Bretons de lettres/Brizeux à Scaër

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Honoré Champion, éditeur (p. 241-315).



BRIZEUX À SCAËR

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Quand il me vint à l’idée de rechercher tout ce qui pouvait se rapporter aux séjours de Brizeux à Scaër, après avoir lu le Pèlerinage au pays de Brizeux et avoir refait moi-même plusieurs fois, après Tisseur (A. Lexandre), ce poétique pèlerinage, je crus que mes lectures et mes promenades et mes causeries avaient dû m’apprendre tout ce qu’il était encore possible de connaître sur mon sujet. Je rassemblai donc mes souvenirs et mes notes el j’en fis une causerie d’abord,[1] une plaquette ensuite.

Mais voici que, pendant un séjour à Paris, en 1895, j’ai eu la bonne fortune d’entrer en relations avec le poète Lacaussade et que j’ai obtenu de lui l’autorisation précieuse de compulser un volumineux dossier de notes et de lettres de la main même de Brizeux. Ces lettres sont presque toutes datées de Scaër et ces notes ont été prises au cours des voyages de Brizeux en Bretagne. C’était un appoint sérieux autant qu’inespéré à mes informations ; j’en ai fait mon profit et, comme je m’accuse de n’avoir pas tout dit, une première fois, mes lecteurs me permettront de me recommencer et me le pardonneront, puisque je me complète.[2]


M. Lacaussade a été pour Brizeux l’ami le plus fidèle et le plus dévoué. Leur intimité se noua vite, fortifiée par des goûts semblables et par la culture du même art. Notre poète Breton ne roulait pas sur l’or, comme on dit, et sa comptabilité n’était pas des mieux tenues ; les fins de mois étaient dures quelquefois, et M. Lacaussade, plus fortuné et plus régulier, se chargeait souvent d’équilibrer le budget. Brizeux arrivait sous les fenêtres de son ami et lui hélait sa demande, et l’ami lui jetait bien vite un demi-louis dans une papillote, salué d’un grand merci de l’emprunteur, qui se sauvait en criant : « Surtout pas un mot à Lacroix ; il mettrait ça dans ma biographie. »

En mai 1845, Brizeux, qui demeurait alors rue Croix-des-Petits-Champs, était douloureusement aux prises avec un rhumatisme aigu. Lacaussade l’apprend et n’hésite pas à faire transporter son ami dans son appartement de la rue de Seine, où, pendant trois mois, il se fait, avec sa jeune femme et sa belle-sœur, le garde-malade affectueux du poète. Voici comment Mme Boyer, la mère de Brizeux, les remerciait, à la date du 1er  décembre 1845.

« J’ai appris de mon fils, l’amicale hospitalité que vous et votre jeune dame lui avez donnée durant sa maladie. Comme son affection, sa reconnaissance est des plus grandes : permettez-moi, Monsieur, d’y joindre l’expression de la mienne. Je serai heureuse si, revenant dans le pays où nous avons eu le plaisir de vous voir, nous pouvions vous rendre une partie des soins prodigués par vous à mon fils. Veuillez, Monsieur, faire agréer à votre dame une part des vifs remerciements que d’ici je vous adresse. »

Et Brizeux ajoutait à la lettre de sa mère : « Je remercie beaucoup ma mère du mot qu’elle vous envoie, mon cher Lacaussade. Quant à moi, si je me souviens comme elle du passé, je vous boude pour le présent. Les absents ont donc tort ! Sans répondre à ma première lettre, dites-moi, du moins, si l’ancien dépositaire de mes malles est enfin libéré, et, si vous-même elles vous gênent, expédiez-les à Lorient par le roulage. Je voudrais bien savoir ce qui se passe chez Masgana. Je lui envoie la préface pour la 2e édition. Sans doute il vous demandera de voir les épreuves, mais non moi, poète irrité. Cependant, tout à vous et à votre chère femme. »

Brizeux a encore fixé le souvenir de sa reconnaissance dans ces cinq vers que je copie. Ils sont datés de mai 1845.


LES DEUX SŒURS


Deux sœurs ou deux esprits des cieux,
Luce et Claire, veillaient près du lit du poète
Et les molles lueurs émanant de leurs yeux
Venaient calmer son mal : rayons mystérieux,
De leur nom symbolique effusion secrète.


Aussi l’année suivante, le 2 octobre 1846, confiait-il au poète ami des instructions pour la publication posthume de ses poésies :

« Je remets entre vos fidèles mains cette liste de mes poésies, qui vous servirait à les publier dans un ordre convenable, si elles étaient destinées à me survivre. »

Pendant plus de dix ans encore, l’amitié entre les deux poètes ne cessa de se fortifier. Quand Brizeux, en avril 1858, résolut de partir pour le pays du soleil, où la mort devait venir le chercher, il écrivait de Corbeil :

« Ma santé est telle que l’a vue Barbier : je ne puis obtenir désormais d’amélioration que par la chaleur et comme elle ne nous visite guères avant le mois de juin, je prends le parti, tout faible que je suis, de l’aller chercher. Je désespère à mon grand regret de vous voir et Barbier, car mon départ est fixé à mercredi. »

Lacaussade alla lui serrer la main et son affectueux empressement et ses délicates attentions touchèrent vivement le cœur de son ami, et plus tard mourant, le 24 avril 1858, il dictait à Saint-René-Taillandier un nouveau témoignage de sa reconnaissance :

« Cette visite d’adieu à Corbeil avec ces deux petites bouteilles d’un vin si rare[3] et d’une si grande valeur, est un des traits qui n’étonnent pas, venant de vous, mais qui touchent le cœur et y restent. Je suis arrivé épuisé par le long trajet de Dijon à Montpellier ; cela m’a tenu quatre jours sur le lit avec la fièvre, dans une méchante auberge. Aujourd’hui j’habite une chambre en plein soleil donnant de plain-pied sur un jardin tout intime ; de plus, je suis dans le voisinage de cette bonne et aimable Mme Taillandier, dont le mari veut bien ici me servir de secrétaire. J’ai pour médecin M. Combal, renommé entre tous dans la Faculté. Les notes de M. Gubler, qu’il connaît, l’ont édifié sur ma maladie. Il s’est borné jusqu’à présent à me mettre une mouche de Milan sur la poitrine. Le flux catarrhal a beaucoup diminué sous l’influence du climat. Nous avons les plus belles journées. Voilà, cher ami, ce que je devais me hâter de vous écrire en vous envoyant mille choses de cœur. Communiquez à Barbier. »

Je joindrai à cette lettre la dernière que Brizeux a écrite, datée du 28 avril, et il mourait le 4 mai. Elle est adressée au docteur Gubler.

« Le billet de Lacaussade a dû vous instruire de l’état où j’étais alors, mais les bulletins se suivent et ne se ressemblent pas. Le catarrhe, à moitié disparu sous l’influence du climat, disait-on, est revenu avec plus de force que jamais, mêlé de glaires, de sorte que je ne mange pas, par horreur de toute nourriture ; je ne dors plus pour satisfaire à cette émission continuelle. De là une faiblesse sans égale ; je ne puis sortir du lit ou y rentrer que soutenu par les épaules, et une fois dans mon fauteuil, il me faut encore la même aide pour me lever. Comme à un maître pour qui j’ai haute estime, un ami sûrement éprouvé, j’ai voulu vous dire où j’en étais. Ma conviction, malgré l’air de confiance du médecin, est que je puis passer d’un moment à l’autre ; je me raccroche à vous pour obtenir votre dernier secours, s’il en est temps. Que ces lignes vous soient du moins une dernière preuve de mon attachement. »


Sous ce titre, Courses en Bretagne, Brizeux a noté au jour le jour les incidents de ses voyages au pays natal. Ces notes seraient intéressantes à publier intégralement ; M. Lacaussade ne m’a permis que d’en prendre des extraits ; ils vaudront, du moins, pour fixer indiscutablement les dates des séjours du poète en Bretagne.

Le carnet commence au 4 septembre 1832.[4] Le poète revenait d’Italie. « Nous sommes partis ensemble pour l’Italie dans les derniers jours de novembre 1831. C’est à la fin d’août 1832 que Brizeux, me laissant à Milan, est revenu en France. Il est allé d’abord en Bretagne, puis à Paris. » (Lettre de Barbier à Lacaussade). Le 4 septembre, Brizeux est à Guidel ; le lendemain, il est à Bannalec. Le 9, qui est un dimanche, Brizeux assiste à la grand’messe de Scaër ; l’après-midi, il va se promener à Coadri et se fait prendre la mesure d’un costume breton.

Le lundi, il part pour Bannalec, à pied ; les autres sont partis à cheval, mais lui préfère marcher. Le 11 septembre, il assiste aux luttes à Rosporden, et visite la chapelle de Saint-Divy (Saint-Ivy) et les ruines de Santez Anna. De là, il se rend à Kemper, visite la Cathédrale, passe quelques instants à la foire et continue son voyage par Konk-Kerno[5] (Concarneau). De Concarneau, il va à Kemperlé, à Nizon, à Pontaven, à Moëlan, où il couche, le vendredi 15 septembre, chez son ami, le recteur Stanguennec. Le samedi 16, c’est au presbytère de Rédené qu’il passe la nuit ; de là, il rentre à Lorient, « à la nuit close. » Le 8 septembre, il est à Harz Ann Nô (Arzanno).

Le second voyage dont Brizeux ait fixé le souvenir, est intitulé : Tour du Finistère. Ce Tro-Breiz fut exécuté en 1834.[6] Le  24 septembre, Brizeux part, « en blouse et le sac sur le dos. » Il va coucher à Kemperlé. Le 25, il visite le couvent des Ursulines. Le 26, il est à Kemper, descend la rivière, visite l’anse de Benn Odet, l’île Tudy et Loch Tudy. Le 27, il est à Pont-L’Abbé ; le 28, il est de retour à Kemper et visite la chapelle de Kerfeunteun. Le 29, nous le trouvons à Douarnenez. De là, il se met en route, « à pied et le sac sur le dos », vers la pointe du Raz. Il visite la chapelle de Comfort et la chapelle de Ma c’halon.

Nous le rencontrons ensuite à Pont-Croix, à Audierne, à Plogoff, à Beg ar Raz ; puis il prend la route de Lok Ronan, où il arrive le mardi 30 septembre. La poignante solitude de ce bourg désert ne lui arrache que cette exclamation : « Vilain bourg ! » Il n’a pas un mot pour l’admirable église ! En route pour Lann Veok. Le 1er  octobre, il est à Brest ; il visite la rade. Le 2, il va à Plougastel-Daoulas. Le samedi 4, il est à Landerneau. Le lendemain, il va vers Lesneven, puis au Foll-Goat, puis à Saint-Pol. Le 6, il est à Morlaix, à midi. Il visite le couvent. Le 7, il est à Saint-Jean-du-Doigt ; de là, il revient à Morlaix, puis passe au Huel-Goat, visite les mines de Poullaouen, et s’arrête à Carhaix.

De Carhaix, il rentre à Scaër… Le 10, il va se promener à Penn Coat Loc’h. Le 1er  novembre, il va à Clohars Carnoet ; le lundi 3 novembre, il assiste à la messe des morts à Moëlan. Il rentre à Kemperlé, le 5.

La fête de Noël l’amène à Arzanno ; il assiste à la messe de Minuit. Il est venu là, chercher le souvenir de Marie. Une note inachevée sous-entend l’émotion de sa recherche :

« Fanche me dit : Pellan, etc… »

Et il s’arrête craignant d’achever la confidence de Fanche, mais cet etc., il l’a développé dans ces vers de Marie :

J’essayai de revoir, Seigneur, était-ce un crime ?
Celle qui près de moi, dans notre âge innocent,
À votre saint banquet s’assit en rougissant.
Je ne la nomme plus ! Mes yeux avec tristesse
La cherchèrent en vain, cette nuit, à la messe ;
Dans la paroisse en vain je la cherchai depuis,
Elle a quitté sa ferme et quitté le pays…

Et à ceux qui ont contesté la réalité de cet amour d’enfance, après cet aveu que Brizeux n’a pas voulu confier même à son carnet, j’en veux signaler un autre, naïf et complet dans son expansion, celui-là : le voici, textuellement copié sur un morceau de papier jauni, tel qu’il est écrit au crayon, de la main de Brizeux :

« Écrit, assis sur les gaules du Pont Kerlo, aujourd’hui lundi, 4 septembre 1843, à 2 heures. C’est la dernière fois que je vois le doux pont rustique. La route nouvelle arrive jusqu’au bas de la vallée. Encore un an, tout sera changé… Ô mon cœur ! »

Donc l’idylle du Pont Kerlo n’est point un simple jeu de sa plume et c’est bien son cœur qu’il a raconté dans ce touchant roman de Marie.

