Biographie nationale de Belgique/Tome 3/BUSCHMANN, Joseph-Ernest

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BUSCHMANN, Joseph-Ernest



BUSCHMANN (Joseph-Ernest), littérateur, né le 13 septembre 1814, à Sept-Fontaines, près de Luxembourg, mort à Gand, le 19 février 1853.

La famille Buschmann vint s’établir à Anvers en 1815; c’est dans cette ville que le jeune Ernest fit ses premières études sous l’inspiration d’un M. de Seprès, apôtre zélé de la méthode Jacotot, alors en faveur dans le pays. En 1826, il se rendit à l’athénée de Luxembourg où il resta un an; de là, à peine âgé de quinze ans, il prit son vol vers Taris où il retrouva M. de Seprès et où il devint professeur. Un an après, il fut bachelier en lettres et Guizot signa son diplôme; à dix-huit ans, on le nomma professeur de littérature française au Lycée national, établissement protégé par le gouvernement, et Buschmann y dirigea une classe de quarante élèves de vingt à vingt-cinq ans. Ce rude métier, au début de la vie, le préparait aux luttes qu’il eut à soutenir pour se constituer une carrière en harmonie avec ses rares et multiples aptitudes.

A l’âge de vingt et un an, il fonde une publication littéraire : Revue du Nord, et s’y fait distinguer par deux articles sur les Chants du Crépuscule de Victor Hugo, qui lui adresse à ce sujet la lettre suivante : « Vous avez fait, Monsieur, deux beaux articles sur les Chants du Crépuscule. Il faut bien que j’en dise mon sentiment pour vous en remercier. Il est évident, à votre prose, que vous êtes poëte; il est évident, à votre style, que vous êtes penseur. Je me félicite de votre sympathie, je vous félicite de votre talent. » En 1838, il revient à Anvers, s’y lie rapidement avec les hommes distingués dont cette ville, abonde et s’y occupe de poésie, d’histoire et d’art. En 1839, il publie sous le titre de : l’Écuelle et la Besace, une suite de scènes historiques en vers, du XVIe siècle; la même année, il fait paraître sous le titre de Rameaux, un volume d’odes, de satires et de ballades; en 1840, à l’occasion des fêtes de Rubens, il met au jour un volume, enrichi de gravures sur cuivre et sur bois, intitulé P. P. Rubens, ouvrage splendide, édité par la Société royale pour l’encouragement des lettres, des sciences et des arts. Le roi Guillaume de Prusse, ainsi qu’un grand nombre de notabilités dans la diplomatie et la littérature, lui adressèrent des lettres de félicitations au sujet de cette production. En 1845, en collaboration avec M. Mertens, bibliothécaire de la ville d’Anvers, il publie, en cinq volumes ornés de taille-douce, les Annales Antwerpienses.

Les rapports qu’il adressa à la classe des beaux-arts de l’Académie royale de Belgique, sur différents procédés de reproduction par la lithographie et la photographie, prouvent la variété et la solidité de ses connaissances. Ceux qu’il a rédigés sur une question de concours relative aux limites respectives de la science et de l’art offrent également des aperçus qui permettent d’apprécier la portée de l’intelligence de Buschmann, qui se plaisait, d’une façon toute particulière, à ce genre d’études. On trouvera ces divers rapports dans les Bulletins de l’Académie, t. XIII, 1re partie, pp. 221, 489; t. XIV, 2e partie, p. 153; t. XVI, 2e partie, p. 225, et t. XVII, 1re partie, p. 75.

Au milieu de ces travaux, Buschmann trouva le temps d’établir une importante imprimerie; de s’essayer à des expériences de photographie et de gravure; de donner, pendant neuf ans, un cours d’histoire à l’Académie royale d’Anvers et d’y remplir le mandat de membre du conseil d’administration; enfin, d’être professeur d’histoire à l’Athénée. En 1846, il fut nommé membre correspondant de l’Academie royale de Belgique.

