Brumes de fjords/L’Impossible Perfection

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L’IMPOSSIBLE PERFECTION


Un homme, soucieux de développer son âme jusqu’à la perfection, méditait longuement les paroles des Saints et des Prophètes.

« Le Christ, songea-t-il, ne fut point l’Être parfait. Il versa le pardon sur les abominations commises mais l’abîme du péché lui était inconnu. Ce Dieu qui s’est fait homme a ignoré la moitié des joies et des douleurs humaines…

« Il fut étranger à l’éblouissement du désir et aux angoisses magnifiques du remords.

« Celui qui n’a point péché n’est point l’Être parfait. »

Et l’homme qui aspirait à la beauté absolue de son âme décida de connaître toutes les défaillances et toutes les luxures qui damnent et qui sauvent les hommes.

Il voulut savoir le charme du meurtre.

Et, sachant que la vie moderne n’offre qu’un sol appauvri où s’étiole la fleur sanglante du crime, il s’enfuit vers les ardents et libres espaces.

Parmi l’or des coupes renversées et dans le souffle des roses, il ordonna de brûler des femmes nues.

Il inventa de raffinés supplices où l’amour épousait la mort.

Avant de les crucifier, il s’enivra de la passivité des éphèbes, de la pollution des enfants.

Un soir, il incarna Héliogabale, une nuit, il ressuscita Néron.

Puis, lassé, il revint vers l’incomplète civilisation. Il fut le Joueur dont la marche triomphale sème des milliers de ruines.

Autour de sa demeure, grimaçaient des visages de faim et de désespoir.

Il avait entendu l’appel des détresses et le râle des suicidés.

Dans la pourpre d’un crépuscule d’été, il viola sa sœur. Et, secrètement, il tua son père.

Il fut le voleur anonyme qui détrousse les passants dans le mystère des rues et dans l’ombre des routes.

Il fut le vulgaire assassin qui s’endort sur le cœur attendri d’une prostituée.

Il connut tous les dégoûts, toutes les hontes, toutes les lâchetés et toutes les gloires.

Puis, retrouvant la large paix des campagnes d’automne, il songea au repentir. Il se souvint de ses aspirations surhumaines d’autrefois…

Mais, devant l’insignifiance de ses crimes, devant la médiocrité des forfaits les plus énormes, il ne put goûter la sombre et mystique splendeur du Repentir.

Il rêva d’une mort magnanime qui laisserait au fond du cœur des êtres un éternel reflet d’horreur et de pitié. Et la fièvre banale vint, un jour, le surprendre dans son lit.

Ainsi passa celui à qui il avait manqué peu de chose pour devenir l’Être parfait.