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Blanqui - Critique sociale, II/Le Numéraire

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Félix Alcan (2p. 14-21).

III

L’OR ET L’ARGENT. — LEUR RÔLE


Sophismes et rabâchages puérils de l’économie politique sur les métaux précieux.

Les économistes font des volumes pour démontrer que l’or et l’argent ne sont pas une richesse. Ils ont sur ce sujet des trésors inépuisables d’arguties. C’est pour le coup qu’ils enfoncent une porte ouverte.

Ces niaiseries se réfutent par la seule définition des deux métaux : marchandise précieuse en elle-même par ses divers usages, inaltérable, d’une conservation indéfinie sous un petit volume, rare et d’une production limitée à des quantités connues ; agent universel de l’échange, en vertu. de cet ensemble de propriétés. Si elles varient, la valeur du métal suit ces variations.

Supposez l’or et l’argent privés de leur utilité propre dans les arts et l’industrie, tout en conservant leurs autres qualités, ce qui du reste serait fort difficile, leur royauté de l’échange serait singulièrement compromise. Jusqu’où ? nul ne peut le dire.

La perte de l’inaltérabilité serait le signal de leur déchéance immédiate. Même chute, plus prompte encore, comme souverains de l’échange, S’ils devenaient aussi communs qu’ils sont rares, alors même que leur utilité industrielle aurait centuplé.

En un mot, c’est une marchandise qui suit la Condition de toute marchandise. Sa valeur s’accroît par la rareté, diminue par l’abondance. Sa fonction spéciale dans l’échange ne modifie en rien cette loi qui reste absolue. Il est clair que la réaction est réciproque, et que l’abondance ou la rareté des autres marchandises accroît ou diminue le prix des métaux précieux, à moins d’oscillations identiques et simultanées dans leur production.

Il est encore plus clair que, s’il n’y a rien à échanger, l’étalon de l’échange devient inutile et tombe à zéro. Il ne conserve plus alors que sa Valeur industrielle, fort peu de chose assurément, sinon rien, dans l’hypothèse admise qu’il n’existe plus aucun produit. Les avares, mourant de faim Sur un monceau d’or, sont des amplifications de rhétorique. La valeur des métaux précieux est en raison directe de la masse des objets échangeables. Ces conditions posées, ils sont rois, comme arbitres de l’échange qui domine la vie sociale.

La puissance écrasante de l’or et de l’argent, comme numéraire, à si bien rejeté dans l’ombre leurs autres mérites qu’on à fini par les méconnaître et les nier d’une manière absolue. La mauvaise humeur aidant, on va jusqu’à leur refuser toute utilité en dehors de la fonction d’échange. On a tort. Si, par impossible, l’or et l’argent devenaient aussi communs que les pierres, ils entraîneraient d’un coup deux révolutions : la chute du numéraire d’abord, puis l’invasion de matières si incomparablement utiles que l’économie publique en serait bouleversée.

Il faut être aveugle, d’ailleurs, pour ne pas voir leur importance actuelle dans l’industrie. L’or fait tous les frais de la bijouterie qui est la passion d’une moitié et demie du genre humain. L’argent ouvré est la seule manifestation raisonnable du luxe qui ne pèche guère par la recherche de l’utile.

Il est donc permis de supposer que, sans leur valeur propre, les deux métaux, en dépit de leur royale conformation, ne seraient pas montés sur le trône de l’échange et n’auraient pas fondé la dynastie de sa majesté l’Empereur-Écu.

Mars 1870.

VARIATION DANS LE PRIX DES MÉTAUX
PRÉCIEUX


Variation dans la valeur des métaux précieux. — Leur très haut prix jusqu’à la découverte des deux Amériques. — Première invasion de l’or et de l’argent américains, au seizième siècle. — Révolution dans l’échange, — Augmentation du prix de toutes les denrées.

Après les violentes oscillations du début, le niveau se reforme peu à peu.

Seconde invasion, à dater de 1848, par la découverte des mines de Californie et d’Australie.

Pertes et gains, conséquences de cette irruption. — Le numéraire semble immobile dans sa valeur. Les variations portent sur les denrées. On dit qu’elles haussent, tandis que c’est le métal qui baisse.

L’ignorance et l’habitude sont la cause de cette erreur. L’or et l’argent, mesure des valeurs respectives, demeurent, dans la pensée publique, l’étalon invariable, et conservent leur prestige de fixité, d’immuabilité. Hommage à l’Empereur-Écu, même dans sa décadence et ses humiliations. Plus ou moins invisible, il reste toujours le Monarque asiatique absolu.

