Buffon - Oeuvres completes, 1829/Tome 2

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ŒUVRES
COMPLÈTES
DE BUFFON.
TOME II.

THÉORIE DE LA TERRE.
II.


PARIS. — IMPRIMERIE D’A. BÉRAUD. RUE DU FOIN-SAINT-JACQUES, No 9.
ŒUVRES
COMPLÈTES
DE BUFFON
AUGMENTÉES
PAR M. F. CUVIER,
MEMBRE DE L’INSTITUT,
(Académie des Sciences)
DE DEUX VOLUMES
supplémentaires
OFFRANT LA DESCRIPTION DES MAMMIFÈRES ET
DES OISEAUX LES PLUS REMARQUABLES
DÉCOUVERTS JUSQU’À CE JOUR,
ET ACCOMPAGNÉES
D’UN BEAU PORTRAIT DE BUFFON, ET DE 260 GRAVURES EN
TAILLE-DOUCE, EXÉCUTÉES POUR CETTE ÉDITION
PAR LES MEILLEURS ARTISTES.
À PARIS,
CHEZ F. D. PILLOT, ÉDITEUR,
RUE DU FOUARRE, No 19, PRÈS LA PLACE MAUBERT ;
SALMON, LIBRAIRE,
QUAI DES AUGUSTINS, No 19.

1829.

SUITE DES PREUVES

DE LA

THÉORIE DE LA TERRE.

ARTICLE VIII.

Sur les coquilles et autres productions de la mer qu’on trouve dans l’intérieur de la terre.


J’ai souvent examiné des carrières du haut en bas, dont les bancs étoient remplis de coquilles ; j’ai vu des collines entières qui en sont composées, des chaînes de rochers qui en contiennent une grande quantité dans toute leur étendue. Le volume de ces productions de la mer est étonnant, et le nombre de ces dépouilles d’animaux marins est si prodigieux, qu’il n’est guère possible d’imaginer qu’il puisse y en avoir davantage dans la mer. C’est en considérant cette multitude innombrable de coquilles et d’autres productions marines qu’on ne peut pas douter que notre terre n’ait été, pendant un très long temps, un fond de mer peuplé d’autant de coquillages que l’est actuellement l’Océan : la quantité en est immense, et naturellement on n’imagineroit pas qu’il y eût dans la mer une multitude aussi grande de ces animaux ; ce n’est que par celle des coquilles fossiles et pétrifiées qu’on trouve sur la terre que nous pouvons en avoir une idée. En effet, il ne faut pas croire, comme se l’imaginent tous les gens qui veulent raisonner sur cela sans avoir rien vu, qu’on ne trouve ces coquilles que par hasard, qu’elles sont dispersées çà et là, ou tout au plus par petits tas, comme des coquilles d’huîtres jetées à la porte : c’est par montagnes qu’on les trouve, c’est par bancs de 100 et de 200 lieues de longueur ; c’est par collines et par provinces qu’il faut les toiser, souvent dans une épaisseur de 50 ou 60 pieds, et c’est d’après ces faits qu’il faut raisonner.

Nous ne pouvons donner sur ce sujet un exemple plus frappant que celui des coquilles de Touraine : voici ce qu’en dit l’historien de l’Académie[1] : « Dans tous les siècles assez peu éclairés et assez dépourvus du génie d’observation et de recherche, pour croire que tout ce qu’on appelle aujourd’hui pierres défigurées, et les coquillages même trouvés dans la terre, étoient des jeux de la nature, ou quelques petits accidents particuliers, le hasard a dû mettre au jour une infinité de ces sortes de curiosités, que les philosophes mêmes, si c’étoient des philosophes, ne regardoient qu’avec une surprise ignorante ou une légère attention : et tout cela périssoit sans aucun fruit pour les progrès des connoissances. Un potier de terre, qui ne savoit ni latin ni grec, fut le premier, vers la fin du seizième siècle, qui osa dire dans Paris, et à la face de tous les docteurs, que les coquilles fossiles étoient de véritables coquilles déposées autrefois par la mer dans les lieux où elles se trouvoient alors ; que des animaux, et surtout des poissons, avoient donné aux pierres figurées toutes leurs différentes figures, etc. ; et il défia hardiment toute l’école d’Aristote d’attaquer ses preuves : c’est Bernard Palissy, Saintongeois, aussi grand physicien que la nature seule puisse en former un : cependant son système a dormi plus de cent ans, et le nom même de l’auteur est presque mort. Enfin les idées de Palissy se sont réveillées dans l’esprit de plusieurs savants ; elles ont fait la fortune qu’elles méritoient ; on a profité de toutes les coquilles, de toutes les pierres figurées que la terre a fournies : peut-être seulement sont-elles devenues aujourd’hui trop communes ; et les conséquences qu’on en tire sont en danger d’être bientôt trop incontestables.

» Malgré cela, ce doit être encore une chose étonnante que le sujet des observations présentes de M. de Réaumur, une masse de 130,680,000 toises cubiques, enfouie sous terre, qui n’est qu’un amas de coquilles, ou de fragments de coquilles, sans nul mélange de matière étrangère, ni pierre, ni terre, ni sable : jamais, jusqu’à présent, les coquilles fossiles n’ont paru en cette énorme quantité, et jamais, quoiqu’en une quantité beaucoup moindre, elles n’ont paru sans mélange. C’est en Touraine que se trouve ce prodigieux amas à plus de 56 lieues de la mer : on l’y connoît, parce que les paysans de ce canton se servent de ces coquilles qu’ils tirent de la terre, comme de marne, pour fertiliser leurs campagnes, qui sans cela seroient absolument stériles. Nous laissons expliquer à M. de Réaumur comment ce moyen assez bizarre leur réussit ; nous nous renfermons dans la singularité de ce grand tas de coquilles.

» Ce qu’on tire de terre, et qui ordinairement n’y est pas à plus de 8 ou 9 pieds de profondeur, ce ne sont que de petits fragments de coquilles très reconnoissables pour en être des fragments ; car ils ont les cannelures très bien marquées : seulement ils ont perdu leur luisant et leur vernis, comme presque tous les coquillages qu’on trouve en terre, qui doivent y avoir été long-temps enfouis. Les plus petits fragments qui ne sont que de la poussière, sont encore reconnoissables pour être des fragments de coquilles, parce qu’ils sont parfaitement de la même matière que les autres ; quelquefois il se trouve des coquilles entières. On reconnoît les espèces tant des coquilles entières que des fragments un peu gros : quelques unes de ces espèces sont connues sur les côtes de Poitou, d’autres appartiennent à des côtes éloignées. Il y a jusqu’à des fragments de plantes marines pierreuses, telles que des madrépores, des champignons de mer, etc. Toute cette matière s’appelle dans le pays du falun.

» Le canton qui, en quelque endroit qu’on le fouille, fournit du falun, a bien neuf lieues carrées de surface. On ne perce jamais la minière de falun ou falunière au delà de 20 pieds : M. de Réaumur en rapporte les raisons, qui ne sont prises que de la commodité des laboureurs et de l’épargne des frais. Ainsi les falunières peuvent avoir une profondeur beaucoup plus grande que celle qu’on leur connoît ; cependant nous n’avons fait le calcul des 130,680,000 toises cubiques que sur le pied de 18 pieds de profondeur, et non pas de 20, et nous n’avons mis la lieue qu’à 2,200 toises : tout a donc été évalué fort bas, et peut-être l’amas de coquilles est-il de beaucoup plus grand que nous ne l’avons posé ; qu’il soit seulement double, combien la merveille augmente-t-elle !

» Dans les faits de physique, de petites circonstances que la plupart des gens ne s’aviseroient pas de remarquer, tirent quelquefois à conséquence et donnent des lumières. M. de Réaumur a observé que tous les fragments de coquilles sont, dans leur tas, posées sur le plat et horizontalement : de là il a conclu que cette infinité de fragments ne sont pas venus de ce que, dans le tas formé d’abord de coquilles entières, les supérieures auroient, par leur poids, brisé les inférieures ; car de cette manière il se seroit fait des écroulements qui auroient donné aux fragments une infinité de positions différentes. Il faut que la mer ait apporté dans ce lieu là toutes ces coquilles, soit entières, soit quelques unes déjà brisées ; et comme elle les apportoit flottantes, elles étoient posées sur le plat et horizontalement ; après qu’elles ont été toutes déposées au rendez-vous commun, l’extrême longueur du temps en aura brisé et presque calciné la plus grande partie sans déranger leur position.

» Il paroît assez par là qu’elles n’ont pu être apportées que successivement ; et en effet, comment la mer voitureroit-elle tout à la fois une si prodigieuse quantité de coquilles, et toutes dans une position horizontale ? elles ont dû s’assembler dans un même lieu, et par conséquent ce lieu a été le fond d’un golfe ou une espèce de bassin.

» Toutes ces réflexions prouvent que, quoiqu’il ait dû rester, et qu’il reste effectivement sur la terre beaucoup de vestiges du déluge universel rapporté par l’Écriture-Sainte, ce n’est point ce déluge qui a produit l’amas des coquilles de Touraine ; peut-être n’y en a-t-il d’aussi grands amas dans aucun endroit du fond de la mer : mais enfin le déluge ne les en auroit pas arrachées ; et s’il l’avoit fait, ç’auroit été avec une impétuosité et une violence qui n’auroient pas permis à toutes ces coquilles d’avoir une même position : elles ont du être apportées et déposées doucement, lentement, et par conséquent en un temps beaucoup plus long qu’une année.

» Il faut donc, ou qu’avant ou qu’après le déluge la surface de la terre ait été, du moins en quelques endroits, bien différemment disposée de ce qu’elle est aujourd’hui, que les mers et les continents y aient eu un autre arrangement, et qu’enfin il y ait eu un golfe au milieu de la Touraine. Les changements qui nous sont connus depuis le temps des histoires ou des fables qui ont quelque chose d’historique, sont, à la vérité, peu considérables ; mais ils nous donnent lieu d’imaginer aisément ceux que des temps plus longs pourroient amener. M. de Réaumur imagine comment le golfe de Touraine tenoit à l’Océan, et quel étoit le courant qui y charrioit des coquilles ; mais ce n’est qu’une simple conjecture donnée pour tenir lieu du véritable fait inconnu, qui sera toujours quelque chose d’approchant. Pour parler plus sûrement de cette matière, il faudroit avoir des espèces de cartes géographiques dressées selon toutes les manières de coquillages enfouis en terre : quelle quantité d’observations ne faudroit-il pas, et quel temps pour les avoir ! Qui sait cependant si les sciences n’iront pas un jour jusque là, du moins en partie ?

Cette quantité si considérable de coquilles nous étonnera moins, si nous faisons attention à quelques circonstances qu’il est bon de ne pas omettre. La première est que les coquillages se multiplient prodigieusement, et qu’ils croissent en fort peu de temps ; l’abondance d’individus dans chaque espèce prouve leur fécondité. On a un exemple de cette grande multiplication dans les huîtres : on enlève quelquefois dans un seul jour un volume de ces coquillages de plusieurs toises de grosseur ; on diminue considérablement en assez peu de temps les rochers dont on les sépare, et il semble qu’on épuise les autres endroits où on les pêche : cependant l’année suivante on en retrouve autant qu’il y en avoit auparavant ; on ne s’aperçoit pas que la quantité d’huîtres soit diminuée, et je ne sache pas qu’on ait jamais épuisé les endroits où elles viennent naturellement. Une seconde attention qu’il faut faire c’est que les coquilles sont d’une substance analogue à la pierre, qu’elles se conservent très long-temps dans les matières molles, qu’elles se pétrifient aisément dans les matières dures, et que ces productions marines et ces coquilles que nous trouvons sur la terre, étant les dépouilles de plusieurs siècles, elles on dû former un volume fort considérable.

Il y a, comme on voit, une prodigieuse quantité de coquilles bien conservées dans les marbres, dans les pierres à chaux, dans les craies, dans les marnes, etc. On les trouve, comme je viens de le dire, par collines et par montagnes ; elles font souvent plus de la moitié du volume des matières où elles sont contenues : elles paroissent la plupart bien conservées ; d’autres sont en fragments, mais assez gros pour qu’on puisse reconnoître à l’œil l’espèce de coquilles à laquelle ces fragments appartiennent, et c’est là où se bornent les observations et les connoissances que l’inspection peut nous donner. Mais je vais plus loin : je prétends que les coquilles sont l’intermède que la nature emploie pour former la plupart des pierres ; je prétends que les craies, les marnes, et les pierres à chaux ne sont composées que de poussière et de détriments de coquilles ; que par conséquent la quantité des coquilles détruites est infiniment plus considérable que celle des coquilles conservées. On verra dans le discours sur les minéraux les preuves que j’en donnerai ; je me contenterai d’indiquer ici le point de vue sous lequel il faut considérer les couches dont le globe est composé. La première couche extérieure est formée du limon de l’air, du sédiment des pluies, des rosées, et des parties végétales ou animales, réduites en particules dans lesquelles l’ancienne organisation n’est pas sensible ; les couches intérieures de craie, de marne, de pierre à chaux, de marbre, sont composées de détriments de coquilles et d’autres productions marines, mêlées avec des fragments de coquilles ou avec des coquilles entières ; mais les sables vitrifiables et l’argile sont les matières dont l’intérieur du globe est composé ; elles ont été vitrifiées dans le temps que le globe a pris sa forme, laquelle suppose nécessairement que la matière a été toute en fusion. Le granite, le roc vif, les cailloux, et les grès en grande masse, les ardoises, doivent leur origine au sable et à l’argile, et ils sont aussi disposés par couches : mais les tufs, les grès, et les cailloux qui ne sont pas en grande masse, les cristaux, les métaux, les pyrites, la plupart des minéraux, les soufres, etc., sont des matières dont la formation est nouvelle en comparaison des marbres, des pierres calcinables, des craies, des marnes, et de toutes les autres matières qui sont disposées par couches horizontales, et qui contiennent des coquilles et d’autres débris des productions de la mer.

Comme les dénominations dont je viens de me servir pourroient paroître obscures ou équivoques, je crois qu’il est nécessaire de les expliquer. J’entends par le mot d’argile non seulement les argiles blanches, jaunes, mais aussi les glaises bleues, molles, dures, feuilletées, etc., que je regarde comme des scories de verre, ou comme du verre décomposé. Par le mot de sable, j’entends toujours le sable vitrifiable ; et non seulement je comprends sous cette dénomination le sable fin qui produit les grès, et que je regarde comme de la poussière de verre, ou plutôt de pierre ponce, mais aussi le sable qui provient du grès usé et détruit par le frottement, et encore le sable gros comme du menu gravier, qui provient du granite et du roc vif, qui est aigre, anguleux, rougeâtre, et qu’on trouve assez communément dans le lit des ruisseaux et des rivières qui tirent immédiatement leurs eaux des hautes montagnes, ou de collines qui sont composées de roc vif ou de granite. La rivière d’Armanson, qui passe à Semur en Auxois, où toutes les pierres sont du roc vif, charrie une grande quantité de ce sable, qui est gros et fort aigre ; il est de la même nature que le roc vif, et il n’en est en effet que le débris, comme le gravier calcinable n’est que le débris de la pierre de taille ou du moellon. Au reste, le roc vif et le granite sont une seule et même substance ; mais j’ai cru devoir employer les deux dénominations, parce qu’il y a bien des gens qui en font deux matières différentes. Il en est de même des cailloux et des grès en grande masse : je les regarde comme des espèces de rocs vifs ou de granites, et je les appelle cailloux en grande masse, parce qu’ils sont disposés, comme la pierre calcinable, par couches, et pour les distinguer des cailloux et des grès que j’appelle en petite masse, qui sont les cailloux ronds et les grès que l’on trouve à la chasse, comme disent les ouvriers, c’est-à-dire les grès dont les bancs n’ont pas de suite et ne forment pas des carrières continues et qui aient une certaine étendue. Ces grès et ces cailloux sont d’une formation plus nouvelle, et n’ont pas la même origine que les cailloux et les grès en grande masse, qui sont disposés par couches. J’entends par la dénomination d’ardoise, non seulement l’ardoise bleue que tout le monde connoît, mais les ardoises blanches, grises, rougeâtres, et tous les schistes. Ces matières se trouvent ordinairement au dessous de l’argile feuilletée, et semblent n’être en effet que de l’argile, dont les différentes petites couches ont pris corps en se desséchant, ce qui a produit les délits qui s’y trouvent. Le charbon de terre, la houille, le jais, sont des matières qui appartiennent aussi à l’argile, et qu’on trouve sous l’argile feuilletée ou sous l’ardoise. Par le mot de tuf, j’entends non seulement le tuf ordinaire qui paroît troué, et, pour ainsi dire, organisé, mais encore toutes les couches de pierre qui se sont faites par le dépôt des eaux courantes, toutes les stalactites, toutes les incrustations, toutes les espèces de pierres fondantes : il n’est pas douteux que ces matières ne soient nouvelles, et qu’elles ne prennent tous les jours de l’accroissement. Le tuf n’est qu’un amas de matières lapidifiques, dans lesquelles on n’aperçoit aucune couche distincte : cette matière est disposée ordinairement en petits cylindres creux, irrégulièrement groupés et formés par des eaux gouttières au pied des montagnes ou sur la pente des collines, qui contiennent des lits de marne ou de pierre tendre et calcinable ; la masse totale de ces cylindres, qui font un des caractères spécifiques de cette espèce de tuf, est toujours ou oblique ou verticale, selon la direction des filets d’eau qui les forment. Ces sortes de carrières parasites n’ont aucune suite : leur étendue est très bornée en comparaison des carrières ordinaires, et elle est proportionnée à la hauteur des montagnes qui leur fournissent la matière de leur accroissement. Le tuf recevant chaque jour de nouveaux sucs lapidifiques, ces petites colonnes cylindriques qui laissoient entre elles beaucoup d’intervalle, se confondent à la fin, et avec le temps le tout devient compacte : mais cette matière n’acquiert jamais la dureté de la pierre ; c’est alors ce qu’Agricola nomme marga tofacea fistulosa. On trouve ordinairement dans ce tuf quantité d’impressions de feuilles d’arbres et de plantes de l’espèce de celles que le terrain des environs produit ; on y trouve aussi assez souvent des coquilles terrestres très bien conservées, mais jamais de coquilles de mer. Le tuf est donc certainement une matière nouvelle, qui doit être mise dans la classe des stalactites, des pierres fondantes, des incrustations, etc. Toutes ces matières nouvelles sont des espèces de pierres parasites qui se forment aux dépens des autres, mais qui n’arrivent jamais à la vraie pétrification.

Le cristal, toutes les pierres précieuses, toutes celles qui ont une figure régulière, même les cailloux en petite masse qui sont formés par couches concentriques, soit que ces sortes de pierre se trouvent dans les fentes perpendiculaires des rochers ou partout ailleurs, ne sont que des exsudations des cailloux en grande masse, des sucs concrets de ces mêmes matières, des pierres parasites nouvelles, de vraies stalactites de caillou ou de roc vif.

On ne trouve jamais de coquilles ni dans le roc vif ou granite, ni dans le grès ; au moins je n’y en ai jamais vu, quoiqu’on en trouve, et même assez souvent, dans le sable vitrifiable, duquel ces matières tirent leur origine : ce qui semble prouver que le sable ne peut s’unir pour former du grès ou du roc vif que quand il est pur ; et que s’il est mêlé de substances d’un autre genre, comme sont les coquilles, ce mélange de parties qui lui sont hétérogènes en empêche la réunion. J’ai observé, dans le dessein de m’en assurer, ces petites pelotes qui se forment souvent dans les couches de sable mêlé de coquilles, et je n’y ai jamais trouvé aucune coquille ; ces pelotes sont un véritable grès ; ce sont des concrétions qui se forment dans le sable aux endroits où il n’est pas mêlé de matières hétérogènes, qui s’opposent à la formation des bancs ou d’autres masses plus grandes que ces pelotes.

Nous avons dit qu’on a trouvé à Amsterdam, qui est un pays dont le terrain est fort bas, des coquilles de mer à 100 pieds de profondeur sous terre, et à Marly-la-Ville, à six lieues de Paris, à 75 pieds : on en trouve de même au fond des mines et dans les bancs des rochers au dessous d’une hauteur de pierre de 50, 100, 200 et jusqu’à 1000 pieds d’épaisseur, comme il est aisé de le remarquer dans les Alpes et dans les Pyrénées ; il n’y a qu’à examiner de près les rochers coupés à plomb, et on voit que dans les lits inférieurs il y a des coquilles et d’autres productions marines : mais, pour aller par ordre, on en trouve sur les montagnes d’Espagne, sur les Pyrénées, sur les montagnes de France, sur celles d’Angleterre, dans toutes les carrières de marbre en Flandre, dans les montagnes de Gueldre, dans toutes les collines autour de Paris, dans toutes celles de Bourgogne et de Champagne, en un mot, dans tous les endroits où le fond du terrain n’est pas de grès ou de tuf ; et dans la plupart des lieux dont nous venons de parler, il y a presque dans toutes les pierres plus de coquilles que d’autres matières. J’entends ici par coquilles non seulement les dépouilles des coquillages, mais celles des crustacés, comme test et pointes d’oursin, et aussi toutes les productions des insectes de mer, comme les madrépores, les coraux, les astroïtes, etc. Je puis assurer, et on s’en convaincra par ses yeux quand on le voudra, que dans la plupart des pierres calcinables et des marbres, il y a une si grande quantité de ces productions marines, qu’elles paroissent surpasser en volume la matière qui les réunit.

Mais suivons. On trouve ces productions marines dans les Alpes, même au dessus des plus hautes montagnes, par exemple, au dessus du mont Cenis ; on en trouve dans les montagnes de Gênes, dans les Apennins et dans la plupart des carrières de pierre ou de marbre en Italie ; on en voit dans les pierres dont sont bâtis les plus anciens édifices des Romains ; il y en a dans les montagnes du Tyrol et dans le centre de l’Italie, au sommet du mont Paterne, près de Bologne, dans les mêmes endroits qui produisent cette pierre lumineuse qu’on appelle la pierre de Bologne ; on en trouve dans des collines de la Pouille ; dans celles de la Calabre, en plusieurs endroits de l’Allemagne et de la Hongrie, et généralement dans tous les lieux élevés de l’Europe[2].

En Asie et en Afrique, les voyageurs en ont remarqué en plusieurs endroits : par exemple, sur la montagne de Castravan au dessus de Barut, il y a un lit de pierre blanche, mince comme de l’ardoise, dont chaque feuille contient un grand nombre et une grande diversité de poissons ; ils sont la plupart fort plats et fort comprimés, comme est la fougère fossile ; et ils sont cependant si bien conservés, qu’on y remarque parfaitement jusqu’aux moindres traits des nageoires, des écailles, et de toutes les parties qui distinguent chaque espèce de poisson. On trouve de même beaucoup d’oursins de mer et de coquilles pétrifiées entre Suez et le Caire, et sur toutes les collines et les hauteurs de la Barbarie ; la plupart sont exactement conformes aux espèces qu’on prend actuellement dans la mer Rouge[3]. Dans notre Europe on trouve des poissons pétrifiés en Suisse, en Allemagne, dans la carrière d’Oningen, etc.

La longue chaîne de montagnes, dit M. Bourguet, qui s’étend d’occident en orient, depuis le fond du Portugal jusqu’aux parties les plus orientales de la Chine, celles qui s’étendent collatéralement du côté du nord et du midi, les montagnes d’Afrique et d’Amérique qui nous sont connues, les vallées et les plaines de l’Europe, renferment toutes des couches de terres et de pierres qui sont remplies de coquillages, et de là on peut conclure pour les autres parties du monde qui nous sont inconnues.

Les îles de l’Europe, celles de l’Asie et de l’Amérique où les Européens ont eu occasion de creuser, soit dans les montagnes, soit dans les plaines, fournissent aussi des coquilles, ce qui fait voir qu’elles ont cela de commun avec les continents qui les avoisinent[4].

En voilà assez pour prouver qu’en effet on trouve des coquilles de mer, des poissons pétrifiés et d’autres productions marines, presque dans tous les lieux où on a voulu les chercher, et qu’elles y sont en prodigieuse quantité.

« Il est vrai, dit un auteur anglois[5], qu’il y a eu quelques coquilles de mer dispersées çà et là sur la terre par les armées, par les habitants des villes et des villages, et que la Loubère rapporte dans son Voyage de Siam, que les singes au cap de Bonne-Espérance s’amusent continuellement à transporter des coquilles du rivage de la mer au dessus des montagnes ; mais cela ne peut pas résoudre la question pourquoi ces coquilles sont dispersées dans tous les climats de la terre, et jusque dans l’intérieur des plus hautes montagnes, où elles sont posées par lit, comme elles le sont dans le fond de la mer. »

En lisant une lettre italienne sur les changements arrivés au globe terrestre, imprimée à Paris cette année (1746), je m’attendois à y trouver ce fait rapporté par la Loubère ; il s’accorde parfaitement avec les idées de l’auteur : les poissons pétrifiés ne sont, à son avis, que des poissons rares, rejetés de la table des Romains parce qu’ils n’étoient pas frais ; et à l’égard des coquilles, ce sont, dit-il, les pèlerins de Syrie qui ont rapporté, dans le temps des croisades, celles des mers du Levant qu’on trouve actuellement pétrifiées en France, en Italie, et dans les autres états de la chrétienté. Pourquoi n’a-t-il pas ajouté que ce sont les singes qui ont transporté les coquilles au sommet des hautes montagnes et dans tous les lieux où les hommes ne peuvent habiter ? cela n’eût rien gâté et eût rendu son explication encore plus vraisemblable. Comment se peut-il que des personnes éclairées et qui se piquent même de philosophie, aient encore des idées fausses sur ce sujet[6] ? Nous nous contenterons donc d’avoir dit qu’on trouve des coquilles pétrifiées dans presque tous les endroits de la terre où l’on a fouillé, et d’avoir rapporté les témoignages des auteurs d’histoire naturelle : comme on pourroit les soupçonner d’apercevoir, en vue de quelques systèmes, des coquilles où il n’y en a point, nous croyons devoir encore citer les voyageurs qui en ont remarqué par hasard, et dont les yeux moins exercés n’ont pu reconnoître que les coquilles entières et bien conservées ; leur témoignage sera peut-être d’une plus grande autorité auprès des gens qui ne sont pas à portée de s’assurer par eux-mêmes de la vérité des faits, et de ceux qui ne connoissent ni les coquilles ni les pétrifications, et qui n’étant pas en état d’en faire la comparaison, pourroient douter que les pétrifications fussent en effet de vraies coquilles, et que ces coquilles se trouvassent entassées par millions dans tous les climats de la terre.

Tout le monde peut voir par ses yeux les bancs de coquilles qui sont dans les collines des environs de Paris, surtout dans les carrières de pierre, comme à la Chaussée près de Sèvres, à Issy, à Passy, et ailleurs. On trouve à Villers-Cotterets une grande quantité de pierres lenticulaires ; les rochers en sont même entièrement formés, et elles y sont mêlées sans aucun ordre avec une espèce de mortier pierreux qui les tient toutes liées ensemble. À Chaumont on trouve une si grande quantité de coquilles pétrifiées, que toutes les collines, qui ne laissent pas d’être assez élevées, ne paroissent être composées d’autre chose ; il en est de même à Courtagnon près de Reims, où le banc de coquilles a près de quatre lieues de largeur sur plusieurs de longueur. Je cite ces endroits, parce qu’ils sont fameux, et que les coquilles y frappent les yeux de tout le monde.

À l’égard des pays étrangers, voici ce que les voyageurs ont observé.

« En Syrie, en Phénicie, la pierre vive qui sert de base aux rochers du voisinage de Latikea, est surmontée d’une espèce de craie molle, et c’est peut-être de là que la ville a pris son nom de Promontoire blanc. La Nakoura, nommée anciennement Scala Tyriorum, ou l’Échelle des Tyriens, est à peu près de la même nature, et l’on y trouve encore, en y creusant, quantité de toutes sortes de coraux, de coquilles[7].

» On ne trouve sur le mont Sinaï que peu de coquilles fossiles et d’autres semblables marques du déluge, à moins qu’on ne veuille mettre de ce nombre le tamarin fossile des montagnes voisines de Sinaï : peut-être que la matière première dont leurs marbres se sont formés, avoit une vertu corrosive et peu propre à les conserver ; mais à Corondel, où le roc approche davantage de la nature de nos pierres de taille, je trouvai plusieurs coquilles de moules et quelques pétoncles, comme aussi un hérisson de mer fort singulier, de l’espèce de ceux qu’on appelle spatagi, mais plus rond et plus uni. Les ruines du petit village d’Ain-el-Mousa, et plusieurs canaux qui servoient à y conduire de l’eau, fourmillent de coquillages fossiles. Les vieux murs de Suez et ce qui nous reste encore de son ancien port ont été construits des mêmes matériaux qui semblent tous avoir été tirés d’un même endroit. Entre Suez et le Caire, ainsi que sur toutes les montagnes, hauteurs, et collines de la Libye qui ne sont pas couvertes de sable, on trouve une grande quantité d’hérissons de mer, comme aussi des coquilles bivalves et de celles qui se terminent en pointe, dont la plupart sont exactement conformes aux espèces qu’on prend aujourd’hui dans la mer Rouge[8]. Les sables mouvants qui sont dans le voisinage de Ras-Sem dans le royaume de Barca, couvrent beaucoup de palmiers d’hérissons de mer et d’autres pétrifications que l’on y trouve communément sans cela. Ras-Sem signifie la tête du poisson et est ce qu’on appelle le village pétrifié, où l’on prétend qu’on trouve des hommes, des femmes, et des enfants en diverses postures et attitudes, qui avec leur bétail, leurs aliments, et leurs meubles, ont été convertis en pierre. Mais à la réserve de ces sortes de monuments du déluge dont il est ici question, et qui ne sont pas particuliers en cet endroit, tout ce qu’on en dit, sont de vains contes et fable toute pure, ainsi que je l’ai appris non seulement par M. Le Maire, qui, dans le temps qu’il étoit consul à Tripoli, y envoya plusieurs personnes pour en prendre connoissance, mais aussi par des gens graves et de beaucoup d’esprit qui ont été eux-mêmes sur les lieux.

» On trouve devant les pyramides certains morceaux de pierres taillées par le ciseau de l’ouvrier, et parmi ces pierres on voit des rognures qui ont la figure et la grosseur de lentilles ; quelques unes même ressemblent à des grains d’orge à moitié pelés : or, on prétend que ce sont des restes de ce que les ouvriers mangeoient, qui se sont pétrifiés ; ce qui ne me paroît pas vraisemblable, etc.[9]. Ces lentilles et ces grains d’orge sont des pétrifications de coquilles connues par tous les naturalistes sous le nom de pierre lenticulaire.

» On trouve diverses sortes de ces coquillages dont nous avons parlé, aux environs de Maestricht, surtout vers le village de Zichen ou Tichen, et à la petite montagne appelée des Huns[10].

» Aux environs de Sienne, je n’ai pas manqué de trouver auprès de Certaldo, selon l’avis que vous m’en avez donné, plusieurs montagnes de sable toutes farcies de diverses coquilles. Le Monte-Mario, à un mille de Rome, en est tout rempli ; j’en ai remarqué dans les Alpes, j’en ai vu en France et ailleurs. Oléarius, Stenon, Cambden, Speed, et quantité d’autres auteurs tant anciens que modernes, nous rapportent le même phénomène[11].

» Vis-à-vis le village d’Inchené et sur le bord oriental du Nil, je trouvai des plantes pétrifiées qui croissent naturellement dans un espace de terre qui a environ deux lieues de longueur sur une largeur très médiocre : c’est une production des plus singulières de la nature ; ces plantes ressemblent assez au corail blanc, qu’on trouve dans la mer Rouge[12].

» On trouve sur le mont Liban des pétrifications de plusieurs espèces, et entre autres, des pierres plates où l’on trouve des squelettes de poissons bien conservés et bien entiers, et aussi des châtaignes de la mer Rouge avec de petits buissons de corail de la même mer[13].

» Sur le mont Carmel nous trouvâmes grande quantité de pierres qui, à ce qu’on prétend, ont la figure d’olives, de melons, de pèches, et d’autres fruits, que l’on vend d’ordinaire aux pèlerins, non seulement comme de simples curiosités, mais aussi comme des remèdes contre divers maux. Les olives, qui sont les lapides judaïci qu’on trouve dans les boutiques des droguistes, ont toujours été regardées comme un spécifique pour la pierre et la gravelle[14]. » Ces lapides judaïci sont des pointes d’oursins.

« M. La Roche, médecin, me donna de ces olives pétrifiées, dites lapis judaïcus, qui croissent en quantité dans ces montagnes, où l’on trouve, à ce que l’on m’a dit, d’autres pierres qui représentent parfaitement au dedans des natures d’hommes et de femmes[15]. » Ceci est l’hystérolithe.

« En allant de Smyrne à Tauris, lorsque nous fûmes à Tocat, les chaleurs étant fort grandes, nous laissâmes le chemin ordinaire du côté du nord, pour prendre par les montagnes où il y a toujours de l’ombrage et de la fraîcheur. En bien des endroits nous trouvâmes de la neige et quantité de très belle oseille, et sur le haut de quelques unes de ces montagnes on trouve des coquilles comme sur le bord de la mer, ce qui est assez extraordinaire[16]. »

Voici ce que dit Oléarius au sujet des coquilles pétrifiées qu’il a remarquées en Perse et dans les rochers des montagnes où sont taillés les sépulcres près du village de Pyrmaraüs.

« Nous fûmes trois qui montâmes jusque sur le haut du roc par des précipices effroyables, nous entr’aidant les uns les autres ; nous y trouvâmes quatre grandes chambres, et au dedans plusieurs niches taillées dans le roc pour servir de lit : mais ce qui nous surprit le plus, ce fut que nous trouvâmes dans cette voûte, sur le haut de la montagne, des coquilles de moules, et en quelques endroits en si grande quantité, qu’il sembloit que toute cette roche ne fût composée que de sable et de coquilles. En revenant de Perse, nous vîmes le long de la mer Caspienne plusieurs de ces montagnes de coquilles. »

Je pourrois joindre à ce qui vient d’être rapporté beaucoup d’autres citations, que je supprime pour ne pas ennuyer ceux qui n’ont pas besoin de preuves surabondantes, et qui se sont assurés, comme moi, par leurs yeux, de l’existence de ces coquilles dans tous les lieux où on a voulu les chercher.

On trouve en France non seulement les coquilles de nos côtes, mais encore des coquilles qu’on n’a jamais vues dans nos mers. Il y a même des naturalistes qui prétendent que la quantité de ces coquilles étrangères pétrifiées est beaucoup plus grande que celle des coquilles de notre climat : mais je crois cette opinion mal fondée ; car, indépendamment des coquillages qui habitent le fond de la mer et de ceux qui sont difficiles à pécher, et que par conséquent on peut regarder comme inconnus ou même étrangers, quoiqu’ils puissent être nés dans nos mers, je vois en gros qu’en comparant les pétrifications avec les analogues vivants, il y en a plus de nos côtes que d’autres : par exemple, tous les peignes, la plupart des pétoncles, les moules, les huîtres, les glands de mer, la plupart des buccins, les oreilles-de-mer, les patelles, le cœur-de-bœuf, les nautiles, les oursins à gros tubercules et à grosses pointes, les oursins châtaignes de mer, les étoiles, les dentales, les tubulites, les astroïtes, les cerveaux, les coraux, les madrépores, etc., qu’on trouve pétrifiés en tant d’endroits, sont certainement des productions de nos mers ; et quoiqu’on trouve en grande quantité les cornes d’ammon, les pierres lenticulaires, les pierres judaïques, les columnites, les vertèbres de grandes étoiles, et plusieurs autres pétrifications, comme les grosses vis, le buccin appelé abajour, les sabots, etc., dont l’analogue vivant est étranger ou inconnu, je suis convaincu par mes observations que le nombre de ces espèces est petit en comparaison de celui des coquilles pétrifiées de nos côtes : d’ailleurs, ce qui fait le fond de nos marbres et de presque toutes nos pierres à chaux et à bâtir, sont des madrépores, des astroïtes, et toutes ces autres productions formées par les insectes de la mer, et qu’on appeloit autrefois plantes marines. Les coquilles, quelque abondantes qu’elles soient, ne font qu’un petit volume en comparaison de ces productions, qui toutes sont originaires de nos mers, et surtout de la Méditerranée.

La mer Rouge est de toutes les mers celle qui produit le plus abondamment des coraux, des madrépores, et des plantes marines. Il n’y a peut-être point d’endroit qui en fournisse une plus grande variété que le port de Tor : dans un temps calme il se présente aux yeux une si grande quantité de ces plantes, que le fond de la mer ressemble à une forêt ; il y a des madrépores branchus qui ont jusqu’à 8 et 10 pieds de hauteur. On en trouve beaucoup dans la mer Méditerranée, à Marseille, près des côtes d’Italie et de Sicile ; il y en a aussi en quantité dans la plupart des golfes de l’Océan, autour des îles, sur les bancs, dans tous les climats tempérés où la mer n’a qu’une profondeur médiocre.

M. Peyssonel avoit observé et reconnu le premier que les coraux, les madrépores, etc., devoient leur origine à des animaux, et n’étoient point des plantes, comme on le croyoit, et comme leur forme et leur accroissement paroissent l’indiquer. On a voulu longtemps douter de la vérité de l’observation de M. Peyssonel : quelques naturalistes, trop prévenus de leurs propres opinions, l’ont même rejetée d’abord avec une espèce de dédain ; cependant ils ont été obligés de reconnoître depuis peu la découverte de M. Peyssonel, et tout le monde est enfin convenu que ces prétendues plantes marines ne sont autre chose que des ruches ou plutôt des loges de petits animaux qui ressemblent aux poissons des coquilles, en ce qu’ils forment, comme eux, une grande quantité de substance pierreuse, dans laquelle ils habitent, comme les poissons dans leurs coquilles. Ainsi les plantes marines, que d’abord l’on avoit mises au rang des minéraux, ont ensuite passé dans la classe des végétaux, et sont enfin demeurées pour toujours dans celle des animaux.

Il y a des coquillages qui habitent le fond des hautes mers, et qui ne sont jamais jetés sur les rivages : les auteurs les appellent pelagiæ, pour les distinguer des autres, qu’ils appellent littorales. Il est à croire que les cornes d’ammon et quelques autres espèces qu’on trouve pétrifiées, et dont on n’a pas encore trouvé les analogues vivants, demeurent toujours dans le fond des hautes mers, et qu’ils ont été remplis du sédiment pierreux dans le lieu même où ils étoient : il peut se faire aussi qu’il y ait eu de certains animaux dont l’espèce a péri ; ces coquillages pourroient être du nombre. Les os fossiles extraordinaires qu’on trouve en Sibérie, au Canada, en Irlande, et dans plusieurs autres endroits, semblent confirmer cette conjecture ; car jusqu’ici on ne connoît pas d’animal à qui on puisse attribuer ces os, qui, pour la plupart, sont d’une grandeur et d’une grosseur démesurée[17].

On trouve ces coquilles depuis le haut jusqu’au fond des carrières ; on les voit aussi dans des puits beaucoup plus profonds : il y en a au fond des mines de Hongrie[18].

Ou en trouve à 200 brasses, c’est-à-dire à mille pieds de profondeur, dans des rochers qui bordent l’île de Caldé, et dans la province de Pembroke en Angleterre[19].

Non seulement on trouve, à de grandes profondeurs et au dessus des plus hautes montagnes, des coquilles pétrifiées, mais on en trouve aussi qui n’ont point changé de nature, qui ont encore le luisant, les couleurs, et la légèreté des coquilles de la mer : on trouve des glossopètres et d’autres dents de poisson dans leurs mâchoires ; et il ne faut, pour se convaincre entièrement sur ce sujet, que regarder la coquille de mer et celle de terre, et les comparer. Il n’y a personne qui, après un examen même léger, puisse douter un instant que ces coquilles fossiles et pétrifiées ne soient pas les mêmes que celles de la mer ; on y remarque les plus petites articulations, et même les perles que l’animal vivant produit : on remarque que les dents de poisson sont polies et usées à l’extrémité, et qu’elles ont servi pendant le temps que l’animal étoit vivant.

On trouve aussi presque partout, dans la terre, des coquillages de la même espèce, dont les uns sont petits, les autres gros ; les uns jeunes, les autres vieux ; quelques uns imparfaits, d’autres entièrement parfaits : on en voit même de petits et de jeunes attachés aux gros.

Le poisson à coquille appelé purpura a une langue fort longue, dont l’extrémité est osseuse et pointue ; elle lui sert comme de tarière pour percer les coquilles des autres poissons et pour se nourrir de leur chair : on trouve communément dans les terres, des coquilles qui sont percées de cette façon ; ce qui est une preuve incontestable qu’elles renfermoient autrefois des poissons vivants, et que ces poissons habitoient dans des endroits où il y avoit aussi des coquillages de pourpre qui s’en étoient nourris[20].

Les obélisques de Saint-Pierre de Rome, de Saint-Jean de Latran, de la place Navone, viennent, à ce qu’on prétend, des pyramides d’Égypte ; elles sont de granite rouge, lequel est une espèce de roc vif ou de grès fort dur. Cette matière, comme je l’ai dit, ne contient point de coquilles ; mais les anciens marbres africains et égyptiens, et certains porphyres, sont remplis de coquilles. Le porphyre calcaire est composé d’un nombre infini de pointes de l’espèce d’oursin que nous appelons châtaigne de mer ; elles sont posées assez près les unes des autres, et forment tous les petits points blancs qui sont dans ce porphyre. Chacun de ces points blancs laisse voir encore dans son milieu un petit point noir, qui est la section du conduit longitudinal de la pointe de l’oursin. Il y a en Bourgogne, dans un lieu appelé Ficin, à trois lieues de Dijon, une pierre rouge tout-à-fait semblable au porphyre par sa composition, et qui n’en diffère que par la dureté, n’ayant que celle du marbre, qui n’est pas, à beaucoup près, si grande que celle du porphyre ; elle est entièrement composée de pointes d’oursin, et elle est très considérable par l’étendue de son lit de carrière et par son épaisseur : on en a fait de très beaux ouvrages dans cette province, et notamment les gradins du piédestal de la figure équestre de Louis-le-Grand, qu’on a élevée au milieu de la place royale à Dijon. Cette pierre n’est pas la seule de cette espèce que je connoisse : il y a, dans la même province de Bourgogne, près de la ville de Montbard, une carrière considérable de pierre composée comme le porphyre, mais dont la dureté est encore moindre que celle du marbre. Ce porphyre tendre est composé comme ce porphyre calcaire, et il contient même une plus grande quantité de pointes d’oursins, et beaucoup moins de matière rouge.

En Toscane, dans les pierres dont étoient bâtis les anciens murs de la ville de Volaterra, il y a une grande quantité de coquillages, et cette muraille étoit faite il y a deux mille cinq cents ans[21]. Les marbres antiques et les autres pierres des plus anciens monuments contiennent donc des coquilles, des pointes d’oursins, et d’autres débris des productions marines, comme les marbres que nous tirons aujourd’hui de nos carrières. Ainsi on ne peut pas douter, indépendamment même du témoignage sacré de l’Écriture-Sainte, qu’avant le déluge la terre n’ait été composée des mêmes matières dont elle l’est aujourd’hui.

Par tout ce que nous venons de dire, on peut être assuré qu’on trouve des coquilles pétrifiées en Europe, en Asie, et en Afrique, dans tous les lieux où le hasard a conduit les observateurs : on en trouve aussi en Amérique, au Brésil, dans le Tucuman, dans les terres Magellaniques, et en si grande quantité dans les îles Antilles, qu’au dessous de la terre labourable, le fond, que les habitants appellent la chaux, n’est autre chose qu’un composé de coquilles, de madrépores, d’astroïtes, et d’autres productions de la mer. Ces observations, qui sont certaines, m’auroient fait penser qu’il y a de même des coquilles et d’autres productions marines pétrifiées dans la plus grande partie du continent de l’Amérique, et surtout dans les montagnes, comme l’assure Woodward : cependant M. de La Condamine, qui a demeuré pendant plusieurs années au Pérou, m’a assuré qu’il n’en avoit pas vu dans les Cordilières ; qu’il en avoit cherché inutilement, et qu’il ne croyoit pas qu’il y en eût. Cette exception seroit singulière, et les conséquences qu’on en pourroit tirer le seroient encore plus : mais j’avoue que, malgré le témoignage de ce célèbre observateur, je doute encore à cet égard, et je suis très porté à croire qu’il y a dans les montagnes du Pérou, comme partout ailleurs, des coquilles et d’autres pétrifications marines, mais qu’elles ne se sont pas offertes à ses yeux. On sait qu’en matière de témoignage, deux témoins positifs qui assurent avoir vu suffisent pour faire preuve complète, tandis que mille et dix mille témoins négatifs, et qui assurent seulement n’avoir pas vu, ne peuvent que faire naître un doute léger : c’est pour cette raison, et parce que la force de l’analogie m’y contraint, que je persiste à croire qu’on trouvera des coquilles sur les montagnes du Pérou, comme on en trouve presque partout ailleurs, surtout si on les cherche sur la croupe de la montagne, et non pas au sommet.

