Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886 Le Marchand de peignes de bois

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VI

le marchand de peignes de bois



Il y avait, une fois, un Marchand de peignes de bois.

Avec sa petite charrette, attelée d’un âne de six francs, il courait les foires, les marchés, les fêtes patronales, pour y vendre ses peignes de bois, ses aiguillons (à bœufs), ses haches, et ses bonnets de coton.

— « Marchand de peignes de bois ! Marchand de peignes de bois ! »

Un jour qu’il s’en allait à la foire de Mirande[1], le Marchand de peignes de bois trouva Compère Renard, au bas d’un poulailler.

Compère Renard crevait de faim.

— « Hô ! Marchand de peignes de bois, toi qui passes pour habile homme, fais-moi donc la courte-échelle, jusqu’au poulailler, pour attraper quelques volailles.

— Avec plaisir, Compère Renard. Mais auparavant, jure-moi, par ton âme, que lorsque tu seras là-haut, tu me jetteras, pour ma peine, une paire de poules grasses.

— Marchand de peignes de bois, je te le jure par mon âme. »

Le Marchand de peignes de bois prit Compère Renard sur ses épaules.

— « Allons ! Hardi ! Hô !

— Marchand de peignes de bois, le poulailler est encore trop haut d’une toise. Pousse-moi donc par le cul. »

Le Marchand de peignes de bois prit un aiguillon sur sa petite charrette, et poussa. Mais la pointe de l’aiguillon entrait d’un pouce dans le cul de la male bête, et Compère Renard criait, à rendre sourd :

— « Aïe ! aïe ! aïe ! Pas si fort. Marchand de peignes de bois. Pas si fort.

— Compère Renard, tu m’as dit : «Pousse-moi par le cul. » Je te pousse. »

Enfin, Compère Renard se haussa jusqu’au poulailler.

— « Compère Renard, n’oublie pas ce que tu m’as juré. Tu m’as juré, par ton âme, que lorsque tu serais là-haut, tu me jetterais, pour ma peine, une paire de poules grasses.

— Tiens, Marchand de peignes de bois, voici tes deux poules grasses. Mais tu ne les mérites guère. J’ai le cul tout ensanglanté.

— Merci, Compère Renard. Et maintenant, je te souhaite bien le bonjour. Redescends de là comme tu pourras. Moi, j’ai des affaires pressées à la foire de Mirande. »

Le Marchand de peignes de bois repartit. En traversant une forêt, il trouva le Loup, qui tâchait de fendre un gros tronc de chêne.

— « Bonjour, Marchand de peignes de bois.

— Bonjour, Loup. Que fais-tu là ?

— Marchand de peignes de bois, je voudrais fendre ce gros tronc de chêne ; mais je ne puis pas. Dis-moi, toi qui es si adroit, ne pourrais-tu pas m’aider ?

— Avec plaisir, Loup. »

Le Marchand de peignes de bois prit une hache sur sa petite charrette. Du premier coup, il fendit à moitié le gros tronc de chêne.

— « Et maintenant, Loup, mets ta patte dans la fente, pour la maintenir ouverte. »

Le Loup obéit. Alors, le Marchand de peignes de bois retira sa hache, et le Loup se trouva pris par la patte.

— « Aïe ! aïe ! aïe ! Tire-moi d’ici, Marchand de peignes de bois. Tire-moi d’ici.

— Loup, je te souhaite bien le bonjour. Tire-toi d’ici comme tu pourras. Moi, j’ai des affaires pressées à la foire de Mirande. »

Le Marchand de peignes de bois repartit. Arrivé dans la ville de Mirande, il aperçut force gens, attroupés autour d’un cavalier vêtu de rouge, galonné d’or et d’argent.

— « Gens de Mirande, criait le cavalier, vous êtes avertis que le roi de France est venu prendre les eaux à Bagnères-de-Bigorre[2]. Il est venu prendre les eaux avec sa fille, une princesse belle comme le jour, et riche comme la mer. Le roi de France la donnera pour femme à l’homme qui se rendra maître de son Grand Lion. »

Aussitôt, le Marchand de peignes de bois repartit. Le lendemain, à la pointe de l’aube, il entrait dans la grande auberge où logeait le roi de France.