Dans le courant de l’année 1852, il ressentit les atteintes sérieuses du mal qui devait l’emporter, bientôt, dans la plénitude et la force de l’âge : il avait trente-neuf ans!

Ernest Buschmann a marqué d’une manière trop saillante dans notre renaissance littéraire, pour que son individualité ne soit point examinée avec le soin qu’elle mérite.

Comme poëte, il a l’inspiration et il se rattache à l’école de Lamartine; comme écrivain, il appartient à celle de Victor Hugo, dont il aime la forme et qu’il imite. Il a le maniérisme de l’époque, mais on sent que c’est à contre-cœur qu’il sacrifie au goût, du jour et qu’il a en lui le sentiment de la grandeur et de la grâce. Deux de ses odes resteront, l’une comme point de départ, l’autre comme point d’arrivée, ce sont : Notre-Dame d’Anvers, publiée en 1839, dans le volume intitulé : Rameaux, et l’Art flamand, publié dans beaucoup de journaux, en 1848. L’Ecuelle et la Besace, sa première production, constitue une œuvre de jeunesse où abonde une sève vigoureuse, dans laquelle apparaissent certaines imperfections, mais qui dénote un écrivain aux allures fières, indépendantes et pénétré du plus pur patriotisme. Les Rameaux, deuxième production de l’auteur, marquent un grand progrès et il nous souvient qu’a cette époque où la Belgique nourrissait l’espoir de posséder une école poétique, ce livre fit sensation et qu’il légitimait ce genre d’espérances. Les nécessités de la vie obligèrent Buschmann de descendre des hauteurs où planait son imagination. Ce qu’il fit sans cesser d’être poëte, car, dans tous ses travaux d historien, de professeur ou même d’administrateur, on retrouve l’empreinte d’une organisation poétique qui devait finir par succomber dans sa lutte contre les réalités et les exigences de la vie.

Esprit mélancolique, mais chercheur, regardant toujours à l’horizon, ayant une soif insatiable de progrès, Buschmann s’occupa avec succès de différentes améliorations à introduire dans l’art de la photographie; il avait prévu et annoncé quelques-uns des perfectionnements qui se sont effectués depuis. Il a, avec son frère, introduit en Belgique un procédé de gravure dû à M. Schöler, de Copenhague. Ce procédé, dit stylographie, qui ressemble à la gravure à l’eau-forte, a été usité pendant quelque temps parmi les artistes anversois. On connaît quelques épreuves de gravures obtenues par ce procédé. (Voir article Gustave Buschmann.) Ernest Buschmann a gravé lui-même ainsi, d’après un prêche de Leys. C’est la seule planche que nous connaissions de lui et elle est d’un effet très-pittoresque. Il a gravé aussi sur bois plusieurs dessins, entre autres pour l’Histoire de la Belgique de Conscience.

En 1842, une grande idée agita son esprit et y déposa, helas! le germe qui l’a tué. Il résolut d’établir à Anvers une imprimerie qui pût rivaliser avec n’importe quel établissement typographique. L’ombre de Plantin visitait sa couche et obsédait ses jours; il mit son plan à exécution et créa en effet un établissement qui, s’il n’a pas réalisé le rêve de son fondateur, peut néanmoins encore être cité comme un des meilleurs du pays. Les soins, la responsabilité, bref, tout ce cortége des soucis que traine à sa suite une exploitation industrielle importante, l’accablèrent et troublèrent une raison qui aurait pu affronter des périls et des tourments plus dignes d’elle!

Ernest Buschmann rencontra autour de lui l’affection générale qu’il méritait si bien; son cœur d’or était ouvert à ses élèves, à ses ouvriers, en général à tous ceux qui avaient besoin de lui. Il constitue, par l’ensemble de ses aspirations et de ses travaux, une individualité digne, à tous égards, des regrets et des souvenirs du pays.

Ad. Slret.