Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/Le Jeune homme châtié

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XIII

le jeune homme châtié



Il y avait, une fois, une jeune fille belle comme le jour. Elle donnait le bon exemple dans sa paroisse, et passait tout son temps à travailler et à prier Dieu. Cela dura jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Alors, un jeune homme, dont le père avait un grand château et cent métairies dans le pays, tomba amoureux de la jeune fille, et la demanda en mariage. Il se fit donner l’entrée de la maison. Vingt fois par jour, il venait y tenir compagnie à sa promise.

Un soir, vers les neuf heures, le jeune homme dit à la jeune fille :

— « Écoute. Je vais faire semblant de rentrer chez mon père. Mais je reviendrai ici à minuit, quand tout le monde dormira chez toi, et tu me recevras dans ta chambre.

— Non, mon bon ami. Je ferais un péché. Attendez que nous soyons mariés, et je vous recevrai avec plaisir dans ma chambre, aussi souvent que vous voudrez.

— Tu es une sotte de parler ainsi. Nous allons être bientôt mariés. Tu peux bien me donner à présent ce que tu me promets pour plus tard. »

La jeune fille aimait le jeune homme, et elle répondit :

— « Eh bien, faites comme si vous rentriez chez vous, et revenez ici à minuit. Je vais faire semblant d’aller me coucher. Mais quand tout le monde dormira dans la maison, je me lèverai doucement, doucement, pour aller vous ouvrir la porte, et je vous recevrai dans ma chambre. »

Le jeune homme fit comme s’il rentrait chez lui, et la jeune fille fit semblant d’aller se coucher. Mais à minuit, quand tout le monde fut endormi dans la maison, elle se leva doucement, doucement, pour aller ouvrir la porte, et reçut son galant dans sa chambre.

Le jeune homme partit avant l’aube, et ne revint plus à la maison. Alors, la jeune fille devint bien triste. Au bout de trois mois, elle dit à une de ses amies :

— « Écoute. Je vais te dire un secret. Il y a trois mois, j’ai reçu mon galant dans ma chambre pendant la nuit. Depuis lors, il n’est plus revenu me voir. Va le trouver, et dis-lui que je l’attends, car je suis enceinte. Il faut nous marier bientôt.

— Sois tranquille. Ton secret sera gardé. Ta commission sera faite. »

Le même jour, l’amie de la jeune fille alla trouver le jeune homme, et lui dit :

— « Écoutez. Votre maîtresse m’a dit un secret. Il y a trois mois, elle vous a reçu dans sa chambre pendant la nuit. Depuis lors, vous n’êtes plus revenu la voir. C’est elle qui m’a chargée d’aller vous trouver, pour vous dire qu’elle vous attend, car elle est enceinte. Il faut vous marier bientôt.

— Retourne chez ma maîtresse, et dis-lui qu’elle ne me verra jamais plus. J’ai fait d’elle Ce que j’ai voulu. Maintenant, j’ai fini de l’aimer. Si elle est enceinte, tant pis pour elle. Mais si elle compte sur moi pour mari, je crois qu’elle attendra longtemps. « 

Quand l’amie de la jeune fille entendit cela, elle n’eut plus mot en bouche, et s’en revint, en pleurant, chez celle qui l’avait envoyée.

— « Eh bien ! Que t’a répondu mon galant ?

— Ton galant est un méchant homme. Il m’a répondu : « Retourne chez ma maîtresse, et dis-lui qu’elle ne me reverra jamais plus. J’ai fait d’elle ce que j’ai voulu. Maintenant, j’ai fini de l’aimer. Si elle est enceinte tant pis pour elle. Mais si elle compte sur moi pour mari, je crois qu’elle attendra longtemps. »

Quand la jeune fille entendit cela, elle tomba raide morte. Le lendemain, on la portait au cimetière. Son galant ne parut pas même à l’enterrement. Mais, à partir de ce jour-là, il devint toujours pensif, et demeura trois ans sans s’approcher des sacrements. La quatrième année, il alla se confesser, pendant la Semaine sainte, et dit au curé :

— « Mon père, je suis coupable d’un bien grand péché. J’avais promis mariage à une jeune fille. Je l’avais rendue enceinte, et depuis lors je ne revins plus dans sa maison. Alors, ma maîtresse m’envoya une de ses amies, pour me dire qu’elle m’attendait, car elle était enceinte, et qu’il fallait nous marier bientôt. J’ai répondu : « Retourne chez ma maîtresse, et dis-lui qu’elle ne me reverra jamais plus. J’ai fait d’elle ce que j’ai voulu, et maintenant j’ai fini de l’aimer. Si elle est enceinte, tant pis pour elle. Mais si elle compte sur moi pour mari, je crois qu’elle attendra longtemps. » Quand la pauvre jeune fille a entendu cela, elle est tombée raide morte.

— Mon fils, répondit le curé, ton péché est si grand, si grand, que ni moi ni l’évêque n’avons le pouvoir de te pardonner. Il te faut aller à Rome, et te confesser au pape. »

Le jeune homme sortit de l’église, et s’en alla trouver un de ses camarades.

— « Écoute. J’ai un grand secret à te dire, et un grand service à te demander.

— Parle. Ton secret sera bien gardé. Quant au service, je te contenterai, si la chose est en mon pouvoir.

— Écoute. J’ai besoin d’aller à Rome, pour me confesser au pape. Veux-tu m’accompagner ?

— Oui.