Les montagnes les plus élevées sont ordinairement composées, au sommet, de roc vif, de granite, de grès, et d’autres matières vitrifiables, qui ne contiennent que peu ou point de coquilles. Toutes ces matières se sont formées dans les couches du sable de la mer qui recouvroient le dessus de ces montagnes. Lorsque la mer a laissé à découvert ces sommets de montagnes, les sables ont coulé dans les plaines, où ils ont été entraînés par la chute des eaux, des pluies, etc., de sorte qu’il n’est demeuré au dessus des montagnes que des rochers qui s’étoient formés dans l’intérieur de ces couches de sable. À 200, 300, ou 400 toises plus bas que le sommet de ces montagnes, on trouve souvent des matières toutes différentes de celles du sommet, c’est-à-dire des pierres, des marbres, et d’autres matières calcinables, lesquelles sont disposées par couches parallèles, et contiennent toutes des coquilles et d’autres productions marines : ainsi il n’est pas étonnant que M. de La Condamine n’ait pas trouvé de coquilles sur ces montagnes, surtout s’il les a cherchées dans les lieux les plus élevés, et dans les parties de ces montagnes qui sont composées de roc vif, de grès, ou de sable vitrifiable ; mais au dessous de ces couches de sable et de ces rochers qui font le sommet, il doit y avoir, dans les Cordilières, comme dans toutes les autres montagnes, des couches horizontales de pierres, de marbres, de terres, etc., où il se trouvera des coquilles ; car dans tous les pays du monde où l’on a fait des observations, on en a toujours trouvé dans ces couches.

Mais supposons un instant que ce fait soit vrai, et qu’en effet il n’y ait aucune production marine dans les montagnes du Pérou, tout ce qu’on en conclura ne sera nullement contraire à notre théorie, et il pourroit bien se faire, absolument parlant, qu’il y ait sur le globe des parties qui n’aient jamais été sous les eaux de la mer, et surtout des parties aussi élevées que le sont les Cordilières : mais, en ce cas, il y auroit de belles observations à faire sur ces montagnes ; car elles ne seroient pas composées de couches parallèles entre elles, comme les autres le sont. Les matières seroient aussi fort différentes de celles que nous connoissons ; il n’y auroit point de fentes perpendiculaires ; la composition des rochers et des pierres ne ressembleroit point du tout à la composition des rochers et des pierres des autres pays : et enfin, nous trouverions dans ces montagnes l’ancienne structure de la terre telle qu’elle étoit originairement, et avant que d’être changée et altérée par le mouvement des eaux : nous verrions dans ces climats le premier état du globe, les matières anciennes dont il étoit composé, la forme, la liaison, et l’arrangement naturel de la terre, etc. Mais c’est trop espérer, et sur des fondements trop légers, et je pense qu’il faut nous borner à croire qu’on y trouvera des coquilles, comme on en trouve partout ailleurs.

À l’égard de la manière dont ces coquilles sont disposées et placées dans les couches de terre ou de pierre, voici ce qu’en dit Woodward : « Tous les coquillages qui se trouvent dans une infinité de couches de terres et de bancs de rochers, sur les plus hautes montagnes et dans les carrières et les mines les plus profondes, dans les cailloux de cornaline, de calcédoine, etc., et dans les masses de soufre, de marcassites, et d’autres matières minérales et métalliques, sont remplis de la matière même qui forme les bancs ou les coucbes, ou les masses qui les renferment, et jamais d’aucune matière hétérogène. La pesanteur spécifique des différentes espèces de sable ne diffère que très peu, étant généralement, par rapport à l’eau, comme 2 49 ou 2 916 à 1 ; et les coquilles de pétoncle, qui sont à peu près de la même pesanteur, s’y trouvent ordinairement renfermées en grand nombre, tandis qu’on a de la peine à y trouver des écailles d’huîtres, dont la pesanteur spécifique n’est environ que comme 2 13 à 1, de hérissons de mer, dont la pesanteur n’est que comme 2 ou 2 18 à 1, ou d’autres espèces de coquilles plus légères : mais au contraire, dans la craie, qui est plus légère que la pierre, n’étant à la pesanteur de l’eau que comme environ 2 110 à 1, on ne trouve que des coquilles de hérissons de mer et d’autres espèces de coquilles plus légères. »

Il faut observer que ce que dit ici Woodward ne doit pas être regardé comme règle générale ; car on trouve des coquilles plus légères et plus pesantes dans les mêmes matières ; par exemple, des pétoncles, des huîtres, et des oursins dans les mêmes pierres et dans les mêmes terres ; et même on peut voir au Cabinet du Roi un pétoncle pétrifié en cornaline, et des oursins pétrifiés en agate : ainsi la différence de la pesanteur spécifique des coquilles n’a pas influé, autant que le prétend Woodward, sur le lieu de leur position dans les couches de terre ; et la vraie raison pourquoi les coquilles d’oursins, et d’autres aussi légères, se trouvent plus abondamment dans les craies, c’est que la craie n’est qu’un détriment de coquilles, et que celles des oursins étant plus légères, moins épaisses, et plus friables que les autres, elles auront été aisément réduites en poussière et en craie ; en sorte qu’il ne se trouve des couches de craie que dans les endroits où il y avoit anciennement sous les eaux de la mer une grande abondance de ces coquilles légères, dont les débris ont formé la craie dans laquelle nous trouvons celles qui, ayant résisté au choc et aux frottements, se sont conservées tout entières, ou du moins en parties assez grandes pour que nous puissions les reconnoître.

Nous traiterons ceci plus à fond dans notre discours sur les minéraux ; contentons-nous seulement d’avertir ici qu’il faut encore donner une modification aux expressions de Woodward : il paroît dire qu’on trouve des coquilles dans les cailloux, dans les cornalines, dans les calcédoines, dans les mines, dans les masses de soufre, aussi souvent et en aussi grand nombre que dans les autres matières, au lieu que la vérité est qu’elles sont très rares dans toutes les matières vitrifiables ou purement inflammables, et qu’au contraire elles sont en prodigieuse abondance dans les craies, dans les marnes, dans les marbres, et dans les pierres : en sorte que nous ne prétendons pas dire ici qu’absolument les coquilles les plus légères sont dans les matières légères, et les plus pesantes dans celles qui sont aussi les plus pesantes, mais seulement qu’en général cela se trouve plus souvent ainsi qu’autrement. À la vérité, elles sont toutes également remplies de la substance même qui les environne, aussi bien celles qu’on trouve dans les couches horizontales que celles qu’on trouve en plus petit nombre dans les matières qui occupent les fentes perpendiculaires, parce qu’en effet les unes et les autres ont été également formées par les eaux, quoiqu’en différents temps et de différentes façons, les couches horizontales de pierre, de marbre, etc., ayant été formées par les grands mouvements des ondes de la mer, et les cailloux, les cornalines, les calcédoines, et toutes les matières qui sont dans les fentes perpendiculaires, ayant été produites par le mouvement particulier d’une petite quantité d’eau chargée de différents sucs lapidifiques, métalliques, etc. ; et dans les deux cas, ces matières étoient réduites en poudre fine et impalpable, qui a rempli l’intérieur des coquilles si pleinement et si absolument, qu’elle n’y a pas laissé le moindre vide, et qu’elle s’en est fait autant de moules, à peu près comme on voit un cachet se mouler sur le tripoli.

Il y a donc dans les pierres, dans les marbres, etc., une multitude très grande de coquilles qui sont entières, belles, et si peu altérées, qu’on peut aisément les comparer avec les coquilles qu’on conserve dans les cabinets ou qu’on trouve sur les rivages de la mer : elles ont précisément la même figure et la même grandeur ; elles sont de la même substance, et leur tissu est le même ; la matière particulière qui les compose est la même ; elle est disposée et arrangée de la même manière ; la direction de leurs fibres et des lignes spirales est la même, la composition des petites lames formées par les fibres est la même dans les unes et les autres : on voit dans le même endroit les vestiges ou insertions des tendons par le moyen desquels l’animal étoit attaché et joint à sa coquille ; on y voit les mêmes tubercules, les mêmes stries, les mêmes cannelures ; enfin, tout est semblable, soit au dedans, soit au dehors de la coquille, dans sa cavité ou sur sa convexité, dans sa substance ou sur sa superficie. D’ailleurs, ces coquillages fossiles sont sujets aux mêmes accidents ordinaires que les coquillages de la mer ; par exemple, ils sont attachés les plus petits aux plus gros ; ils ont des conduits vermiculaires ; on y trouve des perles et d’autres choses semblables qui ont été produites par l’animal lorsqu’il habitoit sa coquille ; leur gravité spécifique est exactement la même que celle de leur espèce qu’on trouve actuellement dans la mer, et par la chimie on y trouve les mêmes choses ; en un mot, ils ressemblent exactement à ceux de la mer.

J’ai souvent observé moi-même avec une espèce d’étonnement, comme je l’ai déjà dit, des montagnes entières, des chaînes de rochers, des bancs énormes de carrières, tous composés de coquilles et d’autres débris de productions marines, qui y sont en si grande quantité, qu’il n’y a pas à beaucoup près autant de volume dans la matière qui les lie.

J’ai vu des champs labourés dans lesquels toutes les pierres étoient des pétoncles pétrifiés ; en sorte qu’en fermant les yeux et ramassant au hasard, on pouvoit parier de ramasser un pétoncle : j’en ai vu d’entièrement couverts de cornes d’ammon, d’autres dont toutes les pierres étoient des cœurs-de-bœuf ou bucardites pétrifiés ; et plus on examinera la terre, plus on sera convaincu que le nombre de ces pétrifications est infini, et on en conclura qu’il est impossible que tous les animaux qui habitoient ces coquilles aient existé dans le même temps.

J’ai même fait une observation en cherchant ces coquilles, qui peut être de quelque utilité ; c’est que dans tous les pays où l’on trouve dans les champs et dans les terres labourables un très grand nombre de ces coquilles pétrifiées, comme pétoncles, cœurs-de-bœuf, etc., entières, bien conservées, et totalement séparées, on peut être assuré que la pierre de ces pays est gélisse. Ces coquilles ne s’en sont séparées en si grand nombre que par l’action de la gelée, qui détruit la pierre et laisse subsister plus long-temps la coquille pétrifiée.

Cette immense quantité de fossiles marins que l’on trouve en tant d’endroits, prouve qu’ils n’y ont pas été transportés par un déluge ; car on observe plusieurs milliers de gros rochers et des carrières dans tous les pays où il y a des marbres et de la pierre à chaux, qui sont toutes remplies de vertèbres d’étoiles de mer, de pointes d’oursins, de coquillages, et d’autres débris de productions marines. Or, si ces coquilles qu’on trouve partout eussent été amenées sur la terre sèche par un déluge ou par une inondation, la plus grande partie seroit demeurée sur la surface de la terre, ou du moins elles ne seroient pas enterrées à une grande profondeur, et on ne les trouveroit pas dans les marbres les plus solides à sept ou huit cents pieds de profondeur.

Dans toutes les carrières ces coquilles fout partie de la pierre à l’intérieur ; et on en voit quelquefois à l’extérieur qui sont recouvertes de stalactites qui, comme l’on sait, ne sont pas des matières aussi anciennes que la pierre qui contient les coquilles. Une seconde preuve que cela n’est point arrivé par un déluge, c’est que les os, les cornes, les ergots, les ongles, etc., ne se trouvent que très rarement, et peut-être point du tout, renfermés dans les marbres et dans les autres pierres dures ; tandis que si c’étoit l’effet d’un déluge où tout auroit péri, on y devroit trouver les restes des animaux de la terre aussi bien que ceux des mers[22].

C’est, comme nous l’avons dit, une supposition bien gratuite, que de prétendre que toute la terre a été dissoute dans l’eau au temps du déluge, et on ne peut donner quelque fondement à cette idée, qu’en supposant un second miracle, qui auroit donné à l’eau la propriété d’un dissolvant universel ; miracle dont il n’est fait aucune mention dans l’Écriture-Sainte. D’ailleurs ce qui anéantit la supposition, et la rend même contradictoire, c’est que toutes les matières ayant été dissoutes dans l’eau, les coquilles ne l’ont pas été, puisque nous les trouvons entières et bien conservées dans toutes les masses qu’on prétend avoir été dissoutes : cela prouve évidemment qu’il n’y a jamais eu de telle dissolution, et que l’arrangement des couches horizontales et parallèles ne s’est pas fait en un instant, mais par les sédiments qui se sont amoncelés peu à peu, et qui ont enfin produit des hauteurs considérables par la succession des temps ; car il est évident, pour tous les gens qui se donneront la peine d’observer, que l’arrangement de toutes les matières qui composent le globe est l’ouvrage des eaux. Il n’est donc question que de savoir si cet arrangement a été fait dans le même temps : or nous avons prouvé qu’il n’a pu se faire dans le même temps, puisque les matières ne gardent pas l’ordre de la pesanteur spécifique, et qu’il n’y a pas eu de dissolution générale de toutes les matières ; donc cet arrangement a été produit par les eaux, ou plutôt par les sédiments qu’elles ont déposés dans la succession des temps : toute autre révolution, tout autre mouvement, toute autre cause, auroit produit un arrangement très différent. D’ailleurs, un accident particulier, une révolution, ou un bouleversement, n’auroit pas produit un pareil effet dans le globe tout entier ; et si l’arrangement des terres et des couches avoit pour cause des révolutions particulières et accidentelles, on trouveroit les pierres et les terres disposées différemment en différents pays, au lieu qu’on les trouve partout disposées de même par couches parallèles, horizontales, ou également inclinées.

Voici ce que dit à ce sujet l’historien de l’Académie[23].

« Des vestiges très anciens et en très grand nombre d’inondations qui ont dû être très étendues, et la manière dont on est obligé de concevoir que les montagnes se sont formées, prouvent assez qu’il est arrivé autrefois à la surface de la terre de grandes révolutions. Autant qu’on en a pu creuser, on n’a presque vu que des ruines, des débris, de vastes décombres entassés pêle-mêle, et qui, par une longue suite de siècles, se sont incorporés ensemble, et unis en une seule masse le plus qu’il a été possible : s’il y a dans le globe de la terre quelque espèce d’organisation régulière, elle est plus profonde, et par conséquent nous sera toujours inconnue, et toutes nos recherches se termineront à fouiller dans les ruines de la croûte extérieure ; elles donneront encore assez d’occupations aux philosophes.

» M. de Jussieu a trouvé aux environs de Saint-Chaumont, dans le Lyonnois, une grande quantité de pierres écailleuses ou feuilletées, dont presque tous les feuillets portoient sur leur superficie l’empreinte ou d’un bout de lige, ou d’une feuille, ou d’un fragment de feuille de quelque plante : les représentations de feuilles étoient toujours exactement étendues, comme si on avoit collé les feuilles sur les pierres avec la main ; ce qui prouve qu’elles avoient été apportées par de l’eau qui les avoit tenues en cet état ; elles étoient en différentes situations, et quelquefois deux ou trois se croisoient.

» On imagine bien qu’une feuille déposée par l’eau sur une vase molle, et couverte ensuite d’une autre vase pareille, imprime sur l’une l’image de l’une de ses deux surfaces, et sur l’autre l’image de l’autre surface ; de sorte que ces deux lames de vase étant durcies et pétrifiées, elles porteront chacune l’empreinte d’une face différente. Mais ce qu’on auroit cru devoir être, n’est pas ; les deux lames ont l’empreinte de la même face de la feuille, l’une en relief, et l’autre en creux. M. de Jussieu a observé, dans toutes ces pierres figurées de Saint-Chaumont, ce phénomène, qui est assez bizarre ; nous lui en laissons l’explication pour passer à ce que ces sortes d’observations ont de plus général et de plus intéressant.

» Toutes les plantes gravées dans les pierres de Saint-Chaumont sont des plantes étrangères ; non seulement elles ne se trouvent ni dans le Lyonnois, ni dans le reste de la France, mais elles ne sont que dans les Indes orientales et dans les climats chauds de l’Amérique : ce sont la plupart des plantes capillaires, et souvent en particulier des fougères. Leur tissu dur et serré les a rendues plus propres à se graver et à se conserver dans les moules autant de temps qu’il a fallu. Quelques feuilles de plantes des Indes, imprimées dans les pierres d’Allemagne, ont paru étonnantes à M. Leibnitz : voici la même merveille infiniment multipliée ; il semble même qu’il y ait à cela une certaine affectation de la nature ; dans toutes les pierres de Saint-Chaumont on ne trouve pas nue seule plante du pays.

» Il est certain, par les coquillages des carrières et des montagnes, que ce pays, ainsi que beaucoup d’autres, a dû autrefois être couvert par l’eau de la mer ; mais comment la mer d’Amérique ou celle des Indes orientales y est-elle venue ?

» On peut, pour satisfaire à plusieurs phénomènes, supposer avec assez de vraisemblance, que la mer a couvert tout le globe de la terre : mais alors il n’y avoit point de plantes terrestres ; et ce n’est qu’après ce temps là, et lorsqu’une partie du globe a été découverte, qu’il s’est pu faire les grandes inondations qui ont transporté des plantes d’un pays dans d’autres fort éloignés.

» M. de Jussieu croit que comme le lit de la mer hausse toujours par les terres, le limon, les sables que les rivières y charrient incessamment, des mers renfermées d’abord entre certaines digues naturelles sont venues à les surmonter, et se sont répandues au loin. Que les digues aient elles-mêmes été minées par les eaux, et s’y soient renversées, ce sera encore le même effet, pourvu qu’on les suppose d’une grandeur énorme. Dans les premiers temps de la formation de la terre, rien n’avoit encore pris une forme réglée et arrêtée ; il a pu se faire alors des révolutions prodigieuses et subites dont nous ne voyons plus d’exemple, parce que tout est venu à peu près à un état de consistance, qui n’est pourtant pas tel, que les changements lents et peu considérables qui arrivent, ne nous donnent lieu d’en imaginer comme possibles d’autres de même espèce, mais plus grands et prompts.

» Par quelqu’une de ces grandes révolutions, la mer des Indes, soit orientales, soit occidentales, aura été poussée jusqu’en Europe, et y aura apporté des plantes étrangères flottantes sur ses eaux ; elle les avoit arrachées en chemin, et les alloit déposer doucement dans les lieux où l’eau n’étoit qu’en petite quantité, et pouvoit s’évaporer. »

* Il me seroit facile d’ajouter à l’énumération des amas de coquilles qui se trouvent dans toutes les parties du monde, un très grand nombre d’observations particulières qui m’ont été communiquées depuis trente-quatre ans. J’ai reçu des lettres des îles de l’Amérique, par lesquelles on m’assure que presque dans toutes on trouve des coquilles dans leur état de nature ou pétrifiées dans l’intérieur de la terre, et souvent sous la première couche de la terre végétale : M. de Bougainville a trouvé aux îles Malouines des pierres qui se divisent par feuillets, sur lesquelles on remarquoit des empreintes de coquilles fossiles d’une espèce inconnue dans ces mers. J’ai reçu des lettres de plusieurs endroits des Grandes-Indes et de l’Afrique, où l’on me marque les mêmes choses. Don Ulloa nous apprend (t. III, p. 314 de son Voyage), qu’au Chili, dans le terrain qui s’étend depuis Talcaguano, jusqu’à la Conception, l’on trouve des coquilles de différentes espèces en très grande quantité et sans aucun mélange de terre, et que c’est avec ces coquilles que l’on fait de la chaux. Il ajoute que cette particularité ne seroit pas si remarquable, si l’on ne trouvoit ces coquilles que dans les lieux bas et dans d’autres parages sur lesquels la mer auroit pu les couvrir ; mais que ce qu’il y a de singulier, dit-il, c’est que les mêmes tas de coquilles se trouvent dans les collines à 50 toises de hauteur au dessus du niveau de la mer. Je ne rapporte pas ce fait comme singulier, mais seulement comme s’accordant avec tous les autres, et comme étant le seul qui me soit connu sur les coquilles fossiles de cette partie du monde, où je suis très persuadé qu’on trouveroit, comme partout ailleurs, des pétrifications marines, à des hauteurs bien plus grandes que 50 toises au dessus du niveau de la mer : car le même don Ulloa a trouvé depuis des coquilles pétrifiées dans les montagnes du Pérou à plus de 2000 toises de hauteur : et, selon M. Kalm, on voit des coquillages dans l’Amérique septentrionale, sur les sommets de plusieurs montagnes ; il dit en avoir vu lui-même sur le sommet de la montagne Bleue. On en trouve aussi dans les craies des environs de Montréal, dans quelques pierres qui se tirent près du lac Champlain en Canada, et encore dans les parties les plus septentrionales de ce nouveau continent, puisque les Groenlandois croient que le monde a été noyé par un déluge, et qu’ils citent pour garant de cet événement, les coquilles et les os de baleine qui couvrent les montagnes les plus élevées de leur pays.

Si de là on passe en Sibérie, on trouvera également des preuves de l’ancien séjour des eaux de la mer sur tous nos continents. Près de la montagne de Jéniséik, on voit d’autres montagnes moins élevées, sur le sommet desquelles on trouve des amas de coquilles bien conservées dans leur forme et leur couleur naturelles : ces coquilles sont toutes vides, et quelques unes tombent en poudre dès qu’on les touche ; la mer de cette contrée n’en fournit plus de semblables ; les plus grandes ont un pouce de large, d’autres sont très petites.

Mais je puis encore citer des faits qu’on sera bien plus à portée de vérifier : chacun dans sa province n’a qu’à ouvrir les yeux, il verra des coquilles dans tous les terrains d’où l’on tire de la pierre pour faire de la chaux ; il en trouvera aussi dans la plupart des glaises, quoiqu’en général ces productions marines y soient en bien plus petite quantité que dans les matières calcaires.

Dans le territoire de Dunkerque, au haut de la montagne des Récollets, près de celle de Cassel, à 400 pieds du niveau de la basse mer, on trouve un lit de coquillages horizontalement placés et si fortement entassés, que la plus grande partie en sont brisés, et par dessus ce lit, une couche de 7 ou 8 pieds de terre et plus ; c’est à six lieues de distance de la mer, et ces coquilles sont de la même espèce que celles qu’on trouve actuellement dans la mer.

Au mont Gannelon près d’Anet, à quelque distance de Compiègne, il y a plusieurs carrières de très belles pierres calcaires, entre les différents lits desquelles il se trouve du gravier mêlé d’une infinité de coquilles ou de portions de coquilles marines très légères et fort friables : on y trouve aussi des lits d’huîtres ordinaires de la puis belle conservation, dont l’étendue est de plus de cinq quarts de lieue en longueur. Dans l’une de ces carrières, il se trouve trois lits de coquilles dans différents états : dans deux de ces lits elles sont réduites en parcelles, et on ne peut en reconnoître les espèces, tandis que dans le troisième lit, ce sont des huîtres qui n’ont souffert d’autre altération qu’une sécheresse excessive : la nature de la coquille, l’émail, et la figure sont les mêmes que dans l’analogue vivant ; mais ces coquilles ont acquis de la légèreté et se détachent par feuillets. Ces carrières sont au pied de la montagne et un peu en pente. En descendant dans la plaine on trouve beaucoup d’huîtres, qui ne sont ni changées, ni dénaturées, ni desséchées comme les premières ; elles ont le même poids et le même émail que celles que l’on tire tous les jours de la mer[24].

Aux environs de Paris, les coquilles marines ne sont pas moins communes que dans les endroits qu’on vient de nommer. Les carrières de Bougival, où l’on tire de la marne, fournissent une espèce d’huîtres d’une moyenne grandeur : on pourroit les appeler huîtres tronquées, ailées, et lisses, parce qu’elles ont le talon aplati, et qu’elles sont comme tronquées en devant. Près de Belleville, où l’on tire du grès, on trouve une masse de sable dans la terre, qui contient des corps branchus, qui pourroient bien être du corail ou des madrépores devenus grès ; ces corps marins ne sont pas dans le sable même, mais dans les pierres, qui contiennent aussi des coquilles de différents genres, telles que des vis, des univalves, et des bivalves.

La Suisse n’est pas moins abondante en corps marins fossiles que la France et les autres contrées dont on vient de parler ; on trouve au mont Pilate, dans le canton de Lucerne, des coquillages de mer pétrifiés, des arêtes et des carcasses de poissons. C’est au dessous de la corne du Dôme où l’on en rencontre le plus ; on y a aussi trouvé du corail, des pierres d’ardoises qui se lèvent aisément par feuillets, dans lesquelles on trouve presque toujours un poisson. Depuis quelques années on a même trouvé des mâchoires et des crânes entiers de poissons, garnies de leurs dents.

M. Altman observe que dans une des parties les plus élevées des Alpes aux environs de Grindelvald, où se forment les fameux Gletchers, il y a de très belles carrières de marbre, qu’il a fait graver sur une des planches qui représentent ces montagnes : ces carrières de marbre ne sont qu’à quelques pas de distance du Gletcher. Ces marbres sont de différentes couleurs ; il y en a du jaspé, du blanc, du jaune, du rouge, du vert : on transporte l’hiver ces marbres sur des traîneaux par dessus les neiges jusqu’à Underseen, où on les embarque pour les mener à Berne par le lac de Thorne, et ensuite par la rivière d’Are. Ainsi les marbres et les pierres calcaires se trouvent, comme l’on voit, à une très grande hauteur dans cette partie des Alpes.

M. Cappeler, en faisant des recherches sur le mont Grimsel (dans les Alpes), a observé que les collines et les monts peu élevés qui confinent aux vallées, sont en bonne partie composés de pierre de taille ou pierre mollasse, d’un grain plus ou moins fin et plus ou moins serré. Les sommités des monts sont composées, pour la plupart, de pierre à chaux de différentes couleurs et dureté : les montagnes plus élevées que ces rochers calcaires sont composées de granites et d’autres pierres qui paroissent tenir de la nature du granite et de celle de l’émeri ; c’est dans ces pierres graniteuses que se fait la première génération du cristal de roche, au lieu que dans les bancs de pierre à chaux qui sont au dessous, l’on ne trouve que des concrétions calcaires et des spaths. En général, on a remarqué sur toutes les coquilles, soit fossiles, soit pétrifiées, qu’il y a certaines espèces qui se rencontrent constamment ensemble, tandis que d’autres ne se trouvent jamais dans ces mêmes endroits. Il en est de même dans la mer, où certaines espèces de ces animaux testacés se tiennent constamment ensemble, de même que certaines plantes croissent toujours ensemble, à la surface de la terre[25].

On a prétendu trop généralement qu’il n’y avoit point de coquilles ni d’autres productions de la mer sur les plus hautes montagnes. Il est vrai qu’il y a plusieurs sommets et un grand nombre de pics qui ne sont composés que de granites et de rochers vitrescibles, dans lesquels on n’aperçoit aucun mélange, aucune empreinte de coquilles ni d’aucun autre débris des productions marines ; mais il y a un bien plus grand nombre de montagnes, et même quelques unes fort élevées, où l’on trouve de ces débris marins. M. Costa, professeur d’anatomie et de botanique en l’université de Perpignan, a trouvé, en 1774, sur la montagne de Nas, située au midi de la Cerdagne espagnole, l’une des plus hautes parties des Pyrénées, à quelques toises au dessous du sommet de cette montagne, une très grande quantité de pierres lenticulées, c’est-à-dire des blocs composés de pierres lenticulaires, et ces blocs étoient de différentes formes et de différents volumes ; les plus gros pouvoient peser quarante ou cinquante livres. Il a observé que la partie de la montagne où ces pierres lenticulaires se trouvent, sembloit s’être affaissée ; il vit en effet dans cet endroit une dépression irrégulière, oblique, très inclinée à l’horizon, dont une des extrémités regarde le haut de la montagne, et l’autre le bas. Il ne put apercevoir distinctement les dimensions de cet affaissement à cause de la neige qui le recouvroit presque partout, quoique ce fût au mois d’août. Les bancs de pierres qui environnent ces pierres lenticulées, ainsi que ceux qui sont immédiatement au dessous, sont calcaires jusqu’à plus de cent toises toujours en descendant. Cette montagne de Nas, à en juger par le coup d’œil, semble aussi élevée que le Canigou ; elle ne présente nulle part aucune trace de volcan.

Je pourrois citer cent et cent autres exemples de coquilles marines trouvées dans une infinité d’endroits, tant en France que dans les différentes provinces de l’Europe ; mais ce seroit grossir inutilement cet ouvrage de faits particuliers déjà trop multipliés, et dont on ne peut s’empêcher de tirer la conséquence très évidente que nos terres actuellement habitées ont autrefois été, et pendant fort long-temps, couvertes par les mers.

Je dois seulement observer, et on vient de le voir, qu’on trouve ces coquilles marines dans des états différents : les unes pétrifiées, c’est-à-dire moulées sur une matière pierreuse ; et les autres dans leur état naturel, c’est-à-dire telles qu’elles existent dans la mer. La quantité de coquilles pétrifiées, qui ne sont proprement que des pierres figurées par les coquilles, est infiniment plus grande que celle des coquilles fossiles, et ordinairement on ne trouve pas les unes et les autres ensemble, ni même dans les lieux contigus. Ce n’est guère que dans le voisinage et à quelques lieues de distance de la mer, que l’on trouve des lits de coquilles dans leur état de nature, et ces coquilles sont communément les mêmes que dans les mers voisines : c’est au contraire dans les terres plus éloignées de la mer et sur les plus hautes collines que l’on trouve presque partout des coquilles pétrifiées, dont un grand nombre d’espèces n’appartiennent point à nos mers, et dont plusieurs même n’ont aucun analogue vivant ; ce sont ces espèces anciennes dont nous avons parlé, qui n’ont existé que dans les temps de la grande chaleur du globe. De plus de cent espèces de cornes d’ammon que l’on pourroit compter, dit un de nos savants académiciens, et qui se trouvent en France aux environs de Paris, de Rouen, de Dive, de Langres, et de Lyon, dans les Cévennes, en Provence, et en Poitou, en Angleterre, en Allemagne, et dans d’autres contrées de l’Europe, il n’y en a qu’une seule espèce nommée nautilus papyraccus, qui se trouve dans nos mers, et cinq à six espèces qui naissent dans les mers étrangères. (Add. Buff.)

ARTICLE IX.

Sur les inégalités de la surface de la terre.


Les inégalités qui sont à la surface de la terre, qu’on pourroit regarder comme une imperfection à la figure du globe, sont en même temps une disposition favorable et qui étoit nécessaire pour conserver la végétation et la vie sur le globe terrestre : il ne faut, pour s’en assurer, que se prêter un instant à concevoir ce que seroit la terre, si elle étoit égale et régulière à sa surface ; on verra qu’au lieu de ces collines agréables d’où coulent des eaux pures qui entretiennent la verdure de la terre, au lieu de ces campagnes riches et fleuries où les plantes et les animaux trouvent aisément leur subsistance, une triste mer couvriroit le globe entier, et qu’il ne resteroit à la terre de tous ses attributs, que celui d’être une planète obscure, abandonnée, et destinée tout au plus à l’habitation des poissons.

Mais indépendamment de la nécessité morale, laquelle ne doit que rarement faire preuve en philosophie, il y a une nécessité physique pour que la terre soit irrégulière à sa surface ; et cela, parce qu’en la supposant même parfaitement régulière dans son origine, le mouvement des eaux, les feux souterrains, les vents, et les autres causes extérieures auroient nécessairement produit à la longue des irrégularités semblables à celles que nous voyons.

Les plus grandes inégalités sont les profondeurs de l’Océan, comparées à l’élévation des montagnes : cette profondeur de l’Océan est fort différente, même à de grandes distances des terres ; on prétend qu’il y a des endroits qui ont jusqu’à une lieue de profondeur : mais cela est rare, et les profondeurs les plus ordinaires sont depuis 60 jusqu’à 150 brasses. Les golfes et les parages voisins des côtes sont bien moins profonds, et les détroits sont ordinairement les endroits de la mer où l’eau a le moins de profondeur.

Pour sonder les profondeurs de la mer, on se sert ordinairement d’un morceau de plomb de 30 ou 40 livres, qu’on attache à une petite corde. Cette manière est fort bonne pour les profondeurs ordinaires : mais lorsqu’on veut sonder de grandes profondeurs, on peut tomber dans l’erreur, et ne pas trouver de fond où cependant il y en a, parce que la corde étant spécifiquement moins pesante que l’eau, il arrive, après qu’on en a beaucoup dévidé, que le volume de la sonde et celui de la corde ne pèsent plus qu’autant ou moins qu’un pareil volume d’eau : dès lors la sonde ne descend plus, et elle s’éloigne en ligne oblique, en se tenant toujours à la même hauteur : ainsi, pour sonder de grandes profondeurs, il faudroit une chaîne de fer ou d’autre matière plus pesante que l’eau. Il est assez probable que c’est faute d’avoir fait cette attention, que les navigateurs nous disent que la mer n’a pas de fond dans une si grande quantité d’endroits.

En général, les profondeurs dans les hautes mers augmentent ou diminuent d’une manière assez uniforme ; et ordinairement plus on s’éloigne des côtes, plus la profondeur est grande : cependant cela n’est pas sans exception, et il y a des endroits au milieu de la mer où l’on trouve des écueils, comme aux Abrolhos dans la mer Atlantique ; d’autres où il y a des bancs d’une étendue très considérable, comme le grand banc, le banc appelé le Borneur dans notre Océan, les bancs et les bas-fonds de l’Océan indien, etc.

De même le long des côtes les profondeurs sont fort inégales : cependant on peut donner comme une règle certaine, que la profondeur de la mer à la côte est toujours proportionnée à la hauteur de cette même côte, en sorte que si la côte est fort élevée, la profondeur sera fort grande ; et, au contraire, si la plage est basse et le terrain plat, la profondeur est fort petite, comme dans les fleuves où les rivages élevés annoncent toujours beaucoup de profondeur, et où les grèves et les bords de niveau montrent ordinairement un gué, ou du moins une profondeur médiocre.

Il est encore plus aisé de mesurer la hauteur des montagnes que de sonder les profondeurs des mers, soit au moyen de la géométrie pratique, soit par le baromètre : cet instrument peut donner la hauteur d’une montagne fort exactement, surtout dans les pays où sa variation n’est pas considérable, comme au Pérou et sous les autres climats de l’équateur. On a mesuré par l’un ou l’autre de ces deux moyens la hauteur de la plupart des éminences qui sont à la surface du globe ; par exemple, on a trouvé que les plus hautes montagnes de la Suisse sont élevées d’environ seize cents toises au dessus du niveau de la mer plus que le Canigou, qui est une des plus hautes des Pyrénées[26]. Il paroît que ce sont les plus hautes de toute l’Europe, puisqu’il en sort une grande quantité de fleuves, qui portent leurs eaux dans différentes mers fort éloignées, comme le Pô, qui se rend dans la mer Adriatique ; le Rhin, qui se perd dans les sables en Hollande ; le Rhône, qui tombe dans la Méditerranée ; et le Danube, qui va jusqu’à la mer Noire. Ces quatre fleuves, dont les embouchures sont si éloignées les unes des autres, tirent tous une partie de leurs eaux du mont Saint-Gothard et des montagnes voisines ; ce qui prouve que ce point est le plus élevé de l’Europe.

Les plus hautes montagnes de l’Asie sont le mont Taurus, le mont Imaüs, le Caucase, et les montagnes du Japon. Toutes ces montagnes sont plus élevées que celles de l’Europe ; celles d’Afrique, le grand Atlas, et les monts de la Lune sont au moins aussi hautes que celles de l’Asie ; et les plus élevées de toutes sont celles de l’Amérique méridionale, surtout celles du Pérou, qui ont jusqu’à 3000 toises de hauteur au dessus du niveau de la mer. En général, les montagnes entre les tropiques sont plus élevées que celles des zones tempérées, et celles-ci plus que celles des zones froides ; de sorte que plus on approche de l’équateur, et plus les inégalités de la surface de la terre sont grandes. Ces inégalités, quoique fort considérables par rapport à nous, ne sont rien quand on les considère par rapport au globe terrestre. Trois mille toises de différence sur trois mille lieues de diamètre, c’est une toise sur une lieue, ou un pied sur deux mille deux cents pieds ; ce qui, sur un globe de deux pieds et demi de diamètre, ne fait pas la sixième partie d’une ligne : ainsi la terre, dont la surface nous paroît traversée et coupée par la hauteur énorme des montagnes et par la profondeur affreuse des mers, n’est cependant, relativement à son volume, que très légèrement sillonnée d’inégalités si peu sensibles, qu’elles ne peuvent causer aucune différence à la figure du globe.

Dans les continents, les montagnes sont continues et forment des chaînes ; dans les îles, elles paroissent être plus interrompues et plus isolées, et elles s’élèvent ordinairement au dessus de la mer en forme de cône ou de pyramide, et on les appelle des pics. Le pic de Ténériffe, dans l’île de Fer, est une des plus hautes montagnes de la terre ; elle a près d’une lieue et demie de hauteur perpendiculaire au dessus du niveau de la mer. Le pic de Saint-George dans l’une des Açores, le pic d’Adam dans l’île de Ceylan, sont aussi fort élevés. Tous ces pics sont composés de rochers entassés les uns sur les autres, et ils vomissent à leur sommet du feu, des cendres, du bitume, des minéraux et des pierres. Il y a même des îles qui ne sont précisément que des pointes de montagnes, comme l’île Sainte-Hélène, l’île de l’Ascension, la plupart des Canaries et des Açores ; et il faut remarquer que dans la plupart des îles, des promontoires et des autres terres avancées dans la mer, la partie du milieu est toujours la plus élevée, et qu’elles sont ordinairement séparées en deux par des chaînes de montagnes qui les partagent dans leur plus grande longueur, comme en Écosse le mont Gransbain, qui s’étend d’orient en occident, et partage l’île de la Grande-Bretagne en deux parties : il en est de même des îles de Sumatra, de Luçon, de Bornéo, des Célèbes, de Cuba, et de Saint-Domingue, et aussi de l’Italie, qui est traversée dans toute sa longueur par l’Apennin, de la presqu’île de Corée, de celle de Malaye, etc.

Les montagnes, comme l’on voit, diffèrent beaucoup en hauteur ; les collines sont les plus basses de toutes ; ensuite viennent les montagnes médiocrement élevées, qui sont suivies d’un troisième rang de montagnes encore plus hautes, lesquelles, comme les précédentes, sont ordinairement chargées d’arbres et de plantes, mais qui, ni les unes ni les autres, ne fournissent aucune source, excepté au bas ; enfin les plus hautes de toutes les montagnes sont celles sur lesquelles on ne trouve que du sable, des pierres, des cailloux, et des rochers dont les pointes s’élèvent souvent jusqu’au dessus des nues : c’est précisément au pied de ces rochers qu’il y a de petits espaces, de petites plaines, des enfoncements, des espèces de vallons où l’eau de la pluie, la neige, et la glace s’arrêtent, et où elles forment des étangs, des marais, des fontaines, d’où les fleuves tirent leur origine[27].

La forme des montagnes est aussi fort différente : les unes forment des chaînes dont la hauteur est assez égale dans une très longue étendue de terrain, d’autres sont coupées par des vallons très profonds ; les unes ont des contours assez réguliers, d’autres paroissent au premier coup d’œil irrégulières, autant qu’il est possible de l’être ; quelquefois on trouve au milieu d’un vallon ou d’une plaine un monticule isolé : et de même qu’il y a des montagnes de différentes espèces, il y a aussi de deux sortes de plaines, les unes en pays bas, les autres en montagnes : les premières sont ordinairement partagées par le cours de quelque grosse rivière ; les autres, quoique d’une étendue considérable, sont sèches, et n’ont tout au plus que quelque petit ruisseau. Ces plaines en montagnes sont souvent fort élevées, et toujours de difficile accès : elles forment des pays au dessus des autres pays, comme en Auvergne, en Savoie, et dans plusieurs autres pays élevés ; le terrain en est ferme et produit beaucoup d’herbes et de plantes odoriférantes, ce qui rend ces dessus de montagnes les meilleurs pâturages du monde.

Le sommet des hautes montagnes est composé de rochers plus ou moins élevés, qui ressemblent, surtout vus de loin, aux ondes de la mer[28]. Ce n’est pas sur cette observation seule que l’on pourroit assurer, comme nous l’avons fait, que les montagnes ont été formées par les ondes de la mer, et je ne la rapporte que parce qu’elle s’accorde avec toutes les autres. Ce qui prouve évidemment que la mer a couvert et formé les montagnes, ce sont les coquilles et les autres productions marines qu’on trouve partout en si grande quantité, qu’il n’est pas possible qu’elles aient été transportées de la mer actuelle dans des continents aussi éloignés et à des profondeurs aussi considérables. Ce qui le prouve, ce sont les couches horizontales et parallèles qu’on trouve partout, et qui ne peuvent avoir été formées que par les eaux ; c’est la composition des matières, même les plus dures, comme de la pierre et du marbre, à laquelle on reconnoît clairement que les matières étoient réduites en poussière avant la formation de ces pierres et de ces marbres, et qu’elles se sont précipitées au fond de l’eau en forme de sédiment ; c’est encore l’exactitude avec laquelle les coquilles sont moulées dans ces matières ; c’est l’intérieur de ces mêmes coquilles, qui est absolument rempli des matières dans lesquelles elles sont renfermées : et enfin ce qui le démontre incontestablement, ce sont les angles correspondants des montagnes et des collines, qu’aucune autre cause que les courants de la mer n’auroit pu former ; c’est l’égalité de la hauteur des collines opposées et les lits des différentes matières qu’on y trouve à la même hauteur ; c’est la direction des montagnes, dont les chaînes s’étendent en longueur dans le même sens, comme l’on voit s’étendre les ondes de la mer.

À l’égard des profondeurs qui sont à la surface de la terre, les plus grandes sont sans contredit les profondeurs de la mer : mais comme elles ne se présentent point à l’œil, et qu’on n’en peut juger que par la sonde, nous n’entendons parler que des profondeurs de terre ferme, telles que les profondes vallées que l’on voit entre les montagnes, les précipices qu’on trouve entre les rochers, les abîmes qu’on aperçoit du haut des montagnes, comme l’abîme du mont Ararath, les précipices des Alpes, les vallées des Pyrénées. Ces profondeurs sont une suite naturelle de l’élévation des montagnes ; elles reçoivent les eaux et les terres qui coulent de la montagne ; le terrain en est ordinairement très fertile et fort habité. Pour les précipices qui sont entre les rochers, ils se forment par l’affaissement des rochers, dont la base cède quelquefois plus d’un côté que de l’autre, par l’action de l’air et de la gelée qui les fait fendre et qui les sépare, et par la chute impétueuse des torrents qui s’ouvrent des routes et entraînent tout ce qui s’oppose à leur violence : mais ces abîmes, c’est-à-dire ces énormes et vastes précipices qu’on trouve au sommet des montagnes, et au fond desquels il n’est quelquefois pas possible de descendre, quoiqu’ils aient une demi-lieue ou une lieue de tour, ont été formés par le feu ; ces abîmes étoient autrefois les foyers des volcans, et toute la matière qui y manque en a été rejetée par ail’action et l’explosion de ces feux, qui depuis se sont éteints faute de matière combustible. L’abîme du mont Ararath, dont M. de Tournefort donne la description dans son Voyage du Levant, est environné de rochers noirs et brûlés, comme seront quelque jour les abîmes de l’Etna, du Vésuve, et de tous les autres volcans, lorsqu’ils auront consumé toutes les matières combustibles qu’ils renferment.

Dans l’Histoire naturelle de la province de Stafford en Angleterre, par Plot, il est parlé d’une espèce de gouffre qu’on a sondé jusqu’à la profondeur de 2600 pieds perpendiculaires, sans qu’on y ait trouvé d’eau : on n’a pu même en trouver le fond, parce que la corde n’étoit pas assez longue[29].

Les grandes cavités et les mines profondes sont ordinairement dans les montagnes, et elles ne descendent jamais, à beaucoup près, au niveau des plaines : ainsi nous ne connoissons par ces cavités que l’intérieur de la montagne, et point du tout celui du globe.

