Biographie nationale de Belgique/Tome 1/BAUDIER, Dominique

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BAUDIER (Dominique), DE BAULDIER ou BAUDIUS, poëte, professeur, historien, né à Lille (ancienne Flandre), le 8 avril 1561, mort à Leyde, le 21 août 1613. Son père, nommé comme lui Dominique, et sa mère, Marie de Heems, native de Gand, avaient embrassé la réforme. Pour échapper aux persécutions religieuses exercées par ordre du duc d’Albe, ils se réfugièrent à Aix-la-Chapelle avec leur fils encore enfant qui y fit ses humanités. Celui-ci ayant perdu son père peu de temps après dans cette résidence, il se rendit à Leyde pour y continuer ses études. Sur ces entrefaites, la pacification de Gand étant survenue, il vint s’établir dans cette dernière ville et ne la quitta qu’après la mort de sa mère, pour se rendre à Genève, et y étudia pendant deux ans et demi la théologie, sous Théodore de Bèze, Daneau et Antoine de la Faye. Il s’y familiarisa surtout avec l’étude des lettres, de la philosophie et de l’histoire, et y vécut en rapports intimes avec les hommes distingués qui brillaient alors dans ce foyer du calvinisme.

Nourri des nouvelles doctrines, il revint à Gand et y fit sa première apparition en public, en soutenant différentes thèses théologiques qui lui valurent les applaudissements de ses auditeurs, à cause de leur hardiesse.

Toutefois Baudier éprouva bientôt un dégoût prononcé pour les sciences qu’il avait recherchées jusqu’alors. Il alla s’établir à Leyde et s’y livra à l’étude sérieuse du droit ; il devint docteur en cette science en 1585. La même année, cette cité lui octroya le droit de bourgeoisie, et peu de temps après il fit partie de l’ambassade que les États généraux envoyèrent à la reine Elisabeth d’Angleterre. Celle-ci, ainsi que son favori Philippe Sidney, lui donna de hautes marques de sympathie et l’honora de sa correspondance. Deux ans après, en 1587, nous le trouvons inscrit au tableau des avocats de la Haye. Mais pour cet esprit inquiet et remuant, ce théâtre n’était pas assez vaste. Baudier rêvait d’autres destinées. Il partit bientôt pour la France où il résida pendant dix ans, et d’abord à Tours. Fixé plus tard à Paris, il s’y fit de nombreux amis et de puissants protecteurs, parmi lesquels le premier président Achille de Harlay, ce qui lui valut d’être reçu avocat au Parlement de cette ville en 1591 ou 1592.

Toutefois cette position ne le satisfaisait pas. Son désir extrême était d’entrer dans la diplomatie et d’obtenir le titre de résident des États généraux à Paris. Pendant qu’il caressait cette idée ambitieuse, il se livrait à des dépenses excessives qui l’endettèrent au point qu’on dut l’emprisonner. Il fut tiré de ce mauvais pas par son ami, l’illustre historien De Thou.

S’étant ensuite porté garant pour un de ses amis, il fut de nouveau arrêté et jeté en prison. D’autres assurent qu’il s’était attiré une mauvaise affaire avec des étudiants. D’autres encore disent qu’il fut victime d’une fausse accusation.

En 1602, il accompagna, comme secrétaire, le fils d’Achille de Harlay, que Henri IV envoya en qualité d’ambassadeur en Angleterre et revit, à cette occasion, la reine Élisabeth et sa cour.

Soit dégoût, soit embarras de finances, cette vie quelque peu errante ne tarda pas à déplaire à Baudier. Il revint pour la troisième fois à Leyde et y obtint la chaire d’éloquence. En 1607, il remplaça à cette université, comme professeur d’histoire, le célèbre Paul Merula. Il s’y essaya aussi à l’enseignement du droit romain, mais sa vie déréglée, qui scandalisait le public, obligea les curateurs de cet établissement de lui interdire l’accès de sa chaire de professeur. Il se plaint amèrement de cette mesure rigoureuse dans les lettres datées des années 1611 et 1612, qu’il adressa à Nicolas Seystius, secrétaire du collège des curateurs, et à des membres du conseil académique[1]. N’ayant pas obtenu le retrait de la censure qui le frappait, il renonça à la carrière de l’enseignement et, grâce aux puissantes influences qu’il avait conservées, il obtint le titre d’historiographe de la République des Provinces-Unies, charge qu’il ne conserva pas longtemps, car il succomba deux ans après à un accès de fièvre délirante, à l’âge de près de cinquante-trois ans. Il fut inhumé dans l’église de Saint-Pierre, à Leyde.

Élevé bien jeune à l’école du malheur et de la pauvreté, Baudier, malgré ses dérèglements et son ambition sans bornes, y puisa une fermeté stoïque qu’il conserva pendant toute sa vie. C’est aux mêmes causes sans doute qu’il faut attribuer son penchant prononcé pour la satire et un sentiment de misanthropie qui se reflète surtout dans ses poésies latines et dans sa correspondance familière.