On a pu disserter longuement sur les confidences des camarades de Brizeux, interpréter les silences obstinés du poète, et, de part et d’autre, croire ou ne pas croire à l’existence de Marie,[7] désormais le doute est impossible. Nous avons l’aveu de Brizeux, et les sceptiques ne pourront plus que sourire, s’il leur plaît, de ces amours avec la petite Bretonne. Tout est vrai, et Marie Pellann a existé… Ô mon cœur !

Il paraît avoir passé sept mois à Lorient, du 8 septembre 1834 au 1er  mai 1835. Il note avoir écrit à Lorient l’Élégie de Le Braz, et avoir fait une excursion à Karnak par Enn Tell (Etel), Erdeven, et Plouharnel. Il va ensuite à Locmariaker, à Hall-Ré (Auray), le 11 avril, à Belz, Trec’h-neve, Plou-hinek, Riantek. Et le voilà de retour à Lorient.

Il part pour Skaër, le 4 mai 1835, par Kemperlé et Moeland ; le 7, il est au Faouet, et visite Sant Di Boenn, et le 8, Santez Barba et Saint-Fiacre. Le soir même, il est à Scaër. Il y reste jusqu’au 15 ; puis va passer quelques jours à Kemperlé et revient à Scaër par Arzanno, Lok Gwennolé et Kerien.

Il est de retour à Scaër, le 20, pour assister à une noce ; le 24, il va à Guiseriff. Le 25, c’est vers Coadri qu’il se dirige. Il quitte Skaer, le 28, pour aller à Pontivy, par le Faouet, Priziac, Ploerdut, Guémené, Lok Malo, et Malguennec. Le 30, il repart de Pontivy pour Scaër, en passant par Melrand, Bubry et Plouay.

Le 9 juin, il donne une lutte à Scaër pour fêter son départ.

Quelques lettres et d’autres documents, par leurs dates, fixent encore d’une manière sûre divers séjours du poète en Bretagne.

La Prière des laboureurs est datée de Scaër, août 1843.

Le 4 novembre 1845, il est à Scaër. Le 2 octobre 1846, il habite à Lorient, rue de la Mairie, 19. Le 27 mars 1846, il est à Scaër. Le 27 juillet de la même année, une lettre est encore datée de Scaër. Le 18 septembre 1854, c’est de Scaër qu’il écrit à son ami Lacaussade. Le 8 octobre, il est à Quimper, « en halte. »

La préface des Histoires Poétiques été écrite à Scaër ; elle est datée du 30 novembre 1854.

Le 8 juin 1855, il habite 8, rue du Front, à Quimper. Le 13 juin de la même année, il est à Douarnenez, hôtel de Norwège et il y passe quelques jours. Il écrit de là :

« J’habite un petit port charmant. Toute une population de pêcheurs qui, dans peu de jours, enverra chaque matin plus de six mille bateaux à la recherche de la sardine. C’est une population douce et forte et ne parlant guères que le Breton. La baie, où pourrait manœuvrer toute une escadre, est une des plus belles de l’Europe. Je l’admire après celle de Naples. Les campagnes environnantes sont pleines de charme, et habitées par la plus belle race qui a conservé son costume. Je suis donc en pleine Celtique. »

Le 24 octobre 1856, il est à Scaër. Le 20 décembre, il y est encore. Le 17 août 1857, il séjourne à Brest.

M. G. Fraboulet a publié dans la Revue de la Société d’Emulation des Côtes du Nord quelques lettres de Brizeux qui nous donnent d’autres dates des séjours de Brizeux en Bretagne. Les voici :

Scaër, 19 octobre 1812.

Scaër, 5 décembre 1842.

Brest, 28 juin 1856.

Brest, 25 août 1857.

Lorient, 12 novembre 1857.

Comme on peut le voir, la plupart de ces lettres sont datées de Scaër, et le petit bourg breton est toujours nommé par Brizeux avec joie. C’est à Scaër que le poète avait établi pour ainsi dire son quartier général et j’ai été fort heureux de voir que mes recherches étaient légitimées en quelque sorte par cette affection même, et, mieux encore, que le titre que j’avais choisi pour les rassembler avait paru bon à Brizeux pour noter les impressions de sa vie dans un bourg breton.

Quelle n’a pas été ma joie, en effet, de trouver parmi les documents mis à ma disposition par M. Lacaussade, un cahier de notes dont le titre est celui-ci : Séjours à Scaër. Et avec quelle émotion je l’ai lu : à chaque page, j’y retrouvais la confirmation de traditions encore vivantes, de souvenirs recueillis par moi, et j’y rencontrais des personnages, enfants alors, hommes graves aujourd’hui ; j’y suivais au jour le jour et, dans leur ordre même, les événements qui m’avaient été contés et dont l’authenticité s’appuie maintenant du témoignage du principal personnage.

Scaër, « dont le nom, » dit Cambry, « est assurément peu fait pour la musique et pour la poésie » — Cambry n’avait pas prévu Brizeux — Scaër est à cinq lieues de Quimperlé. La commune est la plus grande du Finistère ; elle a 12.000 hectares et près de 6.000 habitants. Le Faouet, Guiseriff, Gourin, Châteauneuf du Faou, Coray, Briec, Rosporden, Bannalec, voilà les petites villes ou les bourgs voisins. Il y a cent ans, deux forêts considérables couvraient une partie du canton de Scaër : Coatloc’h et Cascadec. Bien des arbres étaient tombés déjà, avant que Brizeux y vint habiter : et bien d’autres encore sont tombés depuis. Il y a cent ans, selon Cambry, l’état des rues de Scaër était déplorable. « Une eau fétide, infecte et verte se putréfie dans de sales rigoles. Dans le cœur de l’été même, une boue épaisse empêche de les traverser. L’hiver, ce bourg offre l’aspect d’un marais impraticable… Presque toutes les maisons de Scaër sont couvertes de paille, incommodes et mal fabriquées. »

Aujourd’hui, il n’en est plus ainsi ; les rues sont fort praticables, même en hiver, et les maisons sont habitables aussi, en toute saison. Il n’en était peut-être pas encore tout à fait de même du temps de Brizeux ; mais on était moins exigeant, dans ce temps-là, quant au confortable et à l’élégance ; et si Cambry a vu Scaër avec des yeux de prosateur et de statisticien, Brizeux ne l’a jamais regardé qu’avec des yeux d’amoureux et de poète.

À considérer les choses, et les bourgs, sans prévention d’aucune sorte, Scaër est un gros bourg sans caractère ; c’est une large rue toute droite, qui est la grande route de Rosporden au Faouet, et sur laquelle s’embranchent de petites rues tortueuses, dont quelques-unes, la rue de Coray entre autres, ne manquent pas de pittoresque. L’agglomération des maisons augmente à mesure qu’on s’avance dans la Grande Rue ; à droite, la place du Marché et l’École et maintenant, la Gare, car le chemin de fer vient de s’allonger jusqu’à Scaër ; au bout, à gauche, l’Église, une grande église moderne un peu nue et, sur la pente, un peu au delà, à droite, le château des Kerjégu.

Il y a quelques années encore, on voyait à gauche et en avant de l’église nouvelle, un illustre débris de l’ancienne, la Vieille Tour. Après des négociations orageuses et non sans opposition et sans colères de beaucoup de paroissiens de Scaër, la Vieille Tour a été vendue à la fabrique de Guiseriff, bourg voisin et rival de Scaër. Les vieux n’ont pas vu sans douleur s’en aller les charettes qui emmenaient pierre à pierre leur célèbre clocher et, un moment, on a pu craindre des esclandres. Du temps de Brizeux, les choses ne se seraient pas passées avec cette tranquillité, et les gars de Guiseriff auraient du batailler pour avoir leurs pierres. Aujourd’hui on est plus calme, et les bardes qui, autrefois, auraient entonné le chant de guerre, se sont bornés à faire lutter dans les airs les deux coqs des clochers. Le coq de Guiseriff et le coq de Scaër ont échangé des boutades rimées et toute la verve des deux paroisses s’est dépensée en chansons.[8] N’est-ce pas ainsi que tout finit en France, et Scaër n’est déjà plus qu’un morceau de la France nouvelle.

Ceux qui veulent admirer l’ancien clocher de Scaër vont désormais à Guiseriff, dont il domine la petite église. Quelle honte ! aurait dit Brizeux, qui aimait trop Scaër pour ne pas partager les rancunes séculaires.

La beauté de Scaër est surtout dans sa campagne : ses deux forêts, Coatloc’h et Cascadec, sa jolie rivière l’Izole, ses prairies opulentes, ses petits chemins, ses « chemins creux[9] » surtout, profondément encaissés entre de hauts talus où saillissent d’énormes racines, encerclés de branches vertes ; ses chapelles : Coadri, Penvern, Saint-Jean, Plazcaër, Saint-Paul, Saint-Adrien, Saint-Gwennolé. Le pittoresque de Scaër est dans ses costumes : celui des hommes a presque disparu ou s’est totalement transformé ; celui des femmes subsiste et, malgré quelques modifications aussi, demeure l’un des plus élégants de la Galerie Bretonne.

Mais « la merveille de Scaër, » dit Cambry, c’est sa fontaine de sainte Candide. « Elle n’est éloignée de la commune que d’environ quatre cents pas géométriques ; elle coule sur un fond de schistes, se divise en deux branches : une d’elles arrose des prairies et va se perdre dans l’Izole ; l’autre, dirigée par un conduit de quatre pieds de largeur sur quatre à cinq de profondeur, passe à côté du cimetière, remplit une cuve de granit de quatre pieds quatre pouces de large sur vingt et un pouces et demi de profondeur, se rend dans les derrières du grand chemin et se perd aussi dans l’Izole. »

La fontaine a, d’après Cambry, soixante pieds de longueur, seize de large et sept de profondeur. De mémoire d’homme, elle n’a jamais tari. Son eau est limpide et délicieuse, mais comme fontaine et canal sont à ciel ouvert, les terres, qui s’éboulent et les feuilles qui tombent auraient vite fini de la corrompre, si, chaque année, on ne prenait soin d’en faire le curage.

C’est l’occasion d’une grande fête pour les habitants de Scaër ; elle a lieu dans les derniers jours de septembre. On appelle cela : sharza’r mammenn, vider la source. Chaque maison de Scaër doit fournir un travailleur ou payer deux francs. Le travail, commencé vers huit heures, se poursuit au milieu des plaisanteries et des rires, interrompu par de copieuses beuveries ; il est achevé vers cinq heures : le lendemain, l’eau a reparu ; le surlendemain, la fontaine a repris son niveau, qui restera le même, toute l’année.

C’est aux veillées, aux « fêtes de charroi, » aux cérémonies des baptêmes, des « aires-neuves, » aux danses, aux luttes, aux pardons,[10] qu’il faut chercher encore le charme de la vie bretonne à Scaër, et c’est ce que Brizeux y aimait. Il y aimait aussi les eaux courantes. Il écrivait de Scaër, à la date du 27 mars 1846 :

« L’épigramme de ma vie est dans ces deux vers de sainte Beuve :

Je passerai ma vie à voir couler les eaux,
Comme un roseau de plus au milieu des roseaux. »

Jusqu’à ces dernières années, loin de tout commerce et à l’abri de la civilisation, si j’ose m’exprimer ainsi, Scaër avait gardé les anciennes mœurs et les anciennes coutumes. Sur les choses et sur les êtres, la vieille empreinte bretonne demeurait fortement marquée. Je ne crois pas qu’elle puisse subsister longtemps désormais, et il faut se hâter de regarder, pendant qu’on le peut encore. Tout ce que Brizeux a cherché, ce qu’il a vu, ce qu’il a aimé, tout ce qui fait le pittoresque de Scaër doit disparaître selon la loi des choses : le chemin de fer a touché le vieux bourg perdu.

Voici le dragon rouge annoncé par Merlin.

C’est chez les Rodallec que le souvenir de Brizeux a été conservé le plus fidèlement, c’est à leur porte qu’il faut frapper, si l’on veut réveiller la chère mémoire du poète. L’un d’eux, Youen, tient toujours l’auberge paternelle, qui fut hospitalière à Brizeux[11]. La maison a changé d’aspect, depuis ce temps : on m’a montré cependant à gauche de l’auberge actuelle, dans la partie occupée maintenant par Mme Le Ber, née Rodallec, au premier étage, la chambre où coucha le poète à son arrivée dans le pays[12].

