Bois-Sinistre/04

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (54p. 6-7).

IV

CADEAUX DE NOCES


— Sûrement, tu ne pleures pas. Marita ! s’écria Mme Duverney, qui venait de me surprendre en larmes.

— Arthur… Il est parti ! sanglotai-je.

— Ce n’est pas une raison pour pleurer, ma petite, dit Mme Duverney ; de plus, nous avons beaucoup à faire avant le retour de ton fiancé. Nous allons être si occupées que tu t’apercevras à peine de l’absence d’Arthur. Viens avec moi, Marita.

Elle m’emmena dans le salon et me dit :

— Tu ne te marieras pas en noir, inutile de le dire ; tu n’aimerais pas cela… Arthur non plus, je crois. Tu vas mettre ton deuil pour ta tante de côté, pour quelque temps du moins, et… regarde !

Elle ouvrit une boîte en carton, puis elle étendit sur le canapé du salon plusieurs verges de satin blanc et de dentelle, celle-ci fine comme de la toile d’araignée.

— Voici mon cadeau de noces, petite, dit la bonne dame. Je ferai la robe moi-même, et je prédis que tu seras la plus belle et la plus chic mariée imaginable. Ton voile arrivera après-demain et je crois que tu l’aimeras ; c’est le plus beau que j’aie pu trouver d’ailleurs.

— Merci ! Oh ! merci ! m’écriai-je, en me suspendant au cou de ma bonne vieille amie.

Quand la robe eut été faite, trois jours plus tard, je la trouvai fort belle. Me regardant dans une glace, je me reconnus à peine… Était-ce bien là Marita, la jeune encadreuse d’images ?… Ce n’était presque pas croyable… Mais oui, la personne svelte, élégante que j’apercevais, c’était bien moi !

— Jamais je n’avais eu aucune prétention à la beauté ; jamais non plus je ne m’étais fait la moindre illusion sur mon physique. Je savais, même lorsque j’étais très jeune, que je pouvais passer parmi la foule tout simplement, sans attirer l’attention sur moi. Cela ne me tracassait guère d’ailleurs. À l’âge de dix-sept ans donc, j’étais un spécimen bien ordinaire de l’humanité, en ce qui concerne la beauté, s’entend. Une de mes amies m’avait dit un jour :

— Je donnerais… je donnerais tout au monde pour être belle, jolie, du moins ! Rien ne vaut la véritable beauté, me semble-t-il.

Quant à moi, je n’y pensais seulement pas, et je ne me souviens pas même d’avoir jamais envié la beauté d’autrui. J’étais telle que Dieu m’avait créée, et, du moment qu’Arthur m’aimait telle que j’étais que m’importait l’opinion du reste de l’univers ?

Tout de même, je n’étais pas fâchée de paraître si bien dans ma robe de mariée. Je voulais faire honneur à Arthur, voyez-vous !

Une femme avait été engagée pour aider à notre unique servante, et la maison avait été nettoyée de la cave au grenier. Des mets, en quantité, se confectionnaient, dans la cuisine et une odeur d’épices se répandait dans toute la maison. Lorsqu’Arthur arriverait, tout serait prêt pour le recevoir… Il reviendrait mardi, et je supposais bien que notre mariage aurait lieu deux jours plus tard : c’est-à-dire le jeudi suivant, car Mme Duverney était résolue, plus que jamais, de retourner chez elle le samedi, dans l’après-midi.

Le lundi matin, arriva le gâteau de noces ; Mme Duverney l’avait fait venir de chez le meilleur confiseur de la Ville. Il était tout simplement splendide ce gâteau, décoré qu’il était de gentils Cupidons et de fleurs d’oranger. Ce chef-d’œuvre, qui était de trois étages, fit tout de suite ma joie et mon bonheur, et qu’il me tardait que mon fiancé le vit !

Chère bonne Mme Duverney ! Elle se donnait tant de mal pour moi ! Dans ses moments de loisir, elle travaillait à confectionner mon trousseau. De mignons souliers en chevreau blancs avaient été commandés pour moi, aussi des bas de soie blancs. Mes gants étaient un véritable… poème, blancs, eux aussi et allant jusqu’au coude. Une guirlande de fleurs d’oranger qui serait disposée en demi-couronne sur mon voile complèterait ma toilette. Oh ! ce voile de mariée ! Jamais je n’avais imaginé rien d’aussi beau : il était magnifique je pleurai de joie lorsqu’il arriva et je donnai à la généreuse donatrice (Mme Duverney, inutile de le dire) cinq ou six résonnants baisers pour la remercier de son extraordinaire bonté envers moi. J’étais orpheline et c’est cette bonne dame qui me tiendrait lieu de mère… jeudi… le jour le plus important, le plus solennel de ma vie.

— Que je suis heureuse, chère Mme Duverney ! m’écriai-je, à travers mes larmes. Et Arthur qui nous revient ce soir !… Oh ! comment peut-on être si parfaitement heureuse, et vivre !… Qui donc a dit que le vrai bonheur n’est pas de ce monde ?…

— Puisses-tu être toujours aussi heureuse que tu l’es en ce moment, Marita ! dit gravement Mme Duverney. Ton bonheur est assuré d’ailleurs, je crois, car ton futur mari est un des meilleurs garçons que je connaisse.

À cinq heures de l’après-midi, je montai dans ma chambre afin de m’habiller de mon mieux, en l’honneur du retour d’Arthur. Le train entrait en gare à six heures précises et je voulais être prête à temps. Je voulais aussi être parfaitement mise, afin que la première impression de mon fiancé fut une de contentement et de satisfaction. Arthur devait connaître tant de jeunes filles beaucoup plus attrayantes que moi… même que j’étais parfois toute étonnée de son choix. Non que je fusse humble et modeste au point d’en être ridicule… Je connaissais fort bien mes bons points ; mais, je l’aimais tant celui que j’allais épouser, qu’il me paraissait bien au-dessus de tout autre, et, je le répète, j’étais toute fière d’avoir été choisie pour la compagne de sa vie, de préférence à une autre.

Ce jour-là j’endossai une toilette mauve, faisant partie de mon trousseau. Cette robe avait été achetée toute faite et elle me seyait à merveille. Je passai à mon doigt l’anneau qu’Arthur m’avait donné : mon anneau de fiançailles. Je me coiffai de mon mieux ; puis, satisfaite, en somme, de mon apparence, je descendis dans la salle d’entrée et j’attendis… Le cœur battant si fort que j’en étais à moitié assourdie, je fixai les yeux sur le cadran… Que les instants étaient lents à passer !… Ô ciel ! Qu’il me tardait de le revoir mon bien-aimé !

Tout à coup, je me levai d’un bond et j’accourus dans la salle à manger, où Mme Duverney était à mettre la dernière main aux décorations de la table.

Mme Duverney ! Mme Duverney ! m’écriai-je. Je viens d’entendre le sifflet de la locomotive ! Arthur est arrivé !