Les relations qu’il entretenait étaient, comme le témoignent ses lettres, fort nombreuses ; il était lié avec les hommes les plus éminents de ce siècle si littéraire : De Thou, Casaubon, Putéanus, Scaliger, Gentius, Douza, Achille de Harlay, Juste-Lipse, Duplessis-Mornay, Sully et les noms de bien d’autres reviennent fréquemment dans ses écrits, comme ceux de ses intimes. De même que beaucoup d’érudits de son époque, Baudier a éparpillé partout les productions de son esprit aussi vif que brillant. Mais c’est dans la poésie qu’il réussit le mieux. Hoffman-Peerlkamp le place au nombre des meilleurs poëtes latins des Pays-Bas et déclare que personne ne l’a surpassé dans la composition des ïambes, dont la coupe rythmique s’accommodait très-bien à son esprit ingénieux et facile. Doué d’un patriotisme ardent, il chante avec vigueur les hommes qui délivrèrent son pays du joug de l’étranger ; ce qui cependant ne le préserve pas de se livrer à l’adulation pour les personnages qui le protégeaient ou dont il pouvait espérer des faveurs. Il célèbre aussi avec non moins de feu ses amours, quand il parle de la jeune flamande, nommée Marie, qui devint plus tard sa femme et qu’il perdit en 1609. Sa poésie, remarquable par une facture large et aisée, réunit une grande richesse de pensées et une diction latine épurée sans trop d’enflure.

Il a laissé en outre un nombre considérable de lettres dont le style offre un grand charme, quoique traitant, en général, des sujets assez insignifiants. Son caractère vif et impressionnable, ses aspirations philosophiques, sa morale quelque peu relâchée s’y révèlent entièrement.

L’érudition profonde de l’auteur, qui entremêle beaucoup de phrases grecques au texte latin de ses écrits, y est toujours relevée par un tour délicat. Il a malheureusement le tort de s’y plaindre sans cesse de la pauvreté, dans laquelle ses débordements le précipitaient. Ses discours politiques, ses oraisons funèbres, son mémoire sur l’usure, et d’autres écrits de circonstance étaient fort goûtés par les beaux esprits de son temps. L’éloge que fait de Baudier l’illustre Grotius prouve assez de quelle réputation jouissait cet homme distingué, que les malheurs de l’époque et ses infortunes personnelles avaient si vigoureusement trempé.

Comme historien, il s’est fait connaître par un travail estimé sur la fameuse Trêve de douze ans, conclue en 1609, et qui ne fut publié qu’après sa mort.

Malheureusement, tant de qualités intellectuelles ne s’accordaient guère, ni avec ses mœurs, ni avec sa conduite privée. Sa vanité, qui était presque ridicule, avait fini par lui aliéner les plus chaudes sympathies. Criblé de dettes, souvent honteuses, adonné au vin et à la débauche, il se livra, dans les dernières années de sa carrière, à tous les excès, sans respect pour l’opinion publique ou pour les positions qu’il avait obtenues. Ces dérèglements autant que le chagrin d’avoir perdu sa première femme, contribuèrent à abréger une vie, déjà minée par de longs travaux et une agitation que l’âge même n’avait point tempérée.

A côté de ces dérèglements dont il fut la première victime et avec lesquels contrastait sa devise Αἵεν’ αρισρευειν (toujours être vertueux), il faut citer les qualités de son cœur aimant, sa fermeté, sa franchise et surtout sa fidélité envers ses amis. Baudier est un bizarre mélange de vertus et de mauvais penchants, comme on en retrouve beaucoup dans les époques de troubles. Si ses défauts n’ont pas laissé trop de traces dans ses écrits variés, on ne saurait toutefois lui pardonner cet esprit ironique, ce besoin de la satire dont il fait un abus par trop fréquent.

Quelques mois avant son décès, il se remaria, et sa seconde femme mit au monde une fille posthume.

Les publications de Baudier sont très nombreuses et ont eu plusieurs éditions. Paquot et Vander Aa en donnent une liste détaillée, ce qui nous dispense d’en joindre ici l’émunération.

Rubens, avec qui il était en correspondance, exécuta son portrait, gravé plus tard en tête de la seconde édition de ses lettres et de la troisième de ses poésies, avec ces deux vers de Gruterus, tout pleins de l’exagération de l’époque :

Vane pictor œre credis posse reddi Baudium
Baudium referre nemo quiverit ?

                               Quam Baudius.

Bon de Saint-Genois.

Hoffman-Peerlkamp, De poetis neerlandorum, pp. 233-239. — Vander Aa, Biographisch woordenboek, t. I, pp. 56-57. — Paquot, Mémoires, t. VIII, pp. 390-404. — Archives historiques et littéraires du Nord de la France, 1re série, t. II, pp. 296-303 (L’abbé Coupé). — De Windt, Nederlansche Geschiedschryvers, pp. 282 et 316. — Nouvelle Biographie universelle, publiée par Didot, t. IV.


  1. Epistolarum centuriæ duæ, pp. 497, 516, 532, 534 et 541. (Lugd. Batav., 1615.)