Bourassa et l’Anti-Laurierisme/S’il eût voulu !

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S’IL EUT VOULU


Monsieur Henri Bourassa, qui s’est arrogé le droit de fixer « le vrai terrain de la lutte » dans la présente campagne électorale, voit des scandales partout. Depuis son voyage à Washington, Monsieur Bourassa est bien scrupuleux ! À l’entendre, il n’y a plus rien de bon dans le parti libéral. Aujourd’hui il faut sortir du parti libéral pour être un vrai libéral et un honnête homme. Si je ne craignait de commettre une irrévérence à l’égard de quelqu’un, je serais tenté de dire que dans l’esprit de ces messieurs, le parti libéral est comme un jardin qu’ont fui les crapauds qui dévoraient les insectes… Mais ce ne serait pas respectueux, je crois. Passons.

C’est une bien belle âme que Monsieur Bourassa. Sa conscience a toute la pureté virginale d’une jeune fille qui n’a pas encore cueilli, de ses doigts innocents, la fleur du mal. En grand seigneur qu’il est, il pousse jusqu’au culte le souci de l’honneur. Son cœur politique est revêtu d’une cuirasse légère, mais faite d’un métal impénétrable qui s’appelle l’infinie délicatesse ( ce métal se rencontre au bord des flots bleus de la Méditerranée, où vont muser les philosophes dégoûtés de la décadence de leur pays ; et d’aucuns s’en font des vestes. La vérité seule a prise sur lui, et ce grand homme, que son désintéressement bien connu attire irrésistiblement vers toutes les bonnes causes, s’est fait agent d’assurance contre le mensonge.

Mais je n’ai pas l’intention de faire ici l’éloge de Monsieur Bourassa, bien que j’en aie une forte tentation chaque fois que son nom revient sous ma plume. Je ne veux pas non plus (les journaux en ayant assez parlé) m’occuper du manifeste qu’il a lancé en réponse à ceux du premier ministre et du chef de l’opposition. On devait d’ailleurs s’y attendre, à ce manifeste, Monsieur Bourassa ayant l’habitude d’avoir des idées à lui, bien à lui, et qu’il se forme après avoir vu celles des autres. On sait aussi avec quel sans-gêne il entend qu’on ne discute que les questions qu’il propose lui-même à la considération des électeurs. Mais il ne faut pas s’en étonner. Celui qui se fait fort « d’engueuler » les princes de l’Église n’est pas tenu à une plus grande modération envers de simples laïques si haut placés qu’ils puissent être. Aux yeux de Monsieur Bourassa, l’existence même du gouvernement Laurier est un scandale… depuis 1905. À plus forte raison en est-il ainsi de chacun de ses actes. Le pays eût alors pu être sauvé. Il eût suffit d’un peu de complaisance. On ne l’a pas voulu, et ce pauvre Monsieur Laurier en a été dûrement puni. Quelles qu’aient pu être ses bonnes intentions, tout ce qu’il a fait a tourné en mal. Ce que les tories d’Ontario ont appelé « son aplatissement devant la province de Québec » n’a été qu’une lâche trahison des intérêts des Canadiens-français. Sa lutte victorieuse contre les envahissements de l’impérialisme n’a été, après tout, qu’une tentative de détruire l’autonomie du Canada. Son entourage officiel ne se compose que de loups affamés qui, pour satisfaire leur appétit, mènent le pays à l’anéantissement matériel et moral.

Oh ! si Monsieur Bourassa eût été placé dans le fauteuil de président de la Chambre !

Oh ! si Monsieur Bourassa eût été nommé commissaire canadien à Paris !

Comme tout ce serait passé autrement ! Comme le pays serait bien conduit, administré honnêtement ! Il n’y aurait pas eu de scandale, pas de sacrifice de nos intérêts nationaux, pas de déni de justice à la province de Québec. Monsieur Laurier aurait pu être un grand homme et n’aurait pas été condamné à finir dans l’infamie une carrière qui semblait devoir être si glorieuse.

À quoi tiennent les choses de ce monde !

À un fil !… un fil au bout duquel était accroché un pantin. Le fil a cassé, ou a été coupé, et tout a changé. Polichinelle a voulu se faire Savonarole, et a résolu de combattre tout ce qui ne voulait pas plier sous sa loi, ce qui est à ses yeux le plus pendable de tous les crimes. Il suffit d’être partisan de Sir Wilfrid Laurier pour mériter tous ses anathèmes. Il ne sera content que le jour (bien éloigné encore) où il aura vu tomber le gouvernement libéral pour faire Place à Monsieur Borden, qu’il affecte de mépriser, mais qui lui paraît bien supérieur à Monsieur Laurier parce que, au moins, il ne lui a pas encore refusé de place !

L’homme qu’il haït le plus, après le premier ministre, c’est l’honorable Monsieur Lemieux qui d’ailleurs, ne s’en porte pas plus mal. Sarcasmes, calomnies, insultes personnelles, il a usé de toutes les armes contre lui. Il a enfin trouvé que le ministre des postes allait perdre la tête. Je crois bien qu’il n’y a pas à craindre de ce côté, mais enfin si Monsieur Bourassa tient à tout prix à voir des gens qui n’ont pas la tête à eux, il n’a pas besoin de regarder si loin……

JUVENAL.


LA PILULE


BORDEN — Avale-ça, pauv’vieille, si ça t’fait pas d’bien, ça peut toujours pas t’faire de mal.
MÈRE TORY — Y a des annéees que j’en prends d’ces pilules-là, pis ça m’mène pas pan toute, pan toute au pouvoir.