Bois-Sinistre/03

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (54p. 5-6).

III

« QUAND JE REVIENDRAI… »


— Mes enfants, dit Mme Duverney un soir, je me propose de retourner chez moi dans huit jours.

— Si tôt !

— Mais ! Voilà au-delà de trois mois que je suis avec vous ; deux mois et demi depuis la mort de ta mère, Arthur.

— Chère Mme Duverney, n’êtes-vous pas heureuse ici ? Pourquoi nous quitter ? demanda Arthur.

— Je suis, certes, très heureuse ici, mon garçon, répondit-elle ; mais, vois-tu, j’ai un petit chez moi, à J…, et je crois que je commence à m’en ennuyer un peu, car j’éprouve le besoin d’y retourner… Je te conseille donc de hâter les préparatifs pour ton mariage, Arthur ; je resterai pour cela, ajouta-t-elle en souriant.

— Très bien, acquiesça Arthur, souriant, lui aussi. Qu’en dit Marita ? demanda-t-il, en me pressant la main.

Je ne répondis rien, étant trop émue. Mme Duverney répondit pour moi :

— Oh ! Marita est toujours de ton opinion, Arthur ; c’est entendu ! Elle dit « Oui », je sais… Je ne peux pas la laisser seule ici avec toi ; donc le mariage devra se faire en dedans de huit jours ; sans quoi, j’emmènerai ta cousine avec moi, lorsque je partirai, fit Mme Duverney, en riant d’un grand cœur.

— Ce n’est guère probable que vous m’enleviez Marita ! répondit mon cousin, riant, lui aussi. Je partirai pour la ville demain matin, ajouta-t-il. Mme Duverney, vous voudrez bien vous occuper des préparatifs… pour le grand événement, n’est-ce pas ? Vous vous chargerez bien de voir à ce que tout soit prêt a temps ?

— Certainement.

— Voyez à ce que Marita soit mise convenablement, pour l’occasion, et faites préparer le repas de noces. Si vous avez besoin d’une femme pour aider à Espérance, dans la cuisine, engagez-en une… deux, s’il le faut. Bref, je laisse tout entre vos mains, sachant bien que je ne pourrais mieux faire ; n’est-ce pas ton opinion, à toi aussi, Marita chérie ?

— Ni Mme Duverney, ni moi, nous ne ferons la paresse, durant votre absence, Arthur, répondis-je, en souriant ; nous allons avoir beaucoup d’occupations, et vous trouverez tout à votre goût, à votre retour, j’en suis sûre.

— Ainsi, tu vas partir demain matin ? demanda Mme Duverney à mon cousin.

— Oui, répondit-il. Je serai absent pour trois ou quatre jours… Quand je reviendrai…

Il n’en dit pas davantage ; mais son sourire était infiniment tendre lorsqu’il se posa sur moi. Je ne pus m’empêcher de rougir timidement. Oh ! Comme je l’aimais mon cher fiancé ! J’aurais volontiers donné ma vie pour lui, me semblait-il.

Le lendemain matin, j’étais debout de bien bonne heure. Arthur partait par le train de neuf heures ; je voulais verser son café et aussi lui faire mes adieux… ou plutôt, lui dire « au revoir ».

Je n’avais pas demandé à mon cousin pourquoi il s’absentait pour trois ou quatre longs jours ; je devinais bien qu’il devait avoir des affaires à arranger et un habit à acheter, en vue de notre mariage. L… n’était qu’une toute petite ville, presqu’un village, et il était impossible de s’y procurer des marchandises un peu hors de l’ordinaire, tandis qu’à la Ville… Je savais bien une chose par exemple ; c’était que je compterais les jours, les heures, les minutes, les instants même, jusqu’au retour de mon bien-aimé !

Comme je passais près du salon, après le déjeuner. Arthur m’appela et j’allai docilement le trouver. Il était prêt à partir, car il avait endossé son pardessus et il tenait à la main sa canne, son chapeau et ses gants.

— Marita chérie, dit-il en souriant, veux-tu me rendre un service ?

— Ah ! Vous savez bien que oui, Arthur ! répondis-je, avec un regard qui devait être rempli d’amour et de dévouement.

Du petit doigt de sa main droite il enleva un anneau qu’il portait toujours et le passa à l’annulaire de ma main gauche.

— Il fait exactement ! s’écria-t-il. Merci, mon aimée, ajouta-t-il en remettant l’anneau à son doigt. Au revoir, petite cousine ; je serai de retour dans quatre jours, au plus.

Il m’embrassa tendrement… puis il partit…