C’est une vaste pièce carrée qui n’avait alors qu’une petite fenêtre fermée par un volet de bois, il fallait choisir entre l’air ou la lumière, et cela devait embarrasser Brizeux parfois. J’ai dit : une chambre ; c’était plutôt un dortoir. ; il y avait quatre lits, et, souvent, pendant la nuit, la porte s’ouvrait bruyamment pour laisser entrer des compagnons de chambrée : marchands, colporteurs, rouliers, saulniers, rien moins que des poètes.

Brizeux a fixé le souvenir d’un de ces hôtes de l’auberge :

Courbé sur un ballot et traînant un bâton,
Quand l’Auvergne vit-elle arriver un Breton ?
Mais toujours le vieux Jean nous vient de sa montagne,
Sans plaindre son chemin et son labeur, s’il gagne.
Plus vieilli, plus cassé, Jean revient tous les ans.

Du moins, pendant le jour, ces nomades allaient à leurs affaires et laissaient le poète à ses vers, qu’il écrivait auprès de la lucarne ouverte. On finit pourtant par obtenir du propriétaire quelques carreaux de verre, et Brizeux, y voyant plus clair, put narguer le froid et la pluie.

Plus tard, il prit une chambre dans la maison d’une Mme Debureau, près de l’église[13]. Le cimetière était devant lui.

Si jamais vous cherchez la maison du poète,
Près du clocher du bourg ma rustique retraite
S’abrite, et devant moi, sous leur tertre allongés,
Silencieux amis, les morts restent rangés…

Creusée avant le jour une fosse béante
Trop souvent au réveil me glace d’épouvante ;
Puis j’entends un corps lourd rouler dans ce trou noir
Et ce sont à l’entour des cris de désespoir…
Soudain avec horreur ma fenêtre se ferme
Et j’unis ma prière aux sanglots de la ferme…
Mais pour le catéchisme, allègres, triomphants,
Essaim blond des hameaux, arrivent les enfants ;
Ou l’on sonne un baptême et la noble marraine
Sous le porche gothique entre d’un pas de reine.
Si c’est un jour de noce, alors pourpoints nouveaux
Et robes écarlates inondent les tombeaux ;
Et coups de feu lointains, musettes toutes proches
Rivalisent de bruit avec le bruit des cloches.
Ainsi joie et douleur, je connais tout du sort ;
J’ai devant ma maison et la vie et la mort.

Souvent, pendant la nuit, quand il avait fini d’écrire ou quand l’huile manquait à sa lampe, Brizeux s’approchait de la fenêtre et regardait ceux qui dormaient là.[14]

Ces insomnies du poète, les jeunes filles du bourg, curieuses, les connaissaient bien : elles les surveillaient de leurs fenêtres et en causaient entre elles, le lendemain. Le plus souvent, rentré chez lui vers onze heures, Brizeux travaillait jusqu’à deux et trois heures du matin ; aussi restait-il au lit très tard, ne se levant guère avant dix heures, autre sujet d’étonnement pour les gens de Scaër.

C’était bien là, d’ailleurs, les façons d’un Parisien, d’un paòtr Paris, comme on l’avait surnommé tout d’abord avec quelque méfiance ; mais la bonté de Brizeux, en dépit de son costume et de ses habitudes de citadin, devait bientôt, au bourg et dans les villages, le faire accepter non plus comme un étranger, mais comme un hôte. Le poète l’a constaté lui-même.

Le soir où j’arrivai, le chien noir dans sa loge
Aboya. Les deux chats accroupis sous l’horloge
Hérissèrent leurs poils et l’enfant réveillé
Dans son berceau se prit à vagir effrayé.
La fermière sur moi fixait un œil farouche…
Si j’arrive, aujourd’hui, le rire est sur la bouche ;
L’enfant me tend les bras au bord de son berceau,
Le chien sur mes genoux vient poser son museau.
Sur la cendre à mes pieds les chats viennent de même ;
Les voilà tous amis de celui qui les aime.

Et c’est à la bonté de Brizeux qu’il faut attribuer ce miracle : à sa bonté, à sa simplicité. Il avait, presque dès le premier jour, essayé de modeler sa vie sur celles de ses nouveaux amis. Il avait commencé d’abord (9 septembre 1832) par se commander un habit breton, dont il nous a conservé le prix dans ses notes.

Ar braghou 
7 f 50
Ar chupen glaz 
15 »
Ar chupen gwenn 
9 »
Ar gilet gwenn 
9 »
Ar bodreo 
3 15
Ann tok 
6 »
49 f 65

Et c’est, ainsi vêtu, qu’il se met à parcourir la campagne de Scaër et y lier des relations. Il note dans ses cahiers les noms de ses nouveaux amis, Yann Moëzan, Corentin Guillaur (28 ans), les quatre Postic, Louise Gouïc.

Il va à Kerveguen, où demeurent Jérôme Huiband et sa sœur Anna, « jolie fille. » Il fait connaissance avec les vicaires, Aotrou Rouz et Aotrou Ab Grall, « braves gens, » avec le recteur Biwall, qui semble lui plaire moins que ses vicaires.

Le 20 mai (nous sommes en 1834), il est invité à une belle noce. Il met l’habit breton et danse toute la journée.

« Le prix du repas de noces est de un franc par tête[15]. Le soir, on boit dans les verres les uns des autres, on s’enivre, on va reconduire la fille, et on soupe chez elle. » Tant de choses pour un franc par tête ! Heureux temps ! Heureux pays !

À Kerzéré, il fait la connaissance de Charles Sinkin, « l’amoureux de Virgile. » Sinkin a étudié à Gourin et à Kemper, mais, à son retour au pays, il s’est remis à labourer avec son père. Quelle joie pour lui de connaître le poète breton ! Tous les deux, aux heures libres, s’amusent à dialoguer les Ḗglogues. Brizeux rencontre bientôt le frère aîné de Charles. Celui-ci porte encore l’habit breton, mais il se destine au notariat. Ce mais de Brizeux n’est-il pas amusant ? Et c’est le paotr Paris qui sermonne le paysan en mal de défroquer et qui « fait tout pour exciter la flamme bretonne chez cet excellent jeune homme. »

Et l’amour de Virgile fait des prosélytes. Le 1er juin 1834, Brizeux va se promener à Kerveghen : Jéromik lui montre son bouvillon et ils lisent ensemble l’épisode d’Aristée. Le jeudi suivant, il y retourne pour offrir son Virgile à Jéromik[16].

Le vendredi, 5, il assiste à la messe à Coadri. Il y rencontre des gens de Vannes allant en pèlerinage à Coray et des gens de Coray allant à Sainte-Anne. « On a peu de foi aux saints trop voisins de sa maison. »

Comme on le voit par ces notes, c’est le culte de la Bretagne et l’amour de la poésie que le bon poète breton essayait de répandre autour de lui. On pourra penser qu’il apportait à Scaër plus que ce qu’il y venait prendre.

Brizeux toutefois ne venait pas chercher seulement à Scaër ce qu’on appellerait aujourd’hui des documents pour ses poèmes ; certes, il avait toujours été curieux des mœurs et des coutumes de Bretagne, et l’un des mérites de ses livres, c’est d’en être le fidèle reflet : mais souffrant, désabusé, l’esprit las, le cœur froissé, ce qu’il demandait aux grands arbres, aux eaux courantes, au foyer de la ferme et de l’auberge, à l’amitié des humbles, c’était la santé du corps et la paix de l’âme.

S’il est plus d’un orage, il est plus d’un refuge :
J’en sais pour mon esprit et j’en sais pour mon cœur.

Là, tout ennui s’apaise et je suis maître et juge,
Je suis maître de mon bonheur.

Ces vers ont été écrits au bord de l’Izol ; et ceux-ci qu’il intitule Effusions, nous disent, comme tant d’autres, la joie de son arrivée au pays breton.

Vous le savez, vallons, bois, lande, à mon retour,
Comme je vous tendais les bras avec amour !
Peuplades des hameaux, solitudes des grèves,
Sources qui bruissiez chaque nuit dans mes rêves,
Immobiles étangs purs comme le cristal,
Géant pétrifiés, aïeux du sol natal,
Vous avez entendu, dans ces heures de fièvres,
Les exclamations qui sortaient de mes lèvres,
Et dans mon humble église, embrassant les pavés,
Si je vous ai béni, mon Dieu, vous le savez.

D’autres notes de Brizeux nous livrent, plus sûrement encore que ces vers, cette joie du retour, et, de parcourir le cahier de son séjour à Scaër en 1842, nous initiera plus complètement aux incidents de sa vie.

« Arrivé vers une heure. Une petite voiture de Rosporden me conduisait. Oh ! lorsque je me suis dit : Me voilà dans la paroisse ! Lorsque j’ai vu les arbres de Coat Loc’h ! Lorsque j’ai mis pied à terre ! Après un si long temps !… Merci, mon Dieu !… Louisa Rodalec m’a tout de suite reconnu… Le bruit de mon arrivée se répand et les enfants arrivent, qui me saluent comme un ancien ami. Victorine a bientôt 15 ans, le fils aîné, 9, le gros Youen, 8. Puis la bonne Marie Jannie accourt.[17] Comment suffire ? Le soir, ce bon Jakez Robin restait devant ma porte, n’osant entrer. Puis j’ai été voir les parents de Berthel ; j’ai vu son enfant et sa veuve. Mais lui, le pauvre ami, je ne l’ai plus trouvé ! Quand je suis entré dans l’aire de l’autre Rodalec, j’ai vu le plus beau jeune homme venir à moi, me disant de suite dans le meilleur français : « C’est vous, Auguste ? — Ia, vad, ai-je dit en Breton. » Et nous voilà amis comme devant ! » (Note du 4 octobre 1842).

Il faut parcourir les notes de cette année 1842 pour comprendre à quel point Brizeux s’intéressait à la vie de la paroisse et combien sincèrement il aimait ses amis.

« Le soir, souper chez M. Keransquer. » Tout le monde lui chante des chansons bretonnes. « C’est comme s’ils disaient : nous sommes toujours vos amis. Moi je pensais à Jéromik. Hier, on m’avait dit : Il n’est plus à Kerveguen. Sa sœur Marianna, la pauvre et jolie Marianna,[18] est morte. Le père a été obligé de quitter sa ferme ; le fils a failli être soldat ; il lui a fallu travailler chez son cousin Ann Avellou ; enfin, là, il s’est marié : mais toute la famille a quitté Scaër. Ils sont sur la frontière de Gourin, à l’endroit nommé Kerguz. Aujourd’hui, j’ai dit au vieux Rodallec : « Prenez un journalier et laissez votre fils venir avec moi à Kerguz. » Le jeune homme ne demandait pas mieux. J’ai revu les landes de Gui-Scriff. Vers une heure nous étions à Kerguz. La vieille mère m’a aussitôt reconnu et son cœur s’est réjoui, car on me croyait mort. Pour Jéromik, il était à Gourin. Ainsi notre voyage est perdu  ! Nous allions partir, lorsqu’on nous dit : Voici Jérôme ! Nous nous sommes embrassés de bon cœur. Il m’avait écrit, il y a six mois, quand je lui annonçai mon arrivée. Même sa femme alla chercher de l’encre à Gourin, puis la lettre fut remise à une mendiante pour la mettre à la poste, mais la mendiante la supprima, de sorte que, moi n’arrivant pas, Jéromik avait sur moi les mêmes idées que sa mère, mais enfin me voici. La femme qui sait mon nom, s’appelle Maï ;[19] elle est douce et jolie et ils ont l’air de s’aimer. Le père est encore robuste et le grand-père comme un vieux chêne. On me dit : « Ne viendrez-vous pas, Auguste, passer quelques jours avec nous ? » Je promets et enfin nous partons…

« Il est nuit, à notre arrivée à Scaër, mais un souper nous attendait, le bon Bertrand et moi (Bert ou Bed est le diminutif). »

« Jeudi 6, vendredi 7, samedi 8, dimanche 9 octobre. Revoir les lieux et les gens que j’aimais. Lundi 10, j’ai remis l’habit de Cornouailles. Bed m’a dit : « Si tu veux le demander à mon père, nous irons tous deux à Gourin et de là à Kerguz. »

Et voilà les deux amis en route. Partout on le prend pour un soldat.[20] À Kerguz, il arrive, en prétextant qu’il a perdu son chemin, et demande si on peut le loger. Les hommes se chauffaient, les femmes filaient. On le reconnait enfin et tous de rire !

