Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886 La Flûte de Courtebotte

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la flûte de courtebotte



Il y avait, une fois, un homme et une femme, mariés depuis quinze ans. Pourtant, ils n’avaient pas encore d’enfant. Vingt fois par jour, l’homme et la femme répétaient :

— « Bon Dieu, donnez-nous un fils, rien qu’un fils, ne fût-il pas plus haut qu’une botte. »

Le Bon Dieu finit par leur donner ce qu’ils demandaient. Après quinze ans et neuf mois, la femme accoucha d’un enfant, long de deux empans, et qui ne devait plus grandir d’une ligne. C’est pourquoi ses parents l’appelèrent Courtebotte.

À l’âge d’entrer en condition, Courtebotte était fin et avisé plus que personne. Mais pas un maître ne voulait s’embarrasser de ce nain. Enfin, Courtebotte trouva une place de vacher, chez un métayer, méchant comme le Diable, et avare comme un juif. Mauvais pain, mauvaise soupe, lit de paille, force coups, et pas de gages, tel était le sort du pauvre valet.

Mais le nain avait bon espoir, et pensait :

— « Patience ! Après la pluie, le soleil. »

Un jour, Courtebotte gardait ses vaches, dans un pré, couché sous un saule, au bord du Gers. De l’autre côté de la rivière, il aperçut une femme haute à peine d’un empan, noire comme l’âtre, et vieille, vieille comme un chemin.

— « Vacher, cria la petite vieille, viens me passer de l’autre côté du Gers.

— Brave femme, avec plaisir. »

Courtebotte ôta ses habits. Par bonheur, c’était après la moisson. Les eaux étaient si basses, si basses, que le nain n’en avait pas jusqu’à la ceinture.

— « Brave femme, vous voilà passée.

— Merci, vacher. Ton service te sera payé. Prends cette flûte, et ne t’en sépare ni nuit ni jour. Chaque fois que tu l’emboucheras, les bêtes et les gens qui l’entendront seront forcés d’entrer en danse, jusqu’à ce qu’il te plaise de ne plus souffler.

— Brave femme, merci. »

La petite vieille partit.

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, les bœufs, les vaches, les veaux, furent forcés d’entrer en danse, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

Un moment après, passa, proche d’un hallier de ronces et d’épines noires, le juge de paix, un homme colère et méchant comme cent Diables de l’enfer. Courtebotte ôta son béret.

— « Bonjour, Monsieur le juge de paix. »

Le juge de paix passait sans répondre, ni même toucher son chapeau.

— « Monsieur le juge de paix, je vous salue honnêtement. Vous pourriez faire de même. »

Le juge de paix leva son bâton.

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, le juge de paix se trouva forcé d’entrer en danse. Il dansa, dansa, dans le plus fourré du hallier de ronces et d’épines noires, qui lui déchiraient les habits et la chair. Il dansa, dansa, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

Courtebotte et son bétail retournèrent à la métairie. Ce jour-là, le maître et sa famille faisaient ripaille : garbure, cuisses d’oies[1], dindon rôti, fromage, et bon vin.

— « Maître, un peu de ces bonnes choses, s’il vous plaît.

— Au large ! gourmand. Les croûtons moisis sont trop bons pour toi. Au large, ou gare les coups. »

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, le métayer et les siens se trouvèrent forcés d’entrer en danse. Ils dansaient, dansaient, parmi les bancs et les chaises renversés, parmi les plats, les assiettes, et les bouteilles brisées, qui leur mettaient les pieds en sang. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

Cela fait, Courtebotte retourna chez ses parents, tandis que le juge de paix et le métayer allaient le dénoncer à la justice.

Trois jours après, le vacher était condamné à être pendu ; car on pendait de l’ancien temps, au lieu de guillotiner, comme à présent.

Tandis que les juges rouges, le prêtre, le bourreau, et ses valets, le menaient à la potence, Courtebotte crevait de rire, en regardant, parmi le peuple, le juge de paix et le métayer.

Le bourreau passa la corde au cou du condamné.

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, juges rouges, prêtre, bourreau, valets, se trouvèrent forcés d’entrer en danse. Ils dansaient, dansaient, aussi haut que la potence, au risque de se rompre bras et jambes, chaque fois qu’ils retombaient à terre. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

— « Eh bien, braves gens, voulez-vous toujours me pendre ?

— Non, Courtebotte. Pars tranquille. Il ne te sera rien fait.

— Braves gens, ce n’est pas assez. J’entends que le juge de paix et mon maître soient pendus sans rémission.

— Courtebotte, la chose passe notre pouvoir. »

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, juges rouges, prêtre, bourreau, valets, se trouvèrent forcés d’entrer en danse. Ils dansaient, dansaient, aussi haut que la potence, au risque de se rompre bras et jambes, chaque fois qu’ils retombaient à terre. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

— « Braves gens, j’entends que le juge de paix et mon maître soient pendus sans rémission. La chose passe-t-elle toujours votre pouvoir ?

— Non, Courtebotte. — Bourreau, fais ton métier. »

Le bourreau et ses valets pendirent le juge de paix et le métayer.

— « Et maintenant, braves gens, vous allez me compter chacun mille pistoles, pour le tort que vous m’avez fait.

— Courtebotte, la chose passe nos moyens. »

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, juges rouges, prêtre, bourreau, valets, se trouvèrent forcés d’entrer en danse. Ils dansaient, dansaient, aussi haut que la potence, au risque de se rompre bras et jambes, chaque fois qu’ils retombaient à terre. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

— « Braves gens, vous allez me compter chacun cent pistoles, pour le tort que vous m’avez fait. La chose passe-t-elle toujours vos moyens ?

— Non, Courtebotte. Mais nous n’avons pas l’argent chez nous.

— Mandez-le quérir. Sinon, gare la flûte ! »

Ce qui fut dit fut fait. Courtebotte, chargé d’or, retourna chez ses parents, et vécut longtemps heureux[2].

  1. Confites à la graisse. On les met à cuire dans la garbure, ou soupe aux choux.
  2. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).