ACTE V.
Scène PREMIERE.
UY Madame, Neron (qui l’auroit pû penſer ?)
Dans ſon Appartement m’attend pour m’embraſſer.
Il y fait de ſa Cour inviter la Jeuneſſe.
Il veut que d’un Feſtin la pompe & l’allegreſſe
Confirment à leurs yeux la foy de nos ſermens,
Et réchauffent l’ardeur de nos embraſſemens.
Il éteint cét amour ſource de tant de haine,
Il vous fait de mon ſort arbitre ſouveraine.
Pour moy, quoy que banny du rang de mes Ayeux,
Quoy que de leur dépoüille il ſe pare à mes yeux,
Depuis qu’à mon amour ceſſant d’être contraire
Il ſemble me ceder la gloire de vous plaire,
Mon cœur, je l’avoüray, luy pardonne en ſecret,
Et luy laiſſe le reſte avec moins de regret.
Quoy je ne ſeray plus ſeparé de vos charmes ?
Quoy même en ce momẽt je puis voir ſans allarmes
Ces yeux, que n’ont émus ny ſoûpirs, ny terreur,
Qui m’ont ſacrifié l’Empire & l’Empereur ?
Ah Madame ! Mais quoy ? Quelle nouvelle crainte
Tient parmy mes tranſports voſtre joye en contrainte ?
D’où vient qu’en m’écoutant, vos yeux, vos triſtes yeux
Avec de longs regards ſe tournent vers les Cieux ?
Qu’eſt-ce que vous craignez ?
Mais je crains.
Il me fuit, il vous cherche. Un ſi grand changement
Peut-il eſtre, Seigneur, l’ouvrage d’un moment ?
Elle a crû que ma perte entraînoit ſa ruine.
Grace aux preventions de ſon eſprit jaloux,
Nos plus grands ennemis ont combattu pour nous.
Je m’en fie aux tranſports qu’elle m’a foit paraiſtre.
Je m’en fie à Burrhus. J’en croy même ſon Maiſtre.
Je croy, qu’à mon exemple impuiſſant à trahir
Il hait à cœur ouvert, ou ceſſe de haïr.
Sur des pas differens vous marchez l’un & l’autre.
Je ne connoy Neron & la Cour que d’un jour.
Mais (ſi je l’oſe dire,) helas ! dans cette Cour
Combien tout ce qu’on dit eſt loin de ce qu’on pẽſe !
Que la bouche & le cœur ſont peu d’intelligence !
Avec combien de joye on y trahit ſa foy !
Quel ſéjour eſtranger & pour vous & pour moy !
Si vous craignez Neron, luy-même eſt-il ſãs crainte ?
Non, non, il n’ira point par un lâche attentat
Soûlever contre-luy le Peuple & le Senat.
Que dis-je ? Il reconnoiſt ſa derniere injuſtice.
Ses remords ont paru même aux yeux de Narciſſe.
Ah s’il vous avoit dit, ma Princeſſe, à quel point…
Qu’à d’éternels ſoupçons j’abandonne mon ame ?
Seul de tous mes Amis Narciſſe m’eſt reſté.
L’a-t-on veu de mon Pere oublier la bonté ?
S’eſt-il rendu, Madame, indigne de la mienne ?
Neron de temps en temps ſouffre qu’il l’entretiẽne,
Je le ſçay. Mais il peut, ſans violer ſa foy,
Tenir lieu d’Interprete entre Neron & moy.
Et pourquoy voulez-vous que mon cœur s’en défie ?
Tout m’eſt ſuſpect. Je crains que tout ne ſoit ſeduit.
Je crains Neron. Je crains le mal-heur qui me ſuit.
D’un noir preſſentiment malgré moy prevenuë,
Je vous laiſſe à regret éloigner de ma veuë.
Helas ! Si cette paix, dont vous vous repaiſſez,
Couvroit contre vos jours quelques pieges dreſſez !
Si Neron irrité de noſtre intelligence
Avoit choiſi la nuit pour cacher ſa vengeance !
S’il preparoit ſes coups tandis que je vous vois !
Et ſi je vous parlois pour la derniere fois !
Ah Prince !
Et pour moy juſques la voſtre cœur s’intereſſe ?
