Bleu, blanc, rouge/65

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Déom Frères, éditeurs (p. 304-308).


LE SERMENT DU COURONNEMENT




JE, Victoria, par la Grâce de Dieu, Reine de la Grande-Bretagne et d’Irlande, défenderesse de la foi, professe, certifie et déclare solennellement et sincèrement, en présence de Dieu, que je crois que dans le sacrement de la Cène il n’y a aucune transsubstantiation et que l’invocation ou l’adoration de la Vierge Marie, le sacrifice de la messe, sont superstitieux, idolâtres etc… etc…

(Extrait de la formule de la déclaration de foi des souverains d’Angleterre, à leur couronnement, publiée par « La Presse », Lundi, 4 Février).

Fi ! Madame la Reine, que c’est vilain, d’avoir jeté l’insulte à la religion de vos ancêtres et dans une circonstance aussi solennelle, alors que votre cœur devait s’ouvrir à l’espérance, à la joie, à l’amour. Vous êtes donc une apostate, une renégate, presqu’une horreur du Docteur Bataille, de folichonne mémoire ! Et moi ! qui ai donné du Te deum à Monsieur votre Fils, empereur des Indes, roi d’Angleterre, grand Maître de la Grande Loge maçonnique, défenseur de la foi, tenu par les constitutions de son pays de prêter le même serment d’office, de protéger l’anglicanisme, et de lui donner la prépondérance sur tous les autres cultes.

Eh bien ! là ! je retire mon Te deum, que j’ai pourtant chanté à pleine gorge, que veux-tu, entraînée par l’enthousiasme général, sans savoir que mes lèvres acclamaient un sectaire, qui sait, un persécuteur autorisé de mes saintes croyances.

Il est une légende, qui avait quelque tendance à s’accréditer parmi nous, c’est la conversion de la reine au catholicisme. On commentait à cet effet les relations diplomatiques de la Souveraine et du Saint-Père, la tolérance toute philosophique de la bonne reine en matière de religion, etc… Des bonnes femmes faisaient du lyrisme : la reine forcée de cacher le secret de son cœur avec le plus grand soin et de jouer la comédie pour sauver sa couronne avec sa tête. On aimait à se figurer la pauvre femme, harassée par les charges de la royauté, tombant à genoux sur son prie-Dieu, la tête dans ses mains, comme le plus humble de ses sujets, et criant à la Vierge des douleurs, les angoisses de son cœur de mère, les ennuis de son veuvage, la solitude des sombres châteaux, aux grands échos muets depuis que la voix du bien-aimé s’est éteinte !…

Et moi, qui n’ai pas la bosse de la sensiblerie développée, je me suis posé ce dilemme que je soumets fort humblement à la gent qui pense :

— La reine, catholique ou protestante, n’a aucun droit à notre admiration, à ce déploiement outré de loyalisme ridicule de la part des canadiens-catholiques.

Si la reine était catholique, sa vie ne fut qu’une longue hypocrisie inspirée par un sentiment naturel, je le conçois, l’instinct de la conservation ; sentiment assez différent, vous en conviendrez, de l’héroïsme des premiers chrétiens, qui versèrent leur sang pour ne pas faire mentir leur conscience, en encensant l’idole païenne.

Prudence égoïste, que répudieraient les Sainte Catherine, les Sainte Cécile, les Thomas Morus et tous les martyrs d’une cause, qu’ils croyaient sainte. Donc Victoria I, tu as été lâche, tu n’as pas eu le courage de tes convictions, tu n’as pas droit à ce titre de catholique !…

Si la Reine est protestante, on ne peut invoquer en sa faveur la bonne foi ou l’inconscience morale de ses actes, car la défunte Majesté était une femme savante, un tantinet bas-bleu.

On a rendu hommage à ses talents d’écrivain, de moraliste, voire même de philosophe ; et ses écrits révèlent une âme éprise du spiritualisme le plus pur. Donc, Victoria, protestante convaincue, répudiant nos croyances, nos prêtres, notre culte, expirant entre les bras d’un ministre protestant, moi canadienne catholique, j’ai le courage de ne pas courber mon front devant l’idole aux pieds d’argile !

Ah ! bénis, ton étoile, Reine, qui te fit naître au siècle des lumières ! Si tes lèvres d’adolescente avaient prononcé cette apostasie aux sombres époques du moyen âge, c’en était fait de toi ! C’est les pieds nus, la corde au cou, revêtue d’une longue tunique blanche, Victoria, qu’il t’eut fallu abjurer tes fatales erreurs ou mourir sur le bûcher. La vierge d’Orléans n’en a pas tant dit et sa jeunesse et sa gloire n’ont pu vaincre ses infâmes bourreaux. Horreur ! la question, avec ses instruments de torture auraient déchiré cette chair royale dont tu étais si impudemment fière, que pas un seul jour de ta vie, même à son déclin, tu n’as cessé de la jeter en pâture à l’univers écœuré…

Et, des bonnes âmes qui frémiraient d’indignation, en voyant une fillette montrer la naissance d’un cou blanc, aux fines attaches, versent des larmes d’attendrissement devant le sans gêne royal !…

Je me souviens d’un tableau exposé au musée de peinture, rue Notre-Dame, et qui me fit une impression encore vivante, il était intitulé, « l’Excommunication… » Dans une sombre cathédrale gothique, le chapitre réuni décrète la sentence de mort spirituelle contre un hérétique qui gît, terrorisé sur la froide dalle, recouvert du drap mortuaire. Les moines, tête rasée et face glabre, tiennent des cierges renversés et dardent leurs yeux enflammés sur le coupable, pendant que l’abbé, mitré et crossé, pâle comme une vision de Dante, abaisse ses mains amaigries, chargées de fluides malfaisants et de malédictions célestes, sur le malheureux qui a encouru les anathèmes de l’Église !

À Dieu ne plaise que je veuille ressusciter ces sévérités d’un âge, déjà loin de nous ! J’aime encore mieux les Te deum, que les chevalets, le fer, la flamme, les donjons et les oubliettes de la Sainte Inquisition !… Si l’amour de mon pays m’empêche de m’unir au Te deum qui célébra la défaite des Français à Trafalgar, je n’en reste pas moins persuadée que les chants valent mieux que les larmes, quand ils n’insultent pas à nos gloires nationales !…

Comme contraste à cette ombre, il s’est trouvé cette semaine un bon juge pour acquitter un malheureux chiffonnier coupable d’avoir volé parce qu’il voulait manger ! Sait-on quelles folies, quelles pensées fatales peuvent passer dans un cerveau affaibli par un jeûne continu ; l’esprit garde-t-il sa pleine lucidité, quand les entrailles sont torturées par la faim ? Merci, Monsieur le magistrat, de cette leçon de philanthropie que vous donnez à vos collègues ! Puissent-ils la comprendre et mitiger au profit de l’humanité souffrante la sévérité des lois !