemis passèrent la nuit du 14 au 15 dans la plus parfaite sécurité. Napoléon, parti de Paris le 12 juin, était le 14 à la tête de ses troupes : son dessein était de passer la Sambre à Charleroi ; il avait disposé pour cette opération ses six premiers corps d’armée, avec la garde impériale et des réserves de cavalerie. — Le 15, au point du jour, l’armée française, sur trois colonnes, se porta sur l’ennemi, et battit les Prussiens, surpris partout où on les rencontra ; ils furent repoussés de Charleroi où l’Empereur porta son quartier général. Ce fut pendant la nuit seulement que l’armée anglaise reçut l’ordre de se réunir. Le corps du duc de Brunswich et la division du général Pictor se dirigèrent à la pointe du jour sur Charleroi. — C’est ici que se présente la plus incroyable faute de cette campagne ; le maréchal Ney commandait la gauche ; il avait sous ses ordres près de 40.000 hommes. L’intention de l’Empereur avait été qu’il prît position au delà des Quatre Bras, en poussant les avant-gardes sur les routes de Bruxelles et de Namur. — « Monsieur le Maréchal, lui avait-il dit, en lui donnant ses ordres formels, vous connaissez bien la position des Quatre-Bras ? — Oui, répondit le maréchal ; comment ne la connaîtrais-je pas, il y a vingt ans que j’ai fait la guerre dans ce pays. Cette position est la clef de tout. — Eh bien ! ralliez-y vos deux corps, et, s’il est nécessaire, élevez-y quelques redoutes ; pressez la marche de d’Erlon, et qu’il rappelle tous les détachements qu’il aura laissés au pont sur la Sambre, tout doit être rallié pour la nuit. — Fiez-vous à moi ; dans deux heures, nous serons aux Quatre-Bras, à moins que toute l’armée ennemie n’y soit. — En effet, la position des Quatre-Bras était la clef de tout ; c’était réellement le point de jonction de l’armée anglaise et de l’armée prussienne. Dans le plan de campagne de l’Empereur, c’était cette position qu’il eût fallu conquérir à tout prix. Le maréchal Ney, qui devait y être au bout de deux heures n’y était pas encore le lendemain à huit heures du soir ; il s’était laissé inquiéter par le bruit de la canonnade engagée entre Ligny et Fleurus, et le général ennemi, prince Bernard, occupa tranquillement, pendant toute la nuit, cette position importante avec 4.000 hommes seulement de la troisième division belge de l’armée du duc de Wellington. — L’Empereur, le 16, dès le matin, réitéra au maréchal Ney l’ordre de marcher en avant et de prendre enfin la position qu’il eût dû occuper la veille, et dans le cas où les Prussiens accepteraient la bataille, comme cela était vraisemblable, près de Fleurus ou de Gembloux, de faire un détachement par la chaussée des Quatre-Bras vers Namur, sur le flanc droit des Prussiens. Napoléon se porta aussitôt sur Fleurus avec tout le centre de l’armée, à l’exception du 6e corps qu’il laissa à Charleroi ; la droite, sous les ordres de Gérard, rejoignit le centre vers midi. — On ne tarda pas à reconnaître l’armée prussienne dont la gauche occupait Sombref, le centre Ligny, la droite Saint-Amand, et les réserves les hauteurs de Bry ; elle avait son front couvert par un ravin profond qui liait entre eux les trois villages. Cette position, forte par elle-même, n’était cependant pas sans défauts ; celle des Quatre-Bras se trouvait sur ses derrières, la droite des Prussiens était aussi tout à fait en l’air ; mais, ils étaient là, attendant l’arrivée du corps de Bulow qui n’était pas encore en ligne, et celle de l’armée anglo-hollandaise qui devait former l’extrême gauche, ayant son point de concentration indiqué aux Quatre-Bras. L’année prussienne s’élevait déjà à 82.000 hommes, elle comptait imposer assez pour qu’on n’osât pas s’engager avec elle. Il en fut autrement cependant, et l’Empereur jugea les Prussiens dans une situation à être entièrement détruits avant l’arrivée des forces nombreuses qui s’avançaient pour les rejoindre. — Napoléon, tout en combinant ses dispositions d’attaque, envoyait à chaque instant des ordres au maréchal Ney pour le presser d’agir. Mais de minute en minute les divisions belges et hollandaises et les têtes de colonne de l’armée anglaise arrivaient sur la position que Ney aurait pu enlever la veille par un coup de main ; l’ennemi put alors résister sans peine aux attaques du prince Jérôme et de la division Foy. Le maréchal, après avoir manqué une action favorable, n’avait pas appelé assez promptement ses troupes à lui, et quand elles l’eurent successivement rejoint, l’ennemi avait réuni la plus grande partie des siennes. À trois heures, Vandamme attaqua la droite de l’ennemi à Saint-Amand ; et, quelques instants après, Girard attaqua le centre à Ligny en même temps que Grouchy repoussait toute la cavalerie ennemie et contraignait la gauche des Prussiens à rentrer dans la position de Sombref. Du côté de Vandamme, le succès fut longtemps balancé, quoique le général Girard, chargé de tourner Saint-Amand, fit tout ce qu’on pouvait attendre d’un des meilleurs officiers généraux de l’armée. Le village de Ligny, au centre, devint aussi l’objet d’un combat terrible ; il fut pris et repris plusieurs fois. À cinq heures et demie, Girard n’avait pas réussi à s’en rendre entièrement maître. Napoléon se disposait à marcher sur ce point avec la Garde impériale, lorsque Vandamme l’envoya avertir qu’à une lieue de la gauche, une colonne d’au moins 20.000 hommes, débouchait des bois et tournait l’armée française en paraissant se porter sur Fleurus. Cette nouvelle nécessitait des dispositions d’un autre genre ; cependant, quand elles furent faites, on reconnut que cette prétendue colonne ennemie n’était autre chose que le premier corps de l’armée française qui manœuvrait sans qu’on sût pourquoi. L’empereur reprit son premier dessein et marcha sur Ligny, il était sept heures du soir. Ligny fut emporté par la Garde au pas de course. Les Prussiens. ayant ainsi leur centre enfoncé, tandis qu’au même moment leur droite était tournée au delà de Saint-Amand par la division Girard, se mirent en retraite dans plusieurs directions, laissant sur le champ de bataille 40 pièces de canon, six drapeaux, 15.000 morts et un grand nombre de prisonniers. La perte des vainqueurs, qui n’avaient pas engagé plus de 60.000 hommes de s’éleva pas à plus de 8.000 morts ou blessés. — Le feld-maréchal Blücher, renversé de son cheval, se trouva longtemps au milieu des cuirassiers français qui ne firent point attention à lui ; il profita de la nuit pour s’échapper et rejoindre ses troupes qui déjà le croyaient mort ou prisonnier.

