Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BELLER, Jean
BELLER (Jean) ou BELLERE, savant linguiste et imprimeur d’Anvers, au xvie siècle. Sorti d’une famille dont on ne connaît pas bien l’origine, il fut établi à Anvers dès la première moitié du siècle, et il y exerça son art jusque dans un âge avancé. Sous deux rapports, il fut cité avec distinction parmi les imprimeurs nombreux et habiles de la grande cité pendant la même période : d’une part, on rechercha ses éditions pour la beauté des caractères et la qualité du papier (voir B. de Malinkrot, Ars typographica, c. XIV, p. 95) ; d’autre part, on le loua comme possédant une connaissance plus profonde de la langue latine que les plus instruits de ses confrères, et même que Christophe Plantin. C’est à ce second point de vue que la carrière de Jean Beller mérite une mention toute spéciale dans l’histoire des imprimeurs autrefois célèbres dans nos provinces ; on retrouve, en effet, plus d’une fois l’auteur dans les livres sortis de ses ateliers et portant son nom. Voici d’abord celles de ses publications qui justifient d’une érudition latine peu commune : un Onomasticon, imprimé à Anvers en 1553, et une réimpression avec de nombreuses additions, du Vocabularius, dictionnaire latin-espagnol, d’Antonius Nebrissensis ou Antoine de Lebrixa, le célèbre humaniste de Salamanque (mort en 1522). Le premier de ces ouvrages fut confié par Beller aux presses de Steels ; mais il eut lui-même l’honneur de mettre la main à la rédaction du contenu : il prit pour base de son Onomasticon, d’une part, le Thesaurus linguæ latinæ de Robert Etienne, qui avait eu trois éditions à Paris, de 1531 à 1543, et le Dictionarium latino-gallicum, mis en rapport par le docte éditeur avec son Thesaurus (Lutetiæ, 1546), et d’autre part, les répertoires publiés à Zurich par Conrad Gesner dans les années antérieures à 1553. Beller fit en sorte d’ajouter à ces sources des noms nouveaux et en particulier des noms modernes de lieux. Il est cependant un autre genre de travail qui lui mérita également l’estime des gens instruits : connaissant plusieurs langues modernes, il traduisit quelques ouvrages de l’italien, du portugais ou du latin en français ; il obtint des éloges pour ces travaux littéraires, et il reçut même des encouragements dans sa tâche de traducteur de la part de Christophe Plantin qui l’avait pris pour associé dans les premiers temps de son établissement à Anvers (1555-1560). Il est plausible de croire que Beller qui s’était quelquefois servi des presses d’autrui a mis ses ateliers, dans le principe, à la disposition de Plantin, ou du moins qu’il se chargeait du débit des livres dont ce typographe était l’éditeur ; on lit sous le titre de quelques-uns : « chez Jean Beller » (voir les Annales de l’imprimerie plantinienne, par le P. De Backer et M. Ch. Ruelens. p. 6-10, p. 16). C’est à Beller qu’appartient la version d’un ouvrage vanté au xvie siècle : l’Institution d’une fille de noble maison, traduite de langue toscane en français. Anvers, Plantin, 1558, in-8o. (Voir la notice de M. de Reiffenberg, Archives philologiques, tome I, p. 50.) On citerait ensuite l’Historiale description de l’Ethiopie, traduite du portugais de M. F. Alvarez ; Anvers, 1558, in-8o, et l’Institution des pécheurs, traduite du latin de Claude de Vieumont ; Anvers, 1582, in-16. On attribue au même Jean Beller la version française de l’Imitation, parue sous ce titre : L’art et manière de parfaitement ensuivre J.-C., autrement dite l’éternelle consolation (Anvers, 1565, in-16 ; ib., 1572 texte réimprimé à Douai, chez B. Beller, en 1595, en 1613 et en 1632). Jean Beller avait pour enseigne un faucon ; mais il avait pour devise : In dies arte ac fortuna ; on lisait ces mots autour du bouclier qui était sa marque typographique et au milieu duquel était représentée la déesse Fortune assise sur une barque que guide le génie du commerce, Mercure tenant le caducée. Cette jolie vignette a été gravée de nos jours dans le Bulletin du bibliophile belge (Ire série, t. IX, 1852, p. 422), d’après une édition de Damhoudere, Praxis rerum criminalium ; Antverpiæ, per Joannem Bellerum, 1554, ornée de cinquante-sept planches sur bois. Tout fait croire que notre savant imprimeur a vécu à Anvers entouré de considération, jusqu’à l’époque de sa mort, arrivée le 13 juin 1595 ; il y fut inhumé à Notre-Dame, dans la chapelle de Saint-Georges. Jean Beller, qui avait eu six fils, a laissé plusieurs héritiers de son art ; ce fut d’abord Balthazar Beller que nous verrons, dans un article suivant, fonder, en 1590, une maison d’imprimerie à Douai, en Flandre ; ce furent ensuite Pierre Beller, imprimeur à Anvers en 1596, et Gaspard Beller, son frère, en 1613, qui avait pour enseigne l’Aigle d’or ; la vignette dont ils se servirent l’un et l’autre était un caducée et deux cornes d’abondance soutenues par deux mains avec cette devise : Fructus concordiæ (voir la Bibliographie douaisienne, par H. Duthillœul, nouvelle édition, Douai, 1842, grand in-8o, pp. 405-406). Un autre Beller alla s’établir à Liége, probablement du vivant de Jean, son frère ; il y fut imprimeur et libraire (bibliopola), et il y mourut en 1564. C’est donc une seule famille d’Anvers qui pendant la même période, donna des imprimeurs estimés à trois villes importantes des Pays-Bas.
Foppens, Bibliotheca Belgica, t. I, pp. 577-578. — Delvaux, Biographie des Pays-Bas. Mons, 1829, t. I, p. 65. — Michaud, Biographie universelle, (supplément), t. LVII, 1834, pp. 5l2-5l3 (art. de M. de Reiffenberg.) — Baillet, Jugements des savants, éd. Paris, 1722, in-4o, t. I, p. 390. (Imprimeurs).