D’ailleurs ces profondeurs ne sont pas en effet fort considérables. Ray assure que les mines les plus profondes n’ont pas un demi-mille de profondeur. La mine de Cotteberg, qui, du temps d’Agricola, passoit pour la plus profonde de toutes les mines connues, n’avoit que 2500 pieds de profondeur perpendiculaire. Il est vrai qu’il y a des trous dans certains endroits, comme celui dont nous venons de parler dans la province de Stafford, ou le Poolshole dans la province de Darby en Angleterre, dont la profondeur est peut-être plus grande : mais tout cela n’est rien en comparaison de l’épaisseur du globe.

Si les rois d’Égypte, au lieu d’avoir fait des pyramides et élevé d’aussi fastueux monuments de leurs richesses et de leur vanité, eussent fait la même dépense pour sonder la terre et y faire une profonde excavation, comme d’une lieue de profondeur, on auroit peut-être trouvé des matières qui auroient dédommagé de la peine et de la dépense, ou tout au moins on auroit des connoissances qu’on n’a pas sur les matières dont le globe est composé à l’intérieur ; ce qui seroit peut-être fort utile.

Mais revenons aux montagnes. Les plus élevées sont dans les pays méridionaux ; et plus on approche de l’équateur, plus on trouve d’inégalités sur la surface du globe. Ceci est aisé à prouver par une courte énumération des montagnes et des îles.

En Amérique, la chaîne des Cordilières, les plus hautes montagnes de la terre, est précisément sous l’équateur, et elle s’étend des deux côtés bien loin au delà des cercles qui renferment la zone torride.

En Afrique, les hautes montagnes de la Lune et du Monomotapa, le grand et le petit Atlas, sont sous l’équateur, ou n’en sont pas éloignés.

En Asie, le mont Caucase, dont la chaîne s’étend sous différents noms jusqu’aux montagnes de la Chine, est, dans toute cette étendue, plus voisin de l’équateur que des pôles.

En Europe, les Pyrénées, les Alpes, et les montagnes de la Grèce, qui ne sont que la même chaîne, sont encore moins éloignées de l’équateur que des pôles.

Or ces montagnes dont nous venons de faire l’énumération sont toutes plus élevées, plus considérables et plus étendues en longueur et en largeur que les montagnes des pays septentrionaux.

À l’égard de la direction de ces chaînes de montagnes, on verra que les Alpes prises dans toute leur étendue forment une chaîne qui traverse le continent entier depuis l’Espagne jusqu’à la Chine : ces montagnes commencent au bord de la mer en Galice, arrivent aux Pyrénées, traversent la France par le Vivarais et l’Auvergne, séparent l’Italie, s’étendent en Allemagne et au dessus de la Dalmatie jusqu’en Macédoine, et de là se joignent avec les montagnes d’Arménie, le Caucase, le Taurus, l’Imaüs, et s’étendent jusqu’à la mer de Tartarie. De même le mont Atlas traverse le continent entier de l’Afrique d’occident en orient, depuis le royaume de Fez jusqu’au détroit de la mer Rouge. Les monts de la Lune ont aussi la même direction.

Mais en Amérique la direction est toute contraire, et les chaînes des Cordilières et des autres montagnes s’étendent du nord au sud plus que d’orient en occident[30].

Ce que nous observons ici sur les plus grandes éminences du globe peut s’observer aussi sur les plus grandes profondeurs de la mer. Les plus vastes et les plus hautes mers sont plus voisines de l’équateur que des pôles, et il résulte de cette observation que les plus grandes inégalités du globe se trouvent dans les climats méridionaux. Ces irrégularités qui se trouvent à la surface du globe, sont la cause d’une infinité d’effets ordinaires et extraordinaires ; par exemple, entre les rivières de l’Inde et du Gange il y a une large chersonèse qui est divisée dans son milieu par une chaîne de hautes montagnes que l’on appelle le Gate, qui s’étend du nord au sud depuis les extrémités du mont Caucase jusqu’au cap de Comorin : de l’un des côtés est Malabar, et de l’autre Coromandel ; du côté de Malabar, entre cette chaîne de montagnes et la mer, la saison de l’été est depuis le mois de septembre jusqu’au mois d’avril, et pendant tout ce temps le ciel est serein et sans aucune pluie ; de l’autre côté de la montagne, sur la côte de Coromandel, cette même saison est leur hiver, et il y pleut tous les jours en abondance ; et du mois d’avril au mois de septembre c’est la saison de l’été, tandis que c’est celle de l’hiver en Malabar ; en sorte qu’en plusieurs endroits qui ne sont guère éloignés que de 20 lieues de chemin, on peut, en croisant la montagne, changer de saison. On dit que la même chose se trouve au cap Razalgat en Arabie, et de même à la Jamaïque, qui est séparée dans son milieu par une chaîne de montagnes dont la direction est de l’est à l’ouest, et que les plantations qui sont au midi de ces montagnes éprouvent la chaleur de l’été, tandis que celles qui sont au nord souffrent la rigueur de l’hiver dans ce même temps. Le Pérou, qui est situé sous la ligne et qui s’étend à environ mille lieues vers le midi, est divisé en trois parties, longues, étroites, que les habitants du Pérou appellent lanos, sierras, et andes. Les lanos, qui sont les plaines, s’étendent tout le long de la côte de la mer du Sud ; les sierras sont des collines avec quelques vallées, et les andes sont ces fameuses Cordillères, les plus hautes montagnes que l’on connoisse. Les lanos ont 10 lieues plus ou moins de largeur ; dans plusieurs endroits les sierras ont 20 lieues de largeur, et les andes autant, quelquefois plus, quelquefois moins : la largeur est de l’est à l’ouest, et la longueur est du nord au sud. Cette partie du monde a ceci de remarquable : 1o dans les lanos, le long de toute cette côte, le vent de sud-ouest souffle constamment, ce qui est contraire à ce qui arrive ordinairement dans la zone torride ; 2o il ne pleut ni ne tonne jamais dans les lanos, quoiqu’il y tombe quelquefois un peu de rosée ; 3o il pleut presque continuellement sur les andes ; 4o dans les sierras, qui sont entre les lanos et les andes, il pleut depuis le mois de septembre jusqu’au mois d’avril.

On s’est aperçu depuis long-temps que les chaînes des plus hautes montagnes alloient d’occident en orient ; ensuite, après la découverte du Nouveau-Monde, on a vu qu’il y en avoit de fort considérables qui tournoient du nord au sud : mais personne n’avoit découvert avant M. Bourguet la surprenante régularité de la structure de ces grandes masses ; il a trouvé, après avoir passé trente fois les Alpes en quatorze endroits différents, deux fois l’Apennin, et fait plusieurs tours dans les environs de ces montagnes et dans le mont Jura, que toutes les montagnes sont formées dans leurs contours à peu près comme les ouvrages de fortification. Lorsque le corps d’une montagne va d’occident en orient, elle forme des avances qui regardent, autant qu’il est possible, le nord et le midi : cette régularité admirable est si sensible dans les vallons, qu’il semble qu’on y marche dans un chemin couvert fort régulier ; car si, par exemple, on voyage dans un vallon du nord au sud, on remarque que la montagne qui est à droite forme des avances ou des angles qui regardent l’orient, et ceux de la montagne du côté gauche regardent l’occident ; de sorte que néanmoins les angles saillants de chaque côté répondent réciproquement aux angles rentrants qui leur sont toujours alternativement opposés. Les angles que les montagnes forment dans les grandes vallées sont moins aigus, parce que la pente est moins roide, et qu’ils sont plus éloignés les uns des autres ; et dans les plaines ils ne sont sensibles que dans le cours des rivières, qui en occupent ordinairement le milieu : leurs coudes naturels répondent aux avances les plus marquées ou aux angles les plus avancés des montagnes auxquelles le terrain, où les rivières coulent, va aboutir. Il est étonnant qu’on n’ait pas aperçu une chose si visible ; et lorsque dans une vallée la pente de l’une des montagnes qui la borde est moins rapide que celle de l’autre, la rivière prend son cours beaucoup plus près de la montagne la plus rapide, et elle ne coule pas dans le milieu[31].

On peut joindre à ces observations d’autres observations particulières qui les confirment : par exemple, les montagnes de Suisse sont bien plus rapides, et leur pente est bien plus grande du côté du midi que du côté du nord, et plus grande du côté du couchant que du côté du levant ; on peut le voir dans la montagne Gemmi, dans le mont Brisé, et dans presque toutes les autres montagnes. Les plus hautes de ce pays sont celles qui séparent la Vallésie et les Grisons de la Savoie, du Piémont, et du Tyrol ; ces pays sont eux-mêmes une continuation de ces montagnes, dont la chaîne s’étend jusqu’à la Méditerranée, et continue même assez loin sous les eaux de cette mer : les montagnes des Pyrénées ne sont aussi qu’une continuation de cette vaste montagne qui commence dans la Vallésie supérieure, et dont les branches s’étendent fort loin au couchant et au midi, en se soutenant toujours à une grande hauteur, tandis qu’au contraire du côté du nord et de l’est ces montagnes s’abaissent par degrés jusqu’à devenir des plaines ; comme on le voit par les vastes pays que le Rhin, par exemple, et le Danube arrosent avant que d’arriver à leurs embouchures, au lieu que le Rhône descend avec rapidité vers le midi dans la mer Méditerranée. La même observation sur le penchant plus rapide des montagnes du côté du midi et du couchant que du côté du nord ou du levant, se trouve vraie dans les montagnes d’Angleterre et dans celles de Norwège : mais la partie du monde où cela se voit le plus évidemment c’est au Pérou et au Chili ; la longue chaîne des Cordilières est coupée très rapidement du côté du couchant, le long de la mer Pacifique, au lieu que du côté du levant elle s’abaisse par degrés dans de vastes plaines arrosées par les plus grandes rivières du monde.

M. Bourguet, à qui on doit cette belle observation de la correspondance des angles des montagnes, l’appelle avec raison, la clef de la théorie de la terre ; cependant, il me paroît que s’il en eût senti toute l’importance, il l’auroit employée plus heureusement en la liant avec des faits plus convenables, et qu’il auroit donné une théorie de la terre plus vraisemblable, au lieu que dans son mémoire, dont on a vu l’exposé, il ne présente que le projet d’un système hypothétique dont la plupart des conséquences sont fausses ou précaires. La théorie que nous avons donnée roule sur quatre faits principaux, desquels on ne peut pas douter après avoir examiné les preuves qui les constatent : le premier est, que la terre est partout, et jusqu’à des profondeurs considérables, composée de couches parallèles et de matières qui ont été autrefois dans un état de mollesse ; le second, que la mer a couvert pendant quelque temps la terre que nous habitons ; le troisième, que les marées et les autres mouvements des eaux produisent des inégalités dans le fond de la mer ; et le quatrième, que ce sont les courants de la mer qui ont donné aux montagnes la forme de leurs contours, et la direction correspondante dont il est question.

On jugera, après avoir lu les preuves que contiennent les articles suivants, si j’ai eu tort d’assurer que ces faits solidement établis, établissent aussi la vraie théorie de la terre. Ce que j’ai dit dans le texte au sujet de la formation des montagnes, n’a pas besoin d’une plus ample explication ; mais comme on pourroit m’objecter que je ne rends pas raison de la formation des pics ou pointes de montagnes, non plus que de quelques autres faits particuliers, j’ai cru devoir ajouter ici les observations et les réflexions que j’ai faites sur ce sujet.

J’ai tâché de me faire une idée nette et générale de la manière dont sont arrangées les différentes matières dont se compose le globe, et il m’a paru qu’on pouvoit les considérer d’une manière différente de celles dont on les a vues jusqu’ici ; j’en fais deux classes générales, auxquelles je les réduis toutes : la première est celle des matières que nous trouvons posées par couches, par lits, par bancs horizontaux ou régulièrement inclinés ; et la seconde comprend toutes les matières qu’on trouve par amas, par filons, par veines perpendiculaires et irrégulièrement inclinés. Dans la première classe, sont compris les sables, les argiles, les granites ou le roc vif, les cailloux, et les grès en grande masse, les charbons de terre, les ardoises, les schistes, etc., et aussi les marnes, les craies, les pierres calcinables, les marbres, etc. Dans la seconde, je mets les métaux, les minéraux, les cristaux, les pierres fines, et les cailloux en petites masses. Ces deux classes comprennent généralement toutes les matières que nous connoissons : les premières doivent leur origine aux sédiments transportés et déposés par les eaux de la mer, et on doit distinguer celles qui, étant mises à l’épreuve du feu, se calcinent et se réduisent en chaux, de celles qui se fondent et se réduisent en verre ; pour les secondes, elles se réduisent toutes en verre, à l’exception de celles que le feu consume entièrement par l’imflammation.

Dans la première classe, nous distinguerons d’abord deux espèces de sable : l’une, que je regarde comme la matière la plus abondante du globe, qui est vitrifiable, ou plutôt qui n’est qu’un composé de fragments de verre ; l’autre, dont la quantité est beaucoup moindre, qui est calcinable, et qu’on doit regarder comme du débris et de la poussière de pierre, et qui ne diffère du gravier que par la grosseur des grains. Le sable vitrifiable est, en général, posé par couches comme toutes les autres matières : mais ces couches sont souvent interrompues par des masses de rochers de grès, de roc vif, de caillou, et quelquefois ces matières sont aussi des bancs et des lits d’une grande étendue.

En examinant ce sable et ces matières vitrifiables, on n’y trouve que peu de coquilles de mer ; et celles qu’on y trouve ne sont pas placées par lits, elles n’y sont que parsemées et comme jetées au hasard : par exemple, je n’en ai jamais vu dans les grès ; cette pierre, qui est fort abondante en certains endroits, n’est qu’un composé de parties sablonneuses qui se sont réunies : on ne la trouve que dans les pays où le sable vitrifiable domine, et ordinairement les carrières de grès sont des collines pointues, dans des terres sablonneuses, et dans des éminences entrecoupées. On peut attaquer ces carrières dans tous les sens ; et s’il y a des lits, ils sont beaucoup plus éloignés les uns des autres que dans les carrières de pierres calcinables, ou de marbres : on coupe dans le massif de la carrière de grès des blocs de toutes sortes de dimensions et dans tous les sens, selon le besoin et la plus grande commodité ; et quoique le grès soit difficile à travailler, il n’a cependant qu’un genre de dureté, c’est de résister à des coups violents sans s’éclater ; car le frottement l’use peu à peu et le réduit aisément en sable, à l’exception de certains clous noirâtres qu’on y trouve, et qui sont d’une matière si dure, que les meilleurs limes ne peuvent y mordre. Le roc vif est vitrifiable comme le grès, et il est de la même nature ; seulement il est plus dur, et les parties en sont mieux liées : il y a aussi plusieurs clous semblables à ceux dont nous venons de parler, comme on peut le remarquer aisément sur le sommet des hautes montagnes, qui sont pour la plupart de cette espèce de rocher, et sur lesquels on ne peut pas marcher un peu de temps sans s’apercevoir que ces clous coupent et déchirent le cuir des souliers. Ce roc vif qu’on trouve au dessus des hautes montagnes, et que je regarde comme une espèce de granite, contient une grande quantité de paillettes talqueuses, et il a tous les genres de dureté au point de ne pouvoir être travaillé qu’avec une peine infinie.

J’ai examiné de près la nature de ces clous[32] qu’on trouve dans le grès et dans le roc vif, et j’ai reconnu que c’est une matière métallique fondue et calcinée à un feu très violent, et qui ressemble parfaitement à de certaines matières rejetées par les volcans, dont j’ai vu une très grande quantité étant en Italie, où l’on me dit que les gens du pays les appeloient schiarri. Ce sont des masses noirâtres fort pesantes, sur lesquelles le feu, l’eau, ni la lime, ne peuvent faire aucune impression, dont la matière est différente de celle de la lave ; car celle-ci est une espèce de verre, au lieu que l’autre paroît plus métallique que vitrée. Les clous du grès et du roc vif ressemblent beaucoup à cette première matière ; ce qui semble prouver encore que toutes ces matières ont été autrefois liquéfiées par le feu.

On voit quelquefois en certains endroits, au plus haut des montagnes, une prodigieuse quantité de blocs d’une grandeur considérable de ce roc vif, mêlé de paillettes talqueuses : leur position est si irrégulière, qu’ils paroissent avoir été lancés et jetés au hasard ; et on croiroit qu’ils sont tombés de quelque hauteur voisine, si les lieux où on les trouve n’étoient pas élevés au dessus de tous les autres lieux : mais leur substance vitrifiable et leur figure anguleuse et carrée comme celle des rochers de grès, nous découvrent une origine commune entre ces matières. Ainsi dans les grandes couches de sable vitrifiable il se forme des bancs de grès et de roc vif, dont la figure et la situation ne suivent pas exactement la position horizontale de ces couches : peu à peu les pluies ont entraîné du sommet des collines et des montagnes le sable qui les couvroit d’abord, et elles ont commencé par sillonner et découper ces collines dans les intervalles qui se sont trouvés entre les noyaux de grès, comme on voit que sont découpées les collines de Fontainebleau ; chaque pointe de colline répond à un noyau qui fait une carrière de grès, et chaque intervalle a été creusé et abaissé par les eaux, qui on fait couler le sable dans la plaine. De même les plus hautes montagnes, dont les sommets sont composés de roc vif et terminés par ces blocs anguleux dont nous venons de parler, auront autrefois été recouvertes de plusieurs couches de sable vitrifiable dans lequel ces blocs se seront formés ; et les pluies ayant entraîné tout le sable qui les couvroit et qui les environnoit, ils seront demeurés au sommet des montagnes dans la position où ils auront été formés. Ces blocs présentent ordinairement des pointes au dessus et à l’extérieur : ils vont en augmentant de grosseur à mesure qu’on descend et qu’on fouille plus profondément ; souvent même un bloc en rejoint un autre par la base, ce second un troisième, et ainsi de suite en laissant entre eux des intervalles irréguliers ; et comme par la succession des temps les pluies ont enlevé et entraîné tout le sable qui couvroit ces différents noyaux, il ne reste au dessus des hautes montagnes que les noyaux mêmes qui forment des pointes plus ou moins élevées, et c’est là l’origine des pics ou des cornes de montagnes.

Car supposons, comme il est facile de le prouver par les productions marines qu’on y trouve, que la chaîne des montagnes des Alpes ait été autrefois couverte des eaux de la mer, et qu’au dessus de cette chaîne de montagnes il y eut une grande épaisseur de sable vitrifiable que l’eau de la mer y avoit transporté et déposé, de la même façon et par les mêmes causes qu’elle a déposé et transporté dans les lieux un peu plus bas de ces montagnes une grande quantité de coquillages, et considérons cette couche extérieure de sable vitrifiable comme posée d’abord de niveau et formant un plat pays de sable au dessus des montagnes des Alpes, lorsqu’elles étoient encore couvertes des eaux de la mer : il se sera formé dans cette épaisseur de sable des noyaux de roc, de grès, de caillou, et de toutes les matières qui prennent leur origine et leur figure dans les sables par une mécanique à peu près semblable à celle de la cristallisation des sels ; ces noyaux une fois formés auront soutenu les parties où ils se sont trouvés, et les pluies auront détaché peu à peu tout le sable intermédiaire, aussi bien que celui qui les environnoit immédiatement ; les torrents, les ruisseaux, en se précipitant du haut de ces montagnes, auront entraîné ces sables dans les vallons, dans les plaines, et en auront conduit une partie jusqu’à la mer ; de cette façon le sommet des montagnes se sera trouvé à découvert, et les noyaux déchaussés auront paru dans toute leur hauteur[33]. C’est ce que nous appelons aujourd’hui des pics ou des cornes de montagnes, et ce qui a formé toutes ces éminences pointues qu’on voit en tant d’endroits ; c’est aussi là l’origine de ces roches élevées et isolées qu’on trouve à la Chine et dans d’autres endroits, comme en Irlande, où on leur a donné le nom de devil’s stones, ou pierres du diable, et dont la formation, aussi bien que celle des pics des montagnes, avoit toujours paru une chose difficile à expliquer : cependant l’explication que j’en donne est si naturelle, qu’elle s’est présentée d’abord à l’esprit de ceux qui ont vu ces roches, et je dois citer ici ce qu’en dit le P. Du Tertre dans les Lettres édifiantes : « De Yan-chuin-yen nous vînmes à Ho-tcheou : nous rencontrâmes en chemin une chose assez particulière ; ce sont des roches d’une hauteur extraordinaire et de la figure d’une grosse tour carrée, qu’on voit plantées au milieu des plus vastes plaines. On ne sait comment elles se trouvent là, si ce n’est que ce furent autrefois des montagnes, et que les eaux du ciel ayant peu à peu fait ébouler la terre qui environnoit ces masses de pierre, les aient ainsi à la longue escarpées de toutes parts : ce qui fortifie la conjecture, c’est que nous en vîmes quelques unes qui vers le bas sont encore environnées de terre jusqu’à une certaine hauteur[34]. »

Le sommet des plus hautes montagnes est donc ordinairement composé de rochers et de plusieurs espèces de granite, de roc vif, de grès, et d’autres matières dures et vitrifiables, et cela souvent jusqu’à deux ou trois cents toises en descendant ; ensuite on y trouve souvent des carrières de marbre ou de pierre dure qui sont remplies de coquilles, et dont la matière est calcinable, comme on peut le remarquer à la grande Chartreuse en Dauphiné et sur le mont Cenis, où les pierres et les marbres qui contiennent des coquilles, sont à quelques centaines de toises au dessous des sommets, des pointes, et des pics des plus hautes montagnes, quoique ces pierres remplies de coquilles soient elles-mêmes à plus de mille toises au dessus du niveau de la mer. Ainsi les montagnes où l’on voit des pointes ou des pics sont ordinairement de roc vitrifiable, et celles dont les sommets sont plats contiennent pour la plupart des marbres et des pierres dures remplies de productions marines. Il en est de même des collines lorsqu’elles sont de grès ou de roc vif : elles sont pour la plupart entrecoupées de pointes, d’éminences, de tertres, et de cavités, de profondeurs et de petits vallons intermédiaires ; au contraire, celles qui sont composées de pierres calcinables sont à peu près égales dans toute leur hauteur, et elles ne sont interrompues que par des gorges et des vallons plus grands, plus réguliers, et dont les angles sont correspondants ; enfin elles sont couronnées de rochers dont la position est régulière et de niveau.

Quelque différence qui nous paroisse d’abord entre ces deux formes de montagnes, elles viennent cependant toutes deux de la même cause, comme nous venons de le faire voir ; seulement on doit observer que ces pierres calcinables n’ont éprouvé aucune altération, aucun changement, depuis la formation des couches horizontales, au lieu que celles de sable vitrifiable ont pu être altérées et interrompues par la production postérieure des rochers et des blocs anguleux qui se sont formés dans l’intérieur de ce sable. Ces deux espèces de montagnes ont des fentes qui sont presque toujours perpendiculaires dans celles de pierres calcinables, et qui paroissent être un peu plus irrégulières dans celles de roc vif et de grès ; c’est dans ces fentes qu’on trouve les métaux, les minéraux, les cristaux, les soufres, et toutes les matières de la seconde classe, et c’est au dessous de ces fentes que les eaux se rassemblent pour pénétrer ensuite plus avant et former les veines d’eau qu’on trouve au dessous de la surface de la terre.

* Nous avons dit, page 66 de ce volume, que les plus hautes montagnes du globe sont les Cordilières en Amérique, surtout dans la partie de ces montagnes qui est située sous l’équateur et entre les tropiques. Nos mathématiciens envoyés au Pérou, et quelques autres observateurs, en ont mesuré les hauteurs au dessus du niveau de la mer du Sud, les uns géométriquement, les autres par le moyen du baromètre, qui, n’étant pas sujet à de grandes variations dans ce climat, donne une mesure presque aussi exacte que celle de la trigonométrie. Voici le résultat de leurs observations.


Hauteur des montagnes les plus élevées de la province de Quito au Pérou.
toises.
Cota-catché, au nord de Quito. 
 2570
Cayambé-orcou, sous l’équateur. 
 3030
Pitchincha, volcan en 1539, 1577, et 1660. 
 2430
Antisana, volcan en 1590. 
 3020
Sinchoulogea, volcan en 1660. 
 2570
Illinica, présumé volcan. 
 2717
Coto-paxi, volcan en 1533, en 1742, et 1744. 
 2950
Chimboraço, volcan : on ignore l’époque de son éruption. 
 3220
Cargavi-raso, volcan écroulé en 1698. 
 2450
Tongouragoa, volcan en 1641. 
 2620
El-altan, l’une des monlagnes appelées Coillanes
 2730
Sanguaï, volcan actuellement enflammé depuis 1728. 
 2680

En comparant ces mesures des montagnes de l’Amérique méridionale avec celles de notre continent, on verra qu’elles sont en général élevées d’un quart de plus que celles de l’Europe, et que presque toutes ont été ou sont encore des volcans embrasés ; tandis que celles de l’intérieur de l’Europe, de l’Asie, et de l’Afrique, même celles qui sont les plus élevées, sont tranquilles depuis un temps immémorial. Il est vrai que, dans plusieurs de ces dernières montagnes, on reconnoît assez évidemment l’ancienne existence des volcans, tant par les précipices dont les parois sont noires et brûlées, que par la nature des matières qui environnent ces précipices, et qui s’étendent sur la croupe de ces montagnes : mais comme elles sont situées dans l’intérieur des continents, et maintenant très éloignées des mers, l’action de ces feux souterrains, qui ne peut produire de grands effets que par le choc de l’eau, a cessé lorsque les mers se sont éloignées ; et c’est par cette raison que, dans les Cordilières, dont les racines bordent, pour ainsi dire, la mer du Sud, la plupart des pics sont des volcans actuellement agissants, tandis que depuis très long-temps les volcans d’Auvergne, du Vivarais, du Languedoc, et ceux d’Allemagne, de la Suisse, etc., en Europe ; ceux du mont Ararath en Asie, et ceux du mont Atlas en Afrique, sont absolument éteints.

La hauteur à laquelle les vapeurs se glacent, est d’environ 2400 toises sous la zone torride ; et en France, de 1500 toises de hauteur : les cimes des hautes montagnes surpassent quelquefois cette ligne de 8 à 900 toises, et toute cette hauteur est couverte de neiges qui ne fondent jamais ; les nuages (qui s’élèvent le plus haut) ne les surpassent ensuite que de 3 à 400 toises, et n’excèdent par conséquent le niveau des mers que d’environ 3600 toises : ainsi, s’il y avoit des montagnes plus hautes encore, on leur verroit sous la zone torride une ceinture de neige à 2400 toises au dessus de la mer, qui finiroit à 3500 ou 3600 toises, non par la cessation du froid, qui devient toujours plus vif à mesure qu’on s’élève, mais parce que les vapeurs n’iroient pas plus haut.

M. de Keralio, savant physicien, a recueilli toutes les mesures prises par différentes personnes sur la hauteur des montagnes dans plusieurs contrées.

En Grèce, M. Bernouilli a déterminé la hauteur de l’Olympe à 1017 toises : ainsi la neige n’y est pas constante, non plus que sur le Pélion en Thessalie, le Cathalylium et le Cyllenou ; la hauteur de ces monts n’atteint pas le degré de la glace. M. Bouguer donne 2500 toises de hauteur au pic de Ténériffe, dont le sommet est toujours couvert de neige. L’Etna, les monts Norwégiens, l’Hémus, l’Athos, l’Atlas, le Caucase, et plusieurs autres, tels que le mont Ararath, le Taurus, le Libanon, sont en tout temps couverts de neige à leurs sommets.

toises.
Selon Pontoppidam, les plus hauts monts de Norwège ont 
 3000

Nota. Cette mesure, ainsi que la suivante, me paroissent exagérées.

Selon M. Brovallius, les plus hauts monts de Suède ont 
 2333

Selon les Mémoires de l’Académie royale des Sciences (année 1718), les plus hautes montagnes de France sont les suivantes :

toises.
Le Cantal. 
 984
Le mont Ventoux. 
 1036
Le Canigou des Pyrénées. 
 1441
Le Moussec. 
 1253
Le Saint Barthélemi. 
 1184
Le Mont-d’Or en Auvergne, volcan éteint. 
 1048

Selon M. Needham, les montagnes de Savoie ont en hauteur :

toises.
Le couvent du grand Saint-Bernard. 
 1241
Le Roc au sud-ouest de ce mont. 
 1274
Le mont Serène. 
 1282
L’allée Blanche. 
 1249
Le mont Tourné. 
 1683
Selon M. Facio de Duiller, le mont Blanc, ou la montagne Maudite, a 
 2213

Il est certain que les principales montagnes de Suisse sont plus hautes que celles de France, d’Espagne, d’Italie, et d’Allemagne ; plusieurs savants ont déterminé, comme il suit, la hauteur de ces montagnes.

Suivant M. Mikhéli, la plupart de ces montagnes, comme le Grimselberg, le Welterhorn, le Schrekhorn, l’Eighess-schnéeberg, le Ficherhorn, le Stronbel, le Fourke, le Louk-manier, le Crispalt, le Mougle, la cime du Baduts et du Gothard, ont de 2400 à 2750 toises de hauteur au dessus du niveau de la mer : mais je soupçonne que ces mesures données par M. Mikhéli sont trop fortes, d’autant qu’elles excèdent de moitié celles qu’ont données MM. Cassini, Scheuchzer, et Mariotte, qui pourroient bien être trop foibles, mais non pas à cet excès ; et ce qui fonde mon doute, c’est que, dans les régions froides et tempérées où l’air est toujours orageux, le baromètre est sujet à trop de variations, mêmes inconnues des physiciens, pour qu’ils puissent compter sur les résultats qu’il présente.

Sur la formation des montagnes.

* Toutes les vallées et tous les vallons de la surface de la terre, ainsi que toutes les montagnes et, les collines ; ont eu deux causes primitives : la première est le feu, et la seconde l’eau. Lorsque la terre a pris sa consistance, il s’est élevé à sa surface un grand nombre d’aspérités, il s’est fait des boursoufflures comme dans un bloc de verre ou de métal fondu. Cette première cause a donc produit les premières et les plus hautes montagnes qui tiennent par leur base à la roche intérieure du globe, et sous lesquelles, comme partout ailleurs, il a dû se trouver des cavernes qui se sont affaissées en différents temps : mais, sans considérer ce second événement de l’affaissement des cavernes, il est certain que, dans le premier temps où la surface de la terre s’est consolidée, elle étoit sillonnée partout de profondeurs et d’éminences uniquement produites par l’action du premier refroidissement. Ensuite, lorsque les eaux se sont dégagées de l’atmosphère, ce qui est arrivé dès que la terre a cessé d’être brûlante au point de les rejeter en vapeurs, ces mêmes eaux ont couvert toute la surface de la terre actuellement habitée jusqu’à la hauteur de 2000 toises ; et, pendant leur long séjour sur nos continents, le mouvement du flux et du reflux et celui des courants ont changé la disposition et la forme des montagnes et des vallées primitives. Ces mouvements auront formé des collines dans les vallées, ils auront recouvert et environné de nouvelles couches de terre le pied et les croupes des montagnes ; et les courants auront creusé des sillons, des vallons, dont tous les angles se correspondent. C’est à ces deux causes, dont l’une est bien plus ancienne que l’autre, qu’il faut rapporter la forme extérieure que nous présente la surface de la terre. Ensuite, lorsque les mers se sont abaissées, elles ont produit des escarpements du côté de l’occident où elles s’écouloient le plus rapidement, et ont laissé des pentes douces du côté de l’orient.

Les éminences qui ont été formées par le sédiment et les dépôts de la mer, ont une structure bien différente de celles qui doivent leur origine au feu primitif : les premières sont toutes disposées par couches horizontales et contiennent une infinité de productions marines ; les autres, au contraire, ont une structure moins régulière et ne renferment aucun indice de productions de la mer. Ces montagnes de première et de seconde formation n’ont rien de commun que les fentes perpendiculaires qui se trouvent dans les unes comme dans les autres ; mais ces fentes sont un effet commun de deux causes bien différentes. Les matières vitrescibles, en se refroidissant, ont diminué de volume, et se sont par conséquent fendues de distance en distance : celles qui sont composées de matières calcaires amenées par les eaux, se sont fendues par le dessèchement.

J’ai observé plusieurs fois sur les collines isolées, que le premier effet des pluies est de dépouiller peu à peu leur sommet et d’en entraîner les terres, qui forment au pied de la colline une zone uniforme et très épaisse de bonne terre, tandis que le sommet est devenu chauve et dépouillé dans son contour ; voilà l’effet que produisent et doivent produire les pluies : mais une preuve qu’il y a eu une autre cause qui avoit précédemment disposé les matières autour de la colline, c’est que, dans toutes et même dans celles qui sont isolées, il y a toujours un côté où le terrain est meilleur ; elles sont escarpées d’une part, et en pente douce de l’autre ; ce qui prouve l’action et la direction du mouvement des eaux d’un côté plus que de l’autre.

ARTICLE X.

Des Fleuves.


Nous avons dit que, généralement parlant, les plus grandes montagnes occupent le milieu des continents, que les autres occupent le milieu des îles, des presqu’îles, et des terres avancées dans la mer ; que dans l’ancien continent les plus grandes chaînes de montagnes sont dirigées d’occident en orient, et que celles qui tournent vers le nord ou vers le sud, ne sont que des branches de ces chaînes principales : on verra de même que les plus grands fleuves sont dirigés comme les plus grandes montagnes, et qu’il’y en a peu qui suivent la direction des branches de ces montagnes. Pour s’en assurer et le voir en détail, il n’y a qu’à jeter les yeux sur un globe, et parcourir l’ancien continent depuis l’Espagne jusqu’à la Chine ; on trouvera qu’à commencer par l’Espagne, le Vigo, le Douro, le Tage, et la Guadiana vont d’orient en occident, et l’Èbre d’occident en orient, et qu’il n’y a pas une rivière remarquable dont le cours soit dirigé du sud au nord, ou du nord au sud, quoique l’Espagne soit environnée de la mer en entier du côté du midi, et presque en entier du côté du nord. Cette observation sur la direction des fleuves en Espagne prouve non seulement que les montagnes de ce pays sont dirigées d’occident en orient, mais encore que le terrain méridional et qui avoisine le détroit, et celui du détroit même, est une terre plus élevée que les côtes de Portugal ; et de même du côté du nord, que les montagnes de Galice, des Asturies, etc., ne sont qu’une continuation des Pyrénées ; et que c’est cette élévation des terres, tant au nord qu’au sud, qui ne permet pas aux fleuves d’arriver par là jusqu’à la mer.

On verra aussi, en jetant les yeux sur la carte de France, qu’il n’y a que le Rhône qui soit dirigé du nord au midi, et encore dans près de la moitié de son cours, depuis les montagnes jusqu’à Lyon, est-il dirigé de l’orient vers l’occident ; mais qu’au contraire tous les autres grands fleuves, comme la Loire, la Charente, la Garonne, et même la Seine, ont leur direction d’orient en occident.

On verra de même qu’en Allemagne il n’y a que le Rhin qui, comme le Rhône, a la plus grande partie de son cours du midi au nord ; mais que les autres grands fleuves, comme le Danube, la Drave, et toutes les grandes rivières qui tombent dans ces fleuves, vont d’occident en orient se rendre dans la mer Noire.

On reconnoîtra que cette mer Noire, que l’on doit plutôt considérer comme un grand lac que comme une mer, a presque trois fois plus d’étendue d’orient en occident que du midi au nord, et que par conséquent sa position est semblable à la direction des fleuves en général ; qu’il en est de même de la mer Méditerranée, dont la longueur d’orient en occident est environ six fois plus grande que sa largeur moyenne, prise du nord au midi.

À la vérité, la mer Caspienne, suivant la carte qui en a été levée par ordre du czar Pierre Ier, a plus d’étendue du midi au nord que d’orient en occident ; au lieu que dans les anciennes cartes elle étoit presque ronde, ou plus large d’orient en occident que du midi au nord : mais si l’on fait attention que le lac Aral peut être regardé comme ayant fait partie de la mer Caspienne, dont il n’est séparé que par des plaines de sable, on trouvera encore que la longueur depuis le bord occidental de la mer Caspienne jusqu’au bord oriental du lac Aral, est plus grande que la longueur depuis le bord méridional jusqu’au bord septentrional de la même mer.

On trouvera de même que l’Euphrate et le golfe Persique sont dirigés d’occident en orient, et que presque tous les fleuves de la Chine vont d’occident en orient. Il en est de même de tous les fleuves de l’intérieur de l’Afrique au delà de la Barbarie ; ils coulent tous d’orient en occident, et d’occident en orient : il n’y a que les rivières de Barbarie et le Nil qui coulent du midi au nord. À la vérité, il y a de grandes rivières en Asie qui coulent en partie du nord au midi, comme le Don, le Wolga, etc. : mais en prenant la longueur entière de leur cours, on verra qu’ils ne se tournent du côté du midi que pour se rendre dans la mer Noire et dans la mer Caspienne, qui sont des lacs dans l’intérieur des terres.

On peut donc dire en général que dans l’Europe, l’Asie, et l’Afrique, les fleuves et les autres eaux méditerranées s’étendent plus d’orient en occident que du nord au sud ; ce qui vient de ce que les chaînes de montagnes sont dirigées pour la plupart dans ce sens, et que d’ailleurs le continent entier de l’Europe et de l’Asie est plus large dans ce sens que l’autre ; car il y a deux manières de concevoir cette direction des fleuves. Dans un continent long et étroit, comme est celui de l’Amérique méridionale, et dans lequel il n’y a qu’une chaîne principale de montagnes, qui s’étend du nord au sud, les fleuves n’étant retenus par aucune autre chaîne de montagnes, doivent couler dans le sens perpendiculaire à celui de la direction des montagnes, c’est-à-dire d’orient en occident ; ou d’occident en orient : c’est en effet dans ce sens que coulent toutes les rivières de l’Amérique, parce qu’à l’exception des Cordilières, il n’y a pas de chaînes de montagnes fort étendues, et qu’il n’y en a point dont les directions soient parallèles aux Cordilières. Dans l’ancien continent, comme dans le nouveau, la plus grande partie des eaux ont leur plus grande étendue d’occident en orient, et le plus grand nombre des fleuves coulent dans cette direction, mais c’est par une autre raison ; c’est qu’il y a plusieurs longues chaînes de montagnes parallèles les unes aux autres, dont la direction est d’occident en orient, et que les fleuves et les autres eaux sont obligés de suivre les intervalles qui séparent ces chaînes de montagnes : par conséquent une seule chaîne de montagnes, dirigée du nord au sud, produira des fleuves dont la direction sera la même que celle des fleuves qui sortiroient de plusieurs chaînes de montagnes dont la direction commune seroit d’orient en occident ; et c’est par cette raison particulière que les fleuves d’Amérique ont cette direction, comme ceux de l’Europe, de l’Afrique, et de l’Asie.

Pour l’ordinaire, les rivières occupent le milieu des vallées, ou plutôt la partie la plus basse du terrain compris entre les deux collines ou montagnes opposées. Si les deux collines qui sont de chaque côté de la rivière ont chacune une pente à peu près égale, la rivière occupe à peu près le milieu du vallon ou de la vallée intermédiaire. Que cette vallée soit large ou étroite, si la pente des collines ou des terres élevées qui sont de chaque côté de la rivière, est égale, la rivière occupera le milieu de la vallée. Au contraire, si l’une des collines a une pente plus rapide que n’est la pente de la colline opposée, la rivière ne sera plus dans le milieu de la vallée ; mais elle sera d’autant plus voisine de la colline la plus rapide, que cette rapidité de pente sera plus grande que celle de la pente de l’autre colline : l’endroit le plus bas du terrain, dans ce cas, n’est plus le milieu de la vallée : il est beaucoup plus près de la colline dont la pente est la plus grande, et c’est par cette raison que la rivière en est aussi plus près. Dans tous les endroits où il y a d’un côté de la rivière des montagnes ou des collines fort rapides, et de l’autre côté des terres élevées en pente douce, on trouvera toujours que la rivière coule au pied de ces collines rapides, et qu’elle les suit dans toutes leurs directions, sans s’écarter de ces collines, jusqu’à ce que de l’autre côté il se trouve d’autres collines dont la pente soit assez considérable pour que le point le plus bas du terrain se trouve plus éloigné qu’il ne l’étoit de la colline rapide. Il arrive ordinairement que par la succession de temps la pente de la colline la plus rapide diminue et vient à s’adoucir, parce que les pluies entraînent les terres en plus grande quantité, et les enlèvent avec plus de violence sur une pente rapide que sur une pente douce : la rivière est alors contrainte de changer de lit pour retrouver l’endroit le plus bas du vallon. Ajoutez à cela que comme toutes les rivières grossissent et débordent de temps en temps, elles transportent et déposent des limons en différents endroits, et que souvent il s’accumule des sables dans leur lit ; ce qui fait refluer les eaux et en change la direction. Il est assez ordinaire de trouver dans les plaines un grand nombre d’anciens lits de la rivière, surtout si elle est impétueuse et sujette à de fréquentes inondations, et si elle entraîne beaucoup de sable et de limon.

Dans les plaines et dans les larges vallées où coulent les grands fleuves, le fond du lit du fleuve est ordinairement l’endroit le plus bas de la vallée : mais souvent la surface de l’eau du fleuve est plus élevée que les terres qui sont adjacentes à celles des bords du fleuve. Supposons, par exemple, qu’un fleuve soit à plein bord, c’est-à-dire que les bords et l’eau du fleuve soient de niveau, et que l’eau peu après commence à déborder des deux côtés : la plaine sera bientôt inondée jusqu’à une largeur considérable ; et l’on observera que des deux côtés du fleuve les bords seront inondés les derniers ; ce qui prouve qu’ils sont plus élevés que le reste du terrain ; en sorte que de chaque côté du fleuve, depuis les bords jusqu’à un certain point de la plaine, il y a une pente insensible, une espèce de talus qui fait que la surface de l’eau du fleuve est plus élevée que le terrain de la plaine, surtout lorsque le fleuve est à plein bord. Cette élévation du terrain aux bords des fleuves provient du dépôt du limon dans les inondations : l’eau est communément très bourbeuse dans les grandes crues des rivières ; lorsqu’elle commence à déborder, elle coule très lentement par dessus les bords ; elle dépose le limon qu’elle contient, et s’épure, pour ainsi dire, à mesure qu’elle s’éloigne davantage au large dans la plaine : de même toutes les parties de limon que le courant de la rivière n’entraîne pas sont déposées sur les bords ; ce qui les élève peu à peu au dessus du reste de la plaine.

Les fleuves sont, comme l’on sait, toujours plus larges à leur embouchure ; à mesure qu’on avance dans les terres et qu’on s’éloigne de la mer, ils diminuent de largeur : mais ce qui est plus remarquable et peut-être moins connu, c’est que dans l’intérieur des terres, à une distance considérable de la mer, ils vont droit, et suivent la même direction dans de grandes longueurs ; et à mesure qu’ils approchent de leur embouchure, les sinuosités de leur cours se multiplient. J’ai ouï dire à un voyageur, homme d’esprit et bon observateur[35], qui a fait plusieurs grands voyages par terre dans la partie de l’ouest de l’Amérique septentrionale, que les voyageurs, et même les sauvages, ne se trompoient guère sur la distance où ils se trouvoient de la mer ; que pour reconnoître s’ils étoient bien avant dans l’intérieur des terres, ou s’ils étoient dans un pays voisin de la mer, ils suivoient le bord d’une grande rivière ; et que quand la direction de la rivière étoit droite dans une longueur de quinze ou vingt lieues, ils jugeoient qu’ils étoient fort loin de la mer : qu’au contraire, si la rivière avoit des sinuosités, et changeoit souvent de direction dans son cours, ils étoient assurés de n’être pas fort éloignés de la mer. M. Fabry a vérifié lui-même cette remarque, qui lui a été fort utile dans ses voyages, lorsqu’il parcouroit des pays inconnus et presque inhabités. Il y a encore une remarque qui peut être utile en pareil cas ; c’est que, dans les grands fleuves, il y a, le long des bords, un remous considérable, et d’autant plus considérable qu’on est moins éloigné de la mer et que le lit du fleuve est plus large ; ce qui peut encore servir d’indice pour juger si l’on est à de grandes ou à de petites distances de l’embouchure : et comme les sinuosités des fleuves se multiplient à mesure qu’ils approchent de la mer, il n’est pas étonnant que quelques unes de ces sinuosités venant à s’ouvrir, forment des bouches par où une partie des eaux du fleuve arrive à la mer ; et c’est une des raisons pourquoi les grands fleuves se divisent ordinairement en plusieurs bras pour arriver à la mer.