La bataille de Ligny fut un succès malheureux, puisqu’il n’avança rien ; il eût été immense si le maréchal Ney avait atteint le but qui lui avait été indiqué. Encore une fois, le but de Napoléon, but qu’il n’atteignit pas par la faute du maréchal, était de séparer l’armée prussienne de l’armée anglaise. S’il y a eu, en 1815, quelque possibilité de battre les coalisés, de leur faire éprouver un des échecs qui amènent de grands résultats, c’était sans doute dans la journée du 16, et particulièrement à la gauche de l’armée. — Le maréchal Ney fut, dans la campagne de 1815, méconnaissable pour tous. Ses adieux et ses serments à Louis XVIII, son affaire de Lons-le-Saulnier, son retour à Napoléon, dont il avait en 1814 pressé l’abdication, tous ces souvenirs bouleversaient son âme. Le maréchal n’avait pas le cœur d’un traître, mais peut-être ses facultés avaient éprouvé un notable affaiblissement par suite des souffrances de la campagne de Russie. C’est de bonne foi qu’il avait promis à Louis XVIII de combattre Napoléon, puis il s’était trouvé trop faible pour résister à l’appel de celui auquel il devait sa fortune, de celui sous les yeux duquel il avait acquis tant de gloire, dont il avait partagé les grands travaux. Il s’est rencontré des juges pour condamner le maréchal Ney, coupable, sans doute, mais protégé par la capitulation de Paris. C’est une tache pour la pairie française, c’est une tache pour la mémoire de Louis XVIII d’avoir laissé répandre le sang d’un homme qui en avait tant versé pour la patrie. — La conduite de Ney à Lons-le-Saulnier avait été ouvertement blâmée par ses anciens camarades ; sa présence à l’armée avait été vue avec peine ; il sentait toute la difficulté de sa position, et cet homme, dont le coup d’œil avait été jusque-là si prompt et si sûr, dont l’action avait été si rapide, se montra, dans cette grande circonstance du 16 juin, incertain et faible. Son inaction compromit tout : ce que voulait Napoléon, c’était rendre une bataille générale impossible. Ney rendit inévitable la bataille de Waterloo, en forçant l’Empereur à négliger la poursuite de l’armée prussienne, pour venir faire tête à l’armée anglaise. — Stimulé par les ordres réitérés de Napoléon, qui avait renforcé le corps de Ney du corps de réserve des cuirassiers, commandé par Kellermann, le maréchal sentit toute l’importance de sa position et le tort qu’il avait eu de ne pas s’en emparer à temps ; aussi il tenta les plus grands efforts pour y parvenir, mais ce fut en vain. — La division du prince Jérôme et celle du général Foy étaient vivement engagées sans résultat, lorsque le colonel ForbinJanson, officier d’ordonnance de l’Empereur, vint apporter au maréchal un dernier ordre avec ces mots : « Maréchal, le salut de la France est dans vos mains. » — Désespéré de ne point être maître de cette position, de voir les forces de l’ennemi y grossir à chaque instant, et les effets de son infanterie demeurer impuissants, le maréchal fit appeler le général commandant la réserve des cuirassiers, et lui répétant les paroles de l’Empereur, il ajouta : « Mon cher Général, il s’agit du salut de la France, il faut un effort extraordinaire ; prenez votre cavalerie, jetez-vous au milieu de l’armée anglaise, écrasez-la, passez-lui sur le ventre. » — « Mais, monsieur le maréchal, je n’ai avec moi qu’une de mes brigades, les trois autres sont encore à deux lieues en arrière, d’après vos ordres mêmes ; que puis-je faire avec une brigade contre une armée ? » — « N’importe, chargez avec ce que vous avez ; écrasez l’armée anglaise, passez-lui sur le corps ; le salut de la France est dans vos mains. » — « Je puis certainement, monsieur le Maréchal, me dévouer, moi et les miens, à une mort certaine ; mais que du moins notre perte serve à quelque chose. « Bien certainement, avec une brigade, je ferai une trouée ; vous avez la division de cavalerie légère de la garde et la division du général Piré, qu’elles se tiennent prêtes à entrer après nous dans le sillon que nous aurons tracé. » — « Partez, Général, je vous ferai suivre à petite portée de pistolet par toute la cavalerie que j’ai sous la main. » — Le général qui parlait ainsi était le général Kellermann, le même qui, à Marengo, avait, par une heureuse inspiration, décidé la victoire avec une charge de 400 cavaliers ; le même qui en Espagne, à Alba-de-Tormès, avec 3.000 hommes de cavalerie à peine, avait détruit l’armée de 20.000 hommes du duc del Parque ; le même qui, dans la campagne de 1814, avait, avec 1.500 chevaux, refoulé dans Provins 25.000 Russes. — Le général Kellermann, fils du maréchal, était un petit homme, idéalement laid, mais sur un champ de bataille, sa figure s’illuminait, il devenait presque beau ; c’était l’un des meilleurs, sinon le meilleur officier général de cavalerie de toute l’armée ; sage, prudent, et en même temps courageux au delà de toute idée ; il ne comprenait pas ces futiles charges de cavalerie, qui viennent aboutir à un demi-tour à droite par quart au premier feu d’un carré ; avec lui, il fallait périr dans une charge ou enfoncer. Le premier régiment ennemi qu’il rencontra était le 69e d’infanterie ; ce régiment, composé d’Écossais, commença le feu à trente pas ; mais sans être arrêtés, les cuirassiers lui passèrent sur le ventre, le détruisirent en entier et renversèrent ensuite tout ce qui se trouva sur leur chemin ; quelques-uns même pénétrèrent jusque dans la ferme des Quatre-Bras et y furent tués. Le duc de Wellington n’eut que le temps de sauter à cheval et de se dérober, par une prompte fuite, à cette terrible attaque. — La charge des cuirassiers avait réussi contre toute probabilité, une large brèche était faite, l’armée ennemie était ébranlée, les lignes anglaises étaient flottantes, incertaines, dans l’attente de ce qui allait arriver ; le moindre appui de la cavalerie qui devait être en réserve, le moindre mouvement de l’infanterie qui devait être engagée sur la droite, auraient complété le succès ; rien ne s’ébranla ! Cette cavalerie si redoutable est abandonnée à elle-même : seule, dispersée, débandée par l’impétuosité de sa charge, elle n’est plus dans les mains de ses chefs ; elle se voit assaillie de coups de fusil de l’ennemi, revenu de son étonnement et de sa frayeur ; elle abandonne le champ de bataille comme elle l’avait enlevé, sans même être poursuivie par la cavalerie ennemie. Le général lui-même, renversé de son cheval, revint à pied du milieu des Anglais ; i) rencontra enfin, près du pont d’où il était parti, une division qui s’ébranlait au pas, les ordres lui avaient été donnés trop tard. Celte division ne fit que des attaques infructueuses contre l’ennemi sur ses gardes. — À la guerre, on ne manque pas si impunément l’à-propos, et la nombreuse cavalerie de l’aile gauche de l’armée ne fut pas employée à saisir le joint et à s’y précipiter. Ce fut un grand malheur pour l’armée, pour la France, que l’éloignement des trois brigades de la réserve de cuirassiers. Si elles eussent été en ligne et prêtes à profiter de cette heureuse témérité à se jeter au milieu de l’ennemi, peut-être, en moins d’une heure, c’eût été fait de l’armée anglaise, elle eût disparu sous les pieds des chevaux et sous le fer des cavaliers, et cette journée eût valu à la France un de ces résultats qui décident des destinées des empires. En effet, l’armée anglaise anéantie, l’armée prussienne, pressée à la tête et prise en flanc, ne pouvait échapper à un désastre complet ; elle n’eût pas repassé le Rhin. La victoire eût promptement ramené sous le drapeau français les Belges, les riverains du Rhin, et l’on eût eu bon marché des Autrichiens et des Russes : c’était là le plan de Napoléon. Le maréchal Ney, par son inaction fatale, le contraignit de remettre tout au hasard d’une bataille. — La journée de Ligny avait eu pour résultat la retraite de l’armée prussienne sur Tilly et Gembloux, où elle fut rejointe dans la nuit par le corps d’armée de Bulow. En apprenant la défaite des Prussiens, le duc de Wellington sentit la nécessité d’appuyer leur flanc droit ; il jugea donc nécessaire de se retirer pendant la nuit, ne laissant aux Quatre-Bras qu’une faible arrière-garde, afin de masquer son mouvement. Le maréchal n’en eût pas connaissance ; restant immobile dans ses positions, il attendit des ordres. — 11 ne fut tiré de l’engourdissement dans lequel l’avait laissé plongé son peu de succès de la veille, que par l’arrivée de l’Empereur qui, débouchant le 17 au matin avec ses colonnes sur les Quatre-Bras, obligea l’arrière-garde du duc de Wellington à se replier sur le gros de l’armée. L’Empereur croyait en avoir fini avec les Prussiens. Ignorant, comme le maréchal Ney, le mouvement de l’armée anglaise, il supposait les deux armées ennemies séparées ; il remit à Grouchy le soin de poursuivre les Prussiens, lui recommandant surtout de les harceler sans relâche et de les empêcher de porter secours aux Anglais.