On lui donne le meilleur lit, mais dans ce lit trop chaud, un gwele-cloz sans doute, il a peine à s’endormir. Pourtant, écrit-il, « j’étais heureux enfin, loin de tant de tristesses, et tous les chants de mon cœur répondaient à la chanson nocturne des grillons. » Puis il va se promener avec Sinkin et Bed dans la forêt de Coatloc’h, plusieurs jours de suite. Le dimanche 16 octobre, Bed et lui sont à Guiseriff Il y a des luttes à Sant Vodé ; Bertrand soutient l’honneur des gars de Scaër. L’adversaire était un fier lutteur aussi et âgé de vingt ans comme Bed, mais n’ayant pas, comme lui, « cette beauté que chacun admirait. »

Le lundi 17, il assiste à une fête de charroi, à Saint-Jean. C’est la fête qu’on donne à ceux qui ont conduit le mobilier à la nouvelle maison. Job Ferrec « régale ses amis de tripes et l’hydromel. (dour-mel). » On fait circuler la coupe, chacun boit et la passe à son voisin. On lui chante Paotred Plomeur et Ni zo bepred ; Brizeux est heureux que ses chansons bretonnes soient ainsi populaires. Et puis on s’agenouille, pour dire les prières en breton et en latin pour la prospérité de la nouvelle maison. « C’était beau, écrit le poète, et touchant ! Mon cœur battait ! » Et on se remet à boire.

Le 18 octobre, Jérôme Huiband et sa femme viennent de Kerguz lui rendre sa visite. Il les invite à dîner. Le lendemain, il va se promener à Kermarc’h avec M. Bec, l’instituteur. Le surlendemain, avec M. Bec encore, il va finir la journée à Kerbarz.

Le dimanche 23, il assiste à la grand’messe, où doit parler le nouveau recteur. « Il parle mauvais breton. » Jérôme de Kermarc’h vient lui emprunter des livres. Le 27 octobre, il va faire une excursion poétique sur les hauteurs de Ker ’nounn. Le 28, il visite la chapelle de Penvern. Le samedi 29, il travaille toute la matinée, pour achever le Chant des Lutteurs.

Le mardi 1er novembre, il va boire à la Fontaine du Barde, à Kerbarz. Le mercredi, il fait une visite à la chapelle de Coadri avec Bed et Jakez. En route, on lui raconte les légendes du lutin Pôtrik de Miné Sant Daïd, de « l’herbe qui égare. » Ils passent par le berred ar Saozon, cimetière des Anglais. Le dimanche 5, il joue à la boule au Pont Ledan. Le mardi, il va à Kerminé et à Crec’h-Meinec.

Le 11 novembre, il note que « laisser le trépied sur le feu fait blanchir et vieillir le maitre de la maison. » Le 14, les loups ont paru dans le bourg et ont enlevé des moutons. Le jeudi 17, il constate qu’il est au mieux avec le recteur, celui qui parle mauvais breton. Il est si bien même, qu’il soupe au presbytère, le dimanche 20. Le mercredi 23, a lieu la foar ienn Scaër ; c’est la foire des domestiques. Le 25, son « bon petit Corentin » lui envoie la traduction en vers bretons de son poème : Aux Prêtres de Bretagne.[21] Le 2 décembre, il achève la lecture de Corneille ; et il s’exclame, non sans raison : Corneille à Scaër ! Le samedi 3, « désordre et corruption » dans le bourg. C’est l’élection d’un conseiller départemental. Et Brizeux ajoute : « Je n’écrirai pas ces turpitudes. » Comme il a raison ! Le lendemain, il va à la chapelle de Plaz Kaër, avec Jérôme.

Le lundi 5 décembre, il est en visite à Kerbarz, chez Treiz. Un jeune garçon de douze ans apprend à lire en breton. On ne sait pas un mot de français dans la ferme et on s’en loue. La mère dit :

Non ha oui,
Setu Gallec ann ti.
Oui et non,
C’est le français de la maison.

Le 6 décembre, il va à Kermarc’h et à Kerveguen, où il voit « la fille de la pauvre Marianne. » Il la baise « au front ! » Le 7, il est à Laignevéon, à Coat Scaër Vraz (Kosquer). Il voit le tumulus. Les Floc’h, puis les Fich de Kerridec lui font une aimable réception. Le jeudi, il se promène à Kerforn, avec Bed et lui lit un épisode des Bretons. Le dimanche 11, il assiste à la grand’messe et aux vêpres. « Toute cette paroisse chantant ensemble le Credo, tous ces hommes si graves avec leurs grands cheveux, leurs braies plissées, leurs habits de toile, si blancs et si uniformes, toute cette harmonie m’attire et me charme sans cesse. Puis c’est le dernier dimanche de ce séjour. Voilà que j’ai été retenir la voiture qui me mènera au Faouët. Il faut partir demain. Le soir, chez Henry Rodallec, un homme m’a abordé en chantant Ni zo bepred et Paotred Plomeur… »

Le lendemain, il ne peut se décider à quitter sa « terre épique. Ce sera pour après-demain. » Et il va se promener au Pont Ledan, roulant dans sa tête un « épisode sur Kerbarz, très simple, écrit-il, mais qui ne tourne pas selon les exigences de ma poésie : l’idéal dans le vrai. »

Enfin, le mardi, il fait ses préparatifs de départ. Il va voir quelques amis. Au moment de rentrer chez Rodallec, « quatre immenses gars de Ker Ann Varz et de Ker Ridec, » qui l’attendaient là, lui prennent la main et, en la lui secouant ferme, s’écrient : Monsieur, ni zo bepred Bretouned.

Le 14 décembre, il part ; Bed l’accompagnera jusqu’au Faouet. « Au revoir, Scaër ! »

Et c’était au revoir, en effet, qu’il disait à chacun de ses départs, tant il avait hâte de revenir chercher à Scaër ce qu’il ne trouvait que dans sa Bretagne : la paix de l’âme, le repos du corps, la vie simple au milieu de ses humbles amis.

Ces vers Bretons en sont un témoignage :

KIMIADOU

Allaz ! Setu ann de da guitaat ho prô ;
Kenavo, Kerneviz ; ià, tud vad, kenavo.
— Kenavo, den iaouank ! Mes deuet c’hoaz, deuet !
Perak mont kuit pa ver gant ann holl dut karet.[22]

Dès 1835, Brizeux avait fait prix pour un séjour prolongé à l’auberge de Rodallec : « Ma pension sera de un franc par jour, déjeuner, dîner, souper et coucher, le vin non compris. »

Mais son dîner de midi, Brizeux presque toujours le prenait dans quelque ferme, où il s’asseyait à la longue table, mangeant avec appétit, comme ceux de la maisonnée, les crêpes, le pain noir et le lard salé, buvant le cidre jaune et le lait doux sans grimace.

Il tenait à le gagner, d’ailleurs, ce repas du jour et souvent il allait travailler dans la cour de la ferme, au jour de la batterie. Les paysans l’y appelaient.

Allons, seigneur, allons, malgré vos mains si blanches,
Prenez un des fléaux pendus là dans les branches.
De sueur, comme nous, venez mouiller le grain,
Pour y songer, ce soir, en mangeant votre pain. »
J’obéis, et mes coups cadencés avec règle
Des épis bondissants firent jaillir le seigle ;
Puis, m’éloignant : « Ce soir, regardez ma maison ;
Pour ranimer vos cœurs, je fais une chanson.
Ma lampe vous dira quelle peine réclame
Mon pain mystérieux, mon pain qui nourrit l’âme.

Le repas du soir, il le prenait chez Rodallec. Il y avait encore à l’auberge, en 1895, — elle vient de mourir, à l’âge de quatre-vingts ans — une vieille cuisinière, Annaïk[23], qui était au service du maître d’hôtel d’alors, entrée dans sa maison à l’âge de dix-neuf ans. Elle a bien connu Brizeux, la brave Annaïk, et se rappelle les friandises qu’il préférait à son souper : des crêpes au lait, des flans d’œufs, des laitages. Annaïk était une bonne cuisinière et Brizeux trouvait, le soir, à l’auberge, un repas copieux et bien préparé que ses promenades du jour et la maigre chère du dîner de midi lui faisaient trouver meilleur encore. Les convives habituels étaient l’instituteur Le Bec et Bleiz le gendarme, tous deux pensionnaires de Charles Rodallec, et Jakez et Berthel. Le repas achevé, Brizeux allait s’asseoir dans le fauteuil de l’âtre ; on plaçait un verre de vin blanc près de lui, et les histoires commençaient, les bonnes histoires qu’il racontait à la gloire du pays de Bretagne, en bourrant et en débourrant sa petite pipe de terre, éteinte presque aussitôt qu’allumée[24]. Car c’était sa manière à lui de fumer ; et, le lendemain matin, autour de son fauteuil, Annaïk — je l’ai vue fumer comme un homme ; elle fumait peut-être déjà du temps de Brizeux — Annaïk faisait, pour elle ou pour d’autres, une ample récolte de ce tabac de poète… Le verre, lui, je suppose, devait rester plus d’à moitié plein ; cela devait être aussi sa façon de boire[25], à ce grand écouteur et à ce grand bavard, pour qui la pipe et le vin blanc étaient plutôt comme les prétextes à prolonger la causerie des veillées.

J’imagine, pourtant, qu’il ne parlait pas autant qu’on veut bien le dire, et sans doute encore, s’isolant dans quelque rêverie, se penchait-il parfois, comme il est si bon de le faire, dans ces larges âtres bretons, pour regarder, au-delà de ces quatre murs noirs, enduits de suie grasse et brillante, le petit morceau d’azur étoilé qu’on aperçoit tout là-haut.

Les enfants, d’ailleurs, devaient l’interrompre sans scrupules, écoutant volontiers certes les belles histoires qu’il contait, mais gourmands plutôt de ce beau sucre blanc qu’il avait toujours dans ses poches et dont il leur faisait des gâteries. Il entendait bien, tout de même, qu’on le gagnât un peu : de celui-ci, il exigeait la récitation des prières en langue bretonne ; à cet autre, bel enfant joufflu, il demandait de « faire le gros ventre, » ayant toujours pour tous, avec le morceau de sucre convoité, quelque tape amicale et quelque bonne parole. Aussi comme ils l’aimaient leur « tonton Brizeux. » « Quand on avait dit M. Brizeux, on avait tout dit », telle est la touchante assurance que me donne un des enfants d’alors, aujourd’hui directeur de l’Ecole de Scaër, M. François-Louis Rodallec.

Le maître d’école Jean Le Bec, le gendarme Bleiz, le vieux facteur boiteux Jakez, tous les Rodallec, depuis son ami Bertrand et Charles son hôte jusqu’aux enfants de celui-ci, le vieux colporteur Jean, le cloutier, le tisserand, les femmes et les jeunes filles du voisinage, tels étaient les habitués de ces veillées d’auberge, ces humbles, au milieu desquels Brizeux a voulu vivre comme un frère.

Ces amis des veillées, le poète les retrouvait au jour dans leurs maisons et dans leurs boutiques. Il allait s’asseoir chez le cloutier, pour lequel il a fait une chanson bretonne.

Er vourc’h abaoue ma chomann,
Morzol ann tacher a glevann.
Hed ann deiz, hed ann nôz, ez skô !
Skei a ra he vorzol atô[26].

.

Il entrait chez le tisserand.

Toujours de son logis, le tisserand me guette,
J’entre donc et tandis qu’il lance la navette,
Pour l’égayer un peu j’entonne une chanson.
Mes vers et son métier chantent à l’unisson…

Il les retrouvait, tous ceux du bourg et ceux de la campagne, les jours de dimanche et de fête et se plaisait à leurs jeux. Il était grand joueur de boules et de galoche[27] ; il organisait des luttes. À Scaër, terre classique des bons lutteurs, c’était le moyen de gagner les garçons. Il payait des sonneurs pour faire danser, et, au pays des belles filles, il était sûr ainsi de faire battre tous les cœurs sur son chemin. La nuit même, il était le confident, le fauteur peut-être, des projets de rondes clandestines et de jabadaos mystérieux, interdits par le presbytère.

Aujourd’hui, la danse, qui est autorisée par le clergé aux « pardons » et aux noces, n’est pas tolérée à d’autres fêtes. Au 14 juillet et au mardi-gras, qui sont des « demi-dimanches, » les filles dansent pourtant — et même il est d’usage de mettre, pour ces jours-là, des tabliers de coton neuf — mais elles devront se confesser de leur faute. On ne danse jamais le dimanche.