— « Bonjour, roi de France.

— Bonjour, Marchand de peignes de bois. Que me veux-tu ?

— Roi de France, je veux me rendre maître de votre Grand Lion. Je veux que votre fille soit ma femme.

— Valets, conduisez le Marchand de peignes de bois à l’écurie où est enfermé mon Grand Lion. »

Les valets obéirent. Dans l’écurie, le Grand Lion bondissait, les yeux hors de la tête, tirant trois pieds de langue rouge, et criant comme cinq cents Diables.

Le Marchand de peignes de bois entra, sans peur ni crainte.

— « Eh bien, Grand Lion, pourquoi tout ce tapage ? Ne me reconnais tu pas ?

— Si fait. Tu es le Marchand de peignes de bois.

— Grand Lion, je suis venu t’inviter à dîner. Compte que je te régalerai, comme ton roi lui-même n’est pas en état de le faire.

— À la bonne heure. Marchand de peignes de bois. Nous dînerons à midi sonnant. Va-t-en faire la cuisine. Mais, si tu ne me régales pas comme tu l’as dit, compte que je t’avalerai tout vif. »

Le Marchand de peignes de bois sortit, et s’en alla chez un boucher, où il acheta tout un veau. Après, il s’en alla chez un pâtissier, où il acheta un quintal de grosses dragées. Ensuite, il s’en alla chez un arquebusier, où il acheta un quintal de balles de plomb. Enfin, il s’en alla chez un forgeron, et se fit forger une pelle de fer du poids de septante livres.

Cela fait, le Marchand de peignes de bois revint à l’écurie du Grand Lion, et mit le couvert.

— « Allons, Grand Lion. Midi sonne. À table ! Tâte un peu de ce fricot. »

Le Grand Lion dévora le veau jusqu’aux os.

— « Et maintenant. Grand Lion, tâte un peu de ces grosses dragées. »

En cinq minutes, le Grand Lion avait avalé un demi quintal de grosses dragées. Alors, le Marchand de peignes de bois vida les autres à terre, mêlées au quintal de grosses balles de plomb. Le Grand Lion avala tout, sans y rien comprendre.

— « Eh bien, Grand Lion, es-tu content ?

— Marchand de peignes de bois, tu m’as régalé comme mon roi lui-même n’est pas en état de le faire. Aussi, je ne te mangerai pas tout vif. Pourtant, ces grosses dragées m’ont un peu empâté la bouche, et chargé le ventre.

— Grand Lion, ceci n’est rien. Amusons-nous. Veux-tu que je t’enseigne le jeu de tape-cul ?

— Avec plaisir. Marchand de peignes de bois. »

Alors, le Marchand de peignes de bois monta sur la table, et attacha une corde terminée par un nœud coulant, à la maîtresse-poutre de l’écurie.

— « Et maintenant. Grand Lion, monte aussi sur la table, et passe ta patte dans ce nœud coulant. Tu vas voir comme nous allons rire. »

Le Grand Lion obéit. Aussitôt, le Marchand de peignes de bois sauta par terre, et renversa la table d’un coup de pied, si bien que le Grand Lion se trouva pendu par la patte.

— « Au secours, Marchand de peignes de bois ! Au secours ! »

Mais le Marchand de peignes de bois était déjà loin. Il était dans la chambre du roi de France et de sa fille.

— « Vite, roi de France. Vite, princesse. Vite, descendez à l’écurie de votre Grand Lion. Cinq minutes ne se passeront pas, que je ne m’en sois rendu maître. »

Tandis que le roi de France et sa fille descendaient vite, vite, le Marchand de peignes de bois courait au grand galop à la cuisine de l’auberge, où, depuis deux heures, la pelle de fer du poids de septante livres, rougissait à blanc dans le foyer. En trois sauts et un pet, il était à l’écurie.