Le mouvement des eaux dans le cours des fleuves se fait d’une manière fort différente de celle qu’ont supposée les auteurs qui ont voulu donner des théories mathématiques sur cette matière : non seulement la surface d’une rivière en mouvement n’est pas de niveau en la prenant d’un bord à l’autre, mais même, selon les circonstances, le courant qui est dans le milieu est considérablement plus élevé on plus bas que l’eau qui est près des bords. Lorsqu’une rivière grossit subitement par la fonte des neiges, ou lorsque, par quelque autre cause, sa rapidité augmente, si la direction de la rivière est droite, le milieu de l’eau, où est le courant, s’élève, et la rivière forme une espèce de courbe convexe ou d’élévation très sensible, dont le plus haut point est dans le milieu du courant. Cette élévation est quelquefois fort considérable ; et M. Hupeau, habile ingénieur des ponts-et-chaussées, m’a dit avoir un jour mesuré cette différence de niveau de l’eau du bord de l’Aveyron, et de celle du courant, ou du milieu de ce fleuve, et avoir trouvé trois pieds de différence ; en sorte que le milieu de l’Aveyron étoit de trois pieds plus élevé que l’eau du bord. Cela doit en effet arriver toutes les fois que l’eau aura une très grande rapidité : la vitesse avec laquelle elle est emportée diminuant l’action de sa pesanteur, l’eau qui forme le courant ne se met pas en équilibre par tout son poids avec l’eau qui est près des bords ; et c’est ce qui fait qu’elle demeure plus élevée que celle-ci. D’autre côté, lorsque les fleuves approchent de leur embouchure, il arrive assez ordinairement que l’eau qui est près des bords est plus élevée que celle du milieu, quoique le courant soit rapide ; la rivière paroît alors former une courbe concave dont le point le plus bas est dans le plus fort du courant : ceci arrive toutes les fois que l’action des marées se fait sentir dans un fleuve. On sait que dans les grandes rivières le mouvement des eaux occasioné par les marées est sensible à cent ou deux cents lieues de la mer ; on sait aussi que le courant du fleuve conserve son mouvement au milieu des eaux de la mer jusqu’à des distances considérables : il y a donc, dans ce cas, deux mouvements contraires dans l’eau du fleuve ; le milieu, qui forme le courant, se précipite vers la mer, et l’action de la marée forme un contre-courant, un remous, qui fait remonter l’eau qui est voisine des bords, tandis que celle du milieu descend ; et comme alors toute l’eau du fleuve doit passer par le courant qui est au milieu, celle des bords descend continuellement vers le milieu, et descend d’autant plus qu’elle est plus élevée et refoulée avec plus de force par l’action des marées.

Il y a deux espèces de remous dans les fleuves. Le premier, qui est celui dont nous venons de parler, est produit par une force vive, telle qu’est celle de l’eau de la mer dans les marées, qui non seulement s’oppose comme obstacle au mouvement de l’état du fleuve, mais comme corps en mouvement, et en mouvement contraire et opposé à celui du courant de l’eau du fleuve ; ce remous fait un contre-courant d’autant plus sensible que la marée est plus forte. L’autre espèce de remous n’a pour cause qu’une force morte, comme celle d’un obstacle, d’une avance de terre, d’une île dans la rivière, etc. Quoique ce remous n’occasione pas ordinairement un contre-courant bien sensible, il l’est cependant assez pour être reconnu, et même pour fatiguer les conducteurs de bateaux sur les rivières. Si cette espèce de remous ne fait pas toujours un contre-courant, il produit nécessairement ce que les gens de rivière appellent une morte, c’est-à-dire des eaux mortes, qui ne coulent pas comme le reste de la rivière, mais qui tournoient de façon que quand les bateaux y sont entraînés, il faut employer beaucoup de force pour les en faire sortir. Ces eaux mortes sont fort sensibles dans toutes les rivières rapides au passage des ponts. La vitesse de l’eau augmente, comme l’on sait, à proportion que le diamètre des canaux par où elle passe diminue, la force qui la pousse étant supposée la même ; la vitesse d’une rivière augmente donc au passage d’un pont, dans la raison inverse de la somme de la largeur des arches à la largeur totale de la rivière ; et encore faut-il augmenter cette raison de celle de la longueur des arches, ou, ce qui est le même, de la largeur du pont : l’augmentation de la vitesse de l’eau étant donc très considérable en sortant de l’arche d’un pont, celle qui est à côté du courant est poussée latéralement et de côté contre les bords de la rivière ; et par cette réaction, il se forme un mouvement de tournoiement quelquefois très fort. Lorsqu’on passe sous le pont Saint-Esprit, les conducteurs sont forcés d’avoir une grande attention à ne pas perdre le fil du courant de l’eau, même après avoir passé le pont ; car s’ils laissoient écarter le bateau à droite ou à gauche, on seroit porté contre le rivage avec danger de périr, ou tout au moins on seroit entraîné dans le tournoiement des eaux mortes, d’où l’on ne pourroit sortir qu’avec beaucoup de peine. Lorsque ce tournoiement, causé par le mouvement du courant et par le mouvement opposé du remous, est fort considérable, cela forme une espèce de petit gouffre ; et l’on voit souvent dans les rivières rapides, à la chute de l’eau, au delà des arrière-becs des piles d’un pont, qu’il se forme de ces petits gouffres ou tournoiements d’eau, dont le milieu paroît être vide, et former une espèce de cavité cylindrique autour de laquelle l’eau tournoie avec rapidité. Cette apparence de cavité cylindrique est produite par l’action de la force centrifuge, qui fait que l’eau tâche de s’éloigner et s’éloigne en effet du centre du tourbillon causé par le tournoiement.

Lorsqu’il doit arriver une grande crue d’eau, les gens de rivière s’en aperçoivent par un mouvement particulier qu’ils remarquent dans l’eau ; ils disent que la rivière mouve de fond, c’est-à-dire que l’eau du fond de la rivière coule plus vite qu’elle ne coule ordinairement. Cette augmentation de vitesse dans l’eau du fond de la rivière annonce toujours, selon eux, un prompt et subit accroissement des eaux. Le mouvement et le poids des eaux supérieures, qui ne sont point encore arrivées, ne laissent pas d’agir sur les eaux de la partie inférieure de la rivière, et leur communiquent ce mouvement ; car il faut, à certains égards, considérer un fleuve qui est contenu et qui coule dans son lit, comme une colonne d’eau contenue dans un tuyau, et le fleuve entier comme un très long canal où tous les mouvements doivent se communiquer d’un bout à l’autre. Or, indépendamment du mouvement des eaux supérieures, leur poids seul pourroit faire augmenter la vitesse de la rivière, et peut-être la faire mouvoir de fond ; car on sait qu’en mettant à l’eau plusieurs bateaux à la fois, on augmente dans ce moment la vitesse de la partie inférieure de la rivière, en même temps qu’on retarde la vitesse de la partie supérieure.

La vitesse des eaux courantes ne suit pas exactement, ni même à beaucoup près, la proportion de la pente. Un fleuve dont la pente seroit uniforme, et double de la pente d’un autre fleuve, ne devroit, à ce qu’il paroît, couler qu’une fois plus rapidement que celui-ci : mais il coule en effet beaucoup plus vite encore ; sa vitesse, au lieu d’être double, est ou triple, ou quadruple, etc. Cette vitesse dépend beaucoup plus de la quantité d’eau et du poids des eaux supérieures que de la pente ; et lorsqu’on veut creuser le lit d’un fleuve, ou celui d’un égout, etc., il ne faut pas distribuer la pente également sur toute la longueur ; il est nécessaire, pour donner plus de vitesse à l’eau, de faire la pente beaucoup plus forte au commencement qu’à l’embouchure, où elle doit être presque insensible, comme nous le voyons dans les fleuves : lorsqu’ils approchent de leur embouchure, la pente est presque nulle, et cependant ils ne laissent pas de conserver une rapidité d’autant plus grande que le fleuve a plus d’eau ; en sorte que dans les grandes rivières, quand même le terrain seroit de niveau, l’eau ne laisseroit pas de couler, et même de couler rapidement, non seulement par la vitesse acquise[36], mais encore par l’action et le poids des eaux supérieures. Pour mieux faire sentir la vérité de ce que je viens de dire, supposons que la partie de la Seine qui est entre le Pont-Neuf et le Pont-Royal, fût parfaitement de niveau, et que partout elle eût dix pieds de profondeur ; imaginons pour un instant que tout d’un coup on pût mettre à sec le lit de la rivière au dessous du Pont-Royal et au dessus du Pont-Neuf : alors l’eau qui seroit entre ces deux ponts, quoique nous l’ayons supposée parfaitement de niveau, coulera des deux côtés en haut et en bas, et continuera de couler jusqu’à ce qu’elle se soit épuisée ; car, quoiqu’elle soit de niveau, comme elle est chargée d’un poids de dix pieds d’épaisseur d’eau, elle coulera des deux côtés avec une vitesse proportionnelle à ce poids ; et cette vitesse diminuant toujours à mesure que la quantité d’eau diminuera, elle ne cessera de couler que quand elle aura baissé jusqu’au niveau du fond. Le poids de l’eau contribue donc beaucoup à la vitesse de l’eau ; et c’est pour cette raison que la plus grande vitesse du courant n’est ni à la surface de l’eau ni au fond, mais à peu près dans le milieu de la hauteur de l’eau, parce qu’elle est produite par l’action du poids de l’eau qui est à la surface, et par la réaction du fond. Il y a même quelque chose de plus ; c’est que si un fleuve avoit acquis une très grande vitesse, il pourroit non seulement la conserver en traversant un terrain de niveau, mais même il seroit en état de surmonter une éminence sans se répandre beaucoup des deux côtés, ou du moins sans causer une grande inondation.

On seroit porté à croire que les ponts, les levées et les autres obstacles qu’on établit sur les rivières, diminuent considérablement la vitesse totale du cours de l’eau ; cependant cela n’y fait qu’une très petite différence. L’eau s’élève à la rencontre de l’avant-bec d’un pont : cette élévation fait qu’elle agit davantage par son poids, ce qui augmente la vitesse du courant entre les piles, d’autant plus que les piles sont plus larges et les arches plus étroites ; en sorte que le retardement que ces obstacles causent à la vitesse totale du cours de l’eau est presque insensible. Les coudes, les sinuosités, les terres avancées, les îles, ne diminuent aussi que très peu la vitesse totale du cours de l’eau. Ce qui produit une diminution très considérable dans cette vitesse, c’est l’abaissement des eaux, comme au contraire l’augmentation du volume d’eau augmente cette vitesse plus qu’aucune autre cause.

Si les fleuves étoient toujours à peu près également pleins, le meilleur moyen de diminuer la vitesse de l’eau et de les contenir, seroit d’en élargir le canal : mais comme presque tous les fleuves sont sujets à grossir et à diminuer beaucoup, il faut, au contraire, pour les contenir, rétrécir leur canal, parce que dans les basses eaux, si le canal est fort large, l’eau qui passe dans le milieu, y creuse un lit particulier, y forme des sinuosités ; et lorsqu’elle vient à grossir, elle suit cette direction qu’elle a prise dans ce lit particulier, elle vient frapper avec force contre les bords du canal, ce qui détruit les levées et cause de grands dommages. On pourroit prévenir en partie ces effets de la fureur de l’eau, en faisant, de distance en distance, de petits golfes dans les terres, c’est-à-dire en enlevant le terrain de l’un des bords jusqu’à une certaine distance dans les terres : et pour que ces petits golfes soient avantageusement placés, il faut les faire dans l’angle obtus des sinuosités du fleuve ; car alors le courant de l’eau se détourne et tournoie dans ces petits golfes, ce qui en diminue la vitesse. Ce moyen seroit peut-être fort bon pour prévenir la chute des ponts dans les endroits où il n’est pas possible de faire des barres auprès du pont : ces barres soutiennent l’action du poids de l’eau ; les golfes dont nous venons de parler en diminuent le courant : ainsi tous deux produiroient à peu près le même effet, c’est-à-dire la diminution de la vitesse.

La manière dont se font les inondations, mérite une attention particulière. Lorsqu’une rivière grossit, la vitesse de l’eau augmente toujours de plus en plus jusqu’à ce que ce fleuve commence à déborder : dans cet instant la vitesse de l’eau diminue ; ce qui fait que le débordement une fois commencé, il s’ensuit toujours une inondation qui dure plusieurs jours : car quand même il arriveroit une moindre quantité d’eau après le débordement qu’il n’en arrivoit auparavant, l’inondation ne laisseroit pas de se faire, parce qu’elle dépend beaucoup plus de la diminution de la vitesse de l’eau que de la quantité de l’eau qui arrive. Si cela n’étoit pas ainsi, on verroit souvent des fleuves déborder pour une heure ou deux, et rentrer ensuite dans leur lit, ce qui n’arrive jamais : l’inondation dure au contraire toujours pendant quelques jours, soit que la pluie cesse, ou qu’il arrive une moindre quantité d’eau, parce que le débordement a diminué la vitesse, et que par conséquent la même quantité d’eau n’étant plus emportée dans le même temps qu’elle l’étoit auparavant, c’est comme s’il en arrivoit une plus grande quantité. L’on peut remarquer, à l’occasion de cette diminution, que s’il arrive qu’un vent constant souffle contre le courant de la rivière, l’inondation sera beaucoup plus grande qu’elle n’auroit été sans cette cause accidentelle, qui diminue la vitesse de l’eau ; comme au contraire, si le vent souffle dans la même direction que suit le courant de la rivière, l’inondation sera bien moindre, et diminuera plus promptement. Voici ce que dit M. Granger du débordement du Nil.

« La crue du Nil et son inondation a long-temps occupé les savants ; la plupart n’ont trouvé que du merveilleux dans la chose du monde la plus naturelle, et qu’on voit dans tous les pays du monde. Ce sont les pluies qui tombent dans l’Abyssinie et dans l’Éthiopie qui font la croissance et l’inondation de ce fleuve : mais on doit regarder le vent du nord comme cause primitive, 1o parce qu’il chasse les nuages qui portent cette pluie du côté de l’Abyssinie ; 2o parce qu’étant le traversier des deux embouchures du Nil, il en fait refouler les eaux à contremont, et empêche par là qu’elles ne se jettent en trop grande quantité dans la mer : on s’assure tous les ans de ce fait lorsque le vent étant au nord et changeant tout à coup au sud, le Nil perd dans un jour ce dont il étoit crû dans quatre[37]. »

Les inondations sont ordinairement plus grandes dans les parties supérieures des fleuves que dans les parties inférieures et voisines de leur embouchure, parce que, toutes choses étant égales d’ailleurs, la vitesse d’un fleuve va toujours en augmentant jusqu’à la mer ; et quoique ordinairement la pente diminue d’autant plus qu’il est plus près de son embouchure, la vitesse cependant est souvent plus grande par les raisons que nous avons rapportées. Le père Castelli, qui a écrit fort sensément sur cette matière, remarque très bien que la hauteur des levées qu’on a faites pour contenir le Pô, va toujours en diminuant jusqu’à la mer, en sorte qu’à Ferrare, qui est à 50 ou 60 milles de distance de la mer, les levées ont près de 20 pieds de hauteur au dessus de la surface ordinaire du Pô ; au lieu que plus bas, à 10 ou 12 milles de distance de la mer, les levées n’ont pas 12 pieds, quoique le canal du fleuve y soit aussi étroit qu’à Ferrare.

Au reste, la théorie du mouvement des eaux courantes est encore sujette à beaucoup de difficultés et d’obscurités, et il est très difficile de donner des règles générales qui puissent s’appliquer à tous les cas particuliers : l’expérience est ici plus nécessaire que la spéculation ; il faut non seulement connoître par expérience les effets ordinaires des fleuves en général, mais il faut encore connoître en particulier la rivière à laquelle on a affaire, si l’on veut en raisonner juste et y faire des travaux utiles et durables. Les remarques que j’ai données ci-dessus, sont nouvelles pour la plupart : il seroit à désirer qu’on rassemblât beaucoup d’observations semblables ; on parviendroit peut-être à éclaircir cette matière, et à donner des règles certaines pour contenir et diriger les fleuves, et prévenir la ruine des ponts, des levées, et les autres dommages que cause la violente impétuosité des eaux[38].

Les plus grands fleuves de l’Europe sont le Wolga, qui a environ 650 lieues de cours depuis Reschow jusqu’à Astracan sur la mer Caspienne ; le Danube, dont le cours est d’environ 450 lieues depuis les montagnes de Suisse jusqu’à la mer Noire ; le Don, qui a 400 lieues de cours depuis la source du Sosna, qu’il reçoit jusqu’à son embouchure dans la mer Noire ; le Niéper, dont le cours est d’environ 350 lieues, qui se jette aussi dans la mer Noire ; la Duine, qui a environ 300 lieues de cours, et qui va se jeter dans la mer Blanche, etc.

Les plus grands fleuves de l’Asie sont le Hoanho de la Chine, qui a 850 lieues de cours en prenant sa source à Raja-Ribron, et qui tombe dans la mer de la Chine, au midi du golfe de Changi ; le Jénisca de la Tartarie, qui a 800 lieues environ d’étendue, depuis le lac Selingua jusqu’à la mer septentrionale de la Tartarie ; le fleuve Oby, qui en a environ 600, depuis le lac Kila jusque dans la mer du Nord, au delà du détroit de Waigats ; le fleuve Amour de la Tartarie orientale, qui a environ 575 lieues de cours, en comptant depuis la source du fleuve Kerlon, qui s’y jette, jusqu’à la mer de Kamtschatka, où il a son embouchure ; le fleuve Menamcon, qui a son embouchure à Poulo-Condor, et qu’on peut mesurer depuis la source du Longmu, qui s’y jette ; le fleuve Kian, dont le cours est environ de 550 lieues en le mesurant depuis la source de la rivière Kinxa, qu’il reçoit, jusqu’à son embouchure dans la mer de la Chine ; le Gange, qui a aussi environ 550 lieues de cours ; l’Euphrate, qui en a 500, en le prenant depuis la source de la rivière Irma, qu’il reçoit ; l’Indus, qui a environ 400 lieues de cours, et qui tombe dans la mer d’Arabie à la partie occidentale de Guzarate ; le fleuve Sirderoias, qui a une étendue de 400 lieues environ, et qui se jette dans le lac Aral.

Les plus grands fleuves de l’Afrique sont le Sénégal, qui a 1125 lieues environ de cours, en y comprenant le Niger, qui n’en est en effet qu’une continuation, et en remontant le Niger jusqu’à la source du Gombarou, qui se jette dans le Niger ; le Nil, dont la longueur est de 970 lieues, et qui prend sa source dans la haute Éthiopie, où il fait plusieurs contours ; il y a aussi le Zaïr et le Coanza, desquels on connoît environ 400 lieues, mais qui s’étendent bien plus au loin dans les terres de Monoémugi ; le Couama, dont on ne connoît aussi qu’environ 400 lieues, et qui vient de plus loin, des terres de la Cafrerie ; le Quilmanci, dont le cours entier est de 400 lieues, et qui prend sa source dans le royaume de Gingiro.

Enfin les plus grands fleuves d’Amérique, qui sont aussi les plus larges fleuves du monde, sont la rivière des Amazones, dont le cours est de plus de 1200 lieues, si l’on remonte jusqu’au lac qui est près de Guanuco, à 30 lieues de Lima, où le Maragnon prend sa source ; et si l’on remonte jusqu’à la source de la rivière Napo, à quelque distance de Quito, le cours de la rivière des Amazones est de plus de mille lieues.

On pourroit dire que le cours du fleuve Saint-Laurent en Canada est de plus de 900 lieues, depuis son embouchure en remontant le lac Ontario et le lac Érié, de là au lac Huron, ensuite au lac Supérieur, de là au lac Alemipigo, au lac Cristinaux, et entin au lac des Assiniboïls, les eaux de tous ces lacs tombant des uns dans les autres, et enfin dans le fleuve Saint-Laurent.

Le fleuve Mississipi a plus de 700 lieues d’étendue depuis son embouchure jusqu’à quelques unes de ses sources, qui ne sont pas éloignées du lac des Assiniboïls dont nous venons de parler.

Le fleuve de la Plata a plus de 800 lieues de cours, en le remontant depuis son embouchure jusqu’à la source de la rivière Parana, qu’il reçoit.

Le fleuve Orénoque a plus de 575 lieues de cours, en comptant depuis la source de la rivière Caketa près de Pasto, qui se jette en partie dans l’Orénoque, et coule aussi en partie vers la rivière des Amazones.

La rivière Madera, qui se jette dans celle des Amazones, a plus de 660 ou 670 lieues.

Pour savoir à peu près la quantité d’eau que la mer reçoit par tous les fleuves qui y arrivent, supposons que la moitié du globe soit couverte par la mer, et que l’autre moitié soit terre sèche, ce qui est assez juste ; supposons aussi que la moyenne profondeur de la mer, en la prenant dans toute son étendue, soit d’un quart de mille d’Italie, c’est-à-dire d’environ 230 toises : la surface de toute la terre étant de 170,981,012 milles, la surface de la mer est de 85,490,506 milles carrés, qui étant multipliés par ¼, profondeur de la mer, donnent 21,372,626 milles cubiques pour la quantité d’eau contenue dans l’océan tout entier. Maintenant, pour calculer la quantité d’eau que l’Océan reçoit des rivières, prenons quelque grand fleuve dont la vitesse et la quantité d’eau nous soit connues ; le Pô, par exemple, qui passe en Lombardie, et qui arrose un pays de 380 milles de longueur, suivant Riccioli : sa largeur, avant qu’il se divise en plusieurs bouches pour tomber dans la mer, est de cent perches de Bologne, ou de mille pieds, et sa profondeur de dix pieds ; sa vitesse est telle, qu’il parcourt 4 milles dans une heure : ainsi le Pô fournit à la mer 200,000 perches cubiques d’eau en une heure, ou 4,800,000 dans un jour. Mais un mille cubique contient 125,000,000 perches cubiques : ainsi il faut vingt-six jours pour qu’il porte à la mer un mille cubique d’eau. Reste maintenant à déterminer la portion qu’il y a entre la rivière du Pô et toutes les rivières de la terre prises ensemble, ce qu’il est impossible de faire exactement ; mais pour le savoir à peu près, supposons que la quantité d’eau que la mer reçoit par les grandes rivières dans tous les pays, soit proportionnelle à l’étendue et à la surface de ces pays, et que par conséquent le pays arrosé par le Pô et par les rivières qui y tombent, soit à la surface de toute la terre sèche en même proportion que le Pô est à toutes les rivières de la terre. Or, par les cartes les plus exactes, le Pô, depuis sa source jusqu’à son embouchure, traverse un pays de 380 milles de longueur, et les rivières qui y tombent de chaque côté, viennent de sources et de rivières qui sont à environ 60 milles de distance du Pô : ainsi ce fleuve et les rivières qu’il reçoit, arrosent un pays de 380 milles de long et de 120 milles de large ; ce qui fait 45,600 milles carrés. Mais la surface de toute la terre sèche est de 85,490,506 milles carrés ; par conséquent la quantité d’eau que toutes les rivières portent à la mer, sera 1874 fois plus grande que la quantité que le Pô lui fournit : mais comme vingt-six rivières comme le Pô fournissent un mille cubique d’eau à la mer par jour, il s’ensuit que dans l’espace d’un an, 1874 rivières comme le Pô fourniront à la mer 26,308 milles cubiques d’eau, et que dans l’espace de 812 ans toutes ces rivières fourniroient à la mer 21,372,626 milles cubiques d’eau, c’est-à-dire autant qu’il y en a dans l’Océan, et que par conséquent il ne faudroit que 812 ans pour le remplir.

Il résulte de ce calcul, que la quantité d’eau que l’évaporation enlève de la surface de la mer, que les vents transportent sur la terre, et qui produit tous les ruisseaux et tous les fleuves, est d’environ 245 lignes, ou de 20 à 21 pouces par an, ou d’environ les deux tiers d’une ligne par jour ; ceci est une très petite évaporation, quand même on la doubleroit ou tripleroit, afin de tenir compte de l’eau qui retombe sur la mer, et qui n’est pas transportée sur la terre. Voyez sur ce sujet l’écrit de Halley dans les Transactions philosophiques, no 192, où il fait voir évidemment et par le calcul, que les vapeurs qui s’élèvent au dessus de la mer, et que les vents transportent sur la terre, sont suffisantes pour former toutes les rivières et entretenir toutes les eaux qui sont à la surface de la terre.

Après le Nil, le Jourdain est le fleuve le plus considérable qui soit dans le Levant, et même dans la Barbarie ; il fournit à la mer Morte environ six millions de tonnes d’eau par jour : toute cette eau, et au delà, est enlevée par l’évaporation ; car en comptant, suivant le calcul de Halley, 6914 tonnes d’eau qui se réduit en vapeurs sur chaque mille superficiel, on trouve que la mer Morte, qui a 72 milles de long sur 18 milles de large, doit perdre tous les jours par l’évaporation près de neuf millions de tonnes d’eau, c’est-à-dire non seulement toute l’eau qu’elle reçoit du Jourdain, mais encore celle des petites rivières qui y arrivent des montagnes de Moab et d’ailleurs : par conséquent elle ne communique avec aucune autre mer par des canaux souterrains.

Les fleuves les plus rapides de tous sont le Tigre, l’Indus, le Danube, l’Yrtis en Sibérie, le Malmistra en Cilicie, etc. Mais, comme nous l’avons dit au commencement de cet article, la mesure de la vitesse des eaux d’un fleuve dépend de deux causes : la première est la pente, et la seconde le poids et la quantité d’eau. En examinant sur le globe quels sont les fleuves qui ont le plus de pente, on trouvera que le Danube en a beaucoup moins que le Pô, le Rhin, et le Rhône, puisque, tirant quelques unes de ses sources des mêmes montagnes, le Danube a un cours beaucoup plus long qu’aucun de ces trois autres fleuves, et qu’il tombe dans la mer Noire, qui est plus élevée que la Méditerranée, et peut-être plus que l’Océan.

Tous les grands fleuves reçoivent beaucoup d’autres rivières dans toute l’étendue de leur cours ; on a compté, par exemple, que le Danube reçoit plus de deux cents tant ruisseaux que rivières. Mais en ne comptant que les rivières assez considérables que les fleuves reçoivent, on trouvera que le Danube en reçoit trente ou trente-une, le Wolga en reçoit trente-deux ou trente-trois, le Don cinq ou six, le Niéper dix-neuf ou vingt, la Duine onze ou douze ; et de même en Asie le Hoanho reçoit trente-quatre ou trente-cinq rivières ; le Jénisca en reçoit plus de soixante, l’Oby tout autant, le fleuve Amour environ quarante, le Kian ou fleuve de Nanquin en reçoit environ trente, le Gange plus de vingt, l’Euphrate dix ou onze, etc. En Afrique, le Sénégal reçoit plus de vingt rivières : le Nil ne reçoit aucune rivière qu’à plus de cinq cents lieues de son embouchure ; la dernière qui y tombe est le Moraba, et de cet endroit jusqu’à sa source il reçoit environ douze ou treize rivières. En Amérique, le fleuve des Amazones en reçoit plus de soixante, et toutes fort considérables ; le fleuve Saint-Laurent environ quarante, en comptant celles qui tombent dans les lacs ; le fleuve Mississipi plus de quarante, le fleuve de la Plata plus de cinquante, etc.

Il va sur la surface de la terre des contrées élevées qui paroissent être des points de partage marqués par la nature pour la distribution des eaux. Les environs du mont Saint-Gothard sont un de ces points en Europe. Un autre point est le pays situé entre les provinces de Belozera et de Vologda en Moscovie, d’où descendent des rivières dont les unes vont à la mer Blanche, d’autres à la mer Noire, et d’autres à la mer Caspienne en Asie ; le pays des Tartares Mogols, d’où il coule des rivières dont les unes vont se rendre dans la mer Tranquille ou mer de la Nouvelle-Zemble, d’autres au golfe Linchidolin, d’autres à la mer de Corée, d’autres à celle de la Chine ; et de même le petit Thibet, dont les eaux coulent vers la mer de la Chine, vers le golfe de Bengale, vers le golfe de Cambaïe et vers le lac Aral ; en Amérique la province de Quito, qui fournit des eaux à la mer du Sud, à la mer du Nord, et au golfe du Mexique.

Il y a dans l’ancien continent environ quatre cent trente fleuves qui tombent immédiatement dans l’Océan ou dans la Méditerranée et la mer Noire, et dans le nouveau continent on ne connoît guère que cent quatre-vingts fleuves qui tombent immédiatement dans la mer ; au reste, je n’ai compris dans ce nombre que des rivières grandes au moins comme l’est la Somme en Picardie.

Toutes ces rivières transportent à la mer avec leurs eaux une grande quantité de parties minérales et salines qu’elles ont enlevées des différents terrains par où elles ont passé. Les particules de sels, qui, comme l’on sait, se dissolvent aisément, arrivent à la mer avec les eaux des fleuves. Quelques physiciens, et entre autres Halley, ont prétendu que la salure de la mer ne provenoit que des sels de la terre que les fleuves y transportent ; d’autres ont dit que la salure de la mer étoit aussi ancienne que la mer même, et que ce sel n’avoit été créé que pour l’empêcher de se corrompre : mais on peut croire que l’eau de la mer est préservée de la corruption par l’agitation des vents et par celle du flux et reflux, autant que par le sel qu’elle contient ; car quand on la garde dans un tonneau, elle se corrompt au bout de quelques jours, et Boyle rapporte qu’un navigateur pris par un calme qui dura treize jours, trouva la mer si infectée au bout de ce temps que si le calme n’eut cessé, la plus grande partie de son équipage auroit péri. L’eau de la mer est aussi mêlée d’une huile bitumineuse, qui lui donne un goût désagréable, et qui la rend très malsaine. La quantité de sel que l’eau de la mer contient, est d’environ une quarantième partie, et la mer est à peu près également salée partout, au dessus comme au fond, également sous la ligne et au cap de Bonne-Espérance, quoiqu’il y ait quelques endroits, comme à la côte de Mozambique, où elle est plus salée qu’ailleurs. On prétend aussi qu’elle est moins salée dans la zone arctique : cela peut venir de la grande quantité de neige et des grands fleuves qui tombent dans ces mers, et de ce que la chaleur du soleil n’y produit que peu d’évaporation, en comparaison de l’évaporation qui se fait dans les climats chauds.

Quoi qu’il en soit, je crois que les vraies causes de la salure de la mer sont non seulement les bancs de sel qui ont pu se trouver au fond de la mer et le long des côtes, mais encore les sels mêmes de la terre que les fleuves y transportent continuellement ; et que Halley a eu quelque raison de présumer qu’au commencement du monde la mer n’étoit que peu ou point salée, qu’elle l’est devenue par degrés et à mesure que les fleuves y ont amené des sels ; que cette salure augmente peut-être tous les jours et augmentera toujours de plus en plus, et que par conséquent il a pu conclure qu’en faisant des expériences pour reconnoître la quantité de sel dont l’eau d’un fleuve est chargée lorsqu’elle arrive à la mer, et qu’en supputant la quantité d’eau que tous les fleuves y portent, on viendroit à connoître l’ancienneté du monde par le degré de la salure de la mer.

Les plongeurs et les pêcheurs de perles assurent, au rapport de Boyle, que plus on descend dans la mer, plus l’eau est froide ; que le froid est même si grand à une profondeur considérable, qu’ils ne peuvent le souffrir, et que c’est par cette raison qu’ils ne demeurent pas long-temps sous l’eau, lorsqu’ils descendent à une profondeur un peu plus grande, que quand ils ne descendent qu’à une petite profondeur. Il me paroît que le poids de l’eau pourroit en être la cause aussi bien que le froid, si on descendoit à une grande profondeur, comme trois ou quatre cents brasses ; mais, à la vérité, les plongeurs ne descendent jamais à plus de cent pieds ou environ. Le même auteur rapporte que dans un voyage aux Indes orientales, au delà de la ligne, à environ 35 degrés de latitude sud, on laissa tomber une sonde à quatre cents brasses de profondeur, et qu’ayant retiré cette sonde qui étoit de plomb et qui pesoit environ trente à trente-cinq livres, elle étoit devenue si froide, qu’il sembloit toucher un morceau de glace. On sait aussi que les voyageurs, pour rafraîchir leur vin, descendent les bouteilles à plusieurs brasses de profondeur dans la mer : et plus on les descend, plus le vin est frais.

Tous ces faits pourroient faire présumer que l’eau de la mer est plus salée au fond qu’à la surface ; cependant on a des témoignages contraires, fondés sur des expériences qu’on a faites pour tirer dans des vases, qu’on ne débouchoit qu’à une certaine profondeur, de l’eau de la mer, laquelle ne s’est pas trouvée plus salée que celle de la surface : il y a même des endroits où l’eau de la surface étant salée, l’eau du fond se trouve douce ; et cela doit arriver dans tous les lieux où il y a des fontaines et des sources qui sourdent du fond de la mer, comme auprès de Goa, à Ormus, et même dans la mer de Naples, où il y des sources chaudes dans le fond[39].

Il y a d’autres endroits où l’on a remarqué des sources bitumineuses et des couches de bitume au fond de la mer, et sur la terre il y a une grande quantité de ces sources qui portent le bitume mêlé avec l’eau dans la mer. À la Barbade, il y a une source de bitume pur qui coule des rochers jusqu’à la mer ; le sel et le bitume sont donc les matières dominantes dans l’eau de la mer : mais elle est encore mêlée de beaucoup d’autres matières ; car le goût de l’eau n’est pas le même dans toutes les parties de l’Océan. D’ailleurs l’agitation et la chaleur du soleil altèrent le goût naturel que devroit avoir l’eau de la mer ; et les couleurs différentes des différentes mers, et des mêmes mers en différents temps, prouvent que l’eau de la mer contient des matières de bien des espèces, soit qu’elle les détache de son propre fond, soit qu’elles y soient amenées par les fleuves.

Presque tous les pays arrosés par de grands fleuves sont sujets à des inondations périodiques, surtout les pays bas et voisins de leur embouchure ; et les fleuves qui tirent leurs sources de fort loin, sont ceux qui débordent le plus régulièrement. Tout le monde a entendu parler des inondations du Nil : il conserve dans un grand espace, et fort loin dans la mer, la douceur et la blancheur de ses eaux. Strabon et les autres anciens auteurs ont écrit qu’il y avoit sept embouchures, mais aujourd’hui il n’en reste que deux qui soient navigables ; il y a un troisième canal qui descend à Alexandrie pour remplir les citernes, et un quatrième canal qui est encore plus petit. Comme on a négligé depuis fort long-temps de nettoyer les canaux, ils se sont comblés. Les anciens employoient à ce travail un grand nombre d’ouvriers et de soldats, et tous les ans, après l’inondation, l’on enlevoit le limon et le sable qui étoient dans les canaux ; ce fleuve en charrie une très grande quantité. La cause du débordement du Nil vient des pluies qui tombent en Éthiopie : elles commencent au mois d’avril, et ne finissent qu’au mois de septembre. Pendant les trois premiers mois les jours sont sereins et beaux : mais dès que le soleil se couche, il pleut jusqu’à ce qu’il se lève ; ce qui est accompagné ordinairement de tonnerres et d’éclairs. L’inondation ne commence en Égypte que vers le 17 de juin ; elle augmente ordinairement pendant environ quarante jours, et diminue pendant tout autant de temps : tout le plat pays de l’Égypte est inondé. Mais ce débordement est bien moins considérable aujourd’hui qu’il ne l’étoit autrefois ; car Hérodote nous dit que le Nil étoit cent jours à croître et autant à décroître. Si le fait est vrai, on ne peut guère en attribuer la cause qu’à l’élévation du terrain que le limon des eaux a haussé peu à peu, et à la diminution de la hauteur des montagnes de l’intérieur de l’Afrique dont il tire sa source ; il est assez naturel d’imaginer que ces montagnes ont diminué, parce que les pluies abondantes qui tombent dans ces climats pendant la moitié de l’année, entraînent les sables et les terres du dessus des montagnes dans les vallons, d’où les torrents les charrient dans le canal du Nil, qui en emporte une bonne partie en Égypte, où il les dépose dans ses débordements.

Le Nil n’est pas le seul fleuve dont les inondations soient périodiques et annuelles ; on a appelé la rivière de Pégu le Nil indien, parce que ses débordements se font tous les ans régulièrement ; il inonde ce pays à plus de trente lieues de ses bords, et il laisse, comme le Nil, un limon qui fertilise si fort la terre, que les pâturages y deviennent excellents pour le bétail, et que le riz y vient en si grande abondance, qu’on en charge tous les ans un grand nombre de vaisseaux sans que le pays en manque. Le Niger, ou, ce qui revient au même, la partie supérieure du Sénégal, déborde aussi comme le Nil, et l’inondation qui couvre tout le plat pays de la Nigritie commence à peu près dans le même temps que celle du Nil, vers le 15 juin ; elle augmente aussi pendant quarante jours. Le fleuve de la Plata, au Brésil, déborde aussi tous les ans, et dans le même temps que le Nil ; le Gange, l’Indus, l’Euphrate, et quelques autres, débordent aussi tous les ans : mais tous les autres fleuves n’ont pas des débordements périodiques ; et quand il arrive des inondations, c’est un effet de plusieurs causes qui se combinent pour fournir une plus grande quantité d’eau qu’à l’ordinaire, et pour retarder en même temps la vitesse du fleuve.

Nous avons dit que dans presque tous les fleuves la pente de leur lit va toujours en diminuant jusqu’à leur embouchure d’une manière assez insensible : mais il y en a dont la pente est très brusque dans certains endroits ; ce qui forme ce qu’on appelle une cataracte, qui n’est autre chose qu’une chute d’eau plus vive que le courant ordinaire du fleuve. Le Rhin, par exemple, a deux cataractes ; l’une à Bilefeld, et l’autre auprès de Schaffhouse. Le Nil en a plusieurs, et entre autres deux qui sont très violentes et qui tombent de fort haut entre deux montagnes. La rivière Vologda, en Moscovie, a aussi deux cataractes auprès de Ladoga, Le Zaïr, fleuve de Congo, commence par une forte cataracte qui tombe du haut d’une montagne. Mais la plus fameuse cataracte est celle de la rivière Niagara au Canada[40] ; elle tombe de 156 pieds de hauteur perpendiculaire comme un torrent prodigieux, et elle a plus d’un quart de lieue de largeur : la brume ou le brouillard que l’eau fait en tombant se voit de cinq lieues, et s’élève jusqu’aux nues ; il s’y forme un très bel arc-en-ciel lorsque le soleil donne dessus. Au dessous de cette cataracte il y a des tournoiements d’eau si terribles, qu’on ne peut y naviguer jusqu’à six milles de distance ; et au dessus de la cataracte, la rivière est beaucoup plus étroite qu’elle ne l’est dans les terres supérieures. Voici la description qu’en donne le P. Charlevoix.

« Mon premier soin fut de visiter la plus belle cascade qui soit peut-être dans la nature ; mais je reconnais d’abord que le baron de La Hontan s’étoit trompé sur sa hauteur et sur sa figure, de manière à faire juger qu’il ne l’avoit point vue.

» Il est certain que si on mesure sa hauteur par les trois montagnes qu’il faut franchir d’abord, il n’y a pas beaucoup à rabattre des 600 pieds que lui donne la carte de M. Delisle, qui sans doute n’a avancé ce paradoxe que sur la foi du baron de La Hontan et du P. Hennepin : mais après que je fus arrivé au sommet de la troisième montagne, j’observai que dans l’espace de trois lieues que je fis ensuite jusqu’à cette chute d’eau, quoiqu’il faille quelquefois monter, il faut encore plus descendre ; et c’est à quoi ces voyageurs paroissent n’avoir pas fait assez d’attention. Comme on ne peut approcher la cascade que de côté, ni la voir que de profil, il n’est pas aisé d’en mesurer la hauteur avec les instruments : on a voulu le faire avec une longue corde attachée à une longue perche ; et après avoir souvent réitéré cette manière, on n’a trouvé que 115 ou 120 pieds de profondeur : mais il n’est pas possible de s’assurer si la perche n’a pas été arrêtée par quelque rocher qui avançoit ; car quoiqu’on l’eût toujours retirée mouillée aussi bien qu’un bout de la corde à quoi elle étoit attachée, cela ne prouve rien, puisque l’eau qui se précipite de la montagne rejaillit fort haut en écumant. Pour moi, après l’avoir considérée de tous les endroits d’où l’on peut l’examiner à son aise, j’estime qu’on ne sauroit lui donner moins de 140 ou 150 pieds.

» Quant à sa figure, elle est en fer à cheval, et elle a environ 400 pas de circonférence : mais, précisément dans son milieu, elle est partagée en deux par une île fort étroite et d’un demi-quart de lieue de long, qui y aboutit. Il est vrai que ces deux parties ne tardent pas à se rejoindre : celle qui étoit de mon côté, et qu’on ne voyoit que de profil, a plusieurs pointes qui avancent ; mais celle que je découvrois en face me parut fort unie. Le baron de La Hontan y ajoute un torrent qui vient de l’ouest : il faut que dans la fonte des neiges les eaux sauvages viennent se décharger là par quelque ravine, etc.[41]. »

Il y a une autre cataracte à trois lieues d’Albanie, dans la province de la Nouvelle-York, qui a environ 50 pieds de hauteur perpendiculaire, et de cette chute d’eau il s’élève aussi un brouillard dans lequel on aperçoit un léger arc-en-ciel, qui change de place à mesure qu’on s’en éloigne ou qu’on s’en approche.

En général, dans tous les pays où le nombre d’hommes n’est pas assez considérable pour former des sociétés policées, les terrains sont plus irréguliers et le lit des fleuves plus étendu, moins égal, et rempli de cataractes. Il a fallu des siècles pour rendre le Rhône et la Loire navigables. C’est en contenant les eaux, en les dirigeant, et en nettoyant le fond des fleuves, qu’on leur donne un cours assuré ; dans toutes les terres où il y a peu d’habitants, la nature est brute, et quelquefois difforme.

Il y a des fleuves qui se perdent dans les sables, d’autres qui semblent se précipiter dans les entrailles de la terre : le Guadalquivir en Espagne, la rivière de Gottemburg en Suède, et le Rhin même, se perdent dans la terre. On assure que dans la partie occidentale de l’île Saint-Domingue il va une montagne d’une hauteur considérable, au pied de laquelle sont plusieurs cavernes où les rivières et les ruisseaux se précipitent avec tant de bruit, qu’on l’entend de sept ou huit heues.

Au reste, le nombre de ces fleuves qui se perdent dans le sein de la terre est fort petit, et il n’y a pas d’apparence que ces eaux descendent bien bas dans l’intérieur du globe ; il est plus vraisemblable qu’elles se perdent, comme celles du Rhin, en se divisant dans les sables : ce qui est fort ordinaire aux petites rivières qui arrosent les terrains secs et sablonneux ; on en a plusieurs exemples en Afrique, en Perse, en Arabie, etc.

Les fleuves du Nord transportent dans les mers une prodigieuse quantité de glaçons qui, venant à s’accumuler, forment ces masses énormes de glace si funestes aux voyageurs. Un des endroits de la mer Glaciale où elles sont le plus abondantes, est le détroit de Waigats, qui est gelé en entier pendant la plus grande partie de l’année : ces glaces sont formées des glaçons que le fleuve Oby transporte presque continuellement ; elles s’attachent le long des côtes, et s’élèvent à une hauteur considérable des deux côtés du détroit : le milieu du détroit est l’endroit qui gèle le dernier, et où la glace est le moins élevée ; lorsque le vent cesse de venir du nord et qu’il souffle dans la direction du détroit, la glace commence à fondre et à se rompre dans le milieu ; ensuite il s’en détache des côtes de grandes masses qui voyagent dans la haute mer. Le vent, qui pendant tout l’hiver vient du nord et passe sur les terres gelées de la Nouvelle-Zemble, rend le pays arrosé par l’Oby et toute la Sibérie si froids, qu’à Tobolsk même, qui est au 57e degré, il n’y a point d’arbres fruitiers, tandis qu’en Suède, à Stockholm, et même à de plus hautes latitudes, on a des arbres fruitiers et des légumes. Cette différence ne vient pas, comme on l’a cru, de ce que la mer de Laponie est moins froide que celle du détroit, ou de ce que la terre de la Nouvelle-Zemble l’est plus que celle de la Laponie, mais uniquement de ce que la mer Baltique et le golfe de Bothnie adoucissent un peu la rigueur des vents du nord, au lieu qu’en Sibérie il n’y a rien qui puisse tempérer l’activité du froid. Ce que je dis ici est fondé sur de bonnes observations ; il ne fait jamais aussi froid sur les côtes de la mer que dans l’intérieur des terres : il y a des plantes qui passent l’hiver en plein air à Londres, et qu’on ne peut conserver à Paris ; et la Sibérie, qui fait un vaste continent où la mer n’entre pas, est par cette raison plus froide que la Suède, qui est environnée de la mer presque de tous côtés.