Quoy Madame, en un jour, où plein de ſa grandeur
Neron croit ébloüir vos yeux de ſa ſplendeur,
Dans des lieux où chacun me fuit & le revere,
Aux pompes de ſa Cour preferer ma miſere !
Quoy dans ce même jour, & dans ces mêmes lieux,
Refuſer un Empire & pleurer à mes yeux !
Mais, Madame, arreſtez ces pretieuſes larmes ;
Mon retour va bien-toſt diſſiper vos alarmes.
Je me rendrois ſuſpect par un plus long ſéjour.
Adieu, je vais le cœur tout plein de mon amour
Au milieu des tranſports d’une aveugle Jeuneſſe,
Ne voir, n’entretenir que ma belle Princeſſe.
Adieu.
Scène II.
Rince, que tardez-vous ? Partez en diligence.
Neron impatient ſe plaint de voſtre abſence.
La joye & le plaiſir de tous les Conviez
Attend pour éclatter que vous vous embraſſiez.
Ne faites point languir une ſi juſte envie,
Allez. Et nous, Madame, allons chez Octavie.
Haſtez-vous d’embraſſer ma Sœur qui vous attend.
Dés que je le pourray je reviens ſur ſes traces,
Madame, & de vos ſoins j’iray vous rendre graces.
Scène III.
Adame, ou je me trõpe, ou durant vos Adieux
Quelques pleurs répandus ont obſcurcy vos yeux.
Puis-je ſçavoir quel trouble a formé ce nuage ?
Doutez-vous d’une Paix, dont je fay mon ouvrage ?
Ay-je pû raſſurer mes eſprits agités ?
Helas ! à peine encor je conçoy ce miracle.
Quand même à vos bontez je craindrois quelque obſtacle,
Le changement, Madame, eſt commun à la Cour,
Et toûjours quelque crainte accompagne l’amour.
Mes ſoins à vos ſoupçons ne laiſſent point de place.
Je répons d’une Paix jurée entre mes mains,
Neron m’en a donné des gages trop certains.
Ah ſi vous aviez veu par combien de careſſes
Il m’a renouvellé la foy de ſes promeſſes !
Par quels embraſſemens il vient de m’arreſter !
Ses bras dans nos Adieux ne pouvoient me quitter.
Sa facile bonté ſur ſon front répanduë
Juſqu’aux moindres ſecrets eſt d’abord deſcenduë,
Il s’épanchoit en Fils, qui vient en liberté
Dans le ſein de ſa Mere oublier ſa fierté.
Mais bien-toſt reprenant un viſage ſevere,
Tel que d’un Empereur qui conſulte ſa Mere,
Sa confidence auguſte a mis entre mes mains
Des ſecrets d’où dépend le deſtin des humains.
Non, il le faut icy confeſſer à ſa gloire.
Son cœur n’enferme point une malice noire,
Et nos ſeuls ennemis alterant ſa bonté,
Abuſoient contre nous de ſa facilité.
Mais enfin à ſon tour leur puiſſance decline.
Rome encore une fois va connoiſtre Agrippine.
Déja, de ma faveur on adore le bruit.
Cependant en ces lieux n’attendons pas la nuit,
Paſſons chez Octavie, & donnons luy le reſte
D’un jour autant heureux que je l’ay crû funeſte.
Mais qu’eſt-ce que j’entens ? Quel tumulte confus ?
Que peut-on faire ?
Scène IV.
Urrhus, où courez-vous ? Arreſtez. Que veut dire…
Madame.
Je vais le ſecourir, ſi je puis, ou le ſuivre.
Scène V.
Uel attentat, Burrhus !
Madame, il faut quitter la Cour & l’Empereur.
A peine l’Empereur a veu venir ſon Frere,
Il ſe leve, il l’embraſſe, on ſe taiſt, & ſoudain
Ceſar prend le premier une coupe à la main.
Pour achever ce jour ſous de meilleurs auſpices,
Ma main de cette coupe épanche les premices,
Dit-il, Dieux, que j’appelle à cette effuſion,
Venez favoriſer noſtre reünion.
