Bleu, blanc, rouge/52

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Déom Frères, éditeurs (p. 252-253).


LA BLANCHE CITÉ


Maître de la nature, artiste génial,
Sur la lyre d’Éole aux cordes de cristal
Tu chantes des hivers la blanche symphonie
Boréale cantate, enivrante harmonie !
 
Vois le temple d’albâtre, illuminé de feux
Les panaches de glace irréels, merveilleux,
Les chandeliers d’argent ouvrés de filigrane
Et la nappe d’amour d’un tissu diaphane.

Sous le dais d’un ciel bleu, le brillant ostensoir
Déverse dans les cœurs la lumière et l’espoir,
Las ! la blanche féerie aura cessé de vivre
Lorsqu’en larmes demain s’égouttera la givre.

Passagère beauté ! Neige, fleurs et duvet,
Comme l’illusion dont notre âme se vêt
Floraison des printemps, merveilles d’un beau songe,
Splendeur d’une journée, éphémère mensonge !


Tout humain a son rêve, illusoires châteaux,
Frangés de stalactite ou nichent des oiseaux.
Gazon diamanté que la patte des âges
Étoile de trous noirs… Ah ! décevants mirages !…
 
Palais évanouis des polaires glaciers,
Toison molle des cieux et papillons légers,
Tourbillonnez dans l’air, comme des plumes d’ailes
Que sèment sur nos toits les douces colombelles.

Les champs fleurdelisés aux horizons sans fin
Exaltent mon esprit vers le pays divin :
Le séjour vaporeux où fleurissent les âmes
Des nénuphars-enfants, des marguerites-femmes.

En ces mondes heureux, il n’est point d’oiseleur :
Pour humer le parfum l’on ne brise la fleur.
Le cœur est transparent, l’idée immaculée :
La blanche Vérité se montre dévoilée.