Le pays du monde le plus froid est le Spitzberg : c’est une terre au 78e degré de latitude, toute formée de petites montagnes aiguës ; ces montagnes sont composées de gravier et de certaines pierres plates semblables à de petites pierres d’ardoise grise, entassées les unes sur les autres. Ces collines se forment, disent les voyageurs, de ces petites pierres et de ces graviers que les vents amoncèlent ; elles croissent à vue d’œil, et les matelots en découvrent tous les ans de nouvelles : on ne trouve dans ce pays que des rennes, qui paissent une petite herbe fort courte et de la mousse. Au dessus de ces petites montagnes, et à plus d’une lieue de la mer, on a trouvé un mât qui avoit une poulie attachée à un de ses bouts ; ce qui a fait penser que la mer passoit autrefois sur ces montagnes, et que ce pays est formé nouvellement : il est inhabité et inhabitable ; le terrain qui forme ces petites montagnes n’a aucune liaison, et il en sort une vapeur si froide et si pénétrante, qu’on est gelé pour peu qu’on y demeure.

Les vaisseaux qui vont au Spitzberg pour la pêche de la baleine, y arrivent au mois de juillet, et en partent vers le 15 d’août ; les glaces empêcheroient d’entrer dans cette mer avant ce temps, et d’en sortir après : on y trouve des morceaux prodigieux de glaces épaisses de 60, 70, et 80 brasses. Il y a des endroits où il semble que la mer soit glacée jusqu’au fond : ces glaces qui sont si élevées au dessus du niveau de la mer, sont claires et luisantes comme du verre.

Il y a aussi beaucoup de glaces dans les mers du nord de l’Amérique, comme dans la baie de l’Ascension, dans les détroits de Hudson, de Cumberland, de Davis, de Forbisher, etc. Robert Lade nous assure que les montagnes de Frisland sont entièrement couvertes de neige, et toutes les côtes de glace, comme d’un boulevart qui ne permet pas d’en approcher : « Il est, dit-il, fort remarquable que dans cette mer on trouve des îles de glace de plus d’une demi-lieue de tour, extrêmement élevées, et qui ont 70 ou 80 brasses de profondeur dans la mer ; cette glace, qui est douce, est peut-être formée dans les détroits des terres voisines, etc. Ces îles ou montagnes de glace sont si mobiles, que dans des temps orageux elles suivent la course d’un vaisseau, comme si elles étoient entraînées dans un même sillon : il y en a de si grosses, que leur superficie au dessus de l’eau surpasse l’extrémité des mâts des plus gros navires, etc.[42]. »

On trouve dans le recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes d’Hollande, un petit journal historique au sujet des glaces de la Nouvelle-Zemble, dont voici l’extrait : « Au cap de Troost le temps fut si embrumé, qu’il fallut amarrer le vaisseau à un banc de glace qui avoit 36 brasses de profondeur dans l’eau, et environ 16 brasses au dessus, si bien qu’il avoit 62 brasses d’épaisseur…

« Le 10 d’août, les glaces s’étant séparées, les glaçons commencèrent à flotter, et alors on remarqua que le gros banc de glace auquel le vaisseau avoit été amarré, touchoit au fond, parce que tous les autres passoient au long et le heurtoient sans l’ébranler ; on craignit donc de demeurer pris dans les glaces, et on tâcha de sortir de ce parage, quoique en passant on trouvât déjà l’eau prise, le vaisseau faisant craquer la glace bien loin autour de lui : enfin on aborda un autre banc, où l’on porta vite l’ancre de touée, et l’on s’y amarra jusqu’au soir.

» Après le repas, pendant le premier quart, les glaces commencèrent à se rompre avec un bruit si terrible, qu’il n’est pas possible de l’exprimer. Le vaisseau avoit le cap au courant qui charrioit les glaçons, si bien qu’il fallut filer du câble pour se retirer ; on compta plus de 400 gros bancs de glace, qui enfonçoient de 10 brasses dans l’eau, et paroissoient de la hauteur de 2 brasses au dessus.

» Ensuite on amarra le vaisseau à un autre banc qui enfonçoit de 6 grandes brasses, et l’on mouilla en croupière. Dès qu’on y fut établi, on vit encore un autre banc peu éloigné de cet endroit là, dont le haut s’élevoit en pointe, tout de même que la pointe d’un clocher, et il touchoit le fond de la mer ; on s’avança vers ce banc, et l’on trouva qu’il avoit 20 brasses de haut dans l’eau, et à peu près 12 brasses au dessus.

» Le 11 août on nagea encore vers un autre banc qui avoit 18 brasses de profondeur, et 10 brasses au dessus de l’eau…

» Le 21, les Hollandois entrèrent assez avant dans le port des glaces, et y demeurèrent à l’ancre pendant la nuit : le lendemain matin ils se retirèrent et allèrent amarrer leur bâtiment à un banc de glace sur lequel ils montèrent et dont ils admirèrent la figure comme une chose très singulière ; ce banc étoit couvert de terre sur le haut, et on y trouva près de quarante œufs ; la couleur n’en étoit pas non plus comme celle de la glace, elle étoit d’un bleu céleste. Ceux qui étoient là raisonnèrent beaucoup sur cet objet ; les uns disoient que c’étoit un effet de la glace, et les autres soutenoient que c’étoit une terre gelée. Quoi qu’il en fût, ce banc étoit extrêmement haut, il avoit environ 18 brasses sous l’eau et 10 brasses au dessus[43]. »

Wafer rapporte que près de la Terre-de-Feu il a rencontré plusieurs glaces flottantes très élevées, qu’il prit d’abord pour des îles. Quelques unes, dit-il, paroissent avoir une lieue ou deux de long, et la plus grosse de toutes lui parut avoir 4 ou 500 pieds de haut.

Toutes ces glaces, comme je l’ai dit dans l’article VI, viennent des fleuves qui les transportent dans la mer ; celles de la mer de la Nouvelle-Zemble et du détroit de Waigats viennent de l’Oby, et peut-être du Jénisca et des autres grands fleuves de la Sibérie et de la Tartarie ; celles du détroit d’Hudson viennent de la baie de l’Ascension, où tombent plusieurs fleuves du nord de l’Amérique ; celles de la Terre-de-Feu viennent du continent austral ; et s’il y en a moins sur les côtes de la Laponie septentrionale que sur celles de la Sibérie et au détroit de Waigats, quoique la Laponie septentrionale soit plus près du pôle, c’est que toutes les rivières de la Laponie tombent dans le golfe de Bothnie, et qu’aucune ne va dans la mer du Nord. Elles peuvent aussi se former dans les détroits où les marées s’élèvent beaucoup plus haut qu’en pleine mer, et où par conséquent les glaçons qui sont à la surface peuvent s’amonceler et former ces bancs de glaces qui ont quelques brasses de hauteur : mais pour celles qui ont 4 ou 500 pieds de hauteur, il me paroît qu’elles ne peuvent se former ailleurs que contre des côtes élevées, et j’imagine que, dans le temps de la fonte des neiges qui couvrent le dessus de ces côtes, il en découle des eaux qui, tombant sur des glaces, se glacent elles-mêmes de nouveau, et augmentent ainsi le volume des premières jusqu’à cette hauteur de 4 ou 500 pieds ; qu’ensuite dans un été plus chaud, par l’action des vents et par l’agitation de la mer, et peut-être même par leur propre poids, ces glaces collées contre les côtes se détachent et voyagent ensuite dans la mer au gré du vent, et qu’elles peuvent arriver jusque dans les climats tempérés avant que d’être entièrement fondues.

ARTICLE XI.

Des mers et des lacs.


L’Océan environne de tous côtés les continents ; il pénètre en plusieurs endroits dans l’intérieur des terres, tantôt par des ouvertures assez larges, tantôt par de petits détroits ; il forme des mers méditerranées, dont les unes participent immédiatement à ses mouvements de flux et de reflux, et dont les autres semblent n’avoir rien de commun que la continuité des eaux : nous allons suivre l’Océan dans tous ses contours, et faire en même temps l’énumération de toutes les mers méditerranées ; nous tâcherons de les distinguer de celles qu’on doit appeler golfes, et aussi de celles qu’on devroit regarder comme des lacs.

La mer qui baigne les côtes occidentales de la France fait un golfe entre les terres de l’Espagne et celles de la Bretagne : ce golfe, que les navigateurs appellent le golfe de Biscaye, est fort ouvert, et la pointe de ce golfe la plus avancée dans les terres est entre Baïonne et Saint-Sébastien ; une autre partie du golfe, qui est aussi fort avancée, c’est celle qui baigne les côtes du pays d’Aunis à La Rochelle et à Rochefort. Ce golfe commence au cap d’Ortegal et finit à Brest, où commence un détroit entre la pointe de la Bretagne et le cap Lézard : ce détroit, qui d’abord est assez large, fait un petit golfe dans le terrain de la Normandie, dont la pointe la plus avancée dans les terres est à Avranches ; le détroit continue sur une assez grande largeur jusqu’au Pas-de-Calais, où il est fort étroit, ensuite il s’élargit tout à coup fort considérablement, et finit entre le Texel et la côte d’Angleterre à Norwich ; au Texel il forme une petite mer méditerranée qu’on appelle Zuyderzée, et plusieurs autres grandes lagunes, dont les eaux ont peu de profondeur, aussi bien que celles de Zuyderzée.

Après cela, l’Océan forme un grand golfe qu’on appelle la mer d’Allemagne ; et ce golfe, pris dans toute son étendue, commence à la pointe septentrionale de l’Écosse, en descendant tout le long des côtes orientales de l’Écosse et de l’Angleterre jusqu’à Norwich, de là au Texel tout le long des côtes de Hollande et d’Allemagne, de Jutland et de la Norwège jusqu’au dessus de Bergen : on pourroit même prendre ce grand golfe pour une mer méditerranée, parce que les îles Orcades ferment en partie son ouverture, et semblent être dirigées comme si elles étoient une continuation des montagnes de Norwège. Ce grand golfe forme un large détroit qui commence à la pointe méridionale de la Norwège, et qui continue sur une grande largeur jusqu’à l’île de Zélande, où il se rétrécit tout à coup, et forme, entre les côtes de la Suède, les îles du Danemarck et de Jutland, quatre petits détroits, après quoi il s’élargit comme un petit golfe, dont la pointe la plus avancée est à Lubeck ; de là il continue sur une assez grande largeur jusqu’à l’extrémité méridionale de la Suède ; ensuite il s’élargit toujours de plus en plus, et forme la mer Baltique, qui est une mer méditerranée qui s’étend du midi au nord dans une étendue de près de 300 lieues, en y comprenant le golfe de Bothnie, qui n’est en effet que la continuation de la mer Baltique. Cette mer a de plus deux autres golfes : celui de Livonie, dont la pointe la plus avancée dans les terres est auprès de Mittau et de Riga ; et celui de Finlande, qui est un bras de la mer Baltique, qui s’étend entre la Livonie et la Finlande jusqu’à Pétersbourg, et communique au lac Ladoga, et même au lac Onega, qui communique par le fleuve Onega à la mer Blanche. Toute cette étendue d’eau qui forme la mer Baltique, le golfe de Bothnie, celui de Finlande, et celui de Livonie, doit être regardée comme un grand lac qui est entretenu par les eaux des fleuves qu’il reçoit en très grand nombre, comme l’Oder, la Vistule, le Niemen, le Droine en Allemagne et en Pologne, plusieurs autres rivières en Livonie et en Finlande, d’autres plus grandes encore qui viennent des terres de la Laponie, comme le fleuve de Tornéa, les rivières Calis, Lula, Pitha, Uma, et plusieurs autres encore qui viennent de la Suède : ces fleuves, qui sont assez considérables, sont au nombre de plus de quarante, y compris les rivières qu’ils reçoivent ; ce qui ne peut manquer de produire une très grande quantité d’eau, qui est probablement plus que suffisante pour entretenir la mer Baltique. D’ailleurs, cette mer n’a aucun mouvement de flux et de reflux, quoiqu’elle soit étroite : elle est aussi fort peu salée ; et si l’on considère le gisement des terres et le nombre des lacs et des marais de la Finlande et de la Suède, qui sont presque contigus à cette mer, on sera très porté à la regarder, non pas comme une mer, mais comme un grand lac formé dans l’intérieur des terres par l’abondance des eaux, qui ont forcé les passages auprès du Danemarck pour s’écouler dans l’Océan, comme elles y coulent en effet, au rapport de tous les navigateurs.

Au sortir du grand golfe qui forme la mer d’Allemagne, et qui finit au dessus de Bergen, l’Océan suit les côtes de la Norwège, de la Laponie suédoise, de la Laponie septentrionale, et de la Laponie moscovite, à la partie orientale de laquelle il forme un assez large détroit qui aboutit à une mer méditerranée, qu’on appelle la mer Blanche. Cette mer peut encore être regardée comme un grand lac ; car elle reçoit douze ou treize rivières toutes assez considérables, et qui sont plus que suffisantes pour l’entretenir, et elle n’est que peu salée. D’ailleurs, il ne s’en faut presque rien qu’elle n’ait communication avec la mer Baltique en plusieurs endroits : elle en a même une effective avec le golfe de Finlande, car en remontant le fleuve Onega on arrive au lac du même nom ; de ce lac Onega il y a deux rivières de communication avec le lac Ladoga ; ce dernier lac communique par un large bras avec le golfe de Finlande, et il y a dans la Laponie suédoise plusieurs endroits dont les eaux coulent presque indifféremment les unes vers la mer Blanche, les autres vers le golfe de Bothnie, et les autres vers celui de Finlande ; et tout ce pays étant rempli de lacs et de marais, il semble que la mer Baltique et la mer Blanche soient les réceptacles de toutes ces eaux, qui se déchargent ensuite dans la mer Glaciale et dans la mer d’Allemagne.

En sortant de la mer Blanche, et en côtoyant l’île de Candenos et les côtes septentrionales de la Russie, on trouve que l’Océan fait un petit bras dans les terres à l’embouchure du fleuve Petzora ; ce petit bras, qui a environ quarante lieues de longueur sur huit ou dix de largeur, est plutôt un amas d’eau formé par le fleuve qu’un golfe de la mer, et l’eau y est aussi fort peu salée. Là, les terres font un cap avancé et terminé par les petites îles Maurice et d’Orange ; et entre ces terres et celles qui avoisinent le détroit de Waigats au midi, il y a un petit golfe d’environ trente lieues dans sa plus grande profondeur au dedans des terres ; ce golfe appartient immédiatement à l’Océan, et n’est pas formé des eaux de la terre. On trouve ensuite le détroit de Waigats, qui est à très peu près sous le 70e degré de latitude nord ; ce détroit n’a pas plus de huit ou dix lieues de longueur, et communique à une mer qui baigne les côtes septentrionales de la Sibérie ; comme ce détroit est fermé par les glaces pendant la plus grande partie de l’année, il est assez difficile d’arriver dans la mer qui est au delà. Le passage de ce détroit a été tenté inutilement par un grand nombre de navigateurs ; et ceux qui l’ont passé heureusement ne nous ont pas laissé de cartes exactes de cette mer, qu’ils ont appelée mer Tranquille : il paroît seulement par les cartes les plus récentes, et par le dernier globe de Senex fait en 1739 ou 1740, que cette mer Tranquille pourroit bien être entièrement méditerranée, et ne pas communiquer avec la grande mer de Tartarie ; car elle paroît renfermée et bornée au midi par les terres des Samoïèdes, qui sont aujourd’hui bien connues ; et ces terres qui la bornent au midi, s’étendent depuis le détroit de Waigats jusqu’à l’embouchure du fleuve Jénisca ; au levant elle est bornée par la terre de Jelmorland, au couchant par celle de la Nouvelle-Zemble ; et quoiqu’on ne connoisse pas l’étendue de cette mer méditerranée du côté du nord et du nord-est, comme on y connoît des terres non interrompues, il est très probable que cette mer Tranquille est une mer méditerranée, une espèce de cul-de-sac fort difficile à aborder, et qui ne mène à rien. Ce qui le prouve, c’est qu’en partant du détroit de Waigats on a côtoyé la Nouvelle-Zemble dans la mer Glaciale tout le long de ses côtes occidentales et septentrionales jusqu’au cap Désiré ; qu’après ce cap on a suivi les côtes à l’est de la Nouvelle-Zemble jusqu’à un petit golfe qui est environ à 75 degrés, où les Hollandois passèrent un hiver mortel en 1596, qu’au delà de ce petit golfe on a découvert la terre de Jelmorland en 1664, laquelle n’est éloignée que de quelques lieues des terres de la Nouvelle-Zemble, en sorte que le seul petit endroit qui n’ait pas été reconnu est auprès du petit golfe dont nous venons de parler, et cet endroit n’a peut-être pas trente lieues de longueur : de sorte que si la mer Tranquille communique à l’Océan, il faut que ce soit à l’endroit de ce petit golfe, qui est le seul par où cette mer méditerranée peut se joindre à la grande mer, et comme ce petit golfe est à 75 degrés nord, et que, quand même la communication existeroit, il faudroit toujours s’élever de cinq degrés vers le nord pour gagner la grande mer, il est clair que si l’on veut tenter la route du nord pour aller à la Chine, il vaut beaucoup mieux passer au nord de la Nouvelle-Zemble à 77 ou 78 degrés, où d’ailleurs la mer est plus libre et moins glacée, que de tenter encore le chemin du détroit glacé de Waigats, avec l’incertitude de ne pouvoir sortir de cette mer méditerranée.

En suivant donc l’Océan tout le long des côtes de la Nouvelle-Zemble et du Jelmorland, on a reconnu ces terres jusqu’à l’embouchure du Chotanga, qui est environ au 75e degré ; après quoi, l’on trouve un espace d’environ 200 lieues, dont les côtes ne sont pas encore connues : on a su seulement par le rapport des Moscovites qui ont voyagé par terre dans ces climats, que les terres ne sont point interrompues, et leurs cartes y marquent des fleuves et des peuples qu’ils ont appelés Populi Patati. Cet intervalle de côtes encore inconnues est depuis l’embouchure du Chotanga jusqu’à celle du Kauvoina au 66e degré de latitude : là, l’Océan fait un golfe dont le point le plus avancé dans les terres est à l’embouchure du Len, qui est un fleuve très considérable ; ce golfe est formé par les eaux de l’Océan, il est fort ouvert et il appartient à la mer de Tartarie ; on l’appelle le golfe Linchidolin, et les Moscovites y pèchent la baleine.

De l’embouchure du fleuve Len, on peut suivre les côtes septentrionales de la Tartarie dans un espace de plus de 500 lieues vers l’orient, jusqu’à une grande péninsule ou terre avancée où habitent les peuples Schelates ; cette pointe est l’extrémité la plus septentrionale de la Tartarie la plus orientale, et elle est située sous le 72e degré environ de latitude nord. Dans cette longueur de plus de 500 lieues, l’Océan ne fait aucune irruption dans les terres, aucun golfe, aucun bras ; il forme seulement un coude considérable à l’endroit de la naissance de cette péninsule des peuples Schelates, à l’embouchure du fleuve Korvinea : cette pointe de terre fait aussi l’extrémité orientale de la côte septentrionale du continent de l’ancien monde, dont l’extrémité occidentale est au cap Nord en Laponie, en sorte que l’ancien continent a environ 1700 lieues de côtes septentrionales, en y comprenant les sinuosités des golfes, en comptant depuis le cap Nord de Laponie jusqu’à la pointe de la terre des Schelates, et il y a environ 1100 lieues en naviguant sous le même parallèle.

Suivons maintenant les côtes orientales de l’ancien continent, en commençant à cette pointe de la terre des peuples Schelates, et en descendant vers l’équateur : l’Océan fait d’abord un coude entre la terre des peuples Schelates, et celle des peuples Tschurtschi, qui avance considérablement dans la mer ; au midi de cette terre, il forme un petit golfe fort ouvert, qu’on appelle le golfe Suctoikret, et ensuite un autre plus petit golfe, qui avance même comme un bras à 40 ou 50 lieues dans la terre de Kamtschatka ; après quoi, l’Océan entre dans les terres par un large détroit rempli de plusieurs petites îles, entre la pointe méridionale de la terre de Kamtschatka et la pointe septentrionale de la terre d’Yeço, et il forme une grande mer méditerranée dont il est bon que nous suivions toutes les parties. La première est la mer de Kamtschatka, dans laquelle se trouve une île très considérable qu’on appelle l’île Amuor ; cette mer de Kamtschatka pousse un bras dans les terres au nord-est : mais ce petit bras et la mer de Kamtschatka elle-même pourroient bien être, au moins en partie, formés par l’eau des fleuves qui y arrivent, tant des terres de Kamtschatka, que de celles de la Tartarie. Quoi qu’il en soit, cette mer de Kamtschatka communique par un très large détroit avec la mer de Corée, qui fait la seconde partie de cette mer méditerranée ; et toute cette mer, qui a plus de 600 lieues de longueur, est bornée à l’occident et au nord par les terres de Corée et de Tartarie, à l’orient et au midi par celles de Kamtschatka, d’Yeço, et du Japon, sans qu’il y ait d’autre communication avec l’Océan que celle du détroit dont nous avons parlé, entre Kamtschatka et Yeço : car on n’est pas assuré si celui que quelques cartes ont marqué entre le Japon et la terre d’Yeço, existe réellement ; et quand même ce détroit existeroit, la mer de Kamtschatka et celle de Corée ne laisseroient pas d’être toujours regardées comme formant ensemble une grande mer méditerranée, séparée de l’Océan de tous côtés, et qui ne doit pas être prise pour un golfe, car elle ne communique pas directement avec le grand Océan par son détroit méridional qui est entre le Japon et la Corée ; la mer de la Chine, à laquelle elle communique par ce détroit, est plutôt encore une mer méditerranée qu’un golfe de l’Océan.

Nous avons dit dans le discours précédent, que la mer avoit un mouvement constant d’orient en occident, et que par conséquent la grande mer Pacifique fait des efforts continuels contre les terres orientales. L’inspection attentive du globe confirmera les conséquences que nous avons tirées de cette observation ; car si l’on examine le gisement des terres, à commencer de Kamtschatka jusqu’à la Nouvelle-Bretagne découverte en 1700 par Dampier, et qui est à 4 ou 5 degrés de l’équateur, latitude sud, on sera très porté à croire que l’Océan a rongé toutes les terres de ces climats dans une profondeur de 4 ou 500 lieues ; que par conséquent les bornes orientales de l’ancien continent ont été reculées, et qu’il s’étendoit autrefois beaucoup plus vers l’orient : car on remarquera que la Nouvelle-Bretagne et Kamtschatka, qui sont les terres les plus avancées vers l’orient, sont sous le même méridien ; on observera que toutes ces terres sont dirigées du nord au midi. Kamtschatka fait une pointe d’environ 160 lieues du nord au midi ; et cette pointe, qui du côté de l’orient est baignée par la mer Pacifique, et de l’autre par la mer méditerranée dont nous venons de parler, est partagée dans cette direction du nord au midi par une chaîne de montagnes. Ensuite Yeço et le Japon forment une terre dont la direction est aussi du nord au midi dans une étendue de plus de 400 lieues entre la grande mer et celle de Corée, et les chaînes des montagnes d’Yeço et de cette partie du Japon ne peuvent pas manquer d’être dirigées du nord au midi, puisque ces terres, qui ont 400 lieues de longueur dans cette direction, n’en ont pas plus de 50, 60, ou 100 de largeur dans l’autre direction de l’est à l’ouest : ainsi Kamtschatka, Yeço, et la partie orientale du Japon sont des terres qu’on doit regarder comme contiguës et dirigées du nord au sud ; et suivant toujours la même direction, l’on trouve, après la pointe du cap Ava au Japon, l’île de Barneveldt et trois autres îles qui sont posées les unes au dessus des autres, exactement dans la direction du nord au sud, et qui occupent en tout un espace d’environ 100 lieues : on trouve ensuite dans la même direction trois autres îles appelées les îles des Callanos, qui sont encore toutes trois posées les unes au dessus des autres dans la même direction du nord au sud ; après cpioi on trouve les îles des Larrons au nombre de quatorze ou quinze, qui sont toutes posées les unes au dessus des autres, dans la même direction du nord au sud, et qui occupent toutes ensemble, y compris les îles des Callanos, un espace de plus de 300 lieues de longueur dans cette direction du nord au sud, sur une largeur si petite, que dans l’endroit où elle est la plus grande, ces îles n’ont pas 7 à 8 lieues : il me paroît donc que Kamtschatka, Yeço, le Japon oriental, les îles Barneveldt, du Prince, des Callanos, et des Larrons, ne sont que la même chaîne de montagnes et les restes de l’ancien pays que l’Océan a rongé et couvert peu à peu. Toutes ces contrées ne sont en effet que des montagnes, et ces îles des pointes de montagnes : les terrains moins élevés ont été submergés par l’Océan ; et si ce qui est rapporté dans les Lettres édifiantes est vrai, et qu’en effet on ait découvert une quantité d’îles qu’on a appelées les Nouvelles-Philippines, et que leur position soit réellement telle qu’elle est donnée par le P. Gobien, on ne pourra guère douter que ces îles les plus orientales de ces Nouvelles-Philippines ne soient une continuation de la chaîne de montagnes qui forme les îles des Larrons ; car ces îles orientales, au nombre de onze, sont toutes placées les unes au dessus des autres dans la même direction du nord au sud ; elles occupent en longueur un espace de plus de 200 lieues, et la plus large n’a pas 7 ou 8 lieues de largeur dans la direction de l’est à l’ouest.

Mais si l’on trouve ces conjectures trop hasardées, et qu’on m’oppose les grands intervalles qui sont entre les îles voisines du cap Ava, du Japon, et celles des Callanos, et entre ces îles et celles des Larrons, et encore entre celles des Larrons et des Nouvelles-Philippines, dont en effet le premier est d’environ 160 lieues, le second de 50 ou 60, et le troisième de près de 120, je répondrai que les chaînes des montagnes s’étendent souvent beaucoup plus loin sous les eaux de la mer, et que ces intervalles sont petits en comparaison de l’étendue de terre que présentent ces montagnes dans cette direction, qui est de plus de 1100 lieues, en les prenant depuis l’intérieur de la presqu’île de Kamtschatka. Enfin, si l’on se refuse totalement à cette idée que je viens de proposer au sujet des 500 lieues que l’Océan doit avoir gagnées sur les côtes orientales du continent, et de cette suite de montagnes que je fais passer par les îles des Larrons, on ne pourra pas s’empêcher de m’accorder au moins que Kamtschatka, Yeço, le Japon, les îles Bongo, Tanaxima, celle de Lequeo-grande, l’île des Rois, celle de Formose, celle de Vaif, de Bashe, de Babuyanes, la grande île de Luçon, les autres Philippines, Mindanao, Gilolo, etc., et enfin la Nouvelle-Guinée, qui s’étend jusqu’à la Nouvelle-Bretagne, située sous le même méridien que Kamtschatka, ne fassent une continuité de terre de plus de 2200 lieues, qui n’est interrompue que par de petits intervalles dont le plus grand n’a peut-être pas 20 lieues ; en sorte que l’Océan forme, dans l’intérieur des terres du continent oriental, un très grand golfe qui commence à Kamtschatka, et finit à la Nouvelle-Bretagne ; que ce golfe est semé d’îles ; qu’il est figuré comme le seroit tout autre enfoncement que les eaux pourroient faire à la longue en agissant continuellement contre des rivages et des côtes, et que par conséquent on peut conjecturer avec quelque vraisemblance que l’Océan, par son mouvement constant d’orient en occident, a gagné peu à peu cette étendue sur le continent oriental, et qu’il a de plus formé les mers méditerranées de Kamtschatka, de Corée, de la Chine, et peut-être tout l’archipel des Indes : car la terre et la mer y sont mêlées de façon qu’il paroît évidemment que c’est un pays inondé, duquel on ne voit plus que les éminences et les terres élevées, et dont les terres plus basses sont cachées par les eaux ; aussi cette mer n’est-elle pas profonde comme les autres, et les îles innombrables qu’on y trouve, ne sont presque toutes que des montagnes.

* La mer de Sud, qui, comme l’on sait, a beaucoup plus d’étendue en largeur que la mer Atlantique, paroît être bornée par deux chaînes de montagnes qui se correspondent jusqu’au delà de l’équateur : la première de ces chaînes est celle des montagnes de Californie, du Nouveau-Mexique, de l’isthme de Panama et des Cordilières du Pérou, du Chili, etc. ; l’autre est la chaîne des montagnes qui s’étend depuis le Kamtschatka, et passe par Yeço, par le Japon, et s’étend jusqu’au îles des Larrons, et même aux Nouvelles-Philippines. La direction de ces chaînes de montagnes, qui paroissent être les anciennes limites de la mer Pacifique, est précisément du nord au sud ; en sorte que l’ancien continent étoit borné à l’orient par l’une de ces chaînes, et le nouveau continent par l’autre. Leur séparation s’est faite dans le temps où les eaux arrivant du pôle austral, ont commencé à couler entre ces deux chaînes de montagnes qui semblent se réunir, ou du moins se rapprocher de très près vers les contrées septentrionales ; et ce n’est pas le seul indice qui nous démontre l’ancienne réunion des deux continents vers le nord. D’ailleurs cette continuité des deux continents entre Kamtschatka et les terres les plus occidentales de l’Amérique, paroît maintenant prouvée par les nouvelles découvertes des navigateurs qui ont trouvé sous ce même parallèle une grande quantité d’îles voisines les unes des autres : en sorte qu’il ne reste que peu ou point d’espaces de mer entre cette partie orientale de l’Asie et la partie occidentale de l’Amérique sous le cercle polaire. (Add. Buff.)

Si l’on examine maintenant toutes ces mers en particulier, à commencer du détroit de la mer de Corée vers celle de la Chine, où nous en étions demeurés, on trouvera que cette mer de la Chine forme dans sa partie septentrionale un golfe fort profond, qui commence à l’île Fungma, et se termine à la frontière de la province de Pékin, à une distance d’environ 45 ou 50 lieues de cette capitale de l’empire chinois ; ce golfe, dans sa partie la plus intérieure et la plus étroite, s’appelle le golfe de Changi ; il est très probable que ce golfe de Changi et une partie de cette mer de la Chine ont été formés par l’Océan, qui a inondé tout le plat pays de ce continent, dont il ne reste que les terres les plus élevées, qui sont les îles dont nous avons parlé ; dans cette partie méridionale sont les golfes de Tunquin et de Siam, auprès duquel est la presqu’île de Malaie, formée par une longue chaîne de montagnes, dont la direction est du nord au sud, et les îles Andamans, qui sont une autre chaîne de montagnes dans la même direction, et qui ne paroissent être qu’une suite des montagnes de Sumatra.

L’Océan fait ensuite un grand golfe qu’on appelle le golfe de Bengale, dans lequel on peut remarquer que les terres de la presqu’île de l’Inde font une courbe concave vers l’orient, à peu près comme le grand golfe du continent oriental ; ce qui semble aussi avoir été produit par le même mouvement de l’Océan d’orient en occident : c’est dans cette presqu’île que sont les montagnes de Gates, qui ont une direction du nord au sud jusqu’au cap de Comorin, et il semble que l’île de Ceylan en ait été séparée et qu’elle ait fait autrefois partie de ce continent. Les Maldives ne sont qu’une autre chaîne de montagnes, dont la direction est encore la même, c’est-à-dire du nord au sud : après cela est la mer d’Arabie, qui est un très grand golfe, duquel partent quatre bras qui s’étendent dans les terres, les deux plus grands du côté de l’occident, et les deux plus petits du côté de l’orient. Le premier de ces bras du côté de l’orient est le petit golfe de Cambaie, qui n’a guère que 50 ou 60 lieues de profondeur, et qui reçoit deux rivières assez considérables ; savoir, le fleuve Tapti et la rivière de Baroche, que Pietro della Valle appelle le Mehi. Le second bras vers l’orient est cet endroit fameux par la vitesse et la hauteur des marées, qui y sont plus grandes qu’en aucun lieu du monde, en sorte que ce bras, ou petit golfe tout entier, n’est qu’une terre, tantôt couverte par le flux, et tantôt découverte par le reflux, qui s’étend à plus de 50 lieues : il tombe dans cet endroit plusieurs grands fleuves, tels que l’Indus, le Padar, etc., qui ont amené une grande quantité de terre et de limon à leurs embouchures ; ce qui a peu à peu élevé le terrain du golfe, dont la pente est si douce, que la marée s’étend à une distance extrêmement grande. Le premier bras du golfe Arabique vers l’occident est le golfe Persique, qui a plus de 250 lieues d’étendue dans les terres, et le second est la mer Rouge, qui en a plus de 680 en comptant depuis l’île de Socotora. On doit regarder ces deux bras comme deux mers méditerranées, en les prenant au delà des détroits d’Ormus et de Babelmandel ; et quoiqu’elles soient toutes deux sujettes à un grand flux et reflux, et qu’elles participent par conséquent aux mouvements de l’Océan, c’est parce qu’elles ne sont pas éloignées de l’équateur, où le mouvement des marées est beaucoup plus grand que dans les autres climats, et que d’ailleurs elles sont toutes deux fort longues et fort étroites. Le mouvement des marées est beaucoup plus violent dans la mer Rouge que dans le golfe Persique, parce que la mer Rouge, qui est près de trois fois plus longue et presque aussi étroite que le golfe Persique, ne reçoit aucun fleuve dont le mouvement puisse s’opposer à celui du flux, au lieu que le golfe Persique en reçoit de très considérables à son extrémité la plus avancée dans les terres. Il paroit ici assez visiblement que la mer Rouge a été formée par une irruption de l’Océan dans les terres ; car si on examine le gisement des terres au dessus et au dessous de l’ouverture qui lui sert de passage, on verra que ce passage n’est qu’une coupure, et que de l’un et de l’autre côté de ce passage les côtes suivent une direction droite et sur la même ligne, la côte d’Arabie depuis le cap Razalgat jusqu’au cap Fartaque étant dans la même direction que la côte d’Afrique depuis le cap de Guardafui jusqu’au cap de Sands.

À l’extrémité de la mer Rouge est cette fameuse langue de terre qu’on appelle l’isthme de Suez, qui fait une barrière aux eaux de la mer Rouge et empêche la communication des mers. On a vu dans le discours précédent les raisons qui peuvent faire croire que la mer Rouge est plus élevée que la Méditerranée, et que si l’on coupoit l’isthme de Suez, il pourroit s’ensuivre une inondation et une augmentation de la Méditerranée ; nous ajouterons à ce que nous avons dit, que quand même on ne voudroit pas convenir que la mer Rouge fût plus élevée que la Méditerranée, on ne pourra pas nier qu’il n’y ait aucun flux et reflux dans cette partie de la Méditerranée voisine des bouches du Nil, et qu’au contraire il y a dans la mer Rouge un flux et reflux très considérable et qui élève les eaux de plusieurs pieds, ce qui seul suffiroit pour faire passer une grande quantité d’eau dans la Méditerranée, si l’isthme étoit rompu. D’ailleurs nous avons un exemple cité à ce sujet par Varenius, qui prouve que les mers ne sont pas également élevées dans toutes leurs parties ; voici ce qu’il en dit, page 100 de sa Géographie : « Oceanus Germanicus, qui est Atlantici pars, inter Frisiam etHollandiam se effundens, efficit sinum qui, etsi parvus sit respectu celebrium sinuum maris, tamen et ipse dicitur mare, aluitque Hollandiæ emporium celeberrimum, Amstelodanum. Non procul inde abest lacus Harlemensis, qui etiam mare Harlemense dicitur. Hujus altitudo non est minor altitudine sinûs illius Belgici quem diximus, et mittit rarum ad urbem Leidam, ubi in varias fossas divaricatur. Quoniam itaque nec lacus hic neque sinus ille Hollandici maris inundant adjacentes agros (de naturali constitutione loquor, non ubi tempestatibus urgentur, propter quas aggeres facti sunt), patet inde quòd non sint altiores quàm agri Hollandiæ. At verò Oceanum Germanicum esse altiorem quàm terras hasce experti sunt Leidenses, cùm suscepissent fossam seu alveum ex urbe sua ad Oceani Germanici littora prope Cattorum vicum perducere (distantia est duorum milliarium), ut, recepto per alveum hunc mari, possent navigationem instituere in Oceanum Germanicum, et hinc in varias terræ regiones. Verùm enimverò, cùm magnam jam alvei partem perfecissent, desistere coacti sunt, quoniam tum demùm per observationem cognitum est Oceani Germanici aquam esse altiorem quàm agrum inter Leidam et littus Oceani illius ; unde locus ille, ubi fodere desierunt, dicitur Het malle Gut. Oceanus itaque Germanicus est aliquantùm altior quàm sinus ille Hollandicus, etc. » Ainsi on peut croire que la mer Rouge est plus haute que la Méditerranée, comme la mer d’Allemagne est plus haute que la mer de Hollande. Quelques anciens auteurs, comme Hérodote et Diodore de Sicile, parlent d’un canal de communication du Nil et de la Méditerranée avec la mer Rouge, et en dernier lieu M. Delisle a donné une carte en 1704, dans laquelle il a marqué un bout de canal qui sort du bras le plus oriental du Nil, et qu’il juge devoir être une partie de celui qui faisoit autrefois cette communication du Nil avec la mer Rouge[44]. Dans la troisième partie du livre qui a pour titre : Connoissance de l’ancien monde, imprimé en 1707, on trouve le même sentiment, et il y est dit, d’après Diodore de Sicile, que ce fut Néco, roi d’Égypte, qui commença ce canal, que Darius, roi de Perse, le continua, et que Ptolémée II l’acheva et le conduisit jusqu’à la ville d’Arsinoé ; qu’il le faisoit ouvrir et fermer selon qu’il en avoit besoin. Sans que je prétende vouloir nier ces faits, je suis obligé d’avouer qu’ils me paroissent douteux, et je ne sais pas si la violence et la hauteur des marées dans la mer Rouge ne se seroient pas nécessairement communiquées aux eaux de ce canal ; il me semble qu’au moins il auroit fallu de grandes précautions pour contenir les eaux, éviter les inondations, et beaucoup de soin pour entretenir ce canal en bon état : aussi les historiens qui nous disent que ce canal a été entrepris et achevé, ne nous disent pas s’il a duré ; et les vestiges qu’on prétend en reconnoître aujourd’hui, sont peut-être tout ce qui en a jamais été fait. On a donné à ce bras de l’Océan le nom de mer Rouge, parce qu’elle a en effet cette couleur dans tous les endroits où il se trouve des madrépores sur son fond : voici ce qui est rapporté dans l’Histoire générale des Voyages, tome I, pages 198 et 199. « Avant que de quitter la mer Rouge, D. Jean examina quelles peuvent avoir été les raisons qui ont fait donner ce nom au golfe Arabique par les anciens, et si cette mer est en effet différente des autres par la couleur. Il observa que Pline rapporte plusieurs sentiments sur l’origine de ce nom : les uns le font venir d’un roi nommé Érythros, qui régna dans ces cantons, et dont le nom en grec signifie rouge ; d’autres se sont imaginé que la réflexion du soleil produit une couleur rougeâtre sur la surface de l’eau ; et d’autres, que l’eau du golfe a naturellement cette couleur. Les Portugais, qui avoient déjà fait plusieurs voyages à l’entrée des détroits, assuroient que toute la côte d’Arabie étant fort rouge, le sable et la poussière qui s’en détachoient, et que le vent poussoit dans la mer, teignoient les eaux de la même couleur.

» D. Jean, qui, pour vérifier ces opinions, ne cessa point jour et nuit, depuis son départ de Socotora, d’observer la nature de l’eau et les qualités des côtes jusqu’à Suez, assure que, loin d’être naturellement rouge, l’eau est de la couleur des autres mers, et que le sable ou la poussière n’ayant rien de rouge non plus, ne donnent point cette teinte à l’eau du golfe. La terre sur les deux côtés est généralement brune, et noire même en quelques endroits ; dans d’autres lieux elle est blanche : ce n’est qu’au delà de Suaquen, c’est-à-dire sur des côtes où les Portugais n’avoient point encore pénétré, qu’il vit en effet trois montagnes rayées de rouge ; encore étoient-elles d’un roc fort dur, et le pays voisin étoit de la couleur ordinaire.

» La vérité donc est que cette mer, depuis l’entrée jusqu’au fond du golfe, est partout de la même couleur ; ce qu’il est facile de se démontrer à soi-même en puisant de l’eau à chaque lieu : mais il faut avouer aussi que dans quelques endroits elle paroît rouge par accident, et dans d’autres verte et blanche. Voici l’explication de ce phénomène. Depuis Suaquen jusqu’à Kossir, c’est-à-dire pendant l’espace de 136 lieues, la mer est remplie de bancs et de rochers de corail : on leur donne ce nom, parce que leur forme et leur couleur les rendent si semblables au corail, qu’il faut une certaine habileté pour ne pas s’y tromper ; ils croissent comme des arbres, et leurs branches prennent la forme de celles du corail ; on en distingue deux sortes, l’une blanche et l’autre fort rouge ; ils sont couverts en plusieurs endroits d’une espèce de gomme ou de glu verte, et dans d’autres lieux, orange foncé. Or, l’eau de cette mer étant plus claire et plus transparente qu’aucune autre eau du monde, de sorte qu’à 20 brasses de profondeur l’œil pénètre jusqu’au fond, surtout depuis Suaquen jusqu’à l’extrémité du golfe, il arrive qu’elle paroît prendre la couleur des choses qu’elle couvre ; par exemple, lorsque les rocs sont comme enduits de glu verte, l’eau qui passe par dessus paroît d’un vert plus foncé que les rocs mêmes ; et lorsque le fond est uniquement de sable, l’eau paroît blanche : de même, lorsque les rocs sont de corail, dans le sens que j’ai donné à ce terme, et que la glu qui les environne est rouge ou rougeâtre, l’eau se teint, ou plutôt semble se teindre en rouge. Ainsi, comme les rocs de cette couleur sont plus fréquents que les blancs et les verts, D. Jean conclut qu’on a dû donner au golfe Arabique le nom de mer Rouge plutôt que celui de mer Verte ou Blanche ; il s’applaudit de cette découverte avec d’autant plus de raison, que la méthode par laquelle il s’en étoit assuré ne pouvoit lui laisser aucun doute. Il faisoit amarrer une flûte contre les rocs dans les lieux qui n’avoient point assez de profondeur pour permettre aux vaisseaux d’approcher, et souvent les matelots pouvoient exécuter ses ordres à leur aise, sans avoir la mer plus haut que l’estomac à plus d’une demi-lieue des rocs ; la plus grande partie des pierres ou des cailloux qu’ils en tiroient dans les lieux où l’eau paroissoit rouge, avoient aussi cette couleur ; dans l’eau qui paroissoit verte, les pierres étoient vertes ; et si l’eau paroissoit blanche, le fond étoit d’un sable blanc, où l’on n’apercevoit point d’autre mélange. »

Depuis l’entrée de la mer Rouge au cap Guardafui jusqu’à la pointe de l’Afrique au cap de Bonne-Espérance, l’Océan a une direction assez égale, et il ne forme aucun golfe considérable dans l’intérieur des terres ; il y a seulement une espèce d’enfoncement à la côte de Mélinde, qu’on pourroit regarder comme faisant partie d’un grand golfe, si l’île de Madagascar étoit réunie à la terre ferme. Il est vrai que cette île, quoique séparée par le large détroit de Mozambique, paroît avoir appartenu autrefois au continent : car il y a des sables fort hauts et d’une vaste étendue dans ce détroit, surtout du côté de Madagascar ; ce qui reste de passage absolument libre dans ce détroit n’est pas fort considérable.