Du temps de Brizeux on était plus sévère encore. Écoutez-le raconter avec malice un de ces bons tours qu’il s’amusait à jouer à M. le Curé, avec le vent et la neige pour complices.

Cette nuit, un sonneur a mis le bourg en fête.
Son hautbois retentit à vous fendre la tête.
On danse sur la neige et, le long du chemin,
Sont marqués bien des pas qui se verront demain.
Oui, qui seront comptés demain au presbytère,
Là, dans son noir enclos muet et solitaire…

Non ! rien ne trahira cette fête de nuit ;
Ô danseurs, le vent d’est en emporte le bruit.
Le blanc et mou duvet retombe et vous protège ;
Vos pas silencieux s’effacent sous la neige.

S’il payait le sonneur, aux danses d’hiver, il payait, aux danses d’été, de pleines mannes de cerises et, sans doute, jeunes filles et garçons, avec les noyaux, selon qu’ils retombaient à droite ou à gauche, jouaient à qui se marierait dans l’année.

Ces jeunes filles, on ne sait plus leurs noms, ou on ne veut pas les dire. Elles venaient de Coat Forn, ou de Kerbarz, de Coaltoc’h ou du Moulin du Duc, de Kerveguen, de Kerbaskiou, de tous les côtés de la paroisse, avec leurs frères ou leurs fiancés, tous amis de Brizeux.

On se rappelle un peu plus nettement parmi les grandes amies, la fille du meunier, celle de Keros, et la belle Maï[28]. Celles-là étaient les plus voisines du bourg ; c’était chez elles que Brizeux allait dîner le plus souvent peut-être ; c’était pour elles peut-être aussi qu’il organisait ces danses.

A. Lexandre parle encore de combats de coqs que notre poète aurait patronnés à Scaêr. Cela m’étonne, et je dirai pourquoi. Brizeux, grand arpenteur de pays, ne chassait pas, et il y avait, à cette horreur de la chasse, des raisons de sensibilité qu’il a contées dans la pièce intitulée La Mort d’un Bouvreuil.

Il avait quinze ans ; on lui avait mis au bras son premier fusil, il allait par les champs, tout à la joie d’avoir fui l’école et à l’espoir de rapporter un glorieux butin. Un bouvreuil parait, Brizeux vise, le coup part. Hélas ! la pauvre petite bête en tenait dans l’aile.

De son gosier saignant un petit cri plaintif
Sortit, quelque duvet vola de sa poitrine.
Puis, fermant ses yeux clairs, quittant la branche fine.
Dans les joncs et les buis de son meurtre souillés.
Lui, si content de vivre, il mourut à mes pieds.

Je le connais, le grand serment que le poète fit alors, pour l’avoir fait moi-même, au même âge, après un meurtre semblable ; je jetai mon chapeau sur l’oiseau tombé à terre et dont je n’osais pas regarder les derniers battements d’ailes et je rentrai tout triste à la maison. J’aurais pu, moi aussi, écrire ces vers du doux Brizeux :

Oui, sur ce chanteur mort pour mon plaisir d’enfant,
Mon cœur à moi, chanteur, s’attendrit bien souvent.
Frère ailé, sur ton corps je versai quelques larmes ;
Pensif et m’accusant, je déposai les armes…
Ton sang n’est pas perdu. Nul ne m’a vu depuis
Rougir l’herbe des prés ou profaner les buis.

Comment admettre que notre poète eût pu organiser ces horribles batailles de coqs, qui répugnent à des cœurs moins sensibles que le sien ? N’est-ce pas lui qui refusait de monter dans une charrette surchargée de sacs de châtaignes et, malgré que, pour lui plaire, le voiturier consentit à en abandonner trois sacs, qui préférait faire à pied la longue route, ne pouvant se résoudre à voir pendant si longtemps peiner le pauvre cheval.

Le mors a déchiré sa bouche,
Le brancard écorche ses reins,
Plaie où vient bourdonner la mouche.

Les enfants arrachent ses crins…
Las ! Jô-Wenn, toi qui sur la lande.

Du point du jour à son déclin,
Tondais les poussés de lavande,
Près de ta mère, heureux poulain !

Au pardon de Sant Matelinn (8 juin 1834), il offre 20 francs pour séparer deux lutteurs dont l’acharnement lui fait peine.

Sa pitié pour les êtres allait plus loin encore. C’est lui qui donnait « une belle pièce de dix sous » à un enfant du bourg pour retirer « lentement, sans blesser le vieil arbre, » un morceau de granit serré entre deux racines d’un chêne.

Cette pitié pour les arbres, cet amour pour les chênes et les hêtres de Bretagne, son œuvre les respire d’un bout à l’autre.

Kanomb holl ann dero, roue ar c’hoajou braz !
Kanomb holl, tud iaouank, ha kanomb ar gwe glaz.
Kriz eo ann hini a drouc’h ann dervenned !
Allas ! Kement a we e Breiz zo diskarret !

Ar gwe a zo santel !

Gant he zeliou stank braz eunn dero kant bloasiad
Ha gant he vleo hir war he choug eur Breiziad
A zo evel diou vreur, hep laret gaou,
Leun a nerz, a vuhe, kren ha kaled ho daou.

Tal va bez, tud iaouank, c’houi lakai eunn derven[29]

Et c’est en breton qu’il a dit cela comme si la vieille langue devait mieux exprimer sa tendresse. Combien de ses poèmes français, d’ailleurs, Les Hêtres de Lo-Théa, L’Arbre du Nord, Le Hêtre, Le Chant du Chêne, et combien des vers des Bretons ou de Marie nous disent le culte qu’il avait voué aux arbres de son pays. Dans la durée des arbres, il y avait pour lui la force d’un symbole.

Ce chêne fut planté par nos libres aïeux ;
Il est bien doux de voir l’arbre qu’ont vu leurs yeux.
Comme nos vieilles mœurs, cependant, sa racine
S’altère, et le géant penche vers sa ruine.
Maire, si j’étais vous, je crierais dans le bourg !
« Des pieux pour ses rameaux, de la terre à l’entour ! »
Dix générations ont vécu sous son ombre,
Après nous nos enfants y fleuriraient sans nombre.
Pour nos aïeux, pour nous, et pour nos descendants,
Ne laissons pas mourir ce géant des vieux temps !

C’est par cette bonté, par cette sensibilité qu’il marquait à tous les êtres, c’est par la mémoire qu’on en garde que le poète survit le mieux au pays de Scaër.

Cette pitié pour les humbles, il n’en a pas été seulement l’écrivain plus ou moins heureux, — et par là il serait pour Coppée, comme un oncle à la mode de Bretagne — il l’a réellement vécue et pleurée de toute son âme pendant ses séjours au pays.

Qu’est-ce autre chose, ce délicieux poème de Marie, sinon l’écho d’un premier cri de tendresse vers une humble fille qu’il aima, sinon de tout son cœur d’enfant, du moins de tous ses souvenirs de jeune poète. Les Bretons qu’il a chantés, ce ne sont guères — quoi qu’il y ait prétendu, un moment — les prêtres, les bardes et les princes de notre Bretagne héroïque ; ce sont nos paysans, leurs femmes, leurs fils et leurs filles, tous ces Bretons de la campagne qu’il connut et qu’il aima. Les Bretons sont une épopée familière, et partout ailleurs, dans son œuvre, ce sont les laboureurs, les conscrits, les moissonneurs, les vanneuses, les pêcheurs, les pèlerins ; c’est Jacques le maçon, Job et son cheval, c’est le cloutier, c’est le jardinier. Voila les meilleurs héros de ses poèmes les meilleurs peut-être, et voilà les amis des meilleurs instants de sa vie. Quand, plus tard, il veut donner une sœur à Marie, une sœur à son Anna des Bretons, c’est Nola qu’il chante à côté de Primel, et ces deux-là sont toujours de la même famille.

C’était vers la pauvre Bretagne, et vers le petit bourg de Scaër que son esprit revenait toujours ; c’est là qu’il avait laissé son cœur.

Il est au fond des bois, il est une peuplade,
Où, loin de ce siècle malade,
Souvent je viens errer, moi, poète nomade,

Là tout m’attire et me sourit !
La sève de mon cœur s’épanche et mon esprit
 Comme un arbuste refleurit.

Là aussi, son retour était fêté. Il le rappelle dans une note de Telen Arvor :

« Après une trop longue absence, l’auteur de ces poésies venait de rentrer en Bretagne, et dans un village souvent habité par lui. Son arrivée y fut à peine connue que d’anciens amis, des jeunes filles, des enfants déjà grandis, accoururent à sa maison. Et quelques uns, comme pour avertir qu’ils étaient toujours des siens, se mirent à chanter le refrain d’une de ses chansons.

« Est-il salut plus courtois à l’oreille du barde ? Ici ce n’est point l’amour propre qui doit être heureux.» Décembre 1843.

C’est cette joie du cœur qu’il a traduite en vers dans le Journal Rustique, III.


C’est vraiment à ces séjours dans ce calme pays qu’il faut attribuer cette influence de simplicité de douceur, qui enveloppa si étroitement son âme d’artiste que Paris et l’Italie sollicitaient parfois ardemment.

Ô chère solitude ! Et pourtant, je le jure,
          Arts élégants, bronzes, peinture,
Je vous aime, rivaux de cette âpre nature.

          Hélas ! me préservent les cieux
De vous nier jamais, symboles radieux,
          Charmes de l’esprit et des yeux.

« Brizeux, écrivait il. Jules Simon, ne pouvait se passer ni de la Bretagne (Il commençait à la regretter le jour même où il la quittait) ni de Paris[30] ni du soleil. Ces trois amours l’ont condamné à une vie vagabonde, partagée entre Arzanno, Paris et Rome, » C’est Scaër et non pas Arzanno qu’il fallait dire. Oui, Scaër, Paris et Rome, telles furent les trois affections de son âme.

Scaër pour y puiser à cette première source de l’inspiration poétique qui est la nature. Il le dit dans sa Poétique Nouvelle :

Oui, c’est dans les hameaux, c’est à l’ombre des bois,
Au pays enchanté des parfums et des voix,
Que, dans chaque saison, de froidure ou de flamme,
L’homme sent bien la vie et voit grandir son âme…
Il est beau, quand tout meurt, flétri par l’intérêt,
Seul, comme un prêtre antique, errant sous la forêt,
De recueillir en paix son exhalaison pure,
Pour raviver le monde à ton souffle, ô Nature !

Paris, où l’on apprend la vie, cette science sans laquelle il n’est pas de poète.

Dût ton cœur se briser, poète, cependant
Il faudra te plonger au fond du gouffre ardent ;
Comme Dante, il faudra dans cet enfer descendre,
Là vivre dans le feu, nouvelle salamandre.

Rome, ville sainte, sol sacré, terre épique,

Où l’esprit parle haut plus qu’en tout autre lieu,
Ou comme dans l’Eden erre l’ombre de Dieu.

Mais, en Italie même, il n’oublie pas sa Bretagne. De Rome, il écrit à Berthel, tout fier de son pen-baz.

Puis, je porte à la main un bâton de Bretagne,
De nœuds égaux formé, garni d’un bot de fer.

Il est heureux de retrouver un souvenir du pays à Saint Maulo, nom italien de Saint-Malo ;

Enfin, je découvris ton humble basilique.
Ah ! cirques et forums, colonnades et tours,
Comme tout disparut ! Et durant quelques jours,
Mon pays me revint, frais et mélancolique.

En entendant un joueur de piva, il songe aux biniou de Bretagne… À la Spezzia, ce ne sont pas des fleurs d’oranger qu’il veut qu’on lui cueille ; il fait arrêter sa voiture pour avoir des fleurs d’ajoncs. À Florence, il voit « le char celte. »

À Florence, au milieu des arts dans leur splendeur,
Pour un enfant de l’Ouest ce char a sa splendeur.

Et partout, c’est sa mère et sa Bretagne qu’il voit, sa mère qui a voulu rejoindre si loin « son fils absent, son fils malade, » sa Bretagne qu’il a emportée dans son cœur de « Barbare » au pays du soleil, en vrai « fils du barde Guielan. »

Aussi, n’est-ce pas pour symboliser ces trois affections qu’il écrivait, en prenant congé de ses amis, son adieu ces trois langues chères : « Adieu, addio kenavo ! ». Mais il faut remarquer que dans ces trois adieux, la formule bretonne seule exprime l’idée du retour.