— « Grand Lion, mon ami, c’est avec ça que je vais t’enseigner le jeu de tape-cul.

— Aïe ! aïe ! aïe ! Aïe ! aïe ! aïe ! Assez ! Assez ! Tu me rôtis le cul. Marchand de peignes de bois, je te reconnais pour mon maître. »

Mais le Marchand de peignes de bois frappait toujours, avec sa pelle rougie à blanc, et toujours le Grand Lion criait :

— « Aïe ! aïe ! aïe ! Aïe ! aïe ! aie ! Assez ! Assez ! Tu me rôtis le cul. Marchand de peignes de bois, je te reconnais pour mon maître. »

Mais le Marchand de peignes de bois frappait toujours, avec sa pelle rougie à blanc, et toujours le Grand Lion criait :

— « Aïe ! aïe I aïe ! Aïe ! aïe ! aïe ! Assez ! Assez ! Tu me rôtis le cul. Marchand de peignes de bois, je te reconnais pour mon maître. »

Enfin, le Marchand de peignes de bois coupa la corde où le Grand Lion pendait par la patte. La male bête retomba par terre, à moitié morte, et le cul rôti. Alors, le Marchand de peignes de bois se retourna vers le roi de France et vers sa fille.

— « Roi de France, je me suis rendu maître de votre Grand Lion. Maintenant, il faut me donner votre fille en mariage.

— C’est juste, Marchand de peignes de bois. »

Le mariage se fit le lendemain, et la noce dura sept jours. Le huitième, dès la pointe de l’aube, le Marchand de peignes de bois attela son âne de six francs à sa petite charrette, et dit à sa femme :

— « Mie, monte ici. Surtout, prends garde à ne pas gâter mes marchandises. Et maintenant, adieu, roi de France. Je m’en reviens courir le monde.

— Adieu, ma fille. Adieu, Marchand de peignes de bois. Tenez, voici un grand sac, plein de doubles louis d’or et de quadruples d’Espagne. C’est pour vous aider à vivre. Tous les ans, à pareil jour, venez en chercher autant. »

L’âne de six francs partit au grand galop. À midi, le Marchand de peignes de bois et sa femme étaient au milieu d’une forêt.

— « Femme, arrêtons-nous sous ce grand chêne. J’ai grand faim, et je suis las.

— Avec plaisir, Marchand de peignes de bois. »

Tous deux dételèrent l’âne de six francs.

— « Va quêter ta vie, pauvre bête. »

Tandis que l’âne de six francs se flanquait une forte ventrée de chardons, le Marchand de peignes de bois et la princesse dînèrent de bon appétit, sous le grand chêne, et s’endormirent côte à côte, le mari coiffé d’un de ses bonnets de coton.

Dormez, braves gens. Dormez, tandis que je parle de Compère Renard, du Loup, et du Grand Lion.

Au risque de se rompre le cou, Compère Renard affamé avait enfin sauté du poulailler. Alors, il se mit à penser :

— « Gueux de Marchand de peignes de bois. Avec ton aiguillon, tu m’as ensanglanté tout le cul. Mais patience. Nous nous retrouverons, et je te mangerai les tripes. »

Ceci pensé. Compère Renard partit à la recherche du Marchand de peignes de bois. En traversant une forêt, il trouva le Loup, toujours la patte prise dans la fente du gros tronc de chêne.

— « Au secours, Compère Renard ! Au secours. »

Compère Renard aida le Loup à sortir d’affaire.

— Dis-moi, Loup. Qui t’avait mis dans l’état d’où je t’ai tiré ?

— Ne m’en parle pas. Compère Renard. C’est ce brigand de Marchand de peignes de bois.

— Ah ! la canaille. Regarde mon cul, Loup ; et vois comme ce gueux me l’a tout ensanglanté. Mais patience. Nous nous retrouverons, et je lui mangerai les tripes.