En remontant la côte occidentale de l’Afrique depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu’au cap Négro, les terres sont droites et dans la même direction, et il semble que toute cette longue côte ne soit qu’une suite de montagnes ; c’est au moins un pays élevé qui ne produit, dans une étendue de plus de 500 lieues, aucune rivière considérable, à l’exception d’une ou de deux dont on n’a reconnu que l’embouchure : mais au delà du cap Négro la côte fait une courbe dans les terres, qui, dans toute l’étendue de cette courbe, paroissent être un pays plus bas que le reste de l’Afrique, et qui est arrosé de plusieurs fleuves dont les plus grands sont le Coanza et le Zaïr ; on compte depuis le cap Négro jusqu’au cap Gonsalvez vingt-quatre embouchures de rivières toutes considérables, et l’espace contenu entre ces deux caps est d’environ 420 lieues en suivant les côtes. On peut croire que l’Océan a un peu gagné sur ces terres basses de l’Afrique, non pas par son mouvement naturel d’orient en occident, qui est dans une direction contraire à celle qu’exigeroit l’effet dont il est question, mais seulement parce que ces terres étant plus basses que toutes les autres, il les aura surmontées et minées presque sans effort. Du cap Gonsalvez au cap des Ïrois-Pointes, l’Océan forme un golfe fort ouvert qui n’a rien de remarquable, sinon un cap fort avancé et situé à peu près dans le milieu de l’étendue des côtes qui forme ce golfe : on l’appelle le cap Formosa. Il y a aussi trois îles dans la partie la plus méridionale de ce golfe, qui sont les îles de Fernandpo, du Prince, et de Saint-Thomas ; ces îles paroissent être la continuation d’une chaîne de montagnes située entre Rio del Rey et le fleuve Jamoer. Du cap des Trois-Pointes au cap Palmas, l’Océan rentre un peu dans les terres, et du cap Palmas au cap Tagrin, il n’y a rien de remarquable dans le gisement des terres ; mais auprès du cap Tagrin, l’Océan fait un très petit golfe dans les terres de Sierra-Leona, et plus haut un autre encore plus petit où sont les îles Bisagas. Ensuite on trouve le cap Vert, qui est fort avancé dans la mer, et dont il paroît que les îles du même nom ne sont que la continuation, ou, si l’on veut, celle du cap Blanc, qui est une terre élevée, encore plus considérable et plus avancée que celle du cap Vert. On trouve ensuite la côte montagneuse et sèche qui commence au cap Blanc et finit au cap Bajador ; les îles Canaries paroissent être une continuation de ces montagnes. Enfin entre les terres de Portugal et de l’Afrique, l’Océan fait un golfe fort ouvert, au milieu duquel est le fameux détroit de Gibraltar, par lequel l’Océan coule dans la Méditerranée avec une grande rapidité. Cette mer s’étend à près de 900 lieues dans l’intérieur des terres, et elle a plusieurs choses remarquables : premièrement elle ne participe pas d’une manière sensible au mouvement de flux et de reflux, et il n’y a que dans le golfe de Venise, où elle se rétrécit beaucoup, que ce mouvement se fait sentir ; on prétend aussi s’être aperçu de quelque petit mouvement à Marseille et à la côte de Tripoli : en second lieu elle contient de grandes îles, celles de Sicile, celles de Sardaigne, de Corse, de Chypre, de Majorque, etc., et l’une des plus grandes presqu’îles du monde, qui est l’Italie : elle a aussi un archipel, ou plutôt c’est de cet archipel de notre mer Méditerranée que les autres amas d’îles ont emprunté ce nom : mais cet archipel de la Méditerranée me paroît appartenir plutôt à la mer Noire, et il semble que ce pays de la Grèce ait été en partie noyé par les eaux surabondantes de la mer Noire, qui coulent dans la mer de Marmara, et de là dans la mer Méditerranée.

Je sais bien que quelques gens ont prétendu qu’il y avoit dans le détroit de Gibraltar un double courant ; l’un supérieur, qui portoit l’eau de l’Océan dans la Méditerranée ; et l’autre inférieur, dont l’effet, disent-ils, est contraire ; mais cette opinion est évidemment fausse et contraire aux lois de l’hydrostatique. On a dit de même que dans plusieurs autres endroits il y avoit de ces courants inférieurs, dont la direction étoit opposée à celle du courant supérieur, comme dans le Bosphore, dans le détroit du Sund, etc. ; et Marsigli rapporte même des expériences qui ont été faites dans le Bosphore et qui prouvent ce fait ; mais il y a grande apparence que les expériences ont été mal faites, puisque la chose est impossible et qu’elle répugne à toutes les notions que l’on a sur le mouvement des eaux. D’ailleurs Greaves, dans sa Pyramidographie, pages 101 et 102, prouve, par des expériences bien faites, qu’il n’y a dans le Bosphore aucun courant inférieur dont la direction soit opposée au courant supérieur. Ce qui a pu tromper Marsigli et les autres c’est que dans le Bosphore, comme dans le détroit de Gibraltar et dans tous les fleuves qui coulent avec quelque rapidité, il y a un remous considérable le long des rivages, dont la direction est ordinairement différente, et quelquefois contraire à celle du courant principal des eaux.

* J’ai dit trop généralement et assuré trop positivement, qu’il ne se trouvoit pas dans la mer des endroits où les eaux eussent un courant inférieur opposé et dans une direction contraire au mouvement du courant supérieur : j’ai reçu depuis des informations qui semblent prouver que cet effet existe et peut même se démontrer dans certaines plages de la mer ; les plus précises sont celles que M. Deslandes, habile navigateur, a eu la bonté de me communiquer par ses lettres des 6 décembre 1770 et 5 novembre 1773, dont voici l’extrait :

« Dans votre Théorie de la terre, art. xi, Des mers et des lacs, vous dites que quelques personnes ont prétendu qu’il y avoit, dans le détroit de Gibraltar, un double courant, supérieur et inférieur, dont l’effet est contraire ; mais que ceux qui ont eu de pareilles opinions auront sans doute pris des remous qui se forment au rivage par la rapidité de l’eau, pour un courant véritable, et que c’est une hypothèse mal fondée. C’est d’après la lecture de ce passage que je me détermine à vous envoyer mes observations à ce sujet.

» Deux mois après mon départ de France, je pris connoissance de terre entre les caps Gonsalvez et de Sainte-Catherine ; la force des courants, dont la direction est au nord-nord-ouest, suivant exactement le gisement des terres qui sont ainsi situées, m’obligea de mouiller. Les vents généraux, dans cette partie, sont du sud-sud-est, sud-sud-ouest, et sud-ouest : je fus deux mois et demi dans l’attente inutile de quelque changement, faisant presque tous les jours de vains efforts pour gagner du côté de Loango, où j’avois affaire. Pendant ce temps, j’ai observé que la mer descendoit dans la direction ci-dessus avec sa force, depuis une demie jusqu’à une lieue à l’heure, et qu’à de certaines profondeurs les courants remontoient en dessous avec au moins autant de vitesse qu’ils descendoient en dessus.

» Voici comme je me suis assuré de la hauteur de ces différents courants. Étant mouillé par huit brasses d’eau, la mer extrêmement claire, j’ai attaché un plomb de trente livres au bout d’une ligne ; à environ deux brasses de ce plomb, j’ai mis une serviette liée à la ligne par un de ses coins, laissant tomber le plomb dans l’eau ; aussitôt que la serviette y entroit, elle prenoit la direction du premier courant : continuant à l’observer, je la faisois descendre ; d’abord que je m’apercevois que le courant n’agissoit plus, j’arrêtois ; pour lors elle flottoit indifféremment autour de la ligne. Il y avoit donc dans cet endroit interruption de cours. Ensuite, baissant ma serviette à un pied plus bas, elle prenoit une direction contraire à celle qu’elle avoit auparavant. Marquant la ligne à la surface de l’eau, il y avoit trois brasses de distance à la serviette, d’où j’ai conclu, après différents examens, que, sur les huit brasses d’eau, il y en avoit trois qui couroient sur le nord-nord-ouest, et cinq en sens contraire sur le sud-sud-est.

» Réitérant l’expérience le même jour, jusqu’à cinquante brasses, étant à la distance de six à sept lieues de terre, j’ai été surpris de trouver la colonne d’eau courant sur la mer, plus profonde à raison de la hauteur du fond ; sur cinquante brasses, j’en ai estimé de douze à quinze dans la première direction : ce phénomène n’a pas eu lieu pendant deux mois et demi que j’ai été sur cette côte, mais bien à peu près un mois en différents temps. Dans les interruptions, la marée descendoit en total dans le golfe de Guinée.

» Cette division des courants me fit naître l’idée d’une machine qui, coulée jusqu’au courant inférieur, présentant une grande surface, auroit entraîné mon navire contre les courants supérieurs ; j’en fis l’épreuve en petit sur un canot, et je parvins à faire équilibre entre l’effet de la marée supérieure joint à l’effet du vent sur le canot, et l’effet de la marée inférieure sur la machine. Les moyens me manquèrent pour faire de plus grandes tentatives. Voilà, monsieur, un fait évidemment vrai, et que tous les navigateurs qui ont été dans ces climats peuvent vous confirmer.

» Je pense que les vents sont pour beaucoup dans les causes générales de ces effets, ainsi que les fleuves qui se déchargent dans la mer le long de cette côte, charroyant une grande quantité de terre dans le golfe de Guinée. Enfin le fond de cette partie, qui oblige par sa pente la marée de rétrograder lorsque l’eau, étant parvenue à un certain niveau, se trouve pressée par la quantité nouvelle qui la charge sans cesse, pendant que les vents agissent en sens contraire sur la surface, la contraint en partie de conserver son cours ordinaire. Cela me paroît d’autant plus probable, que la mer entre de tous côtés dans ce golfe, et n’en sort que par des révolutions qui sont fort rares. La lune n’a aucune part apparente dans ceci, cela arrivant indifféremment dans tous ses quartiers.

» J’ai eu occasion de me convaincre de plus en plus que la seule pression de l’eau parvenue à son niveau, jointe à l’inclinaison nécessaire du fond, sont les seules et uniques causes qui produisent ce phénomène. J’ai éprouvé que ces courants n’ont lieu qu’à raison de la pente plus ou moins rapide du rivage, et j’ai tout lieu de croire qu’ils ne se font sentir qu’à douze ou quinze lieues au large, qui est l’éloignement le plus grand le long de la côte d’Angole, où l’on puisse se promettre avoir fond… Quoique sans moyen certain de pouvoir m’assurer que les courants du large n’éprouvent pas un pareil changement, voici la raison qui me semble l’assurer. Je prends pour exemple une de mes expériences faite par une hauteur de fond moyenne, telle que trente-cinq brasses d’eau : j’éprouvois jusqu’à la hauteur de cinq à six brasses, le cours dirigé dans le nord-nord-ouest ; en faisant couler davantage comme de deux à trois brasses, ma ligne tendoit au ouest-nord-ouest ; ensuite trois ou quatre brasses de profondeur de plus me l’amenoient au ouest-sud-ouest, puis au sud-ouest, et au sud ; enfin, à vingt-cinq et vingt-six brasses, au sud-sud-est, et jusqu’au fond, au sud-est et à est-sud-est : d’où j’ai tiré les conséquences suivantes, que je pouvois comparer l’Océan entre l’Afrique et l’Amérique à un grand fleuve dont le cours est presque continuellement dirigé dans le nord-ouest ; que, dans son cours, il transporte un sable ou limon qu’il dépose sur ses bords, lesquels se trouvant rehaussés, augmentent le volume d’eau, ou, ce qui est la même chose, élèvent son niveau, et l’obligent de rétrograder selon la pente du rivage. Mais il y a un premier effort qui le dirigeoit d’abord : il ne retourne donc pas directement ; mais, obéissant encore au premier mouvement, ou cédant avec peine à ce dernier obstacle, il doit nécessairement décrire une courbe plus ou moins allongée, jusqu’à ce qu’il rencontre ce courant du milieu avec lequel il peut se réunir en partie, ou qui lui sert de point d’appui pour suivre la direction contraire que lui impose le fond : comme il faut considérer la masse d’eau en mouvement continuel, le fond subira toujours les premiers changements comme étant plus près de la cause et plus pressé, et il ira en sens contraire du courant supérieur, pendant qu’à des hauteurs différentes il n’y sera pas encore parvenu. Voilà, monsieur, quelles sont mes idées. Au reste, j’ai tiré parti plusieurs fois de ces courants inférieurs ; et moyennant une machine que j’ai coulé à différentes profondeurs, selon la hauteur du fond où je me trouvois, j’ai remonté contre le courant supérieur. J’ai éprouvé que, dans un temps calme, avec une surface trois fois plus grande que la proue noyée du vaisseau, on peut faire d’un tiers à une demi-lieue par heure. Je me suis assuré de cela plusieurs fois, tant par ma hauteur en latitude que par les bateaux que je mouillois, dont je me trouvois fort éloigné dans une heure, et enfin par la distance des pointes le long de la terre. »

Ces observations dé M. Deslandes me paroissent décisives, et j’y souscris avec plaisir ; je ne puis même assez le remercier de nous avoir démontré que mes idées sur ce sujet n’étoient justes que pour le général, mais que, dans quelques circonstances, elles souffroient des exceptions. Cependant il n’en est pas moins certain que l’Océan s’est ouvert la porte du détroit de Gibraltar, et que par conséquent l’on ne peut douter que la mer Méditerranée n’ait en même temps pris une grande augmentation par l’irruption de l’Océan. J’ai appuyé cette opinion, non seulement sur le courant des eaux de l’Océan dans la Méditerranée, mais encore sur la nature du terrain et la correspondance des mêmes couches de terre des deux côtés du détroit, ce qui a été remarqué par plusieurs navigateurs instruits. « L’irruption qui a formé la Méditerranée est visible et évidente, ainsi que celle de la mer Noire par le détroit des Dardanelles, où le courant est toujours très violent, et les angles saillants et rentrants des deux bords, très marqués, ainsi que la ressemblance des couches de matières qui sont les mêmes des deux côtés[45]. »

Au reste, l’idée de M. Deslandes, qui considère la mer entre l’Afrique et l’Amérique comme un grand fleuve dont le cours est dirigé vers le nord-ouest, s’accorde parfaitement avec ce que j’ai établi sur le mouvement des eaux venant du pôle austral en plus grande quantité que du pôle boréal. (Add. Buff.)

Parcourons maintenant toutes les côtes du nouveau continent, et commençons par le point du cap Hold-with-hope, situe au 75e degré latitude nord : c’est la terre la plus septentrionale que l’on connoisse dans le Nouveau-Groenland ; elle n’est éloignée du cap Nord de Laponie que d’environ 160 ou 180 lieues. De ce cap on peut suivre la côte du Groenland jusqu’au cercle polaire ; là l’Océan forme un large détroit entre l’Islande et les terres du Groenland. On prétend que ce pays voisin de l’Islande n’est pas l’ancien Groenland que les Danois possédoient autrefois comme province dépendante de leur royaume ; il y avoit dans cet ancien Groenland des peuples policés et chrétiens, des évêques, des églises, des villes considérables par leur commerce ; les Danois y alloient aussi souvent et aussi aisément que les Espagnols pourroient aller aux Canaries ; il existe encore, à ce qu’on assure, des titres et des ordonnances pour les affaires de ce pays, et tout cela n’est pas bien ancien : cependant, sans qu’on puisse deviner comment ni pourquoi, ce pays est absolument perdu, et l’on n’a trouvé dans le Nouveau-Groenland aucun indice de tout ce que nous venons de rapporter ; les peuples y sont sauvages ; il n’y a aucun vestige d’édifice, pas un mot de leur langue qui ressemble à la langue danoise, enfin rien qui puisse faire juger que c’est le même pays ; il est même presque désert et bordé de glaces pendant la plus grande partie de l’année. Mais comme ces terres sont d’une très vaste étendue, et que les côtes ont été très peu fréquentées par les navigateurs modernes, ces navigateurs ont pu manquer le lieu où habitent les descendants de ces peuples policés ; ou bien il se peut que les glaces étant devenues plus abondantes dans cette mer, elles empêchent aujourd’hui d’aborder en cet endroit : tout ce pays cependant, à en juger par les cartes, a été côtoyé et reconnu en entier ; il forme une grande presqu’île à l’extrémité de laquelle sont les deux détroits de Forbisher et l’île de Frisland, où il fait un froid extrême, quoiqu’ils ne soient qu’à la hauteur des Orcades, c’est-à-dire à 60 degrés.

Entre la côte occidentale du Groenland et celle de la terre de Labrador, l’Océan fait un golfe et ensuite une grande mer méditerranée, la plus froide de toutes les mers, et dont les côtes ne sont pas encore bien reconnues. En suivant ce golfe droit au nord, on trouve le large détroit de Davis, qui conduit à la mer Christiane, terminée par la baie de Baffin, qui fait un cul-de-sac dont il paroît qu’on ne peut sortir que pour tomber dans un autre cul-de-sac , qui est la baie d’Hudson. Le détroit de Cumberland, qui peut, aussi bien que celui de Davis, conduire à la mer Christiane, est plus étroit et plus sujet à être glacé ; celui d’Hudson, quoique beaucoup plus méridional, est aussi glacé pendant une partie de l’année ; et on a remarqué dans ces détroits et dans ces mers méditerranées un mouvement de flux et reflux très fort, tout au contraire de ce qui arrive dans les mers méditerranées de l’Europe, soit dans la Méditerranée, soit dans la mer Baltique, où il n’y a point de flux et de reflux ; ce qui ne peut venir que de la différence du mouvement de la mer, qui, se faisant toujours d’orient en occident, occasione de grandes marées dans les détroits qui sont opposés à cette direction de mouvement, c’est-à-dire dans les détroits dont les ouvertures sont tournées vers l’orient, au lieu que dans ceux de l’Europe, qui présentent leur ouverture à l’occident, il n’y a aucun mouvement : l’Océan, par son mouvement général, entre dans les premiers et fuit les derniers, et c’est par cette même raison qu’il y a de violentes marées dans les mers de la Chine, de Corée, et de Kamtschatka.

En descendant du détroit d’Hudson vers la terre de Labrador, on voit une ouverture étroite, dans laquelle Davis, en 1586, remonta jusqu’à 30 lieues, et fit quelque petit commerce avec les habitants ; mais personne, que je sache, n’a depuis tenté la découverte de ce bras de mer, et on ne connoît de la terre voisine que le pays des Eskimaux : le fort Pontchartrain est la seule habitation et la plus septentrionale de tout ce pays, qui n’est séparé de l’île de Terre-Neuve que par le petit détroit de Belle-Île, qui n’est pas trop fréquenté ; et comme la côte orientale de Terre-Neuve est dans la même direction que la côte de Labrador, on doit regarder l’île de Terre-Neuve comme une partie du continent, de même que l’île Royale paroît être une partie du continent de l’Acadie : le grand banc et les autres bancs sur lesquels on pêche la morue ne sont pas des hauts fonds, comme on pourroit le croire ; ils sont à une profondeur considérable sous l’eau, et produisent dans cet endroit des courants très violents. Entre le cap Breton et Terre-Neuve est un détroit assez large par lequel on entre dans une petite mer méditerranée qu’on appelle le golfe de Saint-Laurent : cette petite mer a un bras qui s’étend assez considérablement dans les terres, et qui semble n’être que l’embouchure du fleuve Saint-Laurent : le mouvement du flux et reflux est extrêmement sensible dans ce bras de mer ; et à Québec même, qui est plus avancé dans les terres, les eaux s’élèvent de plusieurs pieds. Au sortir du golfe de Canada, et en suivant la côte de l’Acadie, on trouve un petit golfe qu’on appelle la baie de Boston, qui fait un petit enfoncement carré dans les terres. Mais avant que de suivre cette côte plus loin, il est bon d’observer que depuis l’île de Terre-Neuve jusqu’aux îles Antilles les plus avancées, comme la Barbade et Antigoa, et même jusqu’à celle de la Guiane, l’Océan fait un très grand golfe qui a plus de 500 lieues d’enfoncement jusqu’à la Floride. Ce golfe du nouveau continent est semblable à celui de l’ancien continent dont nous avons parlé ; et tout de même que dans le continent oriental, l’Océan, après avoir fait un golfe entre les terres de Kamtschatka et de la Nouvelle-Bretagne, forme ensuite une vaste mer méditerranée qui comprend la mer de Kamtschatka, celle de Corée, celle de la Chine, etc. : dans le nouveau continent l’Océan, après avoir fait un grand golfe entre les terres de Terre-Neuve et celles de la Guiane, forme une très grande mer méditerranée qui s’étend depuis les Antilles jusqu’au Mexique : ce qui confirme ce que nous avons dit au sujet des effets du mouvement de l’Océan d’orient en occident ; car il semble que l’Océan ait gagné tout autant de terrain sur les côtes orientales de l’Amérique, qu’il en a gagné sur les côtes orientales de l’Asie, et ces deux grands golfes ou enfoncements que l’Océan a formés dans ces deux continents sont sous le même degré de latitude, et à peu près de la même étendue ; ce qui fait des rapports ou des convenances singulières, et qui paroissent venir de la même cause.

Si l’on examine la position des îles Antilles à commencer par celle de la Trinité, qui est la plus méridionale, on ne pourra guère douter que les îles de la Trinité, de Tabago, de la Grenade, des îles des Granadilles, celles de Saint-Vincent, de la Martinique, de Marie-Galande, de la Désirade, d’Antigoa, de la Barbade, avec toutes les autres îles qui les accompagnent, ne fassent une chaîne de montagnes dont la direction est du sud au nord, comme celle de l’île de Terre-Neuve et de la terre des Eskimaux. Ensuite la direction de ces îles Antilles est de l’est à l’ouest en commençant à l’île de la Barbade, passant par Saint-Barthélemi, Porto-Rico, Saint-Domingue, et l’île de Cuba, à peu près comme les terres du cap Breton de l’Acadie, de la Nouvelle-Angleterre. Toutes ces îles sont si voisines les unes des autres, qu’on peut les regarder comme une bande de terre non interrompue et comme les parties les plus élevées d’un terrain submergé : la plupart de ces îles ne sont en effet que des pointes de montagnes, et la mer qui est au delà est une vraie mer méditerranée, où le mouvement du flux et reflux n’est guère plus sensible que dans notre mer Méditerranée, quoique les ouvertures qu’elles présentent à l’Océan soient directement opposées au mouvement des eaux d’orient en occident ; ce qui devroit contribuer à rendre ce mouvement sensible dans le golfe du Mexique : mais comme cette mer méditerranée est fort large, le mouvement du flux et reflux qui lui est communiqué par l’Océan, se répandant sur un aussi grand espace, perd une grande partie de sa vitesse et devient presque insensible à la côte de la Louisiane et dans plusieurs autres endroits.

L’ancien et ie nouveau continent paroissent donc tous les deux avoir été rongés par l’Océan à la même hauteur et à la même profondeur dans les terres ; tous deux ont ensuite une vaste mer méditerranée et une grande quantité d’îles qui sont encore situées à peu près à la même hauteur : la seule différence est que l’ancien continent étant beaucoup plus large que le nouveau, il y a dans la partie occidentale de cet ancien continent une mer méditerranée occidentale qui ne peut pas se trouver dans le nouveau continent ; mais il paroît que tout ce qui est arrivé aux terres orientales de l’ancien monde est aussi arrivé de même aux terres orientales du Nouveau-Monde, et que c’est à peu près dans leur milieu et à la même hauteur que s’est faite la plus grande destruction des terres, parce qu’en effet c’est dans ce milieu et près de l’équateur qu’est le plus grand mouvement de l’Océan.

Les côtes de la Guiane, comprises entre l’embouchure du fleuve Orenoque et celle de la rivière des Amazones, n’offrent rien de remarquable ; mais cette rivière, la plus large de l’univers, forme une étendue d’eau considérable auprès de Coropa, avant que d’arriver à la mer par deux bouches différentes qui forment l’île de Caviana. De l’embouchure de la rivière des Amazones jusqu’au cap Saint-Roch, la côte va presque droit de l’ouest à l’est, du cap Saint-Roch au cap Saint-Augustin, elle va du nord au sud ; et du cap Saint-Augustin à la baie de Tous-les-Saints, elle retourne vers l’ouest ; en sorte que cette partie du Brésil fait une avance considérable dans la mer, qui regarde directement une pareille avance de terre que fait l’Afrique en sens opposé. La baie de Tous-les-Saints est un petit bras de l’Océan qui a environ 50 lieues de profondeur dans les terres, et qui est fort fréquenté des navigateurs. De cette baie jusqu’au cap de Saint-Thomas, la côte va droit du nord au midi, et ensuite dans une direction sud-ouest jusqu’à l’embouchure du fleuve de la Plata, où la mer fait un petit bras qui remonte à près de 100 lieues dans les terres. De là à l’extrémité de l’Amérique, l’Océan paroît faire un grand golfe terminé par les terres voisines de la Terre-de-Feu, comme l’île Falkland, les terres du cap de l’Assomption, l’île Beauchêne, et les terres qui forment le détroit de La Roche, découvert en 1671 : on trouve au fond de ce golfe le détroit de Magellan, qui est le plus long de tous les détroits, et où le flux et reflux est extrêmement sensible ; au delà est celui de Le Maire, qui est plus court et plus commode, et enfin le cap Horn, qui est la pointe du continent de l’Amérique méridionale.

On doit remarquer au sujet de ces pointes formées par les continents, qu’elles sont toutes posées de la même façon ; elles regardent toutes le midi, et la plupart sont coupées par des détroits qui vont de l’orient à l’occident : la première est celle de l’Amérique méridionale, qui regarde le midi ou le pôle austral, et qui est coupée par le détroit de Magellan ; la seconde est celle du Groenland, qui regarde aussi directement le midi, et qui est coupée de même de l’est à l’ouest par les détroits de Forbisher ; la troisième est celle de l’Afrique, qui regarde aussi le midi, et qui a au delà du cap de Bonne-Espérance des bancs et des hauts fonds qui paroissent en avoir été séparés ; la quatrième est la pointe de la presqu’île de l’Inde, qui est coupée par un détroit qui forme l’île de Ceylan, et qui regarde le midi, comme toutes les autres. Jusqu’ici nous ne voyons pas qu’on puisse donner la raison de cette singularité, et dire pourquoi les pointes de toutes les grandes presqu’îles sont toutes tournées vers le midi, et presque toutes coupées à leurs extrémités par des détroits.

En remontant de la Terre-de-Feu tout le long des côtes occidentales de l’Amérique méridionale, l’Océan rentre assez considérablement dans les terres, et cette côte semble suivre exactement la direction des hautes montagnes qui traversent du midi au nord toute l’Amérique méridionale depuis l’équateur jusqu’à la Terre-de-Feu. Près de l’équateur, l’Océan fait un golfe assez considérable, qui commence au cap Saint-François, et s’étend jusqu’à Panama, où est le fameux isthme qui, comme celui de Suez, empêche la communication des deux mers, et sans lesquels il y auroit uue séparation entière de l’ancien et du nouveau continent en deux parties ; de là il n’y a rien de remarquable jusqu’à la Californie, qui est une presqu’île fort longue, entre les terres de laquelle et celles du Nouveau-Mexique, l’Océan fait un bras qu’on appelle la mer Vermeille, qui a plus de 200 lieues d’étendue en longueur. Enfin on a suivi les côtes occidentales de la Californie jusqu’au 43e degré ; et à cette latitude, Drake, qui le premier a fait la découverte de la terre qui est au nord de la Californie, et qui l’a appelée Nouvelle-Albion, fut obligé, à cause de la rigueur du froid, de changer sa route, et de s’arrêter dans une petite baie qui porte son nom ; de sorte qu’au delà du 43e ou du 44e degré, les mers de ces climats n’ont pas été reconnues, non plus que les terres de l’Amérique septentrionale, dont les derniers peuples qui sont connus, sont les Moozemlekis sous le 48e degré, et les Assiniboïls sous le 51e, et les premiers sont beaucoup plus reculés vers l’ouest que les seconds. Tout ce qui est au delà, soit terre, soit mer, dans une étendue de plus de mille lieues en longueur et d’autant en largeur, est inconnu, à moins que les Moscovites dans leurs dernières navigations n’aient, comme ils l’ont annoncé, reconnu une partie de ces climats en partant de Kamtschatka, qui est la terre la plus voisine du côté de l’orient.

L’Océan environne donc toute la terre sans interruption de continuité, et on peut faire le tour du globe en passant à la pointe de l’Amérique méridionale ; mais on ne sait pas encore si l’Océan environne de même la partie septentrionale du globe, et tous les navigateurs qui ont tenté d’aller d’Europe à la Chine par le nord-est ou par le nord-ouest, ont également échoué dans leurs entreprises.

Les lacs diffèrent des mers méditerranées en ce qu’ils ne tirent aucune eau de l’Océan, et qu’au contraire s’ils ont communication avec les mers, ils leur fournissent des eaux : ainsi la mer Noire, que quelques géographes ont regardée comme une suite de la mer Méditerranée, et par conséquent comme une appendice de l’Océan, n’est qu’un lac, parce qu’au lieu de tirer des eaux de la Méditerranée elle lui en fournit, et coule avec rapidité par le Bosphore dans le lac appelé mer de Marmara, et de là par le détroit des Dardanelles dans la mer de la Grèce. La mer Noire a environ deux cent cinquante lieues de longueur sur cent de largeur, et elle reçoit un grand nombre de fleuves dont les plus considérables sont le Danube, le Niéper, le Don, le Bog, le Donjec, etc. Le Don, qui se réunit avec le Donjec, forme, avant que d’arriver à la mer Noire, un lac ou un marais fort considérable, qu’on appelle le Palus Méotide, dont l’étendue est de plus de cent lieues en longueur, sur vingt ou vingt-cinq de largeur. La mer de Marmara, qui est au dessous de la mer Noire, est un lac plus petit que le Palus Méotide, et il n’a qu’environ cinquante lieues de longueur sur huit ou neuf de largeur. Quelques anciens, et entre autres Diodore de Sicile, ont écrit que le Pont-Euxin, ou la mer Noire, n’étoit autrefois que comme une grande rivière ou un grand lac qui n’avoit aucune communication avec la mer de Grèce ; mais que ce grand lac s’étant augmenté considérablement avec le temps par les eaux des fleuves qui y arrivent, il s’étoit enfin ouvert un passage, d’abord du côté des îles Cyanées, et ensuite du côté de l’Hellespont. Cette opinion me paroît assez vraisemblable, et même il est facile d’expliquer le fait ; car en supposant que le fond de la mer Noire fût autrefois plus bas qu’il ne l’est aujourd’hui, on voit bien que les fleuves qui y arrivent, auront élevé le fond de cette mer par le limon et les sables qu’ils entraînent, et que par conséquent il a pu arriver que la surface de cette mer se soit élevée assez pour que l’eau ait pu se faire une issue ; et comme les fleuves continuent toujours à amener du sable et des terres, et qu’en même temps la quantité d’eau diminue dans les fleuves, à proportion que les montagnes dont ils tirent leurs sources s’abaissent, il peut arriver, par une longue suite de siècles, que le Bosphore se remplisse : mais comme ces effets dépendent de plusieurs causes, il n’est guère possible de donner sur cela quelque chose de plus que de simples conjectures. C’est sur ce témoignage des anciens que M. de Tournefort dit, dans son Voyage du Levant, que la mer Noire recevant les eaux d’une grande partie de l’Europe et de l’Asie, après avoir augmenté considérablement, s’ouvrit un chemin par le Bosphore, et ensuite forma la Méditerranée, ou l’augmenta si considérablement, que d’un lac qu’elle étoit autrefois, elle devint une grande mer, qui s’ouvrit ensuite elle-même un chemin par le détroit de Gibraltar, et que c’est probablement dans ce temps que l’île Atlantide dont parle Platon a été submergée. Cette opinion ne peut se soutenir, dès qu’on est assuré que c’est l’Océan qui coule dans la Méditerranée, et non pas la Méditerranée dans l’Océan. D’ailleurs M. de Tournefort n’a pas combiné deux faits essentiels, et qu’il rapporte cependant tous deux : le premier, c’est que la mer Noire reçoit neuf ou dix fleuves, dont il n’y en a pas un qui ne lui fournisse plus d’eau que le Bosphore n’en laisse sortir ; le second, c’est que la mer Méditerranée ne reçoit pas plus d’eau par les fleuves que la mer Noire ; cependant elle est sept ou huit fois plus grande, et ce que le Bosphore lui fournit ne fait pas la dixième partie de ce qui tombe dans la mer Noire : comment veut-il que cette dixième partie de ce qui tombe dans une petite mer, ait formé non seulement une grande mer, mais encore ait si fort augmenté la quantité des eaux, qu’elles aient renversé les terres à l’endroit du détroit, pour aller ensuite submerger une île plus grande que l’Europe ? Il est aisé de voir que cet endroit de M. de Tournefort n’est pas assez réfléchi. La mer Méditerranée tire au contraire au moins dix fois plus d’eau de l’Océan qu’elle n’en tire de la mer Noire, parce que le Bosphore n’a que huit cents pas de largeur dans l’endroit le plus étroit, au lieu que le détroit de Gibraltar en a plus de cinq mille dans l’endroit le plus serré, et qu’en supposant les vitesses égales dans l’un et dans l’autre détroit, celui de Gibraltar a bien plus de profondeur.

M. de Tournefort, qui plaisante sur Polybe au sujet de l’opinion que le Bosphore se remplira, et qui la traite de fausse prédiction, n’a pas fait assez d’attention aux circonstances, pour prononcer comme il le fait sur l’impossibilité de cet événement. Cette mer, qui reçoit huit ou dix grands fleuves, dont la plupart entraînent beaucoup de terre, de sable, et de limon, ne se remplit-elle pas peu à peu ? les vents et le courant naturel des eaux vers le Bosphore ne doivent-ils pas y transporter une partie de ces terres amenées par ces fleuves ? Il est donc, au contraire, très probable que par la succession des temps le Bosphore se trouvera rempli, lorsque les fleuves qui arrivent dans la mer Noire auront beaucoup diminué : or, tous les fleuves diminuent de jour en jour, parce que tous les jours les montagnes s’abaissent ; les vapeurs qui s’arrêtent autour des montagnes étant les premières sources des rivières, leur grosseur et leur quantité d’eau dépend de la quantité de ces vapeurs, qui ne peut manquer de diminuer à mesure que les montagnes diminuent de hauteur.

Cette mer reçoit, à la vérité, plus d’eau par les fleuves que la Méditerranée, et voici ce qu’en dit le même auteur : « Tout le monde sait que les plus grandes eaux de l’Europe tombent dans la mer Noire par le moyen du Danube, dans lequel se dégorgent les rivières de Suabe, de Franconie, de Bavière, d’Autriche, de Hongrie, de Moravie, de Carinthie, de Croatie, de Bothnie, de Servie, de Transylvanie, de Valachie ; celles de la Russie Noire et de la Podolie se rendent dans la même mer par le moyen du Niester ; celles des parties méridionales et orientales de la Pologne, de la Moscovie septentrionale, et du pays des Cosaques, y entrent par le Niéper ou Borysthène ; le Tanaïs et le Copa arrivent aussi dans la mer Noire par le Bosphore Cimmérien ; les rivières de la Mingrélie, dont le Phase est la principale, se vident aussi dans la mer Noire, de même que le Casalmac, le Sangaris et les autres fleuves de l’Asie mineure qui ont leur cours vers le nord ; néanmoins le Bosphore de Thrace n’est comparable à aucune de ces grandes rivières[46]. »

Tout cela prouve que l’évaporation suffit pour enlever une quantité d’eau très considérable, et c’est à cause de cette grande évaporation qui se fait sur la Méditerranée, que l’eau de l’Océan coule continuellement pour y arriver par le détroit de Gibraltar. Il est assez difficile de juger de la quantité d’eau que reçoit une mer ; il faudroit connoître la largeur, la profondeur, et la vitesse de tous les fleuves qui y arrivent, savoir de combien ils augmentent et diminuent dans les différentes saisons de l’année : et quand même tous ces faits seroient acquis, le plus important et le plus difficile reste encore, c’est de savoir combien cette mer perd par l’évaporation ; car en la supposant même proportionnée aux surfaces, on voit bien que dans un climat chaud elle doit être plus considérable que dans un pays froid. D’ailleurs l’eau mêlée de sel et de bitume s’évapore plus lentement que l’eau douce ; une mer agitée, plus promptement qu’une mer tranquille ; la différence de profondeur y fait aussi quelque chose : en sorte qu’il entre tant d’éléments dans cette théorie de l’évaporation, qu’il n’est guère possible de faire sur cela des estimations qui soient exactes.

L’eau de la mer Noire paroît être moins claire, et elle est beaucoup moins salée que celle de l’Océan. On ne trouve aucune île dans toute l’étendue de cette mer : les tempêtes y sont très violentes et plus dangereuses que sur l’Océan, parce que toutes les eaux étant contenues dans un bassin qui n’a, pour ainsi dire, aucune issue, elles ont une espèce de mouvement de tourbillon, lorsqu’elles sont agitées, qui bat les vaisseaux de tous les côtés avec une violence insupportable[47].

Après la mer Noire, le plus grand lac de l’univers est la mer Caspienne, qui s’étend du midi au nord sur une longueur d’environ trois cents lieues, et qui n’a guère que cinquante lieues de largeur en prenant une mesure moyenne. Ce lac reçoit l’un des plus grands fleuves du monde, qui est le Wolga, et quelques autres rivières considérables, comme celles de Kur, de Faie, de Gempo ; mais ce qu’il y a de singulier, c’est qu’elle n’en reçoit aucune dans toute cette longueur de trois cents lieues du côté de l’orient. Le pays qui l’avoisine de ce côté, est un désert de sable que personne n’avoit reconnu jusqu’à ces derniers temps ; le czar Pierre Ier y ayant envoyé des ingénieurs pour lever la carte de la mer Caspienne, il s’est trouvé que cette mer avoit une figure tout-à-fait différente de celle qu’on lui donnoit dans les cartes géographiques ; on la représentoit ronde, elle est fort longue et assez étroite : on ne connoissoit donc point du tout les côtes orientales de cette mer, non plus que le pays voisin ; on ignoroit jusqu’à l’existence du lac Aral, qui en est éloigné vers l’orient d’environ cent lieues ; ou si on connoissoit quelques unes des côtes de ce lac Aral, on croyoit que c’étoit une partie de la mer Caspienne : en sorte qu’avant les découvertes du czar, il y avoit dans ce climat un terrain de plus de trois cents lieues de longueur sur cent et cent cinquante de largeur, qui n’étoit pas encore connu. Le lac Aral est à peu près de figure oblongue, et peut avoir quatre-vingt-dix ou cent lieues dans sa plus grande longueur, sur cinquante ou soixante de largeur ; il reçoit deux fleuves très considérables, qui sont le Sirderoias et l’Oxus, et les eaux de ce lac n’ont aucune issue, non plus que celles de la mer Caspienne : et de même que la mer Caspienne ne reçoit aucun fleuve du côté de l’orient, le lac Aral n’en reçoit aucun du côté de l’occident ; ce qui doit faire présumer qu’autrefois ces deux lacs n’en formoient qu’un seul, et que les fleuves ayant diminué peu à peu et ayant amené une très grande quantité de sable et de limon, tout le pays qui les sépare aura été formé de ces sables. Il y a quelques petites îles dans la mer Caspienne, et ses eaux sont beaucoup moins salées que celles de l’Océan. Les tempêtes y sont aussi fort dangereuses, et les grands bâtiments n’y sont pas d’usage pour la navigation, parce qu’elle est peu profonde et semée de bancs et d’écueils au dessous de la surface de l’eau. Voici ce qu’en dit Pietro della Valle : « Les plus grands vaisseaux que l’on voit sur la mer Caspienne, le long des côtes de la province de Mazande en Perse, où est bâtie la ville de Ferhabad, quoiqu’ils les appellent navires, me paroissent plus petits que nos tartanes ; ils sont fort hauts de bord, enfoncent peu dans l’eau, et ont le fond plat : ils donnent aussi cette forme à leurs vaisseaux, non seulement à cause que la mer Caspienne n’est pas profonde à la rade et sur les côtes, mais encore parce qu’elle est remplie de bancs de sable, et que les eaux sont basses en plusieurs endroits ; tellement que si les vaisseaux n’étoient fabriqués de cette façon, on ne pourroit pas s’en servir sur cette mer. Certainement je m’étonnois, et avec quelque fondement, ce me semble, pourquoi ils ne pêchoient à Ferhabad que des saumons qui se trouvent à l’embouchure du fleuve, et de certains esturgeons très mal conditionnés, de même que de plusieurs autres sortes de poissons qui se rendent à l’eau douce, et qui ne valent rien ; et comme j’en attribuois la cause à l’insuffisance qu’ils ont en l’art de naviguer et de pêcher, ou la crainte qu’ils avoient de se perdre s’ils pêchoient en haute mer, parce que je sais d’ailleurs que les Persans ne sont pas d’habiles gens sur cet élément, et qu’ils n’entendent presque pas la navigation, le kan d’Esterabad, qui fait sa résidence sur le port de mer, et à qui par conséquent les raisons n’en sont pas inconnues par l’expérience qu’il en a, m’en débita une, savoir, que les eaux sont si basses à vingt et trente milles dans la mer, qu’il est impossible d’y jeter des filets qui aillent au fond, et d’y faire aucune pêche qui soit de la conséquence de celles de nos tartanes ; de sorte que c’est par cette raison qu’ils donnent à leurs vaisseaux la forme que je vous ai marquée ci-dessus, et qu’ils ne les montent d’aucune pièce de canon, parce qu’il se trouve fort peu de corsaires et de pirates qui courent cette mer. »

Struys, le P. Avril, et d’autres voyageurs ont prétendu qu’il y avoit dans le voisinage de Kilan deux gouffres où les eaux de la mer Caspienne étoient englouties, pour se rendre ensuite par des canaux souterrains dans le golfe Persique. De Fer et d’autres géographes ont même marqué ces gouffres sur leurs cartes : cependant ces gouffres n’existent pas, les gens envoyés par le czar s’en sont assurés. Le fait des feuilles de saule qu’on voit en quantité sur le golfe Persique, et qu’on prétendoit venir de la mer Caspienne, parce qu’il n’y a pas de saules sur le golfe Persique, étant avancé par les mêmes auteurs, est apparemment aussi peu vrai que celui des prétendus gouffres ; et Gemelli Carreri, aussi bien que les Moscovites, assure que ces gouffres sont absolument imaginaires. En effet, si l’on compare l’étendue de la mer Caspienne avec celle de la mer Noire, on trouvera que la première est de près d’un tiers plus petite que la seconde ; que la mer Noire reçoit beaucoup plus d’eau que la mer Caspienne ; que par conséquent l’évaporation suffit dans l’une et dans l’autre pour enlever toute l’eau qui arrive dans ces deux lacs, et qu’il n’est pas nécessaire d’imaginer des gouffres dans la mer Caspienne plutôt que dans la mer Noire[48].

Il y a des lacs qui sont comme des mares qui ne reçoivent aucune rivière, et desquels il n’en sort aucune ; il y en a d’autres qui reçoivent des fleuves et desquels il sort d’autres fleuves, et enfin d’autres qui seulement reçoivent des fleuves. La mer Caspienne et le lac Aral sont de cette dernière espèce ; ils reçoivent les eaux de plusieurs fleuves, et les contiennent : la mer Morte reçoit de même le Jourdain, et il n’en sort aucun fleuve. Dans l’Asie mineure il y a un petit lac de la même espèce qui reçoit les eaux d’une rivière dont la source est auprès de Cogni, et qui n’a, comme les précédents, d’autre voie que l’évaporation pour rendre les eaux qu’il reçoit. Il y en a un beaucoup plus grand en Perse, sur lequel est située la ville de Marago ; il est de figure ovale, et il a environ dix ou douze lieues de longueur sur six ou sept de largeur : il reçoit la rivière de Tauris, qui n’est pas considérable. Il y a aussi un pareil petit lac en Grèce, à douze ou quinze lieues de Lépante. Ce sont là les seuls lacs de cette espèce qu’on connoisse en Asie ; en Europe il n’y en a pas un qui soit un peu considérable. En Afrique il y en a plusieurs, mais qui sont tous assez petits, comme le lac qui reçoit le fleuve Ghir, celui dans lequel tombe le fleuve Zez, celui qui reçoit la rivière de Touguedout, et celui auquel aboutit le fleuve Talilet. Ces quatre lacs sont assez près les uns des autres, et ils sont situés vers les frontières de Barbarie, près des déserts de Zara. Il y en a un autre situé dans la contrée de Kovar, qui reçoit la rivière du pays de Berdoa. Dans l’Amérique septentrionale, où il y a plus de lacs qu’en aucun pays du monde, on n’en connoît pas un de cette espèce, à moins qu’on ne veuille regarder comme tels deux petits amas d’eaux formés par des ruisseaux, l’un auprès de Guatimapo, et l’autre à quelques lieues de Réal-Nuevo, tous deux dans le Mexique : mais dans l’Amérique méridionale, au Pérou, il y a deux lacs consécutifs, dont l’un, qui est le lac Titicaca, est fort grand, qui reçoivent une rivière dont la source n’est pas éloignée de Cusco, et desquels il ne sort aucune autre rivière : il y en a un plus petit dans le Tucuman, qui reçoit la rivière Salta, et un autre un peu plus grand dans le même pays, qui reçoit la rivière de Sant-Iago, et encore trois ou quatre autres entre le Tucuman et le Chili.

