Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886 Tiens bon

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VII

tiens bon



Il y avait, une fois, un jeune valet de meunier, plus malheureux que les pierres. Son maître le rouait de coups, le nourrissait mal, et ne lui comptait pas un sou de gages. Enfin, le valet perdit patience.

— « Adieu, maître. Je vais m’établir pour mon compte. »

En effet, le jeune homme afferma un moulin à vent ; mais il n’y fit pas ses affaires. Cette année-là, le vent ne souffla guère, et il plut à grands déluges ; si bien que le malheureux meunier, ne fut pas même en état de donner un à-compte sur le fermage.

— « Écoute, meunier, lui dit le maître du moulin. Si tu ne me paies pas demain matin, je te fais mettre en prison. »

Alors, le maître partit ; et le meunier s’assit, en pleurant, devant la porte du moulin.

— « Que faire, mon Dieu ! Que faire ? »

Au coucher du soleil, une femme passa, noire comme l’âtre, et vieille, vieille comme un chemin.

— « Meunier, pourquoi pleures-tu ?

— Certes, j’ai bien raison de pleurer. Je n’ai pas un liard en bourse. Si je ne paie pas mon fermage demain matin, le maître de ce moulin me fera mettre en prison.

— Meunier, ne pleure plus. Voici de quoi payer ton fermage pendant un an.

— Merci, brave femme. »

Le lendemain matin, le meunier paya son fermage, et demeura dans le moulin. Mais, l’année suivante, le vent ne souffla guère, et il plut encore à grands déluges, si bien que le malheureux meunier, ne fut pas même en état de donner un à-compte sur le fermage.

— « Écoute meunier, lui dit le maître du moulin, si tu ne me paies pas demain matin, je te fais mettre en prison. »

Alors, le maître partit ; et le meunier s’assit, en pleurant, devant la porte du moulin.

— « Que faire, mon Dieu ! Que faire ? »

Au coucher du soleil, repassa la femme noire comme l’âtre, et vieille, vieille comme un chemin.

— « Meunier, pourquoi pleures-tu ?

— Certes, j’ai bien raison de pleurer. Je n’ai pas un liard en bourse. Si je ne paie pas mon fermage demain matin, le maître de ce moulin me fera mettre en prison.

— Meunier, ne pleure plus. Voici de quoi payer ton fermage pendant deux ans.

— Merci, brave femme. »

Le lendemain matin, le meunier paya son fermage pour deux ans. Mais, la troisième et la quatrième année, le vent ne souffla guère, il plut encore à grand déluge, si bien que le malheureux meunier ne fut pas même en état de donner un à-compte sur le fermage.

— « Écoute, meunier, lui dit le maître du moulin. Si tu ne me paies pas demain matin, je te fais mettre en prison. »

Alors, le maître partit ; et le meunier s’assit, en pleurant, sur la porte du moulin.

Au coucher du soleil, repassa la femme noire comme l’âtre, et vieille, vieille comme un chemin.

— « Meunier, pourquoi pleures-tu ?

— Certes, j’ai bien raison de pleurer. Je n’ai pas un liard en bourse. Si je ne paie pas mon fermage demain matin, le maître de ce moulin me fera mettre en prison.

— Meunier, ne pleure plus, et va-t-en. Tiens. Voici une branche de sureau. Tâche de t’en bien servir. Chaque fois que tu voudras que deux personnes ou deux choses soient unies, crie : « Tiens bon ! », et touche-les de ta baguette. Jusqu’à ce que tu cries : « Lâche ! » ni Dieu ni Diable n’auront le pouvoir de les séparer.

— Merci, brave femme. »

Le lendemain matin, le meunier était sur la place du village, avec sa branche de sureau. En ce moment, la servante du curé rinçait le pot de chambre de son maître. Le meunier toucha la servante et le pot de chambre de sa branche de sureau.

— « Tiens bon ! »

Aussitôt, la servante du curé et le pot de chambre firent corps, si bien que ni Dieu ni Diable n’auraient eu le pouvoir de les séparer.

— « Au secours ! criait la servante. »

Alors, accourut un meunier, tenant par la bride son mulet chargé d’avoine.

— « Tiens bon ! »

Aussitôt, la servante du curé, le pot de chambre, le meunier, et le mulet chargé d’avoine, firent corps, si bien que ni Dieu ni Diable n’auraient eu le pouvoir de les séparer.

— « Au secours ! criaient la servante du curé, et le meunier. »

Alors, arriva sur la place un roulier, conduisant une grande charrette, chargée de foin, et attelée de sept chevaux. Le cheval de devant sentit l’avoine, et s’approcha du mulet.

— « Tiens bon ! »

Aussitôt, la servante du curé, le pot de chambre, le meunier, le mulet chargé d’avoine, la grande charrette chargée de foin, les sept chevaux, et le roulier, firent corps, si bien que ni Dieu ni Diable n’auraient eu le pouvoir de les séparer.

— « Au secours ! criaient la servante du curé, le meunier, et le roulier. »

Alors, le maître du moulin arriva sur la place, dans sa voiture à quatre chevaux, conduite par un cocher tout galonné d’or. Les quatre chevaux virent le foin de la grande charrette, et s’approchèrent pour en manger.

— « Tiens bon ! »

Aussitôt, la servante du curé, le pot de chambre, le meunier, le mulet chargé d’avoine, la grande charrette chargée de foin, les sept chevaux, le roulier, le maître du moulin, la voiture à quatre chevaux, le cocher tout galonné d’or, firent corps, si bien que ni Dieu ni Diable n’auraient eu le pouvoir de les séparer.

— « Au secours ! Au secours ! »

Mais les gens du village s’étaient enfuis épouvantés. Jusqu’au coucher du soleil, le meunier à la branche de sureau se fit du bon sang, à regarder son ouvrage. Enfin, il prit pitié de ces gens et de ces bêtes.

— « Maître, dit-il au propriétaire du moulin, vous allez payer pour tous. Que me donnez-vous si je vous délivre ?

— Meunier, je te donne mon moulin à vent réparé à neuf, et trois beaux mulets.

— C’est dit. « Lâche ! »

Aussitôt, le maître du moulin, dans sa voiture à quatre chevaux, conduite par un cocher tout galonné d’or, lâche la grande charrette chargée de foin, les sept chevaux, et le roulier.

La grande charrette chargée de foin, les sept chevaux, et le roulier, lâchent le meunier, et le mulet chargé d’avoine.

Le meunier, et le mulet chargé d’avoine, lâchent la servante du curé, et le pot de chambre.

La servante du curé lâche le pot de chambre[1].

  1. Fourni par M. l’abbé Magenties, de Lectoure, qui le tenait de sa grand’mère, Catherine Dubuc, veuve Langlade, morte en 1855. Notre ancienne servante, feu Bernarde Dubarry, de Bajonnette (Gers), m’a souvent récité le même conte.