Une sorte de fatalité présidait au sort de Napoléon. À la droite, le maréchal Grouchy perdit la journée du 17 et la trace de Blücher ; à la gauche, la fatigue et l’absence d’ordre condamnaient les troupes à l’inaction. Ce fut à midi seulement que l’Empereur, arrivant aux Quatre-Bras, fit mettre les troupes du maréchal Ney en mouvement pour suivre en tirailleurs l’arrière-garde anglaise. Vers trois heures commença une pluie battante qui dura jusqu’au lendemain matin. L’armée prit position comme elle put pendant la nuit, non sans un peu de désordre et de confusion. L’armée anglo-belge, au contraire, avait fait sa retraite sans être inquiétée, puisqu’on n’avait pas eu connaissance de son mouvement ; elle était établie dès le matin dans le camp qu’elle s’était préparé et n’eut à souffrir ni du mauvais temps, ni du manque de subsistances. — Le système des généraux anglais est de se laisser attaquer ; soit le caractère, le génie militaire des Anglais, soit l’esprit de leur gouvernement qui impose aux généraux une plus grande circonspection, on croirait la nation anglaise moins propre à une guerre offensive que défensive ; à moins d’une grande supériorité de forces, comme à Toulouse, ou d’une nécessité absolue, comme à Alknaer, en 1799, ils se décident difficilement à prendre l’initiative. — Ce système leur réussit ; il est en effet à remarquer que d’Azincourt à Waterloo, toutes les batailles gagnées par les Anglais sur les Français ont été des batailles défensives ; on peut citer comme exemple, dans les dernières guerres, Vimeira, Talavera, Busago et Salamanque. Les Anglais ont l’habitude de se faire attaquer dans des positions formidables, choisies à l’avance et qu’ils savent merveilleusement défendre ; ils amènent presque constamment leur ennemi à prendre, comme on dit, le taureau par les cornes. — Encore une fois à Waterloo, les Français devaient faire aux Anglais l’espèce de guerre à la nature de leur courage. — Le plan de l’Empereur, tel que nous l’avons indiqué, se déroule avec une admirable facilité, et les événements permettent de reconnaître sans peine toutes les fautes qui sont venues le contrarier. Ce que voulait l’Empereur, c’était détruire successivement ses deux ennemis, et, sous ce rapport le système dans lequel il avait conçu la campagne de 1815 mérite tous les éloges qui lui ont été donnés : c’est par l’exécution qu’il a manqué. — Napoléon avait parfaitement jugé que son adversaire le plus sérieusement redoutable, c’était le vieux feld-maréchal Blücher. C’est à lui qu’il s’attaque d’abord pendant les journées du 15 et du 16, sans lui donner le temps de se reconnaître ; il le presse, le poursuit sans relâche, et eût infailliblement détruit l’armée prussienne, si la fatale inaction du maréchal Ney, son impardonnable faiblesse pendant toute la journée du 16 et la matinée du 17 n’eût permis à l’armée anglaise d’arriver en ligue et de venir s’interposer entre les Prussiens et les Français. Contraint d’abandonner les Prussiens pour faire tète à l’armée anglaise, le plan de l’Empereur n’est déjà plus le même ; l’importance de ses premiers succès disparaît ; cependant il espère encore pouvoir tout réparer. Le maréchal Grouchy, détaché à la poursuite des Prussiens avec les troisième et quatrième corps d’armée, la division d’infanterie du sixième et la cavalerie légère du général Exelmans, devra les presser le plus vivement que possible, les tenir toujours devant lui et les empêcher de porter secours aux Anglais. Comme Ney, par son immobilité passive seule, a empêché les Anglais de porter secours aux Prussiens pendant la bataille de Ligny, le maréchal de Grouchy devra de plus se placer dans sa marche de manière à concourir à la défaite de l’armée anglo-belge s’il y a une bataille. L’Empereur, ayant donné à Grouchy trente-six mille hommes et cent dix canons, resta en présence de l’armée anglaise avec soixante mille hommes et deux cent cinquante bouches à feu. Or l’armée anglo-belge se composait de plus de cent mille hommes avec un train d’artillerie de deux cent cinquante pièces.

Quand Napoléon arriva aux Quatre-Bras, la cavalerie anglaise, que le duc de Wellington avait chargée de couvrir sa retraite, y était encore, elle ne s’en éloigna qu’à l’approche de l’armée française. Le corps du maréchal Ney se tenait dans ses bivouacs en avant de Fresnes ; l’Empereur en fit des reproches au maréchal quand il parut devant lui ; celui-ci s’en excusa en disant qu’il avait cru que toute l’armée anglo-hollandaise occupait encore les Quatre-Bras, appuyée à sa gauche par l’armée prussienne qu’on lui avait représentée comme ayant élé victorieuse à Liguy. — Vingt-quatre pièces d’artillerie à cheval mitraillaient la cavalerie anglaise en retraite, la suivant de position en position. À six heures, et demie du soir, l’avant-garde arriva au village de Planchenoit, vis-à-vis le débouché de la forêt de Soignes. Elle eut à essuyer le feu d’une batterie de quinze à vingt pièces de canons. Pour imposer aux Anglais, qu’on jugea avoir là une forte arrière-garde, l’Empereur fil déployer les cuirassiers du corps du général Milhaud avec l’artillerie à cheval. Cette manœuvre en fit faire une autre par l’ennemi. On comprit alors que c’était à toute l’armée anglo-hollandaise qu’on avait affaire. Une bataille devenait dès lors inévitable. L’Empereur fit établir les bivouacs de ses troupes et plaça son quartier général à une ferme appelée la ferme du Coillou.— À dix heures du soir il envoya un officier d’ordonnance au maréchal Grouchy pour lui faire savoir qu’il comptait livrer bataille le lendemain, lui donner une idée de la position occupée par l’armée anglo-hollandaise, et d’après cette supposition que le maréchal Blücher aurait fait sa retraite sur Liège, qu’il se serait retiré sur Bruxelles, ou qu’enfin il resterait en position à Wavres, lui ordonna de manœuvrer dans tous les cas par Saint-Lambert, pour déborder la gauche de l’armée anglo-hollandaise, et venir se joindre avec la droite de l’armée française ; en y ajoutant cette observation seulement, que dans les deux premiers cas établis par la supposition, le maréchal Grouchy devrait exécuter ce mouvement avec la majorité de ses forces, tandis que dans le troisième, il ne le ferait qu’avec un détachement plus ou moins fort, suivant les circonstances particulières où il se trouverait. Malheureusement le maréchal Grouchy commettait, à la droite de l’armée, positivement la même faute que le maréchal Ney avait commise à la gauche pendant la journée du 16. Grouchy avait été chargé de poursuivre les Prussiens, l’épée dans les reins, les tenant toujours devant lui, et cependant toute la journée du i7 il avait perdu la trace de Blücher. À deux heures du matin on sut au quartier général impérial que le maréchal Grouchy n’avait pu découvrir si les Prussiens s’étaient retirés sur Bruxelles ou sur Liège. On lui adressa à tout événement un duplicata de l’ordre déjà expédié. Sur les cinq heures du matin, une seconde dépêche du maréchal fit connaître qu’instruit enfin que l’ennemi s’était dirigé sur Wavres, il partirait à la petite pointe du jour pour le harceler dans cette direction. Cette lettre était datée de deux heures après minuit. Elle donnait au moins la certitude que le maréchal serait avant midi devant Wavres, et qu’il aurait reçu le premier ordre par lequel la veille à dix heures du soir on le prévenait de la bataille. Il n’en était rien cependant, le maréchal n’avait rien reçu et il était complètement dans l’erreur sur la position de l’armée prussienne, dont un seul corps s’était dirigé sur Wavres pour détourner son attention, et ce corps, qui n’était pas en retraite, n’avait pas subi la défaite du 16. — On a reproché très-amèrement au général Grouchy de n’être pas venu sur le champ de Waterloo le 18, alors que la canonnade semblait l’y appeler. Ce fut une faute sans doute, mais il n’est pas prouvé que le maréchal, prenant même un parti décisif, eût pu se porter en ligne à temps ; dans tous les cas il serait arrivé parallèlement avec le corps prussien de Bulow. Avant tout et pour l’honneur du maréchal Grouchy, il faut reconnaître qu’aucun ordre ne lui était arrivé et qu’il était dans la plus complète ignorance des intentions de l’Empereur. La seule faute, la faute capitale de Grouchy, c’était d’avoir perdu la trace des Prussiens, c’est encore une fois d’avoir contrarié le plan de l’Empereur en permettant la réunion des deux armées qu’il était spécialement chargé de tenir séparées. L’Empereur, quand il se décida à livrer la bataille de Waterloo, se croyait et devait se croire débarrassé des Prussiens, c’est à l’armée anglo-hollandaise seule qu’il pensait avoir affaire ; aussi, malgré la supériorité numérique de son ennemi, il comptait sur la victoire. Sur cent chances, disait-il en déjeunant à la pointe du jour, nous en aurons quatre-vingts pour nous. — On fait trop peu d’attention à l’influence exercée sur les hommes, surtout à la veille d’une bataille, par la fatigue excessive, le mauvais temps, le défaut de nourriture et de repos, les causes d’épuisement physique opérant sur le moral, amenant le découragement. Qu’on se représente donc l’armée française courant depuis huit jours à marches forcées, manquant de vivres, marchant dans des terres détrempées, couchant dans la boue, sans abri contre une pluie continuelle ; on jugera avec quel désavantage elle allait aborder des troupes fraîches, supérieures en nombre, sur un terrain choisi par elles et soigneusement fortifié.

La position de l’armée anglaise, très-favorable sous plusieurs rapports, n’était cependant pas irréprochable. Elle occupait un beau plateau, elle était appuyée par la forêt de Soignes, mais elle n’avait qu’une seule chaussée pour ses communications avec Bruxelles, et était placée de manière à opérer difficilement sa retraite si elle eût perdu la bataille.

Napoléon, dans les Mémoires qu’il dictait à Sainte-Hélène à M. de Las Cases, juge fort sévèrement le duc de Wellington sous le rapport militaire, ce qui est fort naturel ; ses reproches ne sont pas tous également injustes cependant, et plusieurs sont réellement fondés. — « Ah ! qu’il doit un beau cierge au vieux Blücher, dit-ii, sans celui-là je ne sais pas où serait Sa Grâce, ainsi qu’ils l’appellent ; mais moi, bien sûrement, je ne serais pas ici. Ses troupes ont été admirables, ses dispositions à lui pitoyables, ou pour mieux dire il n’en a fait aucune. Il s’était mis dans l’impossibilité d’en faire, et chose bizarre ! c’est ce qui a fini par le sauver. S’il eût pu commencer sa retraite, il était perdu. Il est demeuré maître du champ de bataille, cela est certain, mais l’a-t-il dû à ses combinaisons ? Il a recueilli les fruits d’une victoire prodigieuse, mais son génie l’avait-il préparée ? Sa gloire est toute négative, et ses fautes sont immenses. Lui, généralissime européen, chargé d’aussi grands intérêts, ayant au front un ennemi aussi prompt, aussi hardi que moi, laisser ses troupes éparses, dormir dans une capitale, et se laisser surprendre ! Ah ! ce que peut la fatalité, quand elle s’en mêle ! En trois jours j’ai vu le destin de la France, celui du monde échapper de mes combinaisons. » — Ce qu’on vient de lire est plus particulièrement relatif au début et à l’ensemble de la campagne ; mais voici ce qui, dans les notes du docteur O’Méara, concerne directement la position de Wellington à Waterloo. — Si lord Wellington, dit Napoléon, se fût retranché, je ne l’aurais pas attaqué ; comme général, son plan n’indiquait pas de talents ; il déploya sans doute beaucoup de courage et de persévérance, mais il perd un peu de son mérite, lorsque l’on considère qu’il n’avait aucun moyen de retraite, et que s’il eût cherché à l’effectuer, il n’aurait pas sauvé un seul homme de son armée ; il dut le gain de la bataille, d’abord à la fermeté, à la bravoure de ses troupes, car les Anglais se sont battus avec le plus grand acharnement et le plus grand courage ; ensuite à l’armée de Blücher, à qui on devrait plutôt attribuer la victoire qu’au duc, parce qu’il a déployé plus de talents comme général. Battu la veille, il avait rassemblé ses troupes qu’il conduisait au combat dans la soirée. Je crois cependant que Wellington est un homme d’une grande fermeté. La gloire d’une semblable victoire est une grande chose, mais sa réputation militaire n’y gagne rien aux yeux de l’histoire. — La droite de l’armée anglo-hollandaise s’appuyait à un ravin au delà de la route de Nivelles, et se prolongeait sur Braine-Lalau ; sa gauche couronnait les hauteurs de la Haie ; son centre, maître de la ferme de la Haie-Sainte et à droite de celle de Hougoumont, était postée en avant du village de mont Saint-Jean où se joignent les deux chaussées de Nivelles et de Charleroi. — Dans l’armée française, la droite, formée par le deuxième corps sous les ordres du général Reille s’appuyant sur la chaussée de Charleroi à Bruxelles, et touchant, à sa gauche, à la chaussée de Nivelles, avait vis-à-vis le bois de Hougoumont ; sa cavalerie légère était au delà de la chaussée ; venait ensuite le corps d’armée du général d’Erlon : sa droite était à la hauteur de la gauche des Anglais, vis-à-vis le village de la Haie, sa cavalerie légère était sur la droite, poussant des partis sur la Dyle. Le corps de réserve des cuirassiers commandés par Kellermann était en seconde ligne derrière le deuxième corps, les cuirassiers du général Milhaut derrière le premier corps. Le sixième corps, celui du comte Lobau, fut formé en colonnes serrées sur la droite de la chaussée de Charleroi, étant en réserve derrière la gauche du premier corps et en potence derrière le centre de la première ligne. La Garde impériale, placée en troisième ligne, formait une réserve générale, ayant l’infanterie au centre, la division de cavalerie du général Lefebvre-Desnouettes à la droite et la division des grenadiers à cheval et dragons à gauche. — Le projet de l’Empereur était de percer le centre de l’armée ennemie, de le pousser sur la chaussée, et se portant sur le débouché de la forêt, de couper la retraite à la droite et à la gauche de la ligne. — Le temps s’était levé vers onze heures et la campagne s’était séchée. Au moment où l’Empereur distribuait ses ordres aux généraux réunis autour de lui, un coup de canon, parti des batteries anglaises, donna le signal du combat. Le général Reille rejoignit au galop son corps d’armée et engagea immédiatement ses troupes pour chasser l’ennemi du bois de Hougoumont. Jérôme Bonaparte, qui commandait la première division du corps d’armée du général Reille, obtint d’abord quelque succès contre les Anglais, mais le duc de Wellington ayant envoyé des renforts sur ce point, la résistance y devint très-énergique, et le deuxième corps se consuma en efforts impuissants, sans réussir à emporter le bois et la ferme retranchée de Hougoumont. — Au centre, le corps du général d’Erlon, manœuvrant avec une sorte d’hésitation, fut assailli par une charge de cavalerie anglaise et eut une de ses divisions compromise. L’Empereur s’était placé sur une éminence près la ferme de la Belle-Alliance. Il apercevait de là les armées. Ayant toutes les réserves sous la main, il pouvait en disposer suivant les événements. Il remarqua le désordre causé par la cavalerie ennemie dans la division du corps d’Erlon, se porta sur le terrain, et ayant rétabli l’ordre, ordonna au maréchal Ney de refouler la cavalerie anglaise. Pendant ce temps la canonnade continuait avec fureur et le résultat d’une nouvelle attaque fut la prise de la Haie-Sainte. — Le mouvement de la cavalerie anglaise nécessita l’ébranlement de la cavalerie française, et causa le malheureux entraînement qui mit en action, dans un moment inopportun, la plus grande partie des réserves françaises. Le maréchal Ney devait se borner à refouler le corps anglais qui avait menacé l’infanterie du centre ; au lieu de cela, il enleva les cuirassiers du général Milhaud et la cavalerie de la Garde, et les lança jusque sur les batteries anglaises sans avoir calculé la portée de ce mouvement. — Cette charge ne fut ni heureusement ni habilement exécutée. Les masses de cavalerie ne s’avancèrent pas avec cet ensemble, cet ordre imposant qui inspirent la confiance et promettent le succès. Au lieu de réserver le grand effort pour le moment de l’abordage, on lança la cavalerie du général Milhaud d’abord, puis celle de la Garde impériale, et enfin la droite du corps de réserve du général Kellermann, et tout arriva en désordre, pêle-mêle et hors d’haleine sur le rideau qu’occupait la ligne d’artillerie anglaise. Les pièces furent abandonnées, mais les chevaux purent être emmenés. C’est là, il faut le dire, le seul succès de la journée, ce qu’on a probablement appelé la bataille gagnée. L’Empereur, lui, ne s’y trompa point, quand il vit les cuirassiers de Milhaud et la cavalerie légère de la Garde couronner la crête du plateau, il dit avec vivacité au maréchal Soult : Voilà un mouvement qui pourra avoir des résultats funestes pour cette journée. Soult s’emporta contre Ney et répondit : Il nous compromet comme il a failli nous compromettre à Iéna.

Ce prétendu succès eut, il est vrai, un grand retentissement dans les positions éloignées de l’ennemi, où des mouvements de retraite furent commencés. Mais en arrière de l’artillerie se trouvait une double ligne d’infanterie formée en carré. La cavalerie française dut se reformer tant bien que mal et rester longtemps dans cette cruelle position de ne pouvoir se retirer dans la crainte d’entraîner l’armée, ni changer de mouvement parce qu’elle n’avait pas de carrière, sans infanterie, sans artillerie pour s’appuyer, en présence des carrés ennemis qui réservaient leur feu, et d’une nuée de tirailleurs dont chaque coup portait, recevant ainsi la mort sans pouvoir la donner. Une charge de toute la cavalerie à une aussi grande distance de l’infanterie, était une haute imprudence. Un pareil mouvement devait réussir ou tout compromettre ; il ne réussit pas ; dès lors, plus d’espoir de vaincre. Le mauvais destin de la France semblait présider à toutes les fausses mesures de la journée. Une brigade de carabiniers, forte de 1.000 chevaux, avait été préservée de l’entraînement fatal : placée près d’une batterie de la Garde, le général de brigade qui la commandait avait reçu du général Kellermann, son chef immédiat, la défense la plus formelle de faire aucun mouvement sans un ordre exprès. Cette brigade était donc dans la plaine ; le maréchal Ney l’aperçoit, court à elle, s’indigne de son inaction et lui ordonne de se précipiter sur les 7 ou 8.000 Anglais, placés en échelons sur la pente de la colline, près du bois de Hougoumont, et flanqués de nombreuses batteries d’artillerie. Les carabiniers furent forcés d’obéir : soit impuissance, soit maladresse, leur charge n’eut aucun succès ; la moitié de la brigade fut en un instant couchée par terre. Quand on verra plus tard que le sort de la bataille fut, en définitive, fixé par une charge de la division des gardes anglaises, auxquelles l’Empereur n’eut plus à opposer que les escadrons de service auprès de sa personne, on comprendra l’effet qu’aurait pu produire la brigade de carabiniers, si elle était restée intacte. Vers trois heures, les têtes de colonne du général Bulow se montrèrent, fort au loin du côté de Saint-Lambert. On a dit que l’apparition de ces têtes de colonne avait causé une erreur funeste, que dans ces troupes ennemies, on avait cru reconnaître l’avant-garde du corps d’armée du général Grouchy ; une pareille erreur est peu probable. L’arrivée de Bulow eut une influence fatale sur le sort de la bataille, mais seulement en ce qu’elle nécessita la distraction de 10.000 hommes pris sur le gros de l’armée, déjà si faible. L’attaque des Prussiens sur ce point fut non-seulement continue, mais repoussée avec une vigueur au dessus de tout éloge, par le comte de Lobau et le général Duhesme. Ce fut là, peut-être, le plus beau fait d’armes de la journée ; ce fut surtout un service bien important ; car si le mouvement de Bulow eût réussi, l’armée française était coupée, et la route de Charleroi lui était fermée. — Après une résistance admirable, le comte de Lobau et le général Duhesme, entourés par un brusque mouvement d’une colonne prussienne, étaient tombés au pouvoir de l’ennemi. L’Empereur envoya la jeune garde pour sauver le corps du comte de Lobau ; l’impétuosité de ce corps d’élite fit beaucoup de mal aux Prussiens, et la prise du village de la Haie, qui eut lieu en même temps, arrêtèrent le mouvement de Bulow, tourné ainsi par sa droite. — Les Anglais avaient voulu profiter de cette diversion pour reprendre la Haie-Sainte, ils furent repoussés vigoureusement. — Il était plus de six heures, le corps prussien, après avoir renoncé à son mouvement, finit par rétrograder. La cavalerie française, malgré les efforts des Anglais, s’était maintenue sur le plateau, avait enfoncé ses carrés, enlevé trois drapeaux, désorganisé un grand nombre de batteries et pris plusieurs pièces de canon ; l’épouvante commençait à régner dans toute la ligne ennemie ; des fuyards gagnaient déjà Bruxelles, et le duc de Wellington s’écriait dans son anxiété : « Vienne enfin la nuit ou Blücher ! » — Dans ce moment, l’Empereur crut que le moment était arrivé de faire une attaque définitive, et rappela à cet effet diverses batteries de la garde, qui avaient été détachées vers Planchenoit ; mais l’armée ennemie apprenait en même temps l’arrivée du maréchal Blücher et du premier corps prussien qui avait quitté Wavres et venait, par Ohain, se joindre à elle. Ce renfort considérable n’était pas le seul qui lui vînt si à propos ; deux brigades de cavalerie, fortes de six régiments, qui avaient été placées en réserve sur la route, devenues disponibles par l’armée prussienne, rentrèrent en ligne. — La cavalerie française qui était sur le plateau, vit arriver les Prussiens, et les brigades de cavalerie anglaise, en même temps que trois bataillons français de la deuxième ligne de droite battaient en retraite par un malentendu ; elle parut étonnée et indécise. L’Empereur voulut prévenir le découragement. — Il lui restait toute la vieille garde intacte ; le jour tirait à sa fin ; on se battait faiblement ; mais tout en cédant on ne lâchait pas encore pied, et les corps n’étaient pas sérieusement entamés. Si désormais un succès était impossible, ou pouvait du moins gagner la nuit sans désastre et se retirer derrière la Sambre, en conservant précieusement la seule réserve qui restât. L’Empereur n’en jugea pas ainsi, la vieille Garde fut engagée. C’était là un coup décisif, il pouvait tout réparer ou tout perdre ; s’il ne réparait rien, il laissait l’armée sans aucune ressource. — La garde, malgré son courage, malgré son admirable dévouement, ne put entamer les masses anglaises, et bientôt elle dut elle-même reculer devant une charge impétueuse de la division des gardes anglaises et deux brigades de cavalerie arrivées au dernier moment sur le terrain. C’est alors qu’on a pu regretter ce mouvement imprudent auquel avait été entraînée la brigade de carabiniers ; lorsque le mouvement lui fut ordonné, elle se trouvait précisément sur le point où la cavalerie anglaise, ayant pénétré entre la Haie-Sainte et le corps du maréchal Reille, vint déboucher. Il est probable que cette brigade, jointe aux escadrons de service de la Garde, aurait suffi pour arrêter l’effort de la cavalerie anglaise, et par là eût protégé la retraite de l’unique réserve de l’armée. Les quatre escadrons de service ayant été culbutés, rien ne put arrêter la déroute du reste de l’armée. — Toute l’armée anglo-hollandaise fit alors un mouvement en avant ; aussitôt le désordre fut à son comble parmi les troupes françaises : des corps ne se reconnaissant pas et se croyant ennemis, tirèrent les uns sur les autres. Les huit bataillons de la Garde, qui étaient au centre, tirèrent jusqu’à la dernière extrémité. L’Empereur courut à la gauche de Planchenoit, où restait en réserve un régiment de la Garde et deux batteries ; il essaya encore là de rallier les fuyards ; voyant ses efforts inutiles, il parut un moment s’abandonner au désespoir, et comme les Prussiens, reprenant l’offensive, arrivaient de toutes parts à cette position, il fit former ses grenadiers en carré et voulait attendre la mort au milieu d’eux : « Ah ! Sire, lui dit le maréchal Soult, les ennemis sont déjà assez heureux ; » et il poussa son cheval sur la route de Charleroi. — À ce moment tout était fini ; la nuit survint, il fut impossible d’établir de l’ordre parmi les fuyards : ce ne fut plus qu’une confusion, une déroute épouvantable, sans remède, mais telle qu’elle devait être après une bataille dans laquelle tout, jusqu’au dernier bataillon, avait été engagé. Tout le monde, en fuyant, se dirigea vers le pont de Genappe, bien qu’il y en eût plusieurs autres dans les environs ; en un moment il fut encombré, ainsi que le village. Tout ce qu’on avait sauvé d’artillerie fut à peu près abandonné dans cet endroit. — Examen fait à une époque reculée, on trouva cependant que, dans les journées de Ligny et de Waterloo, l’armée française n’avait perdu que 37.000 hommes morts ou prisonniers, tandis que la perte des ennemis s’est élevée à 58.000 hommes. Parmi les prisonniers français se trouvaient les généraux comte de Lobau, Cambronne et Duhesme ; parmi les morts, le général Girard, blessé mortellement à Ligny, et sur le champ de bataille de Waterloo le général Devans, qui commandait l’artillerie de la garde. Le général Duhesme fut assassiné quelques jours après dans une auberge de Genappe par les soldats prussiens. — Les armées coalisées comptèrent parmi leurs morts, dans ces deux journées, le duc de Brunswick-Oels et le lieutenant-général sir Thomas Picton ; et parmi leurs blessés, le prince héréditaire des Pays-Bas, grièvement atteint au bras ; le lieutenant-général Charles-Alten, le lieutenant-général comte Uxbridge, qui subit l’amputation de la jambe gauche, et six majors généraux.

vice-amiral, né à Belle-lsle-en-Mer le 7 août 1763.

Son père était capitaine d’artillerie. Il s’embarqua comme mousse à l’âge de 14 ans ; en 1792, il était second pilote de l’Amazone, commandée par La Pérouse. Il prit part sur cette frégate aux combats des 9 et 12 avril contre l’amiral Rodney, et à celui du 29 juillet, où il reçut deux blessures et fut nommé premier pilote : il n’avait pas 19 ans ; on sait quelle était alors l’importance de cet emploi. Willaumez l’exerça de telle sorte, qu’il reçut de Louis XVI un cercle de réflexion, accompagné d’une lettre flatteuse du maréchal de Castries, ministre de la marine.

En 1789, il était enseigne sur le vaisseau le Patriote, monté par M. d’Entrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse. Ce chef d’escadre emportait avec lui, pour Willaumez, les brevets de lieutenant de vaisseau et de chevalier de Saint-Louis, qui furent décernés à ce dernier avant l’époque fixée par le ministre. Les navigateurs français apprirent à Java les grands événements qui se passaient en France. M. d’Entrecasteaux était mort. Son successeur, le capitaine d’Auribeau, se déclara l’adversaire de la Révolution, fit arborer le drapeau blanc, et livra aux Hollandais ceux de ses officiers qui lui refusèrent leur concours. M. Willaumez fut au nombre de ceux-ci. Lorsqu’il eut relâché, il ramena à l’île de France ses compagnons d’infortune. Cette colonie était bloquée par une division anglaise ; deux frégates furent choisies pour tenter de faire lever le blocus ; Willaumez était à bord de l’une d’elles en qualité de volontaire ; le combat livré à deux vaisseaux anglais fut brillant et heureux, et l’île fut eu effet débloquée. Le gouvernement éleva M. Willaumez au grade de capitaine de vaisseau, et lui confia le Platon, qu’il dût bientôt quitter. Sur la Régénérée, il fit partie de la division de frégates de l’amiral Sercey, envoyée dans les mers de l’Inde par le ministre Truguet. Cette campagne fut très-glorieuse pour Willaumez, qui assista au combat livré aux Anglais dans le détroit de Malacca, et fut nommé chef de division à son retour en France.

Lors de la fatale expédition de Saint-Domingue, le commandant Willaumez fut chargé du commandement de la station navale établie sur les côtes de la partie du sud de l’île. Sa conduite dans cette circonstance fut digne d’éloges. En revenant en France, il fut attaqué par un vaisseau de ligne anglais qui avait une artillerie plus que double et un équipage quadruple ; il parvint, par une manœuvre aussi prompte qu’habile, à prendre une position qui lui permît d’envoyer toute sa bordée dans la poupe du vaisseau anglais ; cette bordée fut décisive ; le dommage qu’en reçut le vaisseau le força à reprendre le large. Ce combat a fourni le sujet d’un tableau. Willaumez fit réparer sa frégate aux États-Unis, se trouva enfermé par les glaces à Baltimore, les fit scier par les matelots sur une longueur de près d’une lieue, reprit la mer malgré la station anglaise, échappa par sa manœuvre à un autre vaisseau de ligne qui lui coupait la route, et fut élevé par l’Empereur au grade de contre-amiral, commandant de l’escadre légère de l’armée navale de Brest. Cette portion de l’armée eut seule occasion de se battre ; lors de la dislocation de l’armée navale de Brest, on confia au contre-amiral Willaumez, six vaisseaux et deux frégates, avec mission de se porter sur tous les points où il jugerait pouvoir causer le plus de dommages à l’Angleterre. Cette position était délicate sous certains rapports : Jérôme, frère de l’Empereur, était de l’escadre comme capitaine de vaisseau et s’éloignait de la France avec déplaisir, et son mécontentement ajoutait aux embarras de l’amiral. Quoiqu’il en soit, l’expédition fit au commerce anglais un tort évalué à douze ou quinze millions. Le 20 août 1806, l’escadre fut assaillie par une tempête si affreuse, que l’amiral lui-même déclara n’en avoir jamais vu de semblable : les vaisseaux furent dispersés et coururent les plus grands dangers ; presque tous démâtèrent complètement ou perdirent leur gouvernail. Malgré tous les efforts de l’amiral pour réunir son escadre, elle ne se rallia plus ; les bâtiments qui la composaient revinrent isolément en France, à l’exception de trois.

Pendant les années 1807 et 1808, Willaumez commanda l’escadre réunie sur la rade de Brest. Au commencement de 1809, l’Empereur lui confia une mission d’une haute importance : il devait, avec l’escadre de Brest, sortir à l’improviste, surprendre et détruire les stations anglaises établies devant Lorient et Rochefort, et, après avoir rallié à son pavillon les divisions françaises des deux ports, se porter en toute hâte dans les mers d’Amérique pour ravitailler nos colonies des Antilles, et ravager ou rançonner les possessions anglaises, en dépit de l’escadre de sir Alexandre Cochrane. La sortie eut lieu ; mais les commandants des stations anglaises, avertis à temps, évitèrent la surprise et gagnèrent le large. La division de Lorient en put sortir le jour même où l’amiral Willaumez venait la débloquer ; celle de Rochefort n’était pas prête ; il resta plusieurs jours à l’attendre ; pendant ce temps, les croisières ennemies se rallièrent et obligèrent l’amiral français à entrer sur la rade, où son escadre se trouva bloquée.

Depuis cette époque, le vice-amiral n’eut qu’un seul commandement, celui de la flottille du Zuyderzée ; mais il fut membre ou président de diverses commissions.

Élevé au grade de vice-amiral et de grand officier de la Légion-d’Honneur, il se trouva le doyen des amiraux en activité. Il est l’auteur d’un dictionnaire de marine. C’est lui qui a donné au prince de Joinville les premières notions de l’art de la navigation ; on le récompensa en le nommant pair de France en 1837.

né le 17 février 1782, au château de Gunthersbourg, près de Francfort-sur-le-Mein, appartenant à l’une des plus anciennes familles du Cercle de Sousbe.

Enfant encore, il prit rang dans l’armée française au 6e bataillon du Bas-Rhin, et fut, peu de temps après, suspendu de ses fonctions de sous-lieutenant par les représentants du peuple Reubell et Merlin, comme n’ayant pas l’âge voulu par la loi pour porter l’épaulette.

Le 22 décembre 1799, il entra dans la 44e demi-brigade en qualité de lieutenant à la suite, et fut, peu de jours après, attaché au général Thuring comme aide-de-camp. Le 6 août suivant, il passa au 9e de hussards comme lieutenant à la suite. Le 23 octobre de la même année, il fut admis lieutenant en pied, se distingua dans plusieurs affaires sur les bords du Rhin et fut nommé capitaine le 22 mars 1807.

De l’armée des côtes de l’Océan, dont il fit partie, il passa à la grande armée et fit avec elle (1807, 1808) les campagnes de Prusse et de Pologne, fut décoré le 1er octobre 1807 ; il avait été proposé dès 1806, après l’affaire de Saalfeden, où il avait été grièvement blessé.

En 1809, le capitaine Wimpffen fit la campagne d’Autriche, fut nommé chef d’escadron au 9e des chevau-légers (3 août 1811), et fit la campagne de Russie. Blessé d’un coup de sabre au cou, en avant de Witepsk, où, à la tète de 2 escadrons, il culbuta huit escadrons russes.

M. de Wimpffen fut créé major du 1er régiment de hussards croates et se trouva, le 5 avril, à l’affaire de Mockein, où il fut blessé de deux coups de sabre à la tête et tomba au pouvoir de l’ennemi.

Pendant la retraite, il fit partie du premier des escadrons sacrés qu’on avait formés pour servir d’escorte à l’Empereur, des officiers de quatre corps d’armée de cavalerie, et fut du petit nombre de ceux qui restèrent sous le drapeau jusqu’au moment où l’Empereur partit pour la France.

À la suite des événements de 1814, le major de Wimpffen fut placé, le 16 novembre 1814, dans le 2e de lanciers, en qualité de major à la suite, et reçut le 4 décembre la croix du Mérite militaire.

Licencié en 1815, il fut, peu après (2 novembre 1815) nommé lieutenant-colonel des dragons du Calvados, et passa en la même qualité, en 1820, dans la Garde royale avec rang de colonel. Créé officier de la Légion-d’Honneur le 25 avril 1821, M. de Wimpffen fut nommé colonel du 7e chasseurs le 8 mai 1822. Il fit partie du corps d’armée qui fit, en 1823-24, la campagne d’Espagne, et fut fait commandeur de la Légion-d’Honneur le 8 septembre 1823, et chevalier de deuxième classe de l’ordre de Saint-Ferdinand le 23 novembre suivant. Il était depuis longtemps chevalier de Saint-Louis.

M. de Wimpffen a été nommé maréchal-de-camp le 16 juin 1834, et chargé du commandement des Hautes-Pyrénées, puis du département de l’Orne.

Le général de Wimpffen est aujourd’hui en retraite.

feld-maréchal, commandant les troupes autrichiennes en Italie dans la campagne de 1735.

Né en Alsace le 22 septembre 1724, d’une famille riche et ancienne ; obtint ses premiers grades, jusque et y compris celui de capitaine, au service de France ; suivit son père au service d’Autriche. Chambellan de Marie-Thérèse ; il se distingua dans la guerre de Sept-Ans contre les Prussiens, se battit contre Custines, contre Pichegru, et fit prisonnier le général Oudinot. Battu par Napoléon, qu’il qualifiait de jeune homme jusqu’après la capitulation de Mantoue ; il était alors très-âgé, brave comme un lion, mais tellement sourd, qu’il n’entendait pas siffler les balles autour de lui.

De retour à Vienne, l’Empereur, s’attachant à lui faire oublier ses défaites, lui conféra le commandement de la Hongrie. Il mourut à Vienne âgé de 73 ans.

V Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850