Par les meſmes ſermens Britannicus ſe lie,
La coupe dans ſes mains par Narciſſe eſt remplie,
Mais ſes levres à peine en ont touché les bords,
Le fer ne produit point de ſi puiſſans efforts
Madame, la lumiere à ſes yeux eſt ravie,
Il tombe ſur ſon lit ſans chaleur & ſans vie.
Jugez combien ce coup frappe tous les eſprits.
La moitié s’épouvante, & ſort avec des cris.
Mais ceux qui de la Cour ont un plus long uſage
Sur les yeux de Ceſar compoſent leur viſage.
Cependant ſur ſon lit il demeure penché,
D’aucun eſtonnement il ne paroiſt touché.
Ce mal dont vous craignez, dit-il, la violence
A ſouvent ſans peril attaqué ſon enfance.
Narciſſe veut en vain affecter quelque ennuy,
Et ſa perfide joye éclate malgré luy.
Pour moy, dûſt l’Empereur punir ma hardieſſe,
D’une odieuſe Cour j’ay traverſé la preſſe,
Et j’allois accablé de cét Aſſaſſinat
Pleurer Britannicus, Ceſar & tout l’Eſtat.
Demeurez.
Scène VI.
Mais, Madame, évitez ce ſpectacle odieux.
Moy-meſme en fremiſſant j’en détourne les yeux.
Il eſt mort. Toſt ou tard il faut qu’on vous l’avoüe.
Ainſi de nos deſſeins la Fortune ſe jouë.
Quand nous nous rapprochons, le Ciel nous deſunit.
Si de quelque pitié ma miſere eſt ſuivie,
Qu’on me laiſſe chercher dans le ſein d’Octavie
Un entretien conforme à l’eſtat où je ſuis.
Je vais par tous les ſoins que la tendreſſe inſpire
Vous…
Scène VII.
Britannicus eſt mort, je reconnoy les coups.
Je connoy l’Aſſaſſin.
Il n’eſt point de mal-heur dont je ne ſois coupable,
Et ſi l’on veut, Madame, écouter vos diſcours,
Ma main de Claude meſme aura tranché les jours.
Son Fils vous eſtoit cher, ſa mort peut vous cõfõdre.
Mais des coups du deſtin je ne puis pas répondre.
Narciſſe a fait le coup, vous l’avez ordonné.
Britannicus, Madame, eut des deſſeins ſecrets
Qui vous auroient couſté de plus juſtes regrets.
Il aſpiroit plus loin qu’à l’Hymen de Junie.
De vos propres bontez il vous auroit punie,
Madame, il vous trompoit, & ſon cœur offenſé
Prétendoit toſt ou tard rappeller le paſſé.
Soit donc que malgré vous le ſort vous ait ſervie ;
Soit qu’inſtruit des complots qui menaſſoient ſa vie
Sur ma fidelité Ceſar s’en ſoit remis,
Laiſſez les pleurs, Madame, à vos ſeuls ennemis.
Qu’ils mettent ce mal-heur au rãg des plus ſiniſtres,
Mais vous…
Par des faits glorieux tu te vas ſignaler.
Pourſuy. Tu n’as pas fait ce pas pour reculer.
Ta main a commencé par le ſang de ton Frere.
Je prevoy que tes coups viendront juſqu’à ta Mere.
Tu te fatigueras d’entendre tes forfaits.
Tu voudras t’affranchir du joug de mes bien-faits.
Mais je veux que ma mort te ſoit même inutile,
Ne crois pas qu’en mourant je te laiſſe tranquille.
Rome, ce Ciel, ce jour, que tu receus de moy,
Par tout, à tout moment, m’offriront devant toy,
Tes remors te ſuivront comme autant de furies.
Tu croiras les calmer par d’autres barbaries.
Ta fureur s’irritant ſoy-meſme dans ſon cours
D’un ſãg toûjours nouveau marquera tous tes jours.
Mais j’eſpere qu’enfin le Ciel las de tes crimes
Ajoûtera ta perte à tant d’autres victimes,
Qu’apres t’eſtre couvert de leur ſang & du mien,
Tu te verras forcé de répandre le tien,
Et ton nom paroiſtra dans la race future
Aux plus cruels tyrans une cruelle injure.
Voilà ce que mon cœur ſe preſage de toy.
Adieu, tu peux ſortir.
Scène VIII.