Les lacs dont il ne sort aucun fleuve et qui n’en reçoivent aucun, sont en plus grand nombre que ceux dont je viens de parler ; ces lacs ne sont que des espèces de mares où se rassemblent les eaux pluviales, ou bien ce sont des eaux souterraines qui sortent en forme de fontaines dans les lieux bas, où elles ne peuvent ensuite trouver d’écoulement. Les fleuves qui débordent, peuvent aussi laisser dans les terres des eaux stagnantes, qui se conservent aussi pendant longtemps, et qui ne se renouvellent que dans le temps des inondations. La mer, par de violentes agitations, a pu inonder quelquefois de certaines terres, et y former des lacs salés, comme celui de Harlem et plusieurs autres de la Hollande, auxquels il ne paroît pas qu’on puisse attribuer une autre origine ; ou bien la mer en abandonnant par son mouvement naturel certaines terres, y aura laissé des eaux dans les lieux les plus bas, qui ont formé des lacs que l’eau des pluies entretient. Il y a en Europe plusieurs petits lacs de cette espèce, comme en Irlande, en Jutland, en Italie, dans le pays des Grisons, en Pologne, en Moscovie, en Finlande, en Grèce ; mais tous ces lacs sont très peu considérables. En Asie il y en a un près de l’Euphrate, dans le désert d’Irac, qui a plus de quinze lieues de longueur ; un autre aussi en Perse, qui est à peu près de la même étendue que le premier, et sur lequel sont situées les villes de Kélat, de Tétuan, de Vastan, et de Van ; un autre petit dans le Korasan auprès de Ferrior ; un autre petit dans la Tartarie indépendante, qu’on appelle le lac Lévi ; deux autres dans la Tartarie moscovite ; un autre à la Cochinchine, et enfin un à la Chine, qui est assez grand, et qui n’est pas fort éloigné de Nankin ; ce lac cependant communique à la mer voisine par un canal de quelques lieues. En Afrique il y a un petit lac de cette espèce dans le royaume de Maroc ; un autre près d’Alexandrie, qui paroît avoir été laissé par la mer ; un autre assez considérable, formé par les eaux pluviales dans le désert d’Azarad, environ sous le 30e degré de latitude, ce lac a huit ou dix lieues de longueur ; un autre encore plus grand, sur lequel est située la ville de Gaoga, sous le 27e degré ; un autre, mais beaucoup plus petit, près de la ville de Kanum, sous le 30e degré ; un près de l’embouchure de la rivière de Gambia ; plusieurs autres dans le Congo à 2 ou 3 degrés de latitude sud ; deux autres dans le pays des Cafres, l’un appelé le lac Rufumbo, qui est médiocre, et l’autre dans la province d’Arbuta, qui est peut-être le plus grand lac de cette espèce, ayant vingt-cinq lieues environ de longueur sur sept ou huit de largeur. Il y a aussi un de ces lacs à Madagascar près de la côte orientale, environ sous le 29e degré de latitude sud.

En Amérique, dans le milieu de la péninsule de la Floride, il y a un de ces lacs, au milieu duquel est une île appelée Serrope. Le lac de la ville de Mexico est aussi de cette espèce ; et ce lac, qui est à peu près rond, a environ dix lieues de diamètre. Il y en a un autre encore plus grand dans la Nouvelle-Espagne, à vingt-cinq lieues de distance ou environ de la côte de la baie de Campêche, et un autre plus petit dans la même contrée près des côtes de la mer du Sud. Quelques voyageurs ont prétendu qu’il y avoit dans l’intérieur des terres de la Guiane un très grand lac de cette espèce ; ils l’ont appelé le lac d’Or, ou le lac Parime ; ils ont raconté des merveilles de la richesse des pays voisins, et de l’abondance des paillettes d’or qu’on trouvoit dans l’eau de ce lac : ils donnent à ce lac une étendue de plus de quatre cents lieues de longueur, et de plus de cent vingt-cinq de largeur ; il n’en sort, disent-ils, aucun fleuve, et il n’y en entre aucun. Quoique plusieurs géographes aient marqué ce grand lac sur leurs cartes, il n’est pas certain qu’il existe, et il l’est encore bien moins qu’il existe tel qu’ils nous le représentent.

Mais les lacs les plus ordinaires et les plus communément grands, sont ceux qui, après avoir reçu un autre fleuve, ou plusieurs petites rivières, donnent naissance à d’autres grands fleuves. Comme le nombre de ces lacs est fort grand, je ne parlerai que des plus considérables, ou de ceux qui auront quelque singularité. En commençant par l’Europe, nous avons en Suisse le lac de Genève, celui de Constance, etc. : en Hongrie celui de Balaton : en Livonie un lac qui est assez grand, et qui sépare les terres de cette province de celles de la Moscovie : en Finlande le lac Lapwert, qui est fort long, et qui se divise en plusieurs bras ; le lac Oula, qui est de figure ronde : en Moscovie le lac Ladoga, qui a plus de vingt-cinq lieues de longueur sur plus de douze de largeur ; le lac Onega, qui est aussi long, mais moins large ; le lac Ilmen ; celui de Bélosero, d’où sort l’une des sources du Wolga ; l’Iwan-Oséro, duquel sort l’une des sources du Don ; deux autres lacs dont le Vitzogda tire son origine : en Laponie le lac dont sort le fleuve de Kimi ; un autre beaucoup plus grand, qui n’est pas éloigné de la côte de Wardhus ; plusieurs autres, desquels sortent les fleuves de Lula, de Pitha, d’Uma, qui tous ne sont pas fort considérables : en Norwège deux autres à peu près de même grandeur que ceux de Laponie : en Suède le lac Véner, qui est grand, aussi bien que le lac Méler, sur lequel est situé Stockholm ; deux autres lacs moins considérables, dont l’un est près d’Elvédal, et l’autre de Lincopin.

Dans la Sibérie et dans la Tartarie moscovite et indépendante, il y a un grand nombre de ces lacs, dont les principaux sont le grand lac Baraba, qui a plus de cent lieues de longueur, et dont les eaux tombent dans l’Irtis ; le grand lac Estraguel, à la source du même fleuve Irtis ; plusieurs autres moins grands, à la source du Jénisca ; le grand lac Kita, à la source de l’Oby ; un autre grand lac, à la source de l’Angara ; le lac Baïcal, qui a plus de soixante-dix lieues de longueur, et qui est formé par le même fleuve Angara, le lac Pébu, d’où sort le fleuve Urack, etc. : à la Chine et dans la Tartarie chinoise, le lac Dalai, d’où sort la grosse rivière d’Argus, qui tombe dans le fleuve Amour ; le lac des Trois-Montagnes, d’où sort la rivière Hélum, qui tombe dans le même fleuve Amour ; les lacs de Cinhal, de Cokmor, et de Sorama, desquels sortent les sources du fleuve Hoanho ; deux autres grands lacs voisins du fleuve de Nankin, etc. : dans le Tunquin le lac de Guadag, qui est considérable : dans l’Inde le lac Chiamat, d’où sort le fleuve Laquia, et qui est voisin des sources du fleuve Ava, du Longenu, etc. ; ce lac a plus de quarante lieues de largeur sur cinquante de longueur : un autre lac à l’origine du Gange ; un autre près de Cachemire, à l’une des sources du fleuve Indus, etc.

En Afrique on a le lac Cayar et deux ou trois autres qui sont voisins de l’embouchure du Sénégal ; le lac de Guarde et celui de Sigisme, qui tous deux ne font qu’un même lac de forme presque triangulaire, qui a plus de cent lieues de longueur sur soixante-quinze de largeur, et qui contient une île considérable : c’est dans ce lac que le Niger perd son nom ; et au sortir de ce lac qu’il traverse, on l’appelle Sénégal. Dans le cours du même fleuve, en remontant vers la source, on trouve un autre lac considérable qu’on appelle le lac Bournou, où le Niger quitte encore son nom, car la rivière qui y arrive s’appelle Gambara ou Gombarow. En Éthiopie, aux sources du Nil, est le grand lac Gambia, qui a plus de cinquante lieues de longueur. Il y a aussi plusieurs lacs sur la côte de Guinée, qui paroissent avoir été formés par la mer ; et il n’y a que peu d’autres lacs d’une grandeur un peu considérable dans le reste de l’Afrique.

L’Amérique septentrionale est le pays des lacs : les plus grands sont le lac Supérieur, qui a plus de cent vingt-cinq lieues de longueur sur cinquante de largeur ; le lac Huron, qui a près de cent lieues de longueur sur environ quarante de largeur ; le lac des Illinois, qui, en y comprenant la baie des Puants, est tout aussi étendu que le lac Huron ; le lac Érié et le lac Ontario, qui ont tous deux plus de quatre-vingts lieues de longueur sur vingt ou vingt-cinq de largeur ; le lac Mistasin, au nord de Québec, qui a environ cinquante lieues de longueur ; le lac Champlain, au midi de Québec, qui est à peu près de la même étendue que le lac Mistasin ; le lac Alemipigon et le lac des Cristinaux, tous deux au nord du lac Supérieur, et qui sont aussi fort considérables ; le lac des Assiniboïls, qui contient plusieurs îles, et dont l’étendue en longueur est de plus de soixante-quinze lieues. Il y en a aussi deux de médiocre grandeur dans le Mexique, indépendamment de celui de Mexico : un autre beaucoup plus grand, appelé le lac Nicaragua, dans la province du même nom ; ce lac a plus de soixante ou soixante-dix lieues d’étendue en longueur.

Enfin dans l’Amérique méridionale il y en a un petit à la source du Maragnon ; un autre plus grand à la source de la rivière du Paraguay ; le lac Titicaca, dont les eaux tombent dans le fleuve de la Plata ; deux autres plus petits dont les eaux coulent aussi vers ce même fleuve, et quelques autres qui ne sont pas considérables dans l’intérieur des terres du Chili.

Tous les lacs dont les fleuves tirent leur origine, tous ceux qui se trouvent dans le cours des fleuves ou qui en sont voisins et qui y versent leurs eaux, ne sont point salés : presque tous ceux, au contraire, qui reçoivent des fleuves, sans qu’il en sorte d’autres fleuves, sont salés ; ce qui semble favoriser l’opinion que nous avons exposée au sujet de la salure de la mer, qui pourroit bien avoir pour cause les sels que les fleuves détachent des terres, et qu’ils transportent continuellement à la mer : car l’évaporation ne peut pas enlever les sels fixes, et par conséquent ceux que les fleuves portent dans la mer y restent ; et quoique l’eau des fleuves paroisse douce, on sait que cette eau douce ne laisse pas de contenir une petite quantité de sel, et, par la succession des temps, la mer a dû acquérir un degré de salure considérable, qui doit toujours aller en augmentant. C’est ainsi, à ce que j’imagine, que la mer Noire, la mer Caspienne, le lac Aral, la mer Morte, etc., sont devenus salés ; les fleuves qui se jettent dans ces lacs y ont amené successivement tous les sels qu’ils ont détachés des terres, et l’évaporation n’a pu les enlever. À l’égard des lacs qui sont comme des mares, qui ne reçoivent aucun fleuve, et desquels il n’en sort aucun, ils sont ou doux ou salés, suivant leur différente origine ; ceux qui sont voisins de la mer sont ordinairement salés, et ceux qui en sont éloignés sont doux, et cela parce que les uns ont été formés par des inondations de la mer, et que les autres ne sont que des fontaines d’eau douce, qui, n’ayant pas d’écoulement, forment une grande étendue d’eau. On voit aux Indes plusieurs étangs et réservoirs faits par l’industrie des habitants, qui ont jusqu’à deux ou trois lieues de superficie, dont les bords sont revêtus d’une muraille de pierre ; ces réservoirs se remplissent pendant la saison des pluies ; et servent aux habitants pendant l’été, lorsque l’eau leur manque absolument, à cause du grand éloignement où ils sont des fleuves et des fontaines.

Les lacs qui ont quelque chose de particulier sont la mer Morte, dont les eaux contiennent beaucoup plus de bitume que de sel ; ce bitume, qu’on appelle bitume de Judée, n’est autre chose que de l’asphalte, et aussi quelques auteurs ont appelé la mer Morte lac Asphaltite. Les terres aux environs du lac contiennent une grande quantité de ce bitume. Bien des gens se sont persuadé, au sujet de ce lac, des choses semblables à celles que les poëtes ont écrites du lac d’Averne, que le poisson ne pouvoit y vivre, que les oiseaux qui passoient par dessus étoient suffoqués : mais ni l’un ni l’autre de ces lacs ne produit ces funestes effets, ils nourrissent tous deux du poisson, les oiseaux volent par dessus, les hommes s’y baignent sans aucun danger.

Il y a, dit-on, en Bohême, dans la campagne de Boleslaw, un lac où il y a des trous d’une profondeur si grande, qu’on n’a pu le sonder, et il s’élève de ces trous des vents impétueux qui parcourent toute la Bohême, et qui pendant l’hiver élèvent souvent en l’air des morceaux de glace de plus de cent livres de pesanteur. On parle d’un lac en Islande qui pétrifie ; le lac Néagh en Irlande a aussi la même propriété : mais ces pétrifications produites par l’eau de ces lacs ne sont sans doute autre chose que des incrustations comme celles que fait l’eau d’Arcueil.

Sur les parties septentrionales de la mer Atlantique.

* À la vue des îles et des golfes qui se multiplient ou s’agrandissent autour du Groenland, il est difficile, disent les navigateurs, de ne pas soupçonner que la mer ne refoule, pour ainsi dire, des pôles vers l’équateur : ce qui peut autoriser cette conjecture, c’est que le flux qui monte jusqu’à dix-huit pieds au cap des États, ne s’élève que de huit pieds à la baie de Disko, c’est-à-dire à dix degrés plus haut de latitude nord.

Cette observation des navigateurs, jointe à celle de l’article précédent, semble confirmer encore ce mouvement des mers depuis les régions australes aux septentrionales, où elles sont contraintes, par l’obstacle des terres, de refouler ou refluer vers les plages du midi.

Dans la baie de Hudson, les vaisseaux ont à se préserver des montagnes de glaces auxquelles des navigateurs ont donné quinze à dix-huit cents pieds d’épaisseur, et qui étant formées par un hiver permanent de cinq à six ans dans de petits golfes éternellement remplis de neige, en ont été détachées par les vents de nord-ouest ou par quelque cause extraordinaire.

Le vent du nord-ouest, qui règne presque continuellement durant l’hiver, et très souvent en été, excite dans la baie même des tempêtes effroyables. Elles sont d’autant plus à craindre, que les bas-fonds y sont très communs. Dans les contrées qui bordent cette baie, le soleil ne se lève, ne se couche jamais sans un grand cône de lumière : lorsque ce phénomène a disparu, l’aurore boréale en prend la place. Le ciel y est rarement serein ; et, dans le printemps et dans l’automne, l’air est habituellement rempli de brouillards très épais, et durant l’hiver, d’une infinité de petites flèches glaciales sensibles à l’œil. Quoique les chaleurs de l’été soient assez vives durant deux mois ou six semaines, le tonnerre et les éclairs sont rares.

La mer, le long des côtes de Norwège qui sont bordées par des rochers, a ordinairement depuis cent jusqu’à quatre cents brasses de profondeur, et les eaux sont moins salées que dans les climats plus chauds. La quantité de poissons huileux dont cette mer est remplie la rend grasse au point d’en être presque inflammable : le flux n’est point considérable, et la plus haute marée n’y est que de huit pieds.

On a fait, dans ces dernières années, quelques observations sur la température des terres et des eaux dans les climats les plus voisins du pôle boréal.

« Le froid commence dans le Groenland à la nouvelle année, et devient si perçant au mois de février et de mars, que les pierres se tendent en deux, et que la mer fume comme un four, surtout dans les baies. Cependant le froid n’est pas aussi sensible au milieu de ce brouillard épais que sous un ciel sans nuages : car, dès qu’on passe des terres à cette atmosphère de fumée qui couvre la surface et le bord des eaux, on sent un air plus doux et le froid moins vif, quoique les habits et les cheveux y soient bientôt hérissés de bruine et de glaçons. Mais aussi cette fumée cause plutôt des engelures qu’un froid sec ; et, dès qu’elle passe de la mer dans une atmosphère plus froide, elle se change en une espèce de verglas, que le vent disperse dans l’horizon, et qui cause un froid si piquant, qu’on ne peut sortir au grand air sans risquer d’avoir les pieds et les mains entièrement gelés. C’est dans cette saison que l’on voit glacer l’eau sur le feu avant de bouillir : c’est alors que l’hiver pave un chemin de glace sur la mer, entre les îles voisines, et dans les baies et les détroits…

» La plus belle saison du Groenland est l’automne ; mais sa durée est courte, et souvent interrompue par des nuits de gelées très froides. C’est à peu près dans ces temps là que, sous une atmosphère noircie de vapeurs, on voit les brouillards qui se gèlent quelquefois jusqu’au verglas, former sur la mer comme un tissu glacé de toiles d’araignées, et dans les campagnes charger l’air d’atomes luisants, ou le hérisser de glaçons pointus, semblables à de fines aiguilles.

» On a remarqué plus d’une fois que le temps et la saison prennent dans le Groenland une température opposée à celle qui règne dans toute l’Europe ; en sorte que si l’hiver est très rigoureux dans les climats tempérés, il est doux au Groenland ; et très vif en cette partie du nord, quand il est le plus modéré dans nos contrées. À la fin de 1739, l’hiver fut si doux à la baie de Disko, que les oies passèrent, au mois de janvier suivant, de la zone tempérée dans la glaciale, pour y chercher un air plus chaud, et qu’en 1740 on vit point de glace à Disko jusqu’au mois de mars, tandis qu’en Europe, elle régna constamment depuis octobre jusqu’au mois de mai…

» De même l’hiver de 1763, qui fut extrêmement froid dans toute l’Europe, se fit si peu sentir au Groenland qu’on y a vu quelquefois des étés moins doux. »

Les voyageurs nous assurent que, dans ces mers voisines du Groenland, il y a des montagnes de glaces flottantes très hautes, et d’autres glaces flottantes comme des radeaux, qui ont plus de deux cents toises de longueur sur soixante ou quatre-vingts de largeur : mais ces glaces, qui forment des plaines immenses sur la mer, n’ont communément que neuf à douze pieds d’épaisseur : il paroît qu’elles se forment immédiatement sur la surface de la mer dans la saison la plus froide, au lieu que les autres glaces flottantes et très élevées viennent de la terre, c’est-à-dire des environs des montagnes et des côtes, d’où elles ont été détachées et roulées dans la mer par les fleuves. Ces dernières glaces entraînent beaucoup de bois, qui sont ensuite jetés par la mer sur les côtes orientales du Groenland : il paroît que ces bois ne peuvent venir que de la terre de Labrador, et non pas de la Norwège, parce que les vents du nord-est, qui sont très violents dans ces contrées, repousseroient ces bois, comme les courants, qui portent du sud au détroit de Davis et à la baie de Hudson, arrêteroient tout ce qui peut venir de l’Amérique aux côtes du Groenland.

La mer commence à charroyer des glaces au Spitzberg dans les mois d’avril et de mai ; elles viennent au détroit de Davis en très grande quantité, partie de la Nouvelle-Zemble, et la plupart le long de la côte orientale du Groenland, portées de l’est à l’ouest, suivant le mouvement général de la mer.

L’on trouve, dans le Voyage du capitaine Phipps, les indices et les faits suivants.

« Dès 1527, Robert Thorne, marchand de Bristol, fit naître l’idée d’aller aux Indes orientales par le pôle boréal… Cependant on ne voit pas qu’on ait formé aucune expédition pour les mers du cercle polaire avant 1607, lorsque Henri Hudson fut envoyé par plusieurs marchands de Londres à la découverte du passage à la Chine et au Japon par le pôle boréal… Il pénétra jusqu’au 80d 23′, et il ne put aller plus loin…

» En 1609, sir Thomas Smith fut sur la côte méridionale du Spitzberg, et il apprit, par des gens qu’il avoit envoyés à terre, que les lacs et les mares d’eau n’étoient pas tous gelés (c’étoit le 26 mai), et que l’eau en étoit douce : il dit aussi qu’on arriveroit aussitôt au pôle de ce côté que par tout autre chemin qu’on pourroit trouver, parce que le soleil produit une grande chaleur dans ce climat, et parce que les glaces ne sont pas d’une grosseur aussi énorme que celles qu’il avoit vues vers le 73e degré. Plusieurs autres voyageurs ont tenté des voyages au pôle pour y découvrir ce passage, mais aucun n’a réussi… »

Le 5 juillet, M. Phipps vit des glaces en quantité vers le 79d 34″ de latitude ; le temps étoit brumeux ; et, le 6 juillet, il continua sa route jusqu’au 79d 59′ 39″, entre la terre du Spitzberg et les glaces : le 7, il continua de naviguer entre les glaces flottantes, en cherchant une ouverture au nord par où il auroit pu entrer dans une mer libre : mais la glace ne formoit qu’une seule masse au nord-nord-ouest, et au 80d 36′ la mer étoit entièrement glacée ; en sorte que toutes les tentatives de M. Phipps pour trouver un passage ont été infructueuses.

« Pendant que nous essuyions, dit ce navigateur, une violente rafale le 12 septembre, le docteur Irving mesura la température de la mer dans cet état d’agitation, et il trouva qu’elle étoit beaucoup plus chaude que celle de l’atmosphère. Cette observation est d’autant plus intéressante, qu’elle est conforme à un passage des Questions naturelles de Plutarque, où il dit que la mer devient chaude lorsqu’elle est agitée par les flots…

» Ces rafales sont aussi ordinaires au printemps qu’en automne ; il est donc probable que si nous avions mis à la voile plus tôt, nous aurions eu en allant le temps aussi mauvais qu’il l’a été à notre retour. » Et comme M. Phipps est parti d’Angleterre à la fin de mai, il croit qu’il a profité de la saison la plus favorable pour son expédition.

» Enfin, continue-t-il, si la navigation au pôle étoit praticable, il y avoit la plus grande probabilité de trouver, après le solstice, la mer ouverte au nord, parce qu’alors la chaleur des rayons du soleil a produit tout son effet, et qu’il reste d’ailleurs une assez grande portion d’été pour visiter les mers qui sont au nord et à l’ouest du Spitzberg. »

Je suis entièrement du même avis que cet habile navigateur, et je ne crois pas que l’expédition au pôle puisse se renouveler avec succès, ni qu’on arrive jamais au-delà du 82 ou 83e degré. On assure qu’un vaisseau du port de Whilby, vers la fin du mois d’avril 1774, a pénétré jusqu’au 80e degré sans trouver de glaces assez fortes pour gêner la navigation ; on cite aussi un capitaine Robinson, dont le journal fait foi qu’en 1773 il a atteint le 81d 30′ ; et enfin on cite un vaisseau de guerre hollandois qui protégeoit les pêcheurs de cette nation, et qui s’est avancé, dit-on, il y a cinquante ans, jusqu’au 88e degré. Le docteur Campbell, ajoute-t-on, tenoit ce fait d’un certain docteur Daillie, qui étoit à bord du vaisseau, et qui professoit la médecine à Londres en 1745. C’est probablement le même navigateur que j’ai cité moi-même sous le nom de capitaine Mouton ; mais je doute beaucoup de la réalité de ce fait, et je suis maintenant très persuadé qu’on tenteroit vainement d’aller au delà du 82 ou 83e degré, et que si le passage par le nord est possible, ce ne peut être qu’en prenant la route de la baie de Hudson.

Voici ce que dit à ce sujet le savant et ingénieux auteur de l’Histoire des deux Indes : « La baie de Hudson a été long-temps regardée et on la regarde encore comme la route la plus courte de l’Europe aux Indes orientales et aux contrées les plus riches de l’Asie.

» Ce fut Cabot qui le premier eut l’idée d’un passage par le nord-ouest à la mer du Sud. Ses succès se terminèrent à la découverte de l’île de Terre-Neuve. On vit entrer dans la carrière après lui un grand nombre de navigateurs anglois… Ces mémorables et hardies expéditions eurent plus d’éclat que d’utilité. La plus heureuse ne donna pas la moindre conjecture sur le but qu’on se proposoit… On croyoit enfin que c’étoit courir après des chimères, lorsque la découverte de la baie de Hudson ranima les espérances prêtes à s’éteindre.

» À cette époque une ardeur nouvelle fait recommencer les travaux, et enfin arrive la fameuse expédition de 1746, d’où l’on voit sortir quelques clartés après des ténèbres profondes qui duroient depuis deux siècles. Sur quoi les derniers navigateurs fondent-ils de meilleures espérances ? D’après quelles expériences osent-ils former leurs conjectures ? C’est ce qui mérite une discussion.

» Trois vérités dans l’histoire de la nature doivent passer désormais pour démontrées. La première est que les marées viennent de l’Océan, et qu’elles entrent plus ou moins avant dans les autres mers, à proportion que ces divers canaux communiquent avec le grand réservoir par des ouvertures plus ou moins considérables : d’où il s’ensuit que ce mouvement périodique n’existe point ou ne se fait presque pas sentir dans la Méditerranée, dans la Baltique, et dans les autres golfes qui leur ressemblent. La seconde vérité de fait est que les marées arrivent plus tard et plus foibles dans les lieux éloignés de l’Océan, que dans les endroits qui le sont moins. La troisième est que les vents violents qui soufflent avec la marée la font remonter au delà de ses bornes ordinaires, et qu’ils la retardent en la diminuant, lorsqu’ils soufflent dans un sens contraire.

» D’après ces principes, il est constant que si la baie de Hudson étoit un golfe enclavé dans des terres, et qu’il ne fût ouvert qu’à la mer Atlantique, la marée y devroit être peu marquée, qu’elle devroit s’affoiblir en s’éloignant de sa source, et qu’elle devroit perdre de sa force lorsqu’elle auroit à lutter contre les vents. Or, il est prouvé, par des observations faites avec la plus grande intelligence, avec la plus grande précision, que la marée s’élève à une grande hauteur dans toute l’étendue de la baie ; il est prouvé qu’elle s’élève à une plus grande hauteur au fond de la baie que dans le détroit même ou au voisinage ; il est prouvé que cette hauteur augmente encore, lorsque les vents opposés au détroit se font sentir : il doit donc être prouvé que la baie de Hudson a d’autres communications avec l’Océan que celle qu’on a déjà trouvée.

» Ceux qui ont cherché à expliquer des faits si frappants en supposant une communication de la baie de Hudson avec celle de Baffin, avec le détroit de Davis, se sont manifestement égarés. Ils ne balanceroient pas à abandonner leur conjecture, qui n’a d’ailleurs aucun fondement, s’ils vouloient faire attention que la marée est beaucoup plus basse dans le détroit de Davis, dans la baie de Baffin, que dans celle de Hudson.

» Si les marées qui se font sentir dans le golfe dont il s’agit ne peuvent venir ni de l’Océan Atlantique, ni d’aucune autre mer septentrionale, où elles sont toujours beaucoup plus foibles, on ne pourra s’empêcher de penser qu’elles doivent avoir leur source dans la mer du Sud. Ce système doit tirer un grand appui d’une vérité incontestable, c’est que les plus hautes marées qui se fassent remarquer sur ces côtes, sont toujours causées par les vents du nord-ouest qui soufflent directement contre ce détroit.

» Après avoir constaté, autant que la nature le permet, l’existence d’un passage si long-temps et si inutilement désiré, il reste à déterminer dans quelle partie de la baie il doit se trouver. Tout invite à croire que le welcome à la côte occidentale doit fixer les efforts dirigés jusqu’ici de toutes parts sans choix et sans méthode. On y voit le fond de la mer à la profondeur de onze brasses : c’est un indice que l’eau y vient de quelque océan, parce qu’une semblable transparence est incompatible avec des décharges de rivières, de neiges fondues et de pluies. Des courants, dont on ne sauroit expliquer la violence qu’en les faisant partir de quelque mer occidentale, tiennent ce lieu débarrassé de glaces, tandis que le reste du golfe en est entièrement couvert. Enfin les baleines, qui cherchent constamment dans l’arrière-saison à se retirer dans des climats plus chauds, s’y trouvent en fort grand nombre à la fin de l’été ; ce qui paroît indiquer un chemin pour se rendre, non à l’ouest septentrional, mais à la mer du Sud.

» Il est raisonnable de conjecturer que le passage est court. Toutes les rivières qui se perdent dans la côte occidentale de la baie de Hudson sont foibles et petites ; ce qui paroît prouver qu’elles ne viennent pas de loin, et que par conséquent les terres qui séparent les deux mers ont peu d’étendue : cet argument est fortifié par la force et la régularité des marées. Partout où le flux et le reflux observent des temps à peu près égaux, avec la seule différence qui est occasionée par le retardement de la lune dans son retour au méridien, on est assuré de la proximité de l’Océan, d’où viennent ces marées. Si le passage est court, et qu’il ne soit pas avancé dans le nord, comme tout l’indique, on doit présumer qu’il n’est pas difficile ; la rapidité des courants qu’on observe dans ces parages, et qui ne permettent pas aux glaces de s’y arrêter, ne peut que donner du poids à cette conjecture. »

Je crois, avec cet excellent écrivain, que s’il existe en effet un passage praticable, ce ne peut être que dans le fond de la baie de Hudson, et qu’on le tenteroit vainement par la baie de Baffin, dont le climat est trop froid, et dont les côtes sont glacées, surtout vers le nord : mais ce qui doit faire douter encore beaucoup de l’existence de ce passage par le fond de la baie de Hudson, ce sont les terres que Behring et Tschirikow ont découvertes, en 1741, sous la même latitude que la baie de Hudson ; car ces terres semblent faire partie du grand continent de l’Amérique, qui paroît continu sous cette même latitude jusqu’au cercle polaire : ainsi ce ne seroit qu’au dessous du 55e degré que ce passage pourroit aboutir à la mer du Sud. (Add. Buffon.)

Sur les lacs salés de l’Asie.

* Dans la contrée des Tartares Ufiens, ainsi appelés parce qu’ils habitent les bords de la rivière Uf, il se trouve, dit M. Pallas, des lacs dont l’eau est aujourd’hui salée, et qui ne l’étoit pas autrefois. Il dit la même chose d’un lac près de Miacs, dont l’eau étoit ci-devant douce, et qui est actuellement salée.

L’un des lacs les plus fameux par la quantité de sel qu’on en tire, est celui qui se trouve vers les bords de la rivière Isel, et que l’on nomme Soratschya. Le sel en est en général amer : la médecine l’emploie comme un bon purgatif ; deux onces de ce sel forment une dose très forte. Vers Kurtenegsch, les bas-fonds se couvrent d’un sel amer, qui s’élève comme un tapis de neige à deux pouces de hauteur ; le lac salé de Korjackof fournit annuellement trois cent mille pieds cubiques de sel[49] ; le lac de Jennu en donne aussi en abondance.

Dans les voyages de MM. de l’académie de Pétersbourg, il est fait mention du lac salé de Jamuscha en Sibérie ; ce lac, qui est à peu près rond, n’a qu’environ neuf lieues de circonférence. Ses bords sont couverts de sel, et le fond est revêtu de cristaux de sel. L’eau est salée au suprême degré ; et quand le soleil y donne, le lac paroît rouge comme une belle aurore. Le sel est blanc comme neige, et se forme en cristaux cubiques. Il y en a une quantité si prodigieuse, qu’en peu de temps on pourroit en charger un grand nombre de vaisseaux ; et dans les endroits où l’on en prend, on en retrouve d’autre cinq à six jours après. Il suffit de dire que les provinces de Tobolsk et Jéniséik en sont approvisionnées, et que ce lac suffiroit pour fournir cinquante provinces semblables. La couronne s’en est réservé le commerce, de même que celui de toutes les autres salines. Ce sel est d’une bonté parfaite ; il surpasse tous les autres en blancheur, et on n’en trouve nulle part d’aussi propre pour saler la viande. Dans le midi de l’Asie, on trouve aussi des lacs salés ; un près de l’Euphrate, un autre près de Barra. Il y en a encore, à ce qu’on dit, près d’Haleb et dans l’île de Chypre à Larnaca ; ce dernier est voisin de la mer. La vallée de sel de Barra, n’étant pas loin de l’Euphrate, pourroit être labourée, si l’on en faisoit couler les eaux dans ce fleuve, et que le terrain fût bon ; mais à présent cette terre rend un bon sel pour la cuisine, et même en si grande quantité, que les vaisseaux de Bengale le chargent en retour pour lest. (Add. Buff.)

ARTICLE XII.

Du flux et reflux.


L’eau n’a qu’un mouvement naturel qui lui vient de sa fluidité ; elle descend toujours des lieux les plus élevés dans les lieux les plus bas, lorsqu’il n’y a point de digues ou d’obstacles qui la retiennent ou qui s’opposent à son mouvement ; et lorsqu’elle est arrivée au lieu le plus bas, elle y reste tranquille et sans mouvement, à moins que quelque cause étrangère et violente ne l’agite et ne l’en fasse sortir. Toutes les eaux de l’Océan sont rassemblées dans les lieux les plus bas de la superficie de la terre ; ainsi les mouvements de la mer viennent de causes extérieures. Le principal mouvement est celui du flux et du reflux, qui se fait alternativement en sens contraire, et duquel il résulte un mouvement continuel et général de toutes les mers d’orient en occident ; ces deux mouvements ont un rapport constant et régulier avec les mouvements de la lune. Dans les pleines et dans les nouvelles lunes, ce mouvement des eaux d’orient en occident est plus sensible, aussi bien que celui du flux et du reflux ; celui-ci se fait sentir dans l’intervalle de six heures et demie sur la plupart des rivages, en sorte que le flux arrive toutes les fois que la lune est au dessus ou au dessous du méridien, et le reflux succède toutes les fois que la lune est dans son plus grand éloignement du méridien, c’est-à-dire toutes les fois qu’elle est à l’horizon, soit à son coucher, soit à son lever. Le mouvement de la mer d’orient en occident est continuel et constant, parce que tout l’Océan dans le flux se meut d’orient en occident, et pousse vers l’occident une très grande quantité d’eau, et que le reflux ne paroît se faire en sens contraire qu’à cause de la moindre quantité d’eau qui est alors poussée vers l’occident ; car le flux doit plutôt être regardé comme une intumescence, et le reflux comme une détumescence des eaux, laquelle, au lieu de troubler le mouvement d’orient en occident, le produit et le rend continuel, quoiqu’à la vérité il soit plus fort pendant l’intumescence, et plus foible pendant la détumescence, par la raison que nous venons d’exposer.

Les principales circonstances de ce mouvement sont. 1o qu’il est plus sensible dans les nouvelles et pleines lunes que dans les quadratures : dans le printemps et l’automne il est aussi plus violent que dans les autres temps de l’année, et il est le plus foible dans le temps des solstices ; ce qui s’explique fort naturellement par la combinaison des forces de l’attraction de la lune et du soleil. 2o Les vents changent souvent la direction et la quantité de ce mouvement, surtout les vents qui soufflent constamment du même côté ; il en est de même des grands fleuves qui portent leurs eaux dans la mer, et qui y produisent un mouvement de courant qui s’étend souvent à plusieurs lieues ; et lorsque la direction du vent s’accorde avec le mouvement général, comme est celui d’orient en occident, il en devient plus sensible : on en a un exemple dans la mer Pacifique, où le mouvement d’orient en occident est constant et très sensible. 3o On doit remarquer que lorsqu’une partie d’un fluide se meut, toute la masse du fluide se meut aussi : or, dans le mouvement des marées, il y a une très grande partie de l’Océan qui se meut sensiblement ; toute la masse des mers se meut donc en même temps, et les mers sont agitées par ce mouvement dans toute leur étendue et dans toute leur profondeur.

Pour bien entendre ceci, il faut faire attention à la nature de la force qui produit le flux et le reflux, et réfléchir sur son action et sur ses effets. Nous avons dit que la lune agit sur la terre par une force que les uns appellent attraction, et les autres pesanteur : cette force d’attraction ou de pesanteur pénètre le globe de la terre dans toutes les parties de sa masse ; elle est exactement proportionnelle à la quantité de matière, et en même temps elle décroît comme le carré de la distance augmente. Cela posé, examinons ce qui doit arriver en supposant la lune au méridien d’une plage de la mer. La surface des eaux étant immédiatement sous la lune, est alors plus près de cet astre que de toutes les autres parties du globe, soit de la terre, soit de la mer ; dès lors cette partie de la mer doit s’élever vers la lune, en formant une éminence dont le sommet correspond au centre de cet astre : pour que cette éminence puisse se former, il est nécessaire que les eaux, tant de la surface environnante que du fond de cette partie de la mer, y contribuent ; ce qu’elles font en effet à proportion de la proximité où elles sont de l’astre qui exerce cette action dans la raison inverse du carré de la distance. Ainsi la surface de cette partie de la mer s’élevant la première, les eaux de la surface des parties voisines s’élèveront aussi, mais à une moindre hauteur, et les eaux du fond de toutes ces parties éprouveront le même effet et s’élèveront par la même cause, en sorte que, toute cette partie de la mer devenant plus haute et formant une éminence, il est nécessaire que les eaux de la surface et du fond des parties éloignées et sur lesquelles cette force d’attraction n’agit pas, viennent avec précipitation pour remplacer les eaux qui se sont élevées : c’est là ce qui produit le flux, qui est plus ou moins sensible sur les différentes côtes, et qui, comme l’on voit, agite la mer non seulement à sa surface, mais jusqu’aux plus grandes profondeurs. Le reflux arrive ensuite par la pente naturelle des eaux ; lorsque l’astre a passé et qu’il n’exerce plus sa force, l’eau, qui s’étoit élevée par l’action de cette puissance étrangère, reprend son niveau et regagne les rivages et les lieux qu’elle avoit été forcée d’abandonner : ensuite, lorsque la lune passe au méridien de l’antipode du lieu où nous avons supposé qu’elle a d’abord élevé les eaux, le même effet arrive ; les eaux, dans cet instant où la lune est absente et la plus éloignée, s’élèvent sensiblement, autant que dans le temps où elle est présente et la plus voisine de cette partie de la mer. Dans le premier cas, les eaux s’élèvent, parce qu’elles sont plus près de l’astre que toutes les autres parties du globe ; et dans le second cas c’est par la raison contraire, elles ne s’élèvent que parce qu’elles en sont plus éloignées que toutes les autres parties du globe : et l’on voit bien que cela doit produire le même effet ; car alors les eaux de cette partie étant moins attirées que tout le reste du globe, elles s’éloigneront nécessairement du reste du globe, et formeront une éminence dont le sommet répondra au point de la moindre action, c’est-à-dire au point du ciel directement opposé à celui où se trouve la lune, ou, ce qui revient au même, au point où elle étoit treize heures auparavant, lorsqu’elle avoit élevé les eaux la première fois : car lorsqu’elle est parvenue à l’horizon, le reflux étant arrivé, la mer est alors dans son état naturel, et les eaux sont en équilibre et de niveau ; mais quand la lune est au méridien opposé, cet équilibre ne peut plus subsister, puisque les eaux de la partie opposée à la lune étant à la plus grande distance où elles puissent être de cet astre, elles sont moins attirées que le reste du globe, qui, étant intermédiaire, se trouve être plus voisin de la lune, et dès lors leur pesanteur relative, qui les tient toujours en équilibre et de niveau, les pousse vers le point opposé à la lune, pour que cet équilibre se conserve. Ainsi dans les deux cas, lorsque la lune est au méridien d’un lieu ou au méridien opposé, les eaux doivent s’élever à très peu près de la même quantité, et par conséquent s’abaisser et refluer de la même quantité lorsque la lune est à l’horizon, à son coucher ou à son lever. On voit bien qu’un mouvement dont la cause et l’effet sont tels que nous venons de l’expliquer, ébranle nécessairement la masse entière des mers, et la remue dans toute son étendue et dans toute sa profondeur ; et si ce mouvement paroît insensible dans les hautes mers, et lorsqu’on est éloigné des terres, il n’en est cependant pas moins réel : le fond et la surface sont remués à peu près également ; et même les eaux du fond, que les vents ne peuvent agiter comme celles de la surface, éprouvent bien plus régulièrement cette action que celles de la surface, et elles ont un mouvement plus réglé et qui est toujours alternativement dirigé de la même façon.

De ce mouvement alternatif de flux et de reflux, il résulte, comme nous l’avons dit, un mouvement continuel de la mer de l’orient vers l’occident, parce que l’astre qui produit l’intumescence des eaux va lui-même d’orient en occident, et qu’agissant successivement dans cette direction, les eaux suivent le mouvement de l’astre dans la même direction. Ce mouvement de la mer d’orient en occident est très sensible dans tous les détroits : par exemple, au détroit de Magellan, le flux élève les eaux à près de vingt pieds de hauteur, et cette intumescence dure six heures, au lieu que le reflux ou la détumescence ne dure que deux heures[50], et l’eau coule vers l’occident ; ce qui prouve évidemment que le reflux n’est pas égal au flux, et que de tous deux il résulte un mouvement vers l’occident, mais beaucoup plus fort dans le temps du flux que dans celui du reflux ; et c’est pour cette raison que, dans les hautes mers éloignées de toute terre, les marées ne sont sensibles que par le mouvement général qui en résulte, c’est-à-dire par ce mouvement d’orient en occident.

Les marées sont plus fortes, et elles font hausser et baisser les eaux bien plus considérablement dans la zone torride entre les tropiques, que dans le reste de l’Océan ; elles sont aussi beaucoup plus sensibles dans les lieux qui s’étendent d’orient en occident, dans les golfes qui sont longs et étroits, et sur les côtes où il y a des îles et des promontoires : le plus grand flux qu’on connoisse, est, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, à l’une des embouchures du fleuve Indus, où les eaux s’élèvent de trente pieds ; il est aussi fort remarquable auprès de Malaye, dans le détroit de la Sonde, dans la mer Rouge, dans la baie de Nelson, à 55 degrés de latitude septentrionale, où il s’élève à quinze pieds, à l’embouchure du fleuve Saint-Laurent, sur les côtes de la Chine, sur celles du Japon, à Panama, dans le golfe de Bengale, etc.

Le mouvement de la mer d’orient en occident est très sensible dans de certains endroits ; les navigateurs l’ont souvent observé en allant de l’Inde à Madagascar et en Afrique ; il se fait sentir aussi avec beaucoup de force dans la mer Pacifique, et entre les Moluques et le Brésil : mais les endroits où ce mouvement est le plus violent sont les détroits qui joignent l’Océan à l’Océan ; par exemple, les eaux de la mer sont portées avec une si grande force d’orient en occident par le détroit de Magellan, que ce mouvement est sensible même à une grande distance dans l’Océan Atlantique ; et on prétend que c’est ce qui a fait conjecturer à Magellan qu’il y avoit un détroit par lequel les deux mers avoient une communication. Dans le détroit des Manilles et dans tous les canaux qui séparent les îles Maldives, la mer coule d’orient en occident, comme aussi dans le golfe du Mexique entre Cuba et Jucatan ; dans le golfe de Paria, ce mouvement est si violent, qu’on appelle le détroit la gueule du Dragon ; dans la mer de Canada, ce mouvement est aussi très violent, aussi bien que dans la mer de Tartarie et dans le détroit de Waigats, par lequel l’Océan, en coulant avec rapidité d’orient en occident, charrie des masses énormes de glace de la mer de Tartarie dans la mer du Nord de l’Europe. La mer Pacifique coule de même d’orient en occident par les détroits du Japon ; la mer du Japon coule vers la Chine ; l’Océan Indien coule vers l’occident dans le détroit de Java et par les détroits des autres îles de l’Inde. On ne peut donc pas douter que la mer n’ait un mouvement constant et général d’orient en occident, et l’on est assuré que l’Océan Atlantique coule vers l’Amérique, et que la mer Pacifique s’en éloigne, comme on le voit évidemment au cap des Courants, entre Lima et Panama.

Au reste, les alternatives du flux et du reflux sont régulières et se font de six heures et demie en six heures et demie sur la plupart des côtes de la mer, quoiqu’à différentes heures, suivant le climat et la position des côtes : ainsi les côtes de la mer sont battues continuellement des vagues, qui enlèvent à chaque fois de petites parties de matières qu’elles transportent au loin et qui se déposent au fond ; et de même les vagues portent sur les plages basses des coquilles, des sables qui restent sur les bords, et qui, s’accumulant peu à peu par couches horizontales, forment à la fin des dunes et des hauteurs aussi élevées que des collines, et qui sont en effet des collines tout-à-fait semblables aux autres collines, tant par leur forme que par leur composition intérieure ; ainsi la mer apporte beaucoup de productions marines sur les plages basses, et elle emporte au loin toutes les matières qu’elle peut enlever des côtes élevées contre lesquelles elle agit, soit dans le temps du flux, soit dans le temps des orages et des grands vents.