— Ah ! le scélérat. Regarde ma patte. Compère Renard, et vois l’état où il l’a mise. Mais patience. Nous nous retrouverons, et je lui mangerai le cœur et le foie. »

Ceci dit, tous deux partirent à la recherche du Marchand de peignes de bois. En arrivant proche de Bagnères-de-Bigorre, ils trouvèrent le Grand Lion, plongé jusqu’au cou dans l’Adour.

— « Bonjour, Grand Lion. Que fais-tu là ?

— Ce que je fais. Compère Renard ? Ce que je fais, Loup ? Je souffre mort et passion. Voilà neuf jours et neuf nuits que je baigne mon cul, rôti par ce rien qui vaille de Marchand de peignes de bois. Regarde.

— Ah ! le gueux. Regarde aussi mon cul, Grand Lion. C’est le Marchand de peignes de bois, avec son aiguillon, qui me l’a tout ensanglanté. Mais patience. Nous nous retrouverons, et je lui mangerai les tripes.

— Ah ! le scélérat, dit le Loup. Regarde ma patte, Grand Lion, et vois l’état où il l’a mise. Mais patience. Nous nous retrouverons, et je lui mangerai le cœur et le foie.

— Oui, Compère Renard. Oui, Loup. Nous nous retrouverons, et je lui mangerai la tête. »

Ceci dit, tous trois partirent à la recherche du Marchand de peignes de bois. Ils l’aperçurent, enfin, sous le grand chêne, dormant toujours, côte à côte avec la princesse.

— « Voici le Marchand de peignes de bois. Il dort. Hardi ! Compère Renard. Mange-lui les tripes. »

Compère Renard ne semblait pas fort pressé.

— « Mes amis, je me souviens de l’aiguillon.

— Voici le Marchand de peignes de bois. Hardi ! Loup. Mange-lui le cœur et le foie. »

Le Loup ne semblait pas trop pressé.

— « Mes amis, je me souviens de la hache, et du gros tronc de chêne fendu.

— Voici le Marchand de peignes de bois. Il dort. Hardi ! Grand Lion. Mange-lui la tête. »

Le Grand Lion ne semblait pas fort pressé.

— « Mes amis, je me souviens de la pelle rougie à blanc. »

Et tous trois, la queue entre les jambes, décampèrent au grand galop.

Enfin, le Marchand de peignes de bois rouvrit les yeux, toujours coiffé de son bonnet de coton.

— « Ah ! Mille Dieux ! Milliard de Dieux ! Ah ! Mille Dieux ! Milliard de Dieux ! »

À ces jurements de païen, la princesse se réveilla toute tremblante.

— « Qu’as-tu, Marchand de peignes de bois ? Qu’as-tu ?

— Ce que j’ai, milliard de Dieux ? J’ai que je suis un homme perdu. J’ai que suis un homme ruiné. Regarde, là-haut, dans les arbres, cette bande de singes, avec des bonnets de coton. Regarde. Ce sont les miens. Tout ce qu’elles voient faire aux hommes, ces males bêtes le répètent. Elles ont pillé ma marchandise, pour se coiffer comme moi. Ah ! Mille Dieux ! Milliard de Dieux ! »

Bleu de colère, le Marchand de peignes de bois arracha son bonnet de coton, et le jeta par terre. Aussitôt, tous les singes en firent autant.

— « Hi ! hi ! hi ! Ha ! ha ! ha ! Vite, ma femme. Vite, ramassons tous ces bonnets de coton. »

Un quart d’heure après, tous les bonnets de coton étaient ramassés, et le Marchand de peignes de bois repartait avec la princesse, pour aller faire son commerce. Mais bientôt il se trouva trop riche, pour travailler tant et gagner si peu. Avec ses doubles louis d’or et ses quadruples d’Espagne, il acheta cent métairies, et un beau château, où il vécut longtemps heureux, avec sa femme et ses enfants[3].

  1. Chef-lieu d’arrondissement (Gers).
  2. Station thermale du département des Hautes-Pyrénées.
  3. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Une leçon, identique pour le fond, m’a été fournie par M. Garine, d’Agen, qui l’avait écrite sous la dictée de feu Jacques Testas, agenais illettré, âgé de soixante-quinze ans.