H Ciel ! de mes ſoupçons quelle étoit l’injuſtice !
Je condamnois Burrhus pour écouter Narciſſe.
Burrhus avez-vous veu quels regards furieux
Neron en me quittant m’a laiſſez pour Adieux.
C’en eſt fait. Le cruel n’a plus rien qui l’arreſte :
Le coup qu’on m’a predit va tomber ſur ma teſte.
Il vous accablera vous-meſme à voſtre tour.
Pluſt au Ciel que ſa main heureuſement cruelle
Euſt fait ſur moy l’eſſay de ſa fureur nouvelle !
Qu’il ne m’eût pas donné par ce triſte attentat
Un gage trop certain des mal-heurs de l’Eſtat !
Son crime ſeul n’eſt pas ce qui me deſeſpere ;
Sa jalouſie a pû l’armer contre ſon Frere.
Mais, s’il vous faut, Madame, expliquer ma douleur,
Neron l’a veu mourir, ſans changer de couleur.
Ses yeux indifferens ont déja la conſtance
D’un Tyran dans le crime endurcy dés l’enfance.
Qu’il acheve, Madame, & qu’il faſſe perir
Un Miniſtre importun, qui ne le peut ſouffrir.
Helas ! Loin de vouloir éviter ſa colere
La plus ſoudaine mort me ſera la plus chere.
Scène DERNIERE.
H Madame ! ah Seigneur ! Courez vers l’Empereur ;
Venez ſauver Ceſar de ſa propre fureur.
Il ſe voit pour jamais ſeparé de Junie.
Madame, ſans mourir elle eſt morte pour luy.
Vous ſçavez de ces lieux comme elle s’eſt ravie ;
Elle a feint de paſſer chez la triſte Octavie.
Mais bien-toſt elle a pris des chemins écartez,
Où mes yeux ont ſuivy ſes pas precipitez.
Des portes du Palais elle ſort éperduë.
D’abord elle a d’Auguſte aperceu la ſtatuë ;
Et moüillant de ſes pleurs le marbre de ſes pieds
Que de ſes bras preſſants elle tenoit liez ;
Prince, par ces genoux, dit-elle, que j’embraſſe,
Protege en ce moment le reſte de ta Race.
Rome dans ton Palais vient de voir immoler
Le ſeul de tes Neveux, qui te puſt reſſembler.
On veut apres ſa mort que je luy ſois parjure.
Mais pour luy conſerver une foy toûjours pure,
Prince, je me devouë à ces Dieux immortels
Dont ta vertu t’a fait partager les Autels.
Le Peuple cependant que ce ſpectacle eſtonne,
Vole de toutes parts, ſe preſſe, l’environne,
S’attendrit à ſes pleurs, & plaignant ſon ennuy
D’une commune voix la prend ſous ſon appuy.
Ils la meinent au Temple, où depuis tant d’années
Au culte des Autels nos Vierges deſtinées
Gardent fidellement le dépoſt pretieux
Du Feu toûjours ardant qui brûle pour nos Dieux.
Ceſar les voit partir ſans oſer les diſtraire.
Narciſſe plus hardy s’empreſſe pour luy plaire.
Il vole vers Junie, & ſans s’épouvanter
D’une profane main commence à l’arreſter.
De mille coups mortels ſon audace eſt punie,
Son infidelle ſang rejaillit ſur Junie.
Ceſar de tant d’objets en meſme temps frappé
Le laiſſe entre les mains qui l’ont enveloppé.
Il rentre. Chacun fuit ſon ſilence farouche.
Le ſeul nom de Junie échappe de ſa bouche.
Il marche ſans deſſein, ſes yeux mal aſſurez
N’oſent lever au Ciel leurs regards égarez.
Et l’on craint, ſi la nuit jointe à la ſolitude
Vient de ſon deſeſpoir aigrir l’inquietude,
Si vous l’abandonnez plus long-temps ſans ſecours
Que ſa douleur bien-toſt n’attente ſur ſes jours.
Le temps preſſe. Courez. Il ne faut qu’un caprice.
Il ſe perdroit, Madame.
Mais Burrhus, allons voir juſqu’où vont ſes tranſports.
Voyons quel changement produiront ſes remords,
S’il voudra deſormais ſuivre d’autres maximes.