Deux classes souffrent de la dépréciation du numéraire, deux classes placées aux deux pôles opposés, les rentiers et les travailleurs. La rente reste servie à l’ancien taux. Elle perd donc la différence survenue. Le salaire la perd également. Le peuple ne devine pas la réalité. Il accuse l’enchérissement des marchandises.

Les premiers à profiter de la révolution sont les propriétaires. Les vivres étant par excellence la denrée de première nécessité, il est impossible de s’en passer un seul jour. Le producteur la tient à haut prix et ne la cède que contre la nouvelle valeur de la monnaie. Le propriétaire de maisons suit l’exemple. On ne peut pas coucher dehors. Il faut subir sa loi.

Quand nous disons le producteur, il faut s’entendre. Le propriétaire terrien ne produit pas, puisqu’il ne cultive pas. Il a des fermiers, des métayers. Il augmente le prix du fermage, et empoche ainsi le bénéfice de l’enchérissement.

Les autres objets haussent également, mais moins vite, et toujours en raison de leur nécessité. On ne peut différer son dîner. On ajourne l’achat d’un vêtement. De là, souffrance comparative dans le trafic industriel. Le commerce agricole au contraire à tout l’avantage. C’est en effet ce qui se voit depuis 1848.

Le blé et les céréales en général n’ont que faiblement participé à la hausse des subsistances. Tandis que la viande, le poisson, les légumes, les fruits ont plus que doublé de valeur, le renchérissement des céréales est presque insensible. Le prix du pain est à peu près le même qu’avant l’invasion de l’or nouveau. La différence ne dépasse pas un cinquième.

Ce phénomène paraît d’abord inexplicable, car les céréales forment la majeure partie de la production agricole. Pourquoi ne suivent-elles pas le mouvement universel de hausse des denrées alimentaires ? La propriété terrienne est maîtresse des prix. Comment ne fait-elle pas pour le blé ce qu’elle fait pour les fruits, les viandes, les légumes ?

On ne trouve guère d’autre raison que l’impossibilité. Le pain est le principal aliment des masses. Le reste ne forme qu’un accessoire, On a doublé et triplé le prix des accessoires sans trop d’obstacles. Mais comment doubler celui de la nourriture fondamentale ? Le salaire, n’ayant haussé que d’un cinquième ou d’un quart au maximum, serait impuissant à payer double l’alimentation du peuple.

C’est donc une question de vie ou de mort. Il n’est pas aisé de condamner à mort la population des travailleurs. Elle est la base de l’État. Cette nécessité se fait jour comme toute autre, et tient en échec les prétentions de la propriété. On se Contente de réduire l’ouvrier à la portion congrue. Mais le renchérissement des céréales aura son tour. La lutte acharnée des grèves pour l’augmentation des salaires aura pour contre-coup e certain la hausse progressive du blé. Dès l’instant que la masse trouvera quelques sous de plus pour payer, la propriété oisive les ramassera. C’est elle qui aura gagné la bataille des grèves. Le prix de la victoire passera dans ses poches.

Avril 1870.

FRAI DE LA MONNAIE

La perte annuelle de la monnaie par le frai, sur le globe, est d’un million et un tiers. La perte totale, tant par le frai que par causes quelconques, est de 80 millions, la centième partie de ce qui existe, 8 milliards.

1870.

SA MAJESTÉ L’EMPEREUR-ÉCU

La nécessité d’un instrument d’échange a intronisé les métaux précieux. Jusqu’où va leur autocratie, qui l’ignore aujourd’hui ? Sa majesté l’Empereur-Écu n’a point de rival parmi les plus absolus monarques de la terre. Charlemagne, Haroun-al-Raschid, Tamerlan, Aureng-Zeb ne lui vont pas à la cheville.

Mars 1870.

PUISSANCE DU NUMÉRAIRE


Le procès de Tours met la ville sens dessus dessous. La manne arrive avec le flot de curieux.

Se peut-il une preuve plus éclatante de l’omnipotence des écus ? « Le travail », dit-on, « le travail est tout ». Sans doute il fait tout. Mais après ?

Le travail ne fabrique que des produits. Dans l’ordre actuel, que sont les produits sans l’échange ? Un fardeau, la ruine souvent. Vienne l’échange dans la personne du métal, son maître, la vie ruisselle et déborde. Les produits se précipitent à sa rencontre pour tomber à ses genoux et solliciter ses faveurs.

De l’or ! Voilà de l’or ! Tout prend feu, tout s’embrase. Quel n’est pas le crime de l’égoïste qui, recevant cette majesté puissante en retour de son produit, la refuse aux autres pour en faire une poule aux œufs d’or, prisonnière de sa basse-cour !

Mars 1870.