Bleu, blanc, rouge/68

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Déom Frères, éditeurs (p. 317-319).


HISTOIRE D’UN LILAS


Racontée par lui-même.


Le gai printemps est mon Parrain :
Ma Marraine, la chaude brise.
Je naquis derrière l’église,
Aux vocalises de l’airain.
Les pommiers jetaient des dragées
Aux petits morts sur leurs berceaux ;
Dans les nids chantaient les oiseaux
Balançant les branches chargées !

Mais une mortelle langueur
En mes veines glaçait la sève,
Les blancs pétales de mon rêve
S’effeuillaient en leur pâle fleur !
L’aurore du dernier matin
Tombait dans le fatal clepsydre
La mort, cruelle comme l’hydre
Buvait la rosée en mon sein !


Je vis paraître un blanc cortège
Enfants de chœur, prêtre en surplis,
Cercueil, enguirlandé de lis,
Le goupillon… pieux manège,
Qui calme et bénit la douleur.
On fit une fosse béante,
Et sur ma racine mourante,
On coucha le mignon dormeur.

Ô ciel !… une sève nouvelle
Court et bouillonne en mes rameaux,
Je tire la vie immortelle
De la chair grise des tombeaux.
Étrange loi, le suc morbide
Soudain se change en élixir !
Vie !… Es-tu fille du zéphyr,
Ou bien sœur de la mort livide ?…

Souvent une femme endeuillée
Vient s’agenouiller et pleurer.
Elle dépose un long baiser
Sur le marbre du mausolée !
Mère, si je pouvais te dire
Le mot du mystère divin :
L’âme exhale son doux parfum,
Ton fils aimé vit et respire !

Éternelle création !
Après l’enfant, la fleur et l’ange.
Ô mère, et tu sais de la fange
Tirer un immortel rayon !
Que ne puis-je faire neiger
Mes fleurs aux teintes d’améthyste,
Sur le sentier parfois si triste,
Où tu poses ton pas léger !

Pardessus le grand mur de pierre,
La tête blonde d’un gamin :
— « Le beau lilas ! Oh ! quel butin
Dégarnissons le cimetière
Les morts n’en diront rien, Ninette.
Tiens, attrape !… Est-ce assez ?… Encor.
Vite emportons notre trésor !
Faisons bouquets, chapeau, cornette »


Le lilas dépouillé gémit :
Dieu, lamentable destinée,
La fleur que tu m’avais donnée
Sera fanée avant la nuit !
Foulée aux pieds de ces bambins
Et puis jetée à la voirie !

 

Je sais plus d’une âme flétrie
Par de moins innocents larcins.