Pour donner une idée de l’effort que fait la mer agitée contre les hautes côtes, je crois devoir rapporter un fait qui m’a été assuré par une personne très digne de foi, et que j’ai cru d’autant plus facilement, que j’ai vu moi-même quelque chose d’approchant. Dans la principale des îles Orcades il y a des côtes composées de rochers coupés à plomb et perpendiculaires à la surface de la mer, en sorte qu’en se plaçant au dessus de ces rochers, on peut laisser tomber un plomb jusqu’à la surface de l’eau, en mettant la corde au bout d’une perche de neuf pieds. Cette opération, que l’on peut faire dans le temps que la mer est tranquille, a donné la mesure de la hauteur de la côte, qui est de deux cents pieds. La marée, dans cet endroit, est fort considérable, comme elle l’est ordinairement dans tous les endroits où il y a des terres avancées et des îles : mais, lorsque le vent est fort, ce qui est très ordinaire en Écosse, et qu’en même temps la marée monte, le mouvement est si grand, et l’agitation si violente, que l’eau s’élève jusqu’au sommet des rochers qui bordent la côte, c’est-à-dire à deux cents pieds de hauteur, et qu’elle y tombe en forme de pluie ; elle jette même à cette hauteur des graviers et des pierres qu’elle détache du pied des rochers ; et quelques unes de ces pierres, au rapport du témoin oculaire que je cite ici, sont plus larges que la main.

J’ai vu moi-même dans le port de Livourne, où la mer est beaucoup plus tranquille, et où il n’y a point de marée, une tempête au mois de décembre 1731, où l’on fut obligé de couper les mâts de quelques vaisseaux qui étoient à la rade, dont les ancres avoient quitté ; j’ai vu, dis-je, l’eau de la mer s’élever au dessus des fortifications, qui me parurent avoir une élévation très considérable au dessus des eaux ; et comme j’étois sur celles qui sont les plus avancées, je ne pus regagner la ville sans être mouillé de l’eau de la mer beaucoup plus qu’on ne peut l’être par la pluie la plus abondante.

Ces exemples suffisent pour faire entendre avec quelle violence la mer agit contre les côtes ; cette violente agitation détruit, use, ronge, et diminue peu à peu le terrain des côtes ; la mer emporte toutes ces matières, et les laisse tomber dès que le calme a succédé à l’agitation. Dans ces temps d’orage, l’eau de la mer, qui est ordinairement la plus claire de toutes les eaux, est trouble et mêlée des différentes matières que le mouvement des eaux détache des côtes et du fond ; et la mer rejette alors sur les rivages une infinité de choses qu’elle apporte de loin, et qu’on ne trouve jamais qu’après les grandes tempêtes, comme de l’ambre gris sur les côtes occidentales de l’Irlande, de l’ambre jaune sur celles de Poméranie, des cocos sur les côtes des Indes, etc., et quelquefois des pierres ponces et d’autres pierres singulières. Nous pouvons citer, à cette occasion, un fait rapporté dans les nouveaux Voyages aux îles de l’Amérique : « Étant à Saint-Domingue, dit l’auteur, on me donna entre autres choses quelques pierres très légères que la mer amène à la côte quand il a fait de grands vents du sud : il y en avoit une de deux pieds et demi de long sur dix-huit pouces de large et environ un pied d’épaisseur, qui ne pesoit pas tout-à-fait cinq livres ; elle étoit blanche comme la neige, bien plus dure que les pierres ponces, d’un grain fin, ne paroissant point du tout poreuse ; et cependant, quand on la jetoit dans l’eau, elle bondissoit comme un ballon qu’on jette contre terre ; à peine enfonçoit-elle un demi-travers de doigt. J’y fis faire quatre trous de tarière pour y planter quatre bâtons, et soutenir deux petites planches légères qui renfermoient les pierres dont je la chargeois : j’ai eu le plaisir de lui en faire porter une fois cent soixante livres, et une autre fois trois poids de fer de cinquante livres pièce. Elle servoit de chaloupe à mon nègre, qui se mettoit dessus et alloit se promener autour de la caye. » Cette pierre devoit être une pierre ponce d’un grain très fin et serré, qui venoit de quelque volcan, et que la mer avoit transportée, comme elle transporte l’ambre gris, les cocos, la pierre ponce ordinaire, les graines de plantes, les roseaux, etc. On peut voir sur cela les discours de Ray : c’est principalement sur les côtes d’Irlande et d’Écosse qu’on a fait des observations de cette espèce. La mer, par son mouvement général d’orient en occident, doit porter sur les côtes de l’Amérique les productions de nos côtes ; et ce n’est peut-être que par des mouvements irréguliers et que nous ne connoissons pas, qu’elle apporte sur nos rivages les productions des Indes orientales et occidentales ; elle apporte aussi des productions du Nord. Il y a grande apparence que les vents entrent pour beaucoup dans les causes de ces effets. On a vu souvent, dans les hautes mers, et dans un très grand éloignement des côtes, des plages entières couvertes de pierres ponces : on ne peut guère soupçonner qu’elles puissent venir d’ailleurs que des volcans des îles ou de la terre ferme, et ce sont apparemment les courants qui les transportent au milieu des mers. Avant qu’on connût la partie méridionale de l’Afrique, et dans le temps où on croyoit que la mer des Indes n’avoit aucune communication avec notre Océan, on commença à la soupçonner par un indice de cette nature. Le mouvement alternatif du flux et du reflux, et le mouvement constant de la mer d’orient en occident, offrent différents phénomènes dans les différents climats ; ces mouvements se modifient différemment suivant le gisement des terres et la hauteur des côtes : il y a des endroits où le mouvement général d’orient en occident n’est pas sensible ; il y en a d’autres où la mer a même un mouvement contraire, comme sur la côte de Guinée : mais ces mouvements contraires au mouvement général sont occasionés par les vents, par la position des terres, par les eaux des grands fleuves, et par la disposition du fond de la mer ; toutes ces causes produisent des courants qui altèrent et changent souvent tout-à-fait la direction du mouvement général dans plusieurs endroits de la mer. Mais comme ce mouvement des mers d’orient en occident est le plus grand, le plus général, et le plus constant, il doit aussi produire les plus grands effets, et tout pris ensemble, la mer doit, avec le temps, gagner du terrain vers l’occident, et en laisser vers l’orient, quoiqu’il puisse arriver que sur les côtes où le vent d’ouest souffle pendant la plus grande partie de l’année, comme en France, en Angleterre, la mer gagne du terrain vers l’orient : mais, encore une fois, ces exceptions particulières ne détruisent pas l’effet de la cause générale.

ARTICLE XIII.

Des inégalités du fond de la mer et des courants.


On peut distinguer les côtes de la mer en trois espèces : 1o les côtes élevées, qui sont de rochers et de pierres dures, coupées ordinairement à plomb à une hauteur considérable, et qui s’élèvent quelquefois à sept ou huit cents pieds : 2o les basses côtes, dont les unes sont unies et presque de niveau avec la surface de la mer, et dont les autres ont une élévation médiocre et souvent bordée de rochers à fleur d’eau, qui forment des brisants et rendent l’approche des terres fort difficile : 3o les dunes, qui sont des côtes formées par les sables que la mer accumule, ou que les fleuves déposent ; ces dunes forment des collines plus ou moins élevées.

Les côtes d’Italie sont bordées de marbres et de pierres de plusieurs espèces, dont on distingue de loin les différentes carrières ; les rochers qui forment la côte paroissent à une très grande distance comme autant de piliers de marbres qui sont coupés à plomb. Les côtes de France depuis Brest jusqu’à Bordeaux sont presque partout environnées de rochers à fleur d’eau qui forment des brisants ; il en est de même de celles d’Angleterre, d’Espagne, et de plusieurs autres côtes de l’Océan et de la Méditerranée, qui sont bordées de rochers et de pierres dures, à l’exception de quelques endroits dont on a profité pour faire les baies, les ports, et les havres.

La profondeur de l’eau le long des côtes est ordinairement d’autant plus grande que ces côtes sont plus élevées, et d’autant moindre qu’elles sont plus basses ; l’inégalité du fond de la mer le long des côtes correspond aussi ordinairement à l’inégalité de la surface du terrain des côtes. Je dois citer ici ce qu’en dit un célèbre navigateur.

« J’ai toujours remarqué que dans les endroits où la côte est défendue par des rochers escarpés, la mer y est très profonde, et qu’il est rare d’y pouvoir ancrer ; et, au contraire, dans les lieux où la terre penche du côté de la mer, quelqu’élevée qu’elle soit plus avant dans le pays, le fond y est bon, et par conséquent l’ancrage. À proportion que la côte penche ou est escarpée près de la mer, à proportion trouvons-nous aussi communément que le fond pour ancrer est plus ou moins profond ou escarpé : aussi mouillons-nous plus près ou plus loin de la terre, comme nous jugeons à propos ; car il n’y a point, que je sache, de côte au monde, ou dont j’aie entendu parler, qui soit d’une hauteur égale et qui n’ait des hauts et des bas. Ce sont ces hauts et ces bas, ces montagnes et ces vallées, qui font les inégalités des côtes et des bras de mer, des petites baies et des havres, etc., où l’on peut ancrer sûrement, parce que telle est la surface de la terre, tel est ordinairement le fond qui est couvert d’eau. Ainsi l’on trouve plusieurs bons havres sur les côtes où la terre borne la mer par des rochers escarpés, et cela parce qu’il y a des pentes spacieuses entre ces rochers : mais dans les lieux où la pente d’une montagne ou d’un rocher n’est pas à quelque distance en terre d’une montagne à l’autre, et que, comme sur la côte de Chili et du Pérou, le penchant va du côté de la mer, ou est dedans, que la côte est perpendiculaire ou fort escarpée depuis les montagnes voisines, comme elle est en ces pays là depuis les montagnes d’Andes qui y régnent le long de la côte, la mer y est profonde, et pour des havres ou bras de mer il n’y en a que peu ou point ; toute cette côte est trop escarpée pour y ancrer, et je ne connois point de côtes où il y ait si peu de rades commodes aux vaisseaux. Les côtes de Galice, de Portugal, de Norwége, de Terre-Neuve, etc., sont comme la côte du Pérou et des hautes îles de l’Archipélague, mais moins dépourvues de bons havres. Là où il y a de petits espaces de terre, il y a de bonnes baies aux extrémités de ces espaces dans les lieux où ils s’avancent dans la mer comme sur la côte de Caracas, etc. Les îles de Jean Fernando, de Sainte-Hélène, etc., sont des terres hautes dont la côte est profonde. Généralement parlant, tel est le fond qui paroît au dessus de l’eau, tel est celui que l’eau couvre : et pour mouiller sûrement il faut ou que le fond soit au niveau, ou que sa pente soit bien peu sensible ; car s’il est escarpé, l’ancre glisse et le vaisseau est emporté. De là vient que nous ne nous mettons jamais en devoir de mouiller dans les lieux où nous voyons les terres hautes et des montagnes escarpées qui bornent la mer : aussi, étant à vue des îles des États, proche la terre del Fuego, avant que d’entrer dans les mers du Sud, nous ne songeâmes seulement pas à mouiller après que nous eûmes vu la côte, parce qu’il nous parut près de la mer des rochers escarpés : cependant il peut y avoir de petits havres où des barques ou autres petits bâtiments peuvent mouiller ; mais nous ne nous mîmes pas en peine de les chercher.

» Comme les côtes hautes et escarpées ont ceci d’incommode qu’on n’y mouille que rarement, elles ont aussi ceci de commode, qu’on les découvre de loin, et qu’on en peut approcher sans danger ; aussi est-ce pour cela que nous les appelons côtes ardues, ou, pour parler plus naturellement, côtes exhaussées : mais pour les terres basses on ne les voit que de fort près, et il y a plusieurs lieux dont on n’ose approcher, de peur d’échouer avant que de les apercevoir ; d’ailleurs il y a en plusieurs endroits des bancs qui se forment par le concours des grosses rivières, qui des terres basses se jettent dans la mer.

» Ce que je viens de dire, qu’on mouille d’ordinaire sûrement près des terres basses, peut se confirmer par plusieurs exemples. Au midi de la baie de Campêche les terres sont basses pour la plupart : aussi peut-on ancrer tout le long de la côte, et il y a des endroits à l’orient de la ville de Campêche, où vous avez autant de brasses d’eau que vous êtes éloignés de la terre, c’est-à-dire depuis neuf à dix lieues de distance, jusqu’à ce que vous en soyez à quatre lieues ; et de là jusqu’à la côte la profondeur va toujours en diminuant. La baie de Honduras est encore un pays bas, et continue de même tout le long de là aux côtes de Porto-Bello et de Carthagène, jusqu’à ce qu’on soit à la hauteur de Sainte-Marthe ; de là le pays est encore bas jusque vers la côte de Caracas, qui est haute. Les terres des environs de Surinam sur la même côte sont basses, et l’ancrage y est bon ; il en est de même de là à la côte de Guinée. Telle est aussi la baie de Panama, et les livres de pilotage ordonnent aux pilotes d’avoir toujours la sonde à la main et de ne pas approcher d’une telle profondeur, soit de nuit, soit de jour. Sur les mêmes mers, depuis les hauteurs de Guatimala en Mexique jusqu’à Californie, la plus grande partie de la côte est basse : aussi peut-on y mouiller sûrement. En Asie la côte de la Chine, les baies de Siam et de Bengale, toute la côte de Coromandel et la côte des environs de Malaca, et près de l’île de Sumatra du même côté, la plupart de ces côtes sont basses et bonnes pour ancrer : mais à côté de l’occident de Sumatra les côtes sont escarpées et hardies ; telles sont aussi la plupart des îles situées à l’orient de Sumatra, comme les îles de Bornéo, des Célèbes, de Gilolo, et quantité d’autres îles de moindre considération qui sont dispersées par ci par là sur ces mers, et qui ont de bonnes rades avec plusieurs fonds bas : mais les îles de l’Océan de l’Inde orientale, surtout à l’ouest de ces îles, sont des terres hautes et escarpées ; principalement les parties occidentales, non seulement de Sumatra, mais aussi de Java, de Timor, etc. On n’auroit jamais fait si l’on vouloit produire tous les exemples qu’on pourroit trouver ; on dira seulement, en général, qu’il est rare que les côtes hautes soient sans eaux profondes, et au contraire les terres basses et les mers peu creuses se trouvent presque toujours ensemble[51]. »

On est donc assuré qu’il y a des inégalités dans le fond de la mer, et des montagnes très considérables, par les observations que les navigateurs ont faites avec la sonde. Les plongeurs assurent aussi qu’il y a d’autres petites inégalités formées par des rochers, et qu’il fait fort froid dans les vallées de la mer. En général, dans les grandes mers les profondeurs augmentent, comme nous l’avons dit, d’une manière assez uniforme, en s’éloignant ou en s’approchant des côtes. Par la carte que M. Buache a dressée de la partie de l’Océan comprise entre les côtes d’Afrique et d’Amérique, et par les coupes qu’il donne de la mer depuis le cap Tagrin jusqu’à la côte de Rio-Grande, il paroît qu’il y a des inégalités dans tout l’Océan, comme sur la terre ; que les abrolhos où il y a des vigies et où l’on trouve quelques rochers à fleur d’eau, ne sont que des sommets de très grosses et de très grandes montagnes, dont l’île Dauphine est une des plus hautes pointes ; que les îles du cap Vert ne sont de même que des sommets de montagnes ; qu’il y a un grand nombre d’écueils dans cette mer, où l’on est obligé de mettre des vigies ; qu’ensuite le terrain tout autour de ces abrolhos descend jusqu’à des profondeurs inconnues, et aussi autour de ces îles.

À l’égard de la qualité des différents terrains qui forment le fond de la mer[52], comme il est impossible de l’examiner de près, et qu’il faut s’en rapporter aux plongeurs et à la sonde, nous ne pouvons rien dire de bien précis : nous savons seulement qu’il y a des endroits couverts de bourbe et de vase à une grande épaisseur, et sur lesquels les ancres n’ont point de tenue ; c’est probablement dans ces endroits que se dépose le limon des fleuves : dans d’autres endroits ce sont des sables semblables aux sables que nous connoissons, et qui se trouvent de même de différente couleur et de différente grosseur, comme nos sables terrestres : dans d’autres ce sont des coquillages amoncelés, des madrépores, des coraux, et d’autres productions animales, lesquelles commencent à s’unir, à prendre corps, et à former des pierres : dans d’autres ce sont des fragments de pierre, des graviers, et même souvent des pierres toutes formées, et des marbres ; par exemple, dans les îles Maldives on ne bâtit qu’avec de la pierre dure que l’on tire sous les eaux à quelques brasses de profondeur ; à Marseille on tire de très beau marbre du fond de la mer : j’en ai vu plusieurs échantillons : et loin que la mer altère et gâte les pierres et les marbres, nous prouverons, dans notre discours sur les minéraux, que c’est dans la mer qu’ils se forment et qu’ils se conservent, au lieu que le soleil, la terre, l’air, et l’eau des pluies, les corrompent et les détruisent.

Nous ne pouvons donc pas douter que le fond de la mer ne soit composé comme la terre que nous habitons, puisqu’en effet on y trouve les mêmes matières, et qu’on tire de la surface du fond de la mer les mêmes choses que nous tirons de la surface de la terre ; et de même qu’on trouve au fond de la mer de vastes endroits couverts de coquillages, de madrépores, et d’autres ouvrages des insectes de la mer, on trouve aussi sur la terre une infinité de carrières et de bancs de craie et d’autres matières remplies de ces mêmes coquillages, de ces madrépores, etc., en sorte qu’à tous égards les parties découvertes du globe ressemblent à celles qui sont couvertes par les eaux, soit pour la composition et pour le mélange des matières, soit par les inégalités de la superficie.

C’est à ces inégalités du fond de la mer qu’on doit attribuer l’origine des courants ; car on sent bien que si le fond de l’Océan étoit égal et de niveau, il n’y auroit dans la mer d’autre courant que le mouvement général d’orient en occident, et quelques autres mouvements qui auroient pour cause l’action des vents, et qui en suivroient la direction : mais une preuve certaine que la plupart des courants sont produits par le flux et le reflux, et dirigés par les inégalités du fond de la mer, c’est qu’ils suivent régulièrement les marées, et qu’ils changent de direction à chaque flux et à chaque reflux. Voyez sur cet article ce que dit Pietro della Valle, au sujet des courants du golfe de Cambaie, et le rapport de tous les navigateurs, qui assurent unanimement que dans les endroits où le flux et le reflux de la mer est le plus violent et le plus impétueux, les courants y sont aussi plus rapides.

Ainsi on ne peut pas douter que le flux et le reflux ne produisent des courants dont la direction suit toujours celle des collines ou des montagnes opposées entre lesquelles ils coulent. Les courants qui sont produits par les vents suivent aussi la direction de ces mêmes collines qui sont cachées sous l’eau ; car ils ne sont presque jamais opposés directement au vent qui les produit, non plus que ceux qui ont le flux et le reflux pour cause, ne suivent pas pour cela la même direction.

Pour donner une idée nette de la production des courants, nous observerons d’abord qu’il y en a dans toutes les mers ; que les uns sont plus rapides et les autres plus lents ; qu’il y en a de fort étendus tant en longueur qu’en largeur, et d’autres qui sont plus courts et plus étroits ; que la même cause, soit le vent, soit le flux et le reflux, qui produit ces courants, leur donne à chacun une vitesse et une direction souvent très différentes ; qu’un vent de nord, par exemple, qui devroit donner aux eaux un mouvement général vers le sud, dans toute l’étendue de la mer où il exerce son action, produit, au contraire, un grand nombre de courants séparés les uns des autres et bien différents en étendue et en direction : quelques uns vont droit au sud, d’autres au sud-est, d’autres au sud-ouest ; les uns sont fort rapides, d’autres sont lents ; il y en a de plus et moins forts, de plus et moins larges, de plus et moins étendus, et cela dans une variété de combinaisons si grande, qu’on ne peut leur trouver rien de commun que la cause qui les produit ; et lorsqu’un vent contraire succède, comme cela arrive souvent dans toutes les mers, et régulièrement dans l’Océan Indien, tous ces courants prennent une direction opposée à la première, et suivent en sens contraire les mêmes routes et le même cours, en sorte que ceux qui alloient au sud vont au nord, ceux qui couloient vers le sud-est vont au nord-ouest, etc. ; et ils ont la même étendue en longueur et en largeur, la même vitesse, etc. ; et leur cours au milieu des autres eaux de la mer se fait précisément de la même façon qu’il se feroit sur la terre entre deux rivages opposés et voisins, comme on le voit aux Maldives et entre toutes les îles de la mer des Indes, où les courants vont, comme les vents, pendant six mois dans une direction, et pendant six autres mois dans la direction opposée. On a fait la même remarque sur les courants qui sont entre les bancs de sable et entre les hauts-fonds ; et en général tous les courants, soit qu’ils aient pour cause le mouvement du flux et du reflux, ou l’action des vents, ont chacun constamment la même étendue, la même largeur, et la même direction dans tout leur cours, et ils sont très différents les uns des autres en longueur, en largeur, en rapidité, et en direction ; ce qui ne peut venir que des inégalités des collines, des montagnes, et des vallées, qui sont au fond de la mer, comme l’on voit qu’entre deux îles le courant suit la direction des côtes aussi bien qu’entre les bancs de sable, les écueils, et les hauts-fonds. On doit donc regarder les collines et les montagnes du fond de la mer comme les bords qui contiennent et qui dirigent les courants, et dès lors un courant est un fleuve, dont la largeur est déterminée par celle de la vallée dans laquelle il coule, dont la rapidité dépend de la force qui le produit, combinée avec le plus ou le moins de largeur de l’intervalle par où il doit passer, et enfin dont la direction est tracée par la position des collines et des inégalités entre lesquelles il doit prendre son cours.

Ceci étant entendu, nous allons donner une raison palpable de ce fait singulier dont nous avons parlé, de cette correspondance des angles des montagnes et des collines, qui se trouve partout, et qu’on peut observer dans tous les pays du monde. On voit, en jetant les yeux sur les ruisseaux, les rivières, et toutes les eaux courantes, que les bords qui les contiennent forment toujours des angles alternativement opposés ; de sorte que quand un fleuve fait un coude, l’un des bords du fleuve forme d’un côté une avance ou un angle rentrant dans les terres, et l’autre bord forme au contraire une pointe ou un angle saillant hors des terres, et que dans toutes les sinuosités de leur cours cette correspondance des angles alternativement opposés se trouve toujours : elle est, en effet, fondée sur les lois du mouvement des eaux et l’égalité de l’action des fluides, et il nous seroit très facile de démontrer la cause de cet effet ; mais il nous suffit ici qu’il soit général et universellement reconnu, et que tout le monde puisse s’assurer par ses yeux que toutes les fois que le bord d’une rivière fait une avance dans les terres, que je suppose à main gauche, l’autre bord fait, au contraire, une avance hors des terres à main droite.

Dès lors les courants de la mer, qu’on doit regarder comme de grands fleuves ou des eaux courantes, sujettes aux mêmes lois que les fleuves de la terre, formeront de même, dans l’étendue de leur cours, plusieurs sinuosités, dont les avances et les angles seront rentrants d’un côté et saillants de l’autre côté ; et comme les bords de ces courants sont les collines et les montagnes qui se trouvent au dessous ou au dessus de la surface des eaux, ils auront donné à ces éminences cette même forme qu’on remarque aux bords des fleuves. Ainsi on ne doit pas s’étonner que nos collines et nos montagnes, qui ont été autrefois couvertes des eaux de la mer, et qui ont été formées par le sédiment des eaux, aient pris par le mouvement des courants cette figure régulière, et que tous les angles en soient alternativement opposés : elles ont été les bords des courants ou des fleuves de la mer, elles ont donc nécessairement pris une figure et des directions semblables à celles des bords des fleuves de la terre ; et par conséquent toutes les fois que le bord à main gauche aura formé un angle rentrant, le bord à main droite aura formé un angle saillant, comme nous l’observons dans toutes les collines opposées.

Cela seul, indépendamment des autres preuves que nous avons données, suffiroit pour faire voir que la terre de nos continents a été autrefois sous les eaux de la mer ; et l’usage que je fais de cette observation de la correspondance des angles des montagnes, et la cause que j’en assigne, me paroissent être des sources de lumière et de démonstration dans le sujet dont il est question : car ce n’étoit point assez d’avoir prouvé que les couches extérieures de la terre ont été formées par les sédiments de la mer, que les montagnes se sont élevées par l’entassement successif de ces mêmes sédiments, qu’elles sont composées de coquilles et d’autres productions marines ; il falloit encore rendre raison de cette régularité de figure des collines dont les angles sont correspondants, et en trouver la vraie cause que personne jusqu’à présent n’avoit même soupçonnée, et qui cependant, étant réunie avec les autres, forme un corps de preuves aussi complet qu’on puisse en avoir en physique, et fournit une théorie appuyée sur des faits indépendants de toute hypothèse, sur un sujet qu’on n’avoit jamais tenté par cette voie, et sur lequel il paroissoit avoué qu’il étoit permis et même nécessaire de s’aider d’une infinité de suppositions et d’hypothèses gratuites, pour pouvoir dire quelque chose de conséquent et de systématique.

Les principaux courants de l’Océan sont ceux qu’on a observés dans la mer Atlantique près de la Guinée ; ils s’étendent depuis le cap Vert jusqu’à la baie de Fernandopo : leur mouvement est d’occident en orient, et il est contraire au mouvement général de la mer, qui se fait d’orient en occident. Ces courants sont fort violents, en sorte que les vaisseaux peuvent venir en deux jours de Moura à Rio de Bénin, c’est-à-dire faire une route de plus de cent cinquante lieues ; et il leur faut six ou sept semaines pour y retourner ; ils ne peuvent même sortir de ces parages qu’en profitant des vents orageux qui s’élèvent tout à coup dans ces climats : mais il y a des saisons entières pendant lesquelles ils sont obligés de rester, la mer étant continuellement calme, à l’exception du mouvement des courants, qui est toujours dirigé vers les côtes dans cet endroit ; ces courants ne s’étendent guère qu’à vingt lieues de distance des côtes. Auprès de Sumatra il y a des courants rapides qui coulent du midi vers le nord, et qui probablement ont formé le golfe qui est entre Malaye et l’Inde. On trouve des courants semblables entre l’île de Java et la terre de Magellan. Il y a aussi de très grands courants entre le cap de Bonne-Espérance et l’île de Madagascar, et surtout sur la côte d’Afrique, entre la terre de Natal et le cap. Dans la mer Pacifique, sur les côtes du Pérou et du reste de l’Amérique, la mer se meut du midi au nord, et il y règne constamment un vent de midi qui semble être la cause de ces courants ; on observe le même mouvement du midi au nord sur les côtes du Brésil, depuis le cap Saint-Augustin jusqu’aux îles Antilles, à l’embouchure du détroit des Manilles, aux Philippines, et au Japon dans le port de Kibuxia.

Il y a des courants très violents dans la mer voisine des îles Maldives ; et entre ces îles les courants coulent, comme je l’ai dit, constamment pendant six mois d’orient en occident, et rétrogradent pendant les six autres mois d’occident en orient ; ils suivent la direction des vents moussons, et il est probable qu’ils sont produits par ces vents, qui, comme l’on sait, soufflent dans cette mer six mois de l’est à l’ouest, et six mois en sens contraire.

Au reste, nous ne faisons ici mention que des courants dont l’étendue et la rapidité sont fort considérables : car il y a dans toutes les mers une infinité de courants que les navigateurs ne reconnoissent qu’en comparant la route qu’ils ont faite avec celle qu’ils auroient dû faire, et ils sont souvent obligés d’attribuer à l’action de ces courants la dérive de leur vaisseau[53]. Le flux et le reflux, les vents et toutes les autres causes qui peuvent donner de l’agitation aux eaux de la mer, doivent produire des courants, lesquels seront plus ou moins sensibles dans les différents endroits. Nous avons vu que le fond de la mer est, comme la surface de la terre, hérissé de montagnes, semé d’inégalités, et coupé par des bancs de sable : dans tous ces endroits montueux et entrecoupés, les courants seront violents ; dans les lieux plats où le fond de la mer se trouvera de niveau, ils seront presque insensibles : la rapidité du courant augmentera à proportion des obstacles que les eaux trouveront, ou plutôt du rétrécissement des espaces par lesquels elles tendent à passer. Entre deux chaînes de montagnes qui seront dans la mer, il se formera nécessairement un courant qui sera d’autant plus violent que ces deux montagnes seront plus voisines ; il en sera de même entre deux bancs de sable ou entre deux îles voisines : aussi remarque-t-on dans l’Océan Indien, qui est entrecoupé d’une infinité d’îles et de bancs, qu’il y a partout des courants très rapides qui rendent la navigation de cette mer fort périlleuse ; ces courants ont en général des directions semblables à celles des vents, ou du flux et du reflux qui les produisent.

Non seulement toutes les inégalités du fond de la mer doivent former des courants, mais les côtes mêmes doivent faire un effet en partie semblable. Toutes les côtes font refouler les eaux à des distances plus ou moins considérables : ce refoulement des eaux est une espèce de courant que les circonstances peuvent rendre continuel et violent ; la position oblique d’une côte, le voisinage d’un golfe ou de quelque grand fleuve, un promontoire, en un mot, tout obstacle particulier qui s’oppose au mouvement général, produira toujours un courant : or, comme rien n’est plus irrégulier que le fond et les bords de la mer, on doit donc cesser d’être surpris du grand nombre de courants qu’on y trouve presque partout.

Au reste, tous ces courants ont une largeur déterminée et qui ne varie point : cette largeur du courant dépend de celle de l’intervalle qui est entre les deux éminences qui lui servent de lit. Les courants coulent dans la mer comme les fleuves coulent sur la terre, et ils y produisent des effets semblables ; ils forment leur lit ; ils donnent aux éminences entre lesquelles ils coulent, une figure régulière, et dont les angles sont correspondants : ce sont, en un mot, ces courants qui ont creusé nos vallées, figuré nos montagnes, et donné à la surface de notre terre, lorsqu’elle étoit sous l’eau de la mer, la forme qu’elle conserve encore aujourd’hui.

Si quelqu’un doutoit de cette correspondance des angles de montagnes, j’oserois en appeler aux yeux de tous les hommes, surtout lorsqu’ils auront lu ce qui vient d’être dit : je demande seulement qu’on examine, en voyageant, la position des collines opposées, et les avances qu’elles font dans les vallons ; on se convaincra par ses yeux que le vallon étoit le lit, et les collines les bords des courants ; car les côtés opposés des collines se correspondent exactement, comme les deux bords d’un fleuve. Dès que les collines à droite du vallon font une avance, les collines à gauche du vallon font une gorge. Ces collines ont aussi, à très peu près, la même élévation ; et il est très rare de voir une très grande inégalité de hauteur dans deux collines opposées, et séparées par un vallon : je puis assurer que plus j’ai regardé les contours et les hauteurs des collines, plus j’ai été convaincu de la correspondance des angles, et de cette ressemblance qu’elles ont avec les lits et les bords des rivières ; et c’est par des observations réitérées sur cette régularité surprenante et sur cette ressemblance frappante, que mes premières idées sur la théorie de la terre me sont venues. Qu’on ajoute à cette observation celle des couches parallèles et horizontales, et celle des coquillages répandus dans toute la terre et incorporés dans toutes les différentes matières, et on verra s’il peut y avoir plus de probabilité dans un sujet de cette espèce.

ARTICLE XIV.

Des vents réglés.


Rien ne paroît plus irrégulier et plus variable que la force et la direction des vents dans nos climats ; mais il y a des pays où cette irrégularité n’est pas si grande, et d’autres où le vent souffle constamment dans la même direction, et presque avec la même force.

Quoique les mouvements de l’air dépendent d’un grand nombre de causes, il y en a cependant de principales dont on peut estimer les effets ; mais il est difficile de juger des modifications que d’autres causes secondaires peuvent y apporter. La plus puissante de toutes ces causes est la chaleur du soleil, laquelle produit successivement une raréfaction considérable dans les différentes parties de l’atmosphère, ce qui fait le vent d’est, qui souffle constamment entre les tropiques, où la raréfaction est la plus grande.

La force d’attraction du soleil, et même celle de la lune, sur l’atmosphère, sont des causes dont l’effet est insensible en comparaison de celles dont nous venons de parler. Il est vrai que cette force produit dans l’air un mouvement semblable à celui du flux et du reflux dans la mer ; mais ce mouvement n’est rien en comparaison des agitations de l’air qui sont produites par la raréfaction ; car il ne faut pas croire que l’air, parce qu’il a du ressort et qu’il est huit cents fois plus léger que l’eau, doive recevoir par l’action de la lune un mouvement de flux fort considérable. Pour peu qu’on y réfléchisse, on verra que ce mouvement n’est guère plus considérable que celui du flux et du reflux des eaux de la mer ; car la distance à la lune étant supposée la même, une mer d’eau ou d’air, ou de telle autre matière fluide qu’on voudroit imaginer, aura à peu près le même mouvement, parce que la force qui produit ce mouvement pénètre la matière, et est proportionnelle à sa quantité. Ainsi une mer d’eau, d’air ou de vif-argent, s’élèveroit à peu près à la même hauteur par l’action du soleil et de la lune ; et dès lors on voit que le mouvement que l’attraction des astres peut causer dans l’atmosphère, n’est pas assez considérable pour produire une grande agitation[54] ; et quoiqu’elle doive causer un léger mouvement de l’air d’orient en occident, ce mouvement est tout-à-fait insensible en comparaison de celui que la chaleur du soleil doit produire en raréfiant l’air ; et comme la raréfaction sera toujours plus grande dans les endroits où le soleil est au zénith, il est clair que le courant d’air doit suivre le soleil et former un vent constant et général d’orient en occident. Ce vent souffle continuellement sur la mer dans la zone torride, et dans la plupart des endroits de la terre entre les tropiques : c’est le même vent que nous sentons au lever du soleil ; et en général les vents d’est sont bien plus fréquents et bien plus impétueux que les vents d’ouest ; ce vent général d’orient en occident s’étend même au delà des tropiques, et il souffle si constamment dans la mer Pacifique, que les navires qui vont d’Acapulco aux Philippines font cette route, qui est de plus de deux mille sept cents lieues, sans aucun risque, et, pour ainsi dire, sans avoir besoin d’être dirigés. Il en est de même de la mer Atlantique entre l’Afrique et le Brésil ; ce vent général y souffle constamment. Il se fait sentir aussi entre les Philippines et l’Afrique, mais d’une manière moins constante, à cause des îles et des différents obstacles qu’on rencontre dans cette mer : car il souffle pendant les mois de janvier, février, mars, et avril, entre la côte de Mozambique et l’Inde ; mais pendant les autres mois il cède à d’autres vents ; et quoique ce vent d’est soit moins sensible sur les côtes qu’en pleine mer, et encore moins dans le milieu des continents que sur les côtes de la mer, cependant il y a des lieux où il souffle presque continuellement, comme sur les côtes orientales du Brésil, sur les côtes de Loango en Afrique, etc.

Ce vent d’est, qui souffle continuellement sous la ligne, fait que lorsqu’on part d’Europe pour aller en Amérique, on dirige le cours du vaisseau du nord au sud dans la direction des côtes d’Espagne et d’Afrique jusqu’à 20 degrés en deçà de la ligne, où l’on trouve ce vent d’est qui vous porte directement sur les côtes d’Amérique : et de même dans la mer Pacifique l’on fait en deux mois le voyage de Callao ou d’Acapulco aux Philippines à la faveur de ce vent d’est, qui est continuel ; mais le retour des Philippines à Acapulco est plus long et plus difficile. À 28 ou 30 degrés de ce côté-ci de la ligne, on trouve des vents d’ouest assez constants ; et c’est pour cela que les vaisseaux qui reviennent des Indes occidentales en Europe ne prennent pas la même route pour aller et pour revenir : ceux qui viennent de la Nouvelle-Espagne font voile le long des côtes et vers le nord jusqu’à ce qu’ils arrivent à la Havane dans l’île de Cuba, et de là ils gagnent du côté du nord pour trouver les vents d’ouest, qui les amènent aux Açores et ensuite en Espagne. De même dans la mer du Sud ceux qui reviennent des Philippines ou de la Chine au Pérou ou au Mexique, gagnent le nord jusqu’à la hauteur du Japon, et naviguent sous ce parallèle jusqu’à une certaine distance de Californie, d’où, en suivant la côte de la Nouvelle-Espagne, ils arrivent à Acapulco. Au reste, ces vents d’est ne soufflent pas toujours du même point ; mais en général ils sont au sud-est depuis le mois d’avril jusqu’au mois de novembre, et ils sont au nord-est depuis novembre jusqu’en avril.

Le vent d’est contribue par son action à augmenter le mouvement général de la mer d’orient en occident : il produit aussi des courants qui sont constants et qui ont leur direction, les uns de l’est à l’ouest, les autres de l’est au sud-ouest ou au nord-ouest, suivant la direction des éminences et des chaînes de montagnes qui sont au fond de la mer, dont les vallées ou les intervalles qui les séparent servent de canaux à ces courants. De même les vents alternatifs qui soufflent tantôt de l’est, et tantôt de l’ouest, produisent aussi des courants qui changent de direction en même temps que ces vents en changent aussi.

Les vents qui soufflent constamment pendant quelques mois sont ordinairement suivis de vents contraires, et les navigateurs sont obligés d’attendre celui qui leur est favorable ; lorsque ces vents viennent à changer, il y a plusieurs jours et quelquefois un mois ou deux de calme ou de tempêtes dangereuses.

Ces vents généraux causés par la raréfaction de l’atmosphère se combinent différemment par différentes causes dans différents climats. Dans la partie de la mer Atlantique qui est sous la zone tempérée, le vent du nord souffle presque constamment pendant les mois d’octobre, novembre, décembre, et janvier ; c’est pour cela que ces mois sont les plus favorables pour s’embarquer lorsqu’on veut aller de l’Europe aux Indes, afin de passer la ligne à la faveur de ces vents ; et l’on sait par expérience que les vaisseaux qui partent au mois de mars d’Europe n’arrivent quelquefois pas plus tôt au Brésil que ceux qui partent aux mois d’octobre suivant. Le vent du nord règne presque continuellement pendant l’hiver dans la Nouvelle-Zemble et dans, les autres côtes septentrionales. Le vent du midi souffle pendant le mois de juillet au cap Vert : c’est alors le temps des pluies, ou l’hiver de ces climats. Au cap de Bonne-Espérance le vent de nord-ouest souffle pendant le mois de septembre. À Patna dans l’Inde, ce même vent de nord-ouest souffle pendant les mois de novembre, décembre, et janvier, et il produit de grandes pluies ; mais les vents d’est soufflent pendant les neuf autres mois. Dans l’Océan Indien, entre l’Afrique et l’Inde, et jusqu’aux îles Moluques, les vents moussons règnent d’orient en occident depuis janvier jusqu’au commencement de juin, et les vents d’occident commencent aux mois d’août et de septembre, et pendant l’intervalle de juin et de juillet il y a de très grandes tempêtes, ordinairement par des vents de nord : mais sur les côtes ces vents varient davantage qu’en pleine mer.

Dans le royaume de Guzarate et sur les côtes de la mer voisine, les vents de nord soufflent depuis le mois de mars jusqu’au mois de septembre, et pendant les autres mois de l’année il régne presque toujours des vents de midi. Les Hollandois, pour revenir de Java, partent ordinairement aux mois de janvier et de février par un vent d’est qui se fait sentir jusqu’à 18 degrés de latitude australe, et ensuite ils trouvent des vents de midi qui les portent jusqu’à Sainte-Hélène.

Il y a des vents réglés qui sont produits par la fonte des neiges ; les anciens Grecs les ont observés. Pendant l’été les vents de nord-ouest, et pendant l’hiver ceux de sud-est, se font sentir en Grèce, dans la Thrace, dans la Macédoine, dans la mer Égée, et jusqu’en Égypte et en Afrique ; on remarque des vents de même espèce dans le Congo, à Guzarate, à l’extrémité de l’Afrique, qui sont tous produits par la fonte des neiges. Le flux et le reflux de la mer produisent aussi des vents réglés qui ne durent que quelques heures, et dans plusieurs endroits on remarque des vents qui viennent de terre pendant la nuit, et de la mer pendant le jour, comme sur les côtes de la Nouvelle-Espagne, sur celles de Congo, à la Havane, etc.

Les vents de nord sont assez réglés dans les climats des cercles polaires : mais plus on approche de l’équateur, plus ces vents de nord sont foibles ; ce qui est commun aux deux pôles.

Dans l’Océan Atlantique et l’Éthiopique il y a un vent d’est général entre les tropiques, qui dure toute l’année sans aucune variation considérable, à l’exception de quelques petits endroits où il change suivant les circonstances et la position des côtes. 1o Auprès de la côte d’Afrique, aussitôt que vous avez passé les îles Canaries, vous êtes sûr de trouver un vent frais de nord-est à environ 28 degrés de latitude nord : ce vent passe rarement de nord-est ou de nord-nord-est, et il vous accompagne jusqu’à 10 degrés latitude nord, à environ cent lieues de la côte de Guinée, où l’on trouve au 4e degré latitude nord les calmes et tornados ; 2o ceux qui vont aux îles Caribes trouvent, en approchant de l’Amérique, que ce même vent de nord-est tourne de plus en plus à l’est, à mesure qu’on approche davantage ; 3o les limites de ces vents variables dans cet Océan sont plus grandes sur les côtes d’Amérique que sur celles d’Afrique. Il y a dans cet Océan un endroit où les vents de sud et de sud-ouest sont continuels ; savoir, tout le long de la côte de Guinée dans un espace d’environ cinq cents lieues, depuis Sierra-Leona jusqu’à l’île de Saint-Thomas. L’endroit le plus étroit de cette mer est depuis la Guinée jusqu’au Brésil, où il n’y a qu’environ cinq cents lieues : cependant les vaisseaux qui partent de la Guinée ne dirigent pas leur cours droit au Brésil ; mais ils descendent du côté du sud, surtout lorsqu’ils partent aux mois de juillet et d’août, à cause des vents de sud-est qui règnent dans ce temps.

Dans la mer Méditerranée le vent souffle de la terre vers la mer, au coucher du soleil, et au contraire de la mer vers la terre au lever, en sorte que le matin c’est un vent du levant, et le soir un vent du couchant. Le vent du midi, qui est pluvieux, et qui souffle ordinairement à Paris, en Bourgogne, et en Champagne, au commencement de novembre, et qui cède à une bise douce et tempérée, produit le beau temps qu’on appelle vulgairement l’été de la Saint-Martin.

Le docteur Lister, d’ailleurs bon observateur, prétend que le vent d’est général qui se fait sentir entre les tropiques pendant toute l’année, n’est produit que par la respiration de la plante appelée lentille de mer, qui est extrêmement abondante dans ces climats, et que la différence des vents sur la terre ne vient que de la différente disposition des arbres et des forêts ; et il donne très sérieusement cette ridicule imagination pour cause des vents, en disant qu’à l’heure de midi le vent est plus fort parce que les plantes ont plus chaud et respirent l’air plus souvent, et qu’il souffle d’orient en occident, parce que toutes les plantes font un peu le tournesol, et respirent toujours du côté du soleil.

D’autres auteurs, dont les vues étoient plus saines, ont donné pour cause de ce vent constant le mouvement de la terre sur son axe : mais cette opinion n’est que spécieuse, et il est facile de faire comprendre aux gens même les moins initiés en mécanique, que tout fluide qui environneroit la terre ne pourroit avoir aucun mouvement particulier en vertu de la rotation du globe, que l’atmosphère ne peut avoir d’autre mouvement que celui de cette même rotation, et que tout tournant ensemble et à la fois, ce mouvement de rotation est aussi insensible dans l’atmosphère qu’il l’est à la surface de la terre.

La principale cause de ce mouvement constant est, comme nous l’avons dit, la chaleur du soleil ; on peut voir sur cela le traité de Halley dans les Transactions philosophiques ; et en général toutes les causes qui produiront dans l’air une raréfaction ou une condensation considérable, produiront des vents dont les directions seront toujours directes ou opposées aux lieux où sera la plus grande raréfaction ou la plus grande condensation.

La pression des nuages, les exhalaisons de la terre, l’inflammation des météores, la résolution des vapeurs en pluie, etc., sont aussi des causes qui toutes produisent des agitations considérables dans l’atmosphère ; chacune de ces causes se combinant de différentes façons, produit des effets différents : il me paroît donc qu’on tenteroit vainement de donner une théorie des vents, et qu’il faut se borner à travailler à en faire l’histoire : c’est dans cette vue que j’ai rassemblé des faits qui pourront y servir.

Si nous avions une suite d’observations sur la direction, la force, et la variation des vents, dans les différents climats ; si cette suite d’observations étoit exacte et assez étendue pour qu’on pût voir d’un coup d’œil le résultat de ces vicissitudes de l’air dans chaque pays, je ne doute pas qu’on n’arrivât à ce degré de connoissance dont nous sommes encore si fort éloignés, à une méthode par laquelle nous pourrions prévoir et prédire les différents états du ciel et la différence des saisons : mais il n’y a pas assez long-temps qu’on fait des observations météorologiques, il y en a beaucoup moins qu’on les fait avec soