Biographie nationale de Belgique/Tome 1/ASSCHE, Godefroid et Henri D’

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ASSCHE (Godefroid et Henri D’), hommes de guerre du xie siècle. — Les deux frères Godefroid et Henri d’Assche figurent avec un certain éclat parmi les chevaliers lotharingiens et belges qui prirent part à la première grande croisade. Ils appartiennent à l’importante lignée des seigneurs d’Assche, qui, investis de la dignité de guidons héréditaires du Brabant, virent leur descendance mâle et directe s’éteindre vers 1217, année où la dernière représentante de leur nom, Elisabeth, fit entrer les titres de leur race dans la famille des Grimberghe par son mariage avec Guillaume, seigneur de cette maison. La date de leur naissance est inconnue ; mais on peut la placer approximativement entre les années 1050 et 1060. La première fois que leur nom se trouve positivement mentionné, c’est dans l’acte de vente par lequel Ide de Boulogne et ses deux fils, Godefroid de Bouillon et Baudouin, transportèrent au chapitre de Sainte-Gertrude de Nivelles les alleux de Baisy et de Genappe : acte qui, selon le cartulaire de cet établissement, s’accomplit en 1096, dans l’église de Saint-Servais à Maestricht et que Godefroid et Henri d’Assche signèrent comme témoins.

Attachés l’un et l’autre à la maison militaire du duc Godefroid, ils partirent avec lui pour l’Orient dans le courant du mois d’août 1096. L’armée lotharingienne prit route, comme on sait, par l’Allemagne et par la Hongrie. Mais, quand elle fut arrivée à la frontière de ce royaume, il fallut négocier avec le roi Kalmany, afin d’obtenir le libre passage à travers ses États. Douze chevaliers furent chargés de cette mission, et à leur tête se trouva Godefroid d’Assche, qui porta la parole au nom de son maître et qui, d’après l’historien Guillaume de Tyr, avait déjà été précédemment envoyé en qualité de négociateur auprès de ce souverain. Lorsque l’armée eut planté ses tentes sous les murs de Constantinople et que l’empereur Alexis eut sollicité à plusieurs reprises Godefroid de Bouillon à venir lui faire une visite dans sa capitale même, le duc, craignant une de ces embûches si familières à la cour de Byzance, fit connaître son refus à l’empereur par l’intermédiaire de trois chevaliers, parmi lesquels nous voyons encore figurer Godefroid d’Assche.

Jusqu’alors ce seigneur n’avait rempli que des missions où la parole avait eu à se faire entendre plutôt que l’épée à se montrer, et peut-être fut-il aussi, plus tard, de même que son frère, parmi les grands dignitaires de la maison du duc, qui, avec leur maître, prêtèrent entre les mains de l’Empereur le serment d’hommage exigé des croisés par le despote byzantin.

Mais, une fois l’armée transportée en Asie et parvenue à l’extrémité du territoire de l’empire, que les Musulmans n’avaient pas encore entamé, un rôle plus actif commença pour les hommes de guerre. Selon le témoignage de Guillaume de Tyr et d’Albert d’Aix, Godefroid et Henri d’Assche se signalèrent parmi les plus braves. Ces historiens les qualifient tantôt de milites fortissimi, tantôt de strenuitate commendabiles, tantôt encore d’hostibus infestissimi, sans toutefois nous indiquer avec quelque détail les actes d’éclat par lesquels les deux héros belges se distinguèrent. Seulement, au siége de Nicée, qui eut lieu durant les mois de mai et de juin 1097 et qui constitue un des faits militaires les plus mémorables de la première croisade, nous voyons Henri d’Assche diriger la construction d’une de ces énormes machines désignées par la balistique du moyen âge sous le nom de vulpes, renards, et destinées à couvrir les mineurs chargés de porter la sape sous les remparts. Le même seigneur et son frère furent probablement aussi aux côtés de Godefroid de Bouillon lorsque ce prince, assisté de Raymond de Toulouse et d’Hugues de Vermandois, dégagea, dans la vallée de Gorgon, près de Dorylée, le corps d’armée de Bohémond de Tarente, de Robert de Normandie, d’Étienne de Blois, de Tancrède et d’Hugues de Saint-Pol, cerné par l’ennemi et déjà en partie écrasé.

Les deux chevaliers belges prirent part à la marche si pénible et si désastreuse que l’armée accomplit à travers la Bithynie et la Phrygie et durant laquelle un si grand nombre de leurs compagnons d’armes succombèrent à la fatigue et à des privations de toute espèce. En effet, nous retrouvons Henri d’Assche (Alb. Aquensis, lib. IV, cap. 47) sous les murs d’Antioche que les croisés investirent le 18 octobre 1097 et dont ils commencèrent immédiatement le siége. Nous ne rappellerons pas les terribles épreuves auxquelles ils furent soumis pendant l’attaque de cette formidable forteresse, qui résista à tous leurs efforts durant plus de huit mois et qui ne tomba en leur pouvoir que par la trahison d’un renégat. Nous ne rappellerons pas davantage l’horrible famine par laquelle ils furent décimés lorsque, se trouvant maîtres de la ville, ils se virent tout à coup cernés eux-mêmes par une armée de deux cent mille combattants placée sous les ordres de Korboga, prince de Mossoul. Bornons-nous à dire que, d’après Albert d’Aix, Henri d’Assche fut un de ceux avec qui Godefroid de Bouillon, dans cette affreuse détresse, partagea son dernier pain.

Les croisés eussent été perdus dès ce moment si, par un effort presque surhumain, ils n’avaient eu le courage d’attaquer un ennemi si supérieur en nombre et le bonheur de le mettre dans une déroute complète. Mais leur situation ne tarda pas à devenir plus pénible encore. La multitude des cadavres entassés autour d’Antioche et laissés sans sépulture, corrompit l’air, et une peste affreuse éclata dans l’armée chrétienne. De sorte que, pour échapper à la contagion, les chefs se dispersèrent dans toutes les directions, particulièrement vers la vallée de l’Euphrate. Là se trouvait le comté d’Édesse que Baudouin, frère du duc Godefroid, avait conquis pendant que le gros de l’armée avait marché de Dorylée vers Antioche. Le duc s’y retira avec ses hommes et établit jusqu’à la fin du mois d’octobre 1098 ses cantonnements dans les châteaux d’Aïntab, de Ravendan et de Tellbascher. Ce dernier fut assigné à Henri d’Assche. Mais, atteint par la maladie, le héros brabançon y mourut, et ses restes y furent solennellement mis en terre.

Moins heureux que beaucoup d’autres guerriers belges qu’il comptait parmi ses compagnons d’armes, Henri d’Assche n’eut pas le bonheur de pénétrer dans Jérusalem. Son frère Godefroid le fut-il davantage ? Nous ne saurions le dire, les historiens des croisades gardant le silence sur son nom depuis le moment où l’armée traversa les âpres solitudes de la Phrygie.

André Van Hasselt.

Butkens, Trophées, etc., t. II. — Albertus Aquensis, ap. Bongars, Gesta Dei per Francos, t. I. — Guill. Tyrius, ibid., t. I. — Matthæus Westmonastiensis, Flor. histor., ad ann. 1097.