D’ailleurs, en faisant son voyage de poète à ces pays d’inspiration, l’homme simple et bon ne sera jamais un boulevardier à Paris, ni un simple touriste à Rome. Il était un artiste et un voyageur, comme il était, en Bretagne, un vrai gars de Seaër, M. Jules Simon nous l’affirme : « Sans être pauvre, il était réduit à vivre « le peu et quelquefois de très peu. En Bretagne, il passait son temps dans les fermes. À Paris et en Italie, il menait ce qu’on appelle la vie de Bohème. Du moins, quand il revenait de ce pays de Mürger au pays breton, Brizeux n’avait perdu ni la bonté ni la simplicité qui étaient son charme, et qui avaient fait de lui le plus aimé dés habitants de la paroisse.

Pourtant ni le souvenir de Paris revenait

parfois impérieux :

Au fond d’une campagne, errant de chêne en chêne.
Vous vivez de repos, d’oubli, d’obscurité ;
Arrive de Paris un papier cacheté,
Le démon de la ville en sort et se déchaîne[31]

Il fallait quitter Scaër, en toute hâte ; mais quand il voulait partir, c’était à qui le retiendrait en lui vantant les douceurs de l’amitié et les bienfaits de la vie calme.

Non ! plus de ces départs subits !
Vous voilà paysan, un fils de nos campagnes…
Qui ne sait vos chansons, de la plaine aux montagnes ?
Vous parlez notre langue et portez nos habits.

Et si Brizeux leur répondait :

Ah ! si parfois l’esprit vers la cité m’appelle,
Mon cœur est à la lande et je reviens fidèle…

Eux insistaient encore :

Eh bien ! ne quittez pas ces déserts embaumés ;
Sage, contentez-vous du blé que nos mains sèment,
Oh ! demeurez toujours près de ceux qui vous aiment
Et près de ceux que vous aimez.

Il sentait, d’ailleurs, tout le bienfait physique des séjours à la campagne.

Il écrivait à Lacaussade, le 17 février 1858, trop tard, hélas ! pour pouvoir profiler des bons conseils qu’il donne aux autres, si cordialement :

« Entre deux accès d’une abominable toux, deux mots à votre intention. Comment vous êtes vous trouvé du voyage à Rostrenen ?… Un malade expert vous en supplie : ne faites plus abus des livres qui, le soir, brûlent les yeux ; abstenez-vous du tabac qui vous surexcite et vous ôte le sommeil ; il ne faut pas s’user avant l’âge. Plongez-vous dans la nature, dans le travail de votre jardin, et, comme un jeune ouvrier, jouissez du bonheur de vous sentir fort. »

Il y avait bien des regrets dans ces lignes écrites peu de mois avant sa mort, comme il y avait bien de l’espoir, dans cette invocation à la nature chantée en pleine-force, quelques années auparavant :

Je veux errer encor dans ces belles prairies,
M’imprégnant de soleil, de lentes rêveries,
Regardant briller l’herbe et trembler le roseau,
Et l’oreille attentive à ce que dit l’oiseau.
Que le troupeau vaguant près du pâtre immobile,
L’aveugle sur la route agitant sa sébile
Et les bruits de la ferme et la paix du hallier,
Le chevreau sur mes pas accourant familier,
M’attirent. Dans tes bras, nature, je me livre !
Sois aimante à qui t’aime et montre moi ton livre.

Quelquefois Brizeux imaginait de solenniser son départ par une fête qui en marquât sûrement la date. C’est ainsi qu’en 1834, il organisait une grande lutte pour faire ses adieux à Scaër.

C’était en juin. Le dimanche 7 juin, son ami Berthel va faire bannir la lutte à Bannalec, à Kerrien et à Sainl-Urien. On pense si la nouvelle devait être bien accueillie ! « Le vieux Daniel de Kerrieu a dit que la lutte lui ferait plus de plaisir que quatre écus. » Ce jour même, on avait banni la lutte à Scaër au sortir de la grand’messe. « La joie est partout ! »

C’est le mardi qu’a lieu la lutte. Le matin, c’est un bal gherné, sur la route. Vers midi arrivent les lutteurs et les coureurs ; les auberges sont pleines. Les anciens conseillent les jeunes.

Les courses ont lieu depuis l’auberge de Rodallec jusqu’à la route de Bannalec. Brizeux en a noté les péripéties et a conservé pour la postérité les noms des vainqueurs. Les voici, tels qu’il les donne.

jeunes gens de 18 ans.
1er  Prix, Jakez Robin.
2e Herri ar Goff.
3e Robin l’aîné.
hommes (30 ans).
1er  Prix, Un tailleur. (Admirable !)

enfants de 12 à 15 ans.
1er  Prix, Kristoc’h ann Deiz.
2e Bertrand Rodallec.
3e Louzik ann Deiz.

Les courses achevées, on se précipite vers le pré de Rodallec ; les binious sonnent. L’arbre des luttes scintille au soleil, portant dans ses branches des chapeaux, des mouchoirs et des galons d’argent ; c’est Rodallec qui le porte. L’ami Berthel, lui, conduit le mouton noir, dont les cornes sont entourées de rubans et de lacets d’argent. La foule suit !

Les commissaires sont Sevenet et Ar Goff. Voici Brizeux qui s’avance vers le groupe des lutteurs et leur rappelle qu’il faut lutter loyalement et ne pas se porter de mauvais coups.

La lutte commence. Ce sont d’abord des enfants de quinze ans. Per Prijann et Kristoc’h ar Goff obtiennent un prix ex-æquo. Puis, les jeunes gens de dix-huit ans ; Herri ar Goff obtient le premier prix ; Iann Riwall de Guiseriff a le second. Au tour de ceux de vingt ans, maintenant. Ce sont « deux admirables lutteurs » qui se partagent la récompense : Renan ar Goff de Guiseriff et Rouz. Herri Salaün et Ronan Fleitour, les vainqueurs de la lutte suivante, ont vingt-cinq ans. Le prix du chapeau, c’est Mikel Salaun qui le gagne. Il luttait contre Ronan Fleitour, un des meilleurs lutteurs de Scaër ; mais Salaün est un vieux routier, « beaucoup trop âgé pour lutter avec le jeune Fleitour, » et l’honneur est sauf tout de même.

Pour finir, c’est le prix du mouton. Korentin Guillomat de Scaër, bien qu’il n’ait guère que trente ans, est le plus fort lutteur du pays, Il s’était réservé pour la dernière lutte. Il est le grand triomphateur de la journée.

Et, en post scriptum, Brizeux fait le compte de ses dépenses.

Mouton et cordon d’argent 
4 f 50
2 chapeaux 
5 »
4 mouchoirs 
3 80
Rubans 
3 »
Prix en argent (courses) 
3 »
———(luttes) 
3 »
Bancs 
3 »
                         Total 
25 f 30

Heureux pays, heureux temps, qu’on me permette de le dire encore, puisque pour 25 fr. 30, on pouvait amuser plusieurs paroisses, boire dans les verres les uns des autres et souper chez les filles pour un franc et, pour un franc encore, déjeuner, dîner et coucher à l’auberge, et se faire, par dessus le marché, des amis qui fêtaient votre arrivée et qui pleuraient à votre départ.

Et certes, c’était une affection sincère de part et d’autre. Brizeux avait trouvé là de vrais amis et, dans toutes les maisons, il pouvait se dire chez lui.


Un jour qu’on fauchait chez Jérôme Olivier, dans un petit pré au bord de l’Izole, Bertrand Rodallec, le grand ami de Brizeux, et son neveu Youen, l’aubergiste actuel, un enfant à cette époque, étaient venus chercher le poète pour l’emmener à cette fête du foin qu’on coupe. Brizeux a noté quelque part dans ses Histoires poétiques, presque toutes écrites à Scaër, le souvenir d’une faucherie. Voici ce court poème :

« À l’œuvre ! Et le premier au frêne que voilà,
Qu’il embrasse s’il veut ma filleule Aliza. »
Bertrand, modérez-vous, ô travailleur superbe !
De son immense faux comme il va rasant l’herbe,
Et partout dans les foins passe et luit l’acier bleu.
Tous les bras sont raidis et les gosiers en feu…
« À présent la plus lente à retrouver sa meule
Devra tendre la joue, oui, fût-ce ma filleule, »
Or Bertrand fut si vif et si lente Aliza,
Que cet heureux faucheur par deux fois l’embrassa.

Est-ce de Bertrand Rodallec qu’il s’agit ? Le parrain d’Aliza était-il notre Jérôme ? On ne me l’a pas dit au bourg, mais voici ce qu’on m’a conté.

Les faucheurs, un peu las, s’étaient assis au bord de la petite rivière. Le poète était en veine de gamineries ; il avait pris le petit chapeau de Youen et, non sans se l’être quelque temps laissé tirailler par l’enfant, tout à coup le tenant bien à la fin, il l’avait jeté à l’eau. Youen saute dans l’Izole et le repêche, mais à peine de retour, il se jette sur le poète, saisit son grand chapeau à larges bords et l’envoie à son tour dans la rivière ; et puis ! non content du talion, c’est à grand renfort de cailloux qu’il précipite la descente du feutre. Jérôme, avec la politesse d’un hôte, — la rivière au bord de son pré était bien un peu sienne — Jérôme d’un bond fut debout, prêt à sauter dans l’Izole pour rattraper l’épave que le courant emportait ; mais Brizeux l’arrêta.

— C’est bien fait pour moi, dit-il ; son petit chapeau vaut bien le mien. Ayant chaud comme tu as, Jérôme, je ne le laisserai pas mettre les pieds dans l’eau.

Bref, ce fut Bertrand qui, par des manœuvres savantes, à quelque coude de la rivière, repêcha le chapeau à la pointe de son bâton. Les grands bords solennels avaient piteuse mine, Jérôme et Bertrand s’en désolaient et menaçaient Youen de certain châtiment paternel au retour.

— Non ! dit Brizeux, mon grand chapeau est bien mieux ainsi ; j’ai eu ce que je méritais. Et pas un mot au père Rodallec ! Viens-t’en, Youen, que je t’embrasse !

Il ne faudrait pas croire pourtant que cette bonté de Brizeux ne fût que sensiblerie et enfantillage. Elle était profonde et sérieuse : il était de ceux que la peine des autres fait souffrir.

Un soir d’hiver qu’il était à table chez Rodallec, il entend du bruit dans la rue, un bruit inusité à cette heure ; il s’informe : c’était un homme du village de Kergroac’h-Skiriou qui arrivait entré deux gendarmes, un homme qui passait pour honnête jusque-là, un pauvre homme de ceux sur qui les soupçons tombent vite. Certaine vieille femme avare, ne retrouvant plus son argent caché, avait accusé cet homme de le lui avoir pris ; et on l’avait arrêté sans plus de façons. Brizeux s’indignait que, sans preuves, sur un simple soupçon, on pût flétrir un brave homme. Quelle ne fut pas sa douleur en apprenant que ce malheureux était veuf et que ses trois enfants, tous jeunes, étaient restés seuls au logis. Vite, il achète un pain de dix livres, et le porte à ces petits qu’il rassure. Il ne les quitta qu’après avoir mis près d’eux une vieille femme du voisinage, et revint alors sous la pluie prendre sa place au coin du feu. Mais il n’avait plus faim, au retour ; il fut triste toute la soirée.

Le lendemain, il alla voir la dénonciatrice et fit si bien qu’elle se remit à mieux chercher son trésor et qu’elle le retrouva tout entier. On pense quelle joie ce fut pour Brizeux, quand on délivra le pauvre homme.


Il faut lire les quelques lettres du poète conservées par Bertrand Rodallec pour comprendre à quel point il avait voulu mêler sa vie à celle de ses amis de Scaër, avec quelle bonne simplicité il parlait d’eux et leur parlait, s’intéressant à tous les événements de la paroisse.

Il écrivait, le 27 septembre 1856, de Lorient :

« Mon cher Bertrand, je sais qu’une cruelle épidémie sévit dans la paroisse et même dans le bourg, qu’ainsi Navelou fils et sa femme sont morts. Je dois donc craindre pour mes amis de Scaër, pour toi et ta famille, et pour M. Le Bec à qui j’ai écrit, il y a dix jours, et qui ne me répond pas. Toi, mon cher ami, sois plus obligeant et tâche, par le prochain courrier, de m’envoyer quelques lignes. Dis-moi si le mal augmente ou s’il touche à sa fin. À Lorient, il y a aussi des malades mais pas de morts, que je sache. Mon projet est d’aller prochainement à Quimper en passant par Scaër. À présent que tu es chef de maison, pourrais-tu me recevoir ?