— Eh bien, partons ce soir, à l’entrée de la nuit. Maintenant, je vais à la boutique du forgeron. »

Le jeune homme s’en alla dans la boutique du forgeron.

— « Forgeron, je paierai ce qu’il faudra. Mais je ne sortirai pas d’ici que toi et tes apprentis vous ne m’ayez forgé six paires de souliers de fer.

— Monsieur, les six paires de souliers de fer seront prêtes dans une heure. »

Une heure après, les six paires de souliers de fer étaient prêtes. Alors, le jeune homme alla trouver son camarade et lui dit :

— « Le moment est venu. Voici un bâton, une besace, et trois paires de souliers de fer, car le voyage sera long. La nuit descend : il faut partir. »

Tous deux chaussèrent une paire de souliers de fer, et partirent, sans embrasser leurs parents. Ils marchèrent ainsi, longtemps, longtemps, longtemps, traversèrent de grands bois, des rivières plus larges que la Garonne, et passèrent dans force pays, dont chacun avait son langage. Pendant le jour, ils demandaient un morceau de pain, pour l’amour de Dieu, devant les portes des métairies. La nuit, on les laissait coucher, par charité, sur la paille des étables.

Un soir le jeune homme dit à son camarade :

— « Écoute. Notre première paire de souliers de fer est usée. Nous avons fait le tiers du voyage. »

Le lendemain, tous deux chaussèrent une autre paire de souliers de fer, et partirent. Ils marchèrent ainsi longtemps, longtemps, longtemps, traversèrent de grands bois, des rivières plus larges que la Garonne, et passèrent dans force pays, dont chacun avait son langage. Pendant le jour, ils demandaient un morceau de pain, pour l’amour de Dieu, devant les portes des métairies. La nuit, on les laissait coucher, par charité, sur la paille des étables.

Un soir, le jeune homme dit à son camarade :

— « Écoute. Notre seconde paire de souliers de fer est usée. Nous avons fait les deux tiers du voyage. »

Le lendemain, tous deux chaussèrent leur dernière paire de souliers de fer, et partirent. Ils marchèrent ainsi longtemps, longtemps, longtemps, traversèrent de grands bois, des rivières plus larges que la Garonne, et passèrent dans force pays, dont chacun avait son langage. Pendant le jour, ils demandaient un morceau de pain, pour l’amour de Dieu, devant les portes des métairies. La nuit, on les laissait coucher, par charité, sur la paille des étables.

Un soir, le jeune homme dit à son camarade :

— « Écoute. Notre dernière paire de souliers de fer est usée. Demain nous serons à Rome. »

Le lendemain, ils repartirent bien avant le jour, et le soleil levant leur montra le château du pape, et les toits de la ville de Rome. Cette ville a sept cents églises. Dans chaque clocher, il y a sept cloches, de grandeur et de sons différents. Quand le jeune homme et son camarade ne furent plus qu’à une lieue, toutes ces cloches se mirent à sonner d’elles-mêmes. Alors, le peuple dit :

— « Voici les cloches qui sonnent l’arrivée d’un grand pénitent. »

Le peuple sortit donc par la grand’porte de la ville, pour aller au-devant du jeune homme et de son camarade. Tous deux furent conduits devant le pape qui dit :

— « Laissez-moi seul avec ce grand pénitent. »

Personne n’a jamais su ce qui s’est alors passé, pendant trois heures d’horloge, entre le pape et le jeune homme. La confession finie, le pape dit au grand pénitent :

— « Va me chercher ton camarade, et laisse-moi seul avec lui. »

Le jeune homme alla chercher son camarade, et le laissa seul avec le pape.

— « Mon ami, écoute bien ce que je vais te dire. Mais n’en parle à personne, avant d’être rentré dans ton pays.

— Pape, vous serez obéi.

— Mon ami, tiens-toi prêt à partir, avec ton camarade, au premier coup du midi. Vous marcherez, sans manger, sans boire, sans vous asseoir, jusqu’au coucher du soleil. Alors, vous traverserez un bois où vous trouverez une bête qui vous semblera petite de loin, et grande de près. Cette bête sautera sur le dos de ton camarade, et s’y tiendra avec ses griffes, sans que celui-ci en soit épouvanté. Alors, continuez votre route, et demandez à coucher dans la première maison que vous trouverez. Ton camarade se retirera seul dans une chambre, où vous entendrez un grand tapage. Mais que personne se garde bien d’y entrer, avant le lendemain matin.

— Pape, vous serez obéi. »

Sur le premier coup de midi, le jeune homme et son camarade repartirent. Ils marchèrent sans manger, sans boire, et sans s’asseoir, jusqu’au coucher du soleil. Alors, ils traversèrent un grand bois, où ils trouvèrent une bête, qui leur sembla petite de loin, et grande de près. Cette bête sauta sur le dos du jeune homme, et s’y tint avec ses griffes, sans que celui-ci en fût épouvanté. Alors, ils continuèrent leur route, et demandèrent à coucher dans la première maison qu’ils trouvèrent. Le jeune homme, qui portait toujours la bête sur son dos, se retira seul dans une chambre.

Sur le premier coup de minuit, on entendit dans cette chambre un grand tapage, qui dura pendant trois heures d’horloge. Ensuite, on n’entendit plus rien, et tous les gens de la maison s’endormirent jusqu’au lever du soleil. Alors, on entra dans la chambre où s’était fait ce grand tapage. Mais on n’y trouva ni le jeune homme, ni la bête, et on n’a jamais su ce qu’ils étaient devenus[1].

  1. Dicté par Marianne Bense du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).