Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Le Loup et l’Enfant

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IX

le loup et l’enfant



Il y avait, une fois, un homme et une femme, qui n’avaient qu’un enfant de cinq ans. Un jour, cet enfant dit à sa mère :

— « Mère, laissez-moi aller tout seulet chez ma tante.

— Non, mon ami. Tu es encore trop petit, pour y aller tout seulet. Il faut traverser un grand bois, et le Loup te mangerait. »

Alors, l’enfant se mit à pleurer.

— « Mère, je vous dis que je veux y aller. Je connais tous les chemins du grand bois, et le Loup ne me mangera pas.

— Eh bien ! mon ami, puisque tu le veux, pars, et que le Bon Dieu te garde de tout mal. »

L’enfant partit donc tout seulet. Arrivé au milieu du grand bois, il trouva le Loup, qui s’était vêtu en curé, et qui faisait semblant de lire son bréviaire.

— « Bonjour, monsieur le Curé.

— Bonjour, mon ami. Où vas-tu ainsi ?

— Monsieur le Curé, je vais voir ma tante.

— Et où demeure ta tante, mon ami ?

— Monsieur le Curé, elle demeure là-bas, là-bas, dans une petite métairie, qu’on trouve après avoir passé le grand bois.

— Oh ! la brave femme. Je la connais bien. C’est une de mes paroissiennes. Deux fois par an, elle m’apporte en présent une paire de chapons gras. Souhaite-lui bien le bonjour de ma part.

— Je n’y manquerai pas, monsieur le Curé. »

L’enfant suivit son chemin, et le Loup se remit à faire semblant de lire son bréviaire.

— « Bon ! pensa-t-il. Je vais manger la tante et le neveu. »

Aussitôt, il jeta ses habits de curé, et partit au grand galop pour la petite métairie.

— « Pan ! pan !

— Qui frappe ?

— C’est votre neveu, ma tante.

— Tire la cordelette, et le loquet se lèvera. »

Le Loup tira donc la cordelette, sauta sur la pauvre vieille, et la dévora, sans en rien réserver qu’un verre de sang. Cela fait, il prit la coiffe de la morte, et se mit au lit. À peine était-il couché, que l’enfant frappait à la porte.

— « Pan ! pan !

— Qui frappe ?

— C’est votre neveu, ma tante.

— Tire la cordelette, et le loquet se lèvera. »

L’enfant entra dans la chambre.

— « Bonjour, ma tante.

— Bonjour, mon ami. Tu dois être las. Bois ce verre de vin qui est sur la table. C’est du vin nouveau. Je l’ai tiré tout à l’heure. Maintenant, viens te mettre au lit avec moi. »

L’enfant se déshabilla donc, et se mit au lit.

— « Ah ! mon Dieu ! Que vos jambes sont velues, ma tante !

— La vieillesse, mon ami.

— Ah ! mon Dieu ! Que vos yeux brillent, ma tante !

— C’est pour mieux te voir, mon ami.

— Ah ! mon Dieu ! Que vous avez de grandes dents, ma tante !

— C’est pour mieux te briser, mon ami. »

Alors, le Loup étrangla l’enfant, et le mangea[1].

  1. Ce conte est fort répandu en Gascogne et en Agenais. La présente leçon m’a été fournie par Louis Lacoste, du Pergain-Taillac (Gers).