« Mes bons souvenirs à ton père, à tes parents Rodallec, à mes amis Jakez, Huiband, etc. »

Il ne se bornait pas, d’ailleurs, à demander des nouvelles de l’épidémie. Il se multipliait pour envoyer des conseils et des remèdes. Il essayait d’agir sur l’esprit du maire pour le décider à prendre des mesures de protection.

— On ne peut rien faire avec les paysans, objectait celui-ci.

— Oui, je le vois bien, répondit Brizeux ; on ne peut rien faire avec vous.

Brizeux, déjà souffrant de la maladie de poitrine qui devait l’emporter, passa l’hiver suivant dans le midi. Parmi les quelques lettres inédites du poète que M. G. Fraboulet vient de publier dans le Bulletin de ta Société d’Émulation des Côtes-du-Nord, il en est une datée du 20 janvier 1857, à Montpellier. Il venait de traverser Tours, Poitiers, Bordeaux, Toulouse, cherchant le soleil, et « ne trouvant que la pluie. » Il se promettait d’aller à Marseille, puis de remonter à Tours. De là, il gagnait Paris et Corbeil, où il allait voir son demi-frère, M. Boyer, au mois de février 1857.

À quelques mois de là, le 27 juin 1857, Brizeux revenu à Lorient, écrivait encore à son ami Bertrand.

« Je veux te remercier, mon cher Bertrand, de l’aimable visite que tu as faite à ma mère, lors de ton voyage à Lorient. Elle y a été sensible et pour elle et pour moi.

« Ainsi ton mariage est enfin accompli, sans doute avec la fille de Navelou. J’aimerais bien à t’aller visiter dans ton ménage et passer encore quelques jours avec vous et mes bons amis de Scaër. Tiens-tu toujours ton auberge et, comme l’an dernier, pourrais-tu toujours me recevoir ? Réponds-moi à Quimper, poste restante. J’y serai samedi prochain. Mais je n’espère pas, cette fois, revenir par Scaër. Il n’est guères probable que, par ce mois de travail, tu puisses toi-même t’absenter.

« Donc, cher Bertrand, écris-moi en m’envoyant quelques nouvelles du pays. Quel a été le remplaçant de M. Le Bec ? Depuis qu’il a quitté Scaër, je n’ai plus de nouvelles de celui-ci.

« Bien à toi, pôtr Kerné.

« Mes bons souvenirs à ton père, et aussi à tes parents ; puis à Jérôme Huiband, Jakez, etc… J’oubliais de te dire que le rhume qui me gênait si fort au mois d’octobre s’est enfin guéri, mais j’ai dû passer trois mois dans le midi de la France, les trois mois les plus durs de l’hiver. Le reste, je l’ai passé à Paris. »

Ah ! Le mauvais temps et le mauvais rhume, on les retrouve souvent dans les lettres de Brizeux.

« Tous les jours, j’ai envie de retourner à Scaër, écrit-il à un autre Rodallec, où, comme vous le savez, je me plais beaucoup ; mais ces pluies continuelles m’en ont toujours retenu et ma famille elle-même s’oppose à mon départ. En attendant un temps meilleur, j’envoie mes amitiés à votre femme, à vos enfants et à la bonne Annaïk ; et vous, Charles, je me rappelle à votre souvenir ! »

C’est vers 1845 que Brizeux ressentit les premières atteintes du mal qui devait l’emporter. Ses lettres nous en font suivre plus sûrement la marche. Il est à Scaër au mois de novembre de cette année, et il s’y attarde en dépit des médecins.

« Entre autres appuis, écrit-il, il faudrait celui de la santé et, tandis que je vous écris, je souffre de partout. Les médecins me répètent que je ne devrais pas rester sous ces brouillards, mais il faut les laisser dire. Scaër, 4 novembre 1845. »

Il luttait, d’ailleurs, avec courage contre le mal qu’il n’ignorait pas.

« Quant à moi, je combats encore contre mon mal de l’an passé ; il m’en revient des atteintes, et, aujourd’hui plus que jamais, il n’y a que de constantes chaleurs qui me puissent ramener à mon état. Scaër, 27 juillet 1846. »

Tous les ans, à l’arrivée de l’automne, il sentait plus vivement son mal.

« Ma santé commence à se ressentir de la mauvaise saison et ce serait mon désir de partir prochainement pour le midi. Rue de la Mairie, 19, à Lorient, le 2 octobre 1846. »

Mais, à peine le printemps revenu, la fièvre de Bretagne le prenait et il fallait qu’il revînt à Scaër.

« Cher ami, écrit-il à M. Lacaussade, deux lignes seulement pour vous annoncer mon arrivée sur la terre natale, une amélioration sensible dans ma santé et une paix du cœur qui me permet déjà de travailler. Quand je ne fais pas de poésie, je suis plongé au milieu de cette franche nature et de ses habitants qui, en secouant leurs cheveux, viennent à l’envi me serrer la main. »

Et il reprend ses promenades.

« Je vais, le bâton de voyage à la main et, chemin faisant, rimant et poète moi-même, dit-on. »

Ils s’en vont, par les bois, par les monts, par les prées,
Et jouissent tout seuls des nymphes et des fées.
Quimper, 8 octobre 1854.

L’air de Bretagne avait pour lui, il le pensait quelquefois, non moins de vertu que celui du midi. L’air pur et l’eau pure, cette eau fameuse de la fontaine Sainte-Candide, fraîche, abondante, intarissable. Il écrit de Scaër, à la date du 24 octobre 1856 :

« Cher ami, je veux boire pour vous une grande tasse à la fontaine de Sainte Candide… J’y ai trouvé à la fois et de la joie pour l’âme et de la force pour le corps, car, arrivé très souffrant et depuis des semaines, je vais repartir assaini par cet air pur, retrempé dans ces eaux transparentes dont je veux boire en votre honneur. »

Ce mieux dont il se targuait ne devait pas durer, car une charmante lettre à M. Lacaussade, du 20 décembre de la même année, nous le montre aux prises encore avec la toux.

« Vous savez que, depuis quatre mois, si je ne vous en ai rien dit, j’ai été fort souffrant d’une bronchite féroce, qui d’aiguë est devenue chronique et ne fait guère que de céder. Mais il me reste une laryngite (Et voilà les mots horribles que j’ai dû apprendre !) pour laquelle j’irai passer le plus dur de l’hiver dans le midi de la France, J’ai plein espoir de revenir avec une gorge assez forte pour faire avec vous une bonne partie de franc rire. Faites donc provision de bonnes histoires et aussi de vers. J’en rapporterai fort peu. J’avais cependant une belle imprécation à lancer contre la déesse Tossa !… Mais poètes, historiens, philosophes, pères de l’Église, j’ai relu toute l’antiquité grecque et latine, avec une admiration toujours plus grande pour leurs poètes ; pour le reste donnant plus d’une fois la couronne aux modernes. Voilà, cher ami, l’emploi de mon esprit pendant ces tristes mois. Mon cœur, je le mettais à raviver cette bonne vieille mère qui se désole déjà de la séparation prochaine mais qu’elle-même approuve et se résigne et me conseille. Croyez aussi que je pensais mainte fois, tout en ne leur écrivant pas, aux chers amis (Ceci pour la divine Valmore à qui vous le rapporterez) et à notre Athénien Husson et à vous, mon aimable poète, à vous. »

Le Midi, parfois aussi, lui rappelait le mauvais temps de l’automne en Bretagne. Il écrit de Bordeaux, le 20 décembre 1856 :

« Cher ami, me voici descendant vers le midi de la France pour raffermir ma santé contre les dures attaques de ce dernier automne. Je me faisais donc une joie de revoir le soleil, mais le vent siffle très froid sur la maison Bonnafous. »

Le mal s’aggrave de jour en jour ; il a passé l’été de 1857 en Bretagne ; à l’automne, il est rentré à Paris. Il écrit, toujours à son ami :

« Vous ignorez que, depuis plus d’une quinzaine, je vais toujours déclinant. Voilà pourquoi je n’ai pas été vous prendre à l’heure du diner : une ombre ne dine plus ! Il n’y a que le soleil qui puisse me ranimer, mais le soleil lui-même est malade. »

Hélas ! le soleil ne devait pas se guérir pour lui et le temps meilleur ne revint pas. Il avait quitté Scaër avec déchirement.

Voici la dernière lettre de Brizeux aux dernières heures de son dernier séjour en Bretagne.[32] C’est son adieu à ses amis de Scaër qu’il reverra pas. Elle est datée du 2 décembre 1857.

« Mon cher ami, voici, en te faisant une nouvelle visite, ce que j’espérais te porter moi-même, mais le mauvais temps est venu. Le mauvais temps m’a rendu malade. Je suis si faible que je me décide à partir pour Paris dans l’espoir que le mouvement de la route me sera salutaire. « À ta jeune femme, à ton vieux père, à toi, mon cher Bertrand, mes bonnes amitiés. »

Ce qu’il envoyait à Bertrand, c’était un de ces jolis petits bonnets à la mode bretonne, un de ces petits bonnets à trois quartiers, en drap couvert de soies de toutes couleurs et de paillettes dorées, un petit bonnet de baptême pour le premier enfant de son ami. J’ai tenu dans ma main cette relique de famille, qui fut un talisman sans doute à celui qui naquit pour en être coiffé. Le petit bonnet d’alors est devenu sur sa tête un képi d’officier, et les paillettes sont aujourd’hui des galons.

Dans les premiers jours d’avril 1858, Brizeux courait au devant du soleil, à Montpellier ; c’est la mort qui l’attendait là-bas. Telle fut la vie de Brizeux à Seaër et cette vie, qui fut un repos et une guérison pour son âme, lui fut aussi une source d’inspiration. Il l’a dit :

Nul mondain ne m’a vu dans son salon doré ;
Ils me connaissent mieux, les pâtres de Cornouaille.
À leurs pauvres foyers souvent mon cœur tressaille,

Par ces cœurs primitifs noblement inspiré.
Et moi, je n’ai pas même un réduit ignoré,
Près du courtil de chanvre un toit couvert de paille.
À mon but cependant j’irai vaille que vaille,
Poète des bretons, comme eux simple, ignoré.


Ce but a été plus haut qu’il ne croyait. S’il n’avait cherché que la gloire de son pays, la gloire lui a été donnée pour lui-même par surcroît.


Ces souvenirs sur les séjours de Brizeux à Scaër ne seraient pas complets si je ne disais quelques mots encore, et la bonté d’âme du poète serait insuffisamment connue, si on ignorait que cette âme était profondément religieuse.

S’il venait chercher en Bretagne « le repos, l’oubli, l’obscurité, la liberté, » il y venait aussi chercher Dieu, plus doux à toutes les âmes au pays de l’enfance, et plus présent en Bretagne qu’en aucun autre pays, et plus vivant dans tous les cœurs bretons.

On l’a vu visitant toutes les chapelles des trêves, retournant à Coadri plusieurs fois, assistant à la grand’messe, souvent aux vêpres, « attiré et charmé par cette harmonie » religieuse.

« J’ai honte de moi, écrit-il ailleurs, et de

quelques mauvais bourgeois à genoux sur des chaises, » tandis qu’hommes et femmes prient sur les pavés. Et il note encore en l’approuvant, qu’ « un paysan frappe un enfant » qui riait pendant l’office.

J’ai noté déjà que Brizeux faisait réciter aux enfants de Scaër les prières en langue bretonne ; aux veillées parfois, il les interrogeait sur le catéchisme.

C’est en breton et pour les bretons de Scaër, qu’il voulut écrire ce beau cantique en l’honneur de saint Alain, Peden al Labourerien, La Prière des Laboureurs. C’est lui qui leur a dit :


Hoghen sellomb uhelloc’h ! Eur bed all ra vezo ;
Peb unan diouc’h he ober neuze en devezo.


Et au bas de ce cantique écrit à Scaër, au mois de la moisson (août 1843), c’est lui qui a écrit :


Da gonforti ar Vretoned
Ar beden-man em euz saved.


Il est, d’ailleurs, incontestable que l’œuvre de Brizeux est pleine des témoignages d’une foi chrétienne. Il a célébré nos mystères, poétisé les cérémonies de notre culte, exprimé très heureusement le bonheur de croire ; il semble même, — et la remarque en a été faite dans le charmant livré d’ A. Lexandre : Un Pèlerinage au Pays de Brizeux, — il semble que ses croyances se sont précisées et fortifiées avec le temps, Nous avons un témoignage de ce progrès vers le christianisme dans une variante de la pièce intitulée Jésus, qui fait partie du poème de Marie. Dans la première édition on lit :

Ô toi qui de l’amour fis ta première loi,
Homme ou Dieu, l’univers est à jamais à toi.

Dans les éditions suivantes Brizeux a modifié le dernier vers et on y lit désormais :

Ô Jésus, l’univers est désormais à toi.

Je ne voudrais pas sembler attacher une importance capitale à cette variante. La pièce qu’elle conclut n’est certes pas d’un catholique ; la mort de Brizeux, non plus, n’a pas affirmé ses convictions dans ce sens. Du moins, peut-on dire qu’il ne séparait pas le Christianisme de la Bretagne et que sa poésie fut dévote à ces deux amours. Il y avait chez lui un vrai bonheur à revenir aux chères impressions de l’enfance pieuse.

Bonheur de revenir, et j’y cède toujours,
Vers sa pieuse enfance et ses jeunes amours.

On pourrait ajouter, je pense, et sans crainte d’être mal compris, qu’il était plus chrétien en Bretagne que loin du pays et que, mourant en Bretagne, il y serait mort en chrétien. Ce qu’il est important d’attester, c’est que grande était surtout sa frayeur de scandaliser les simples ; et qu’il parlait, pour lui comme pour eux, quand il chantait :

Koulskoude dreist ann holl vadou,
Karomb ar Christ, Doue hon tadou…

Même en Français, il écrivait :

Aimons notre pays, mais surtout aimons Dieu.

C’était une âme vraiment religieuse.

Un jour, à Paris, il se trouvait assis à un dîner non loin de M. de Lamennais, après que celui-ci eut rompu avec l’Église. On remarqua que Brizeux lui répondait avec brusquerie et qu’il affectait de le contredire. Lamennais ne tarda pas à le remarquer lui-même et, sans doute, devinant les motifs de cette mauvaise humeur, il lui dit en souriant :

— Continuez, jeune homme : c’est d’un Breton !

On m’a raconté à Scaër une anecdote sur Brizeux par laquelle je terminerai cette étude, parce qu’elle affirme nettement sa croyance et qu’elle manifeste ce qu’il pensait du catholicisme, au point de vue de l’esthétique bretonne.

Il y a dans la paroisse, à Coadri, une chapelle célèbre dédiée à Monsieur Christ, comme on dit en Breton. À l’un de ses voyages à Scaër, on apprit à Brizeux que des fresques allaient en orner les murs et que ce travail était confié à un artiste du nom de Fisher.

À ce nom étranger, Brizeux dressa l’oreille.

— Est-il catholique ?

— Je ne crois pas, lui répondit-on.

— Tant pis, dit Brizeux, il ne peindra jamais bien les Bretons.


J’arrête là ces souvenirs de mes pèlerinages à Scaër. Ce sont de petits faits, de petites lettres, de petites observations et de petites remarques : mais, on le sait, il faut si peu de chose pour faire une relique, et les fidèles se contentent d’un tout petit morceau d’étoffe, faute de posséder tout le corps glorieux.

Qu’il en soit de même de ces pages, si mon lecteur pense comme moi que Brizeux est un des saints de notre paradis Breton. Comme talent, il avait fait ses preuves plus qu’il ne fallait ; il restait, pour l’enquête de canonisation, à faire connaître la bonté de son âme. Je crois que nul n’en peut douter désormais. À Scaër, on en garde un souvenir impérissable, et si son corps repose à Lorient, et si c’est à Lorient que nous lui avons élevé une statue, son âme, toute de douceur et de simplicité, est surtout vivante à Scaër. C’est peut-être là qu’est son plus radieux mausolée, dans tous les cœurs qui battent encore aussitôt qu’on prononce son nom.


  1. Au collège de Redon, dans la séance académique du 22  janvier 1894.
  2. Depuis que cette étude a paru dans l’Hermine, une thèse de doctorat a été publiée sous ce titre : Brizeux, sa vie et ses œuvres. Cet important travail de M. l’abbé A. Lecigne sera lu avec intérêt par tous ceux qui aiment le poète breton.
  3. Deux bouteilles de vin de Constance que Lacaussade avait portées à son ami.
  4. Cependant sur un bout de papier, dont j’ai donné plus haut l’autographe, que m’a offert M. Lacaussade, je trouve noté de la main de Brizeux :

    Ire année, 1824 Lt (C’est-à-dire Lorient.)

    IIe    »        » 25 Lt.

    IIIre    »        » 25 » Arras.

    IVe    »        » 27 »

    Ve     »        » 28 Lt-Atz.-Paris.

    VIe    »        » 29 Lt-Scaër.

          VIIe      » 30 Scaër. J’y vais chercher Léon
    » 30 Arras.

    Et plus bas :

    V     1828-29 septembre. Je vais à Kemperlé avec Ernest et
                   de là à Arzanno, au Pardon. Léon nous accompagne.

    VII   1830 Scaër. J’y vais chercher l’abbé Léon. Habit
                   breton, à Coadri. Nous revenons à Kemperlé.
                   Il me conduit à Arzanno. Seul, je vais à l’Ellé.

    VIII 1832 Scaër, 2e voyage, avec Léon qui n’est plus abbé.
                   Seul à Arzanno par Rédené.

           1834 Scaër (3e voyage).

           1835 Scaër (4e voyage. Sép.}.

           1836 Scaër (5e voyage).

             id.   Scaër (6e voyage).

  5. Je laisse aux noms l’orthographe que Brizeux leur donne dans son désir de les rapprocher de leur étymologie présumée.
  6. Il revenait encore d’Italie. « C’est le 23 janvier 1834, qu’il a commencé sa première leçon à l’Athénée de Marseille… Ce cours a duré à peu près quatre mois. Le cours fini, il est allé de Marseille même en Italie… Il a passé trois mois en Toscane. (Barbier à Lacaussade).
  7. Parmi les plus amusantes fantaisies exécutées sur la Marie de Brizeux, il faut noter celle d’une américaine, Mme Shaw, qui est un fragment inédit de ses Mémoires, dont M. Jules Claretie a fait une chronique, dans le numéro du Figaro du 11 septembre 1903.

    Mme Shaw, qui a passé quelque temps à Scaër, y a connu, dans l’auberge de Rodallec, une vieille servante du nom d’Anna Huet. Elle a forgé tout un roman sur de prétendues confidences que lui aurait faites cette vieille femme. D’après Mme Shaw, Anna Huet serait la Marie de Brizeux. Il n’y a pas un mot de vrai dans cette histoire ; Mme Shaw aura mal compris ce que la vieille aura pu lui dire. Moi qui ai connu Anna Huet ; ses parents et ses amis de Scaër près de qui elle a vécu ; sa nièce et filleule qui est à mon service ; les Rodallec avec qui j’en ai causé récemment et qui m’ont dit avoir refusé à Mme Shaw d’authentiquer sa fantaisie, tous, au besoin, viendraient témoigner contre une invention ridicule. Il suffit, d’ailleurs, pour en apprécier la valeur, de savoir de quel nom est appelée l’héroïne du roman Américain : Maric’h Hannat ! Dans quelle langue et qui pourrait y reconnaître Anna Huet ou Marie Pellan ?</>

  8. Lire à ce sujet les amusants poèmes des abbés Martin et Le May que l’Hermine a publiés.
  9. Pont Gour’t, Dour Gaon, Hent Coz, Hentic Douarmelen, Hent Kerzéré, Hent Kerflouz, Hent Cosquer Vin, etc.
  10. Il y a un ou deux pardons à chacune des chapelles : il y en a trois à Coadri (Voir La Bretagne qui croit, pardon de Coadri). Le grand pardon du bourg en l’honneur de saint Alain et de sainte Candide, a lieu le dernier dimanche d’août. Les foires aussi sont intéressantes, surtout la foar ien en novembre ou, foar koumananchou.
  11. Il y avait alors deux auberges à Scaër : celle de la Vve Daniel et celle des Rodallec, à la Croix d’Argent (Note de Brizeux, 10 octobre 1834).
  12. C’est en 1829, d’après une note de lui citée plus haut, que Brizeux paraît avoir séjourné à Scaër pour la première fois.
  13. En 1903, une plaque commémorative a été posée, à Scaër sur une des maisons habitées par Brizeux.
  14. Tout dort dans le village et dans le cimetière.
    Les vivants dans leur lit et les morts dans leur bière.
    Lui seul, il veille encore et bien loin dans la nuit,
    Le passant attardé voit sa lampe qui luit.
    Si sa lumière enfin décline faute d’huile,
    Il ouvre sa fenêtre et longtemps immobile,
    Là, devant son logis, il contemple envieux
    Ceux qui sous le gazon tiennent fermés leurs yeux,
    Dont nul amer soupir ne desserre la bouche…
    Heureux dormeurs, toujours tranquilles dans leur couche.

  15. Il est peut-être bon de noter, pour ceux qui ne le savent pas, qu’à Scaër, chaque invité d’une noce paysanne paie une contribution. Le prix est plus élevé maintenant que du temps de Brizeux ; pour la première journée, on paie trois francs : quand on reste deux jours, on en est quitte avec cinq francs.
  16. Au sujet de ce culte de Brizeux pour Virgile, il faut lire la très intéressante étude de M. Maurice Souriau : Les cahiers d’écolier de Brizeux.
  17. Une sœur d’Anna Huet, qui étant très jeune et avant d’aller à Lorient, avait servi chez les Rodallec.
  18. Telle est la forme du nom que Mme Shaw orthographie Maric’h Hannat !
  19. Maï Fornier, mariée à Jérôme Huiband.
  20. À cause de ses cheveux courts.
  21. Ce poème de Brizeux a été publié chez Dentu ; il est daté de Paris, février 1840.
  22. Hélas ! voici le jour de quitter votre pays ; — Au revoir ; Cornouaillais ! oui, bonnes gens, au revoir.
    — Au revoir, jeune homme. Mais revenez, revenez ! — Pourquoi s’en aller, quand on est aimé de tout le monde ?
  23. C’est cette Anna Huel, transformée par MmeShaw en Maric’h Hannat et en Maric.
  24. « Je fume avec Jakez et Berthel. » (Note de Brizeux.)
  25. Quand Brizeux se présenta à l’Académie, un des Quarante aurait objecté, dit-on : « Nous avons déjà Alfred de Musset ; cela suffit. » M. Lacaussade proteste vivement contre cette accusation d’intempérance portée contre Brizeux. À Scaër, la même protestation est unanime. « A la fin de sa vie, m’a dit M. Lacaussade, Brizeux souffrait d’une soif ardente causée par la fièvre qui ne le quittait guère. La phtisie dont il est mort était compliquée de diabète. »
  26. Dans le bourg depuis que je demeure — Le marteau du cloutier j’entends. — Pendant le jour, pendant la nuit, il frappe. — Il frappe, son marteau, toujours.
  27. Dimanche, 9 mai 1835. « Partie de galoche dans l’aire. » — Dimanche, 24 mai, même année, « joué au pari pil paotr. » (Notes de Brizeux).
  28. « Je régale la jolie Marie-Anna de Kervéghen et d’autres. » (Note de Brizeux).
  29. Chantons tous le chêne, roi des grands bois. — Chantons tous, jeunes gens, et chantons les arbres verts. — Cruel est celui qui coupe les chênes. — Hélas ! combien d’arbres en Bretagne sont abattus.
        Les arbres sont sacrés.
        Avec ses feuilles très abondantes, un chêne centenaire — Et avec ses cheveux longs sur son cou, un Breton — Sont comme deux frères, sans dire des mensonges, — Pleins de force, de vie, fermes et durs, tous deux.
        Sur ma tombe, jeunes gens, vous mettrez un chêne.
  30. Tels sont les cœurs : parfois, sous les lauriers fleuris,
    En Bretagne, il est doux de songer à Paris.
    Et là-bas, regrettant notre libre campagne,
    A Paris, nous aimons à causer de Bretagne.
    (La Taverne, histoires poétiques)

    De cet humble village aux nobles Tuileries,
    Ainsi nos souvenirs s’échangeront toujours.
    Parfois, vous mêlerez mon nom à vos discours :
    J’emplirai de vos vers mes longues rêveries.
    (journal rustique, II Lettre)

  31. Une lettre de la ville, HISTOIRES POÉTIQUES.
  32. Une des lettres publiées par M. Fraboulet et adressée à M. Briault de Lorient, est postérieure à celle-ci. Elle est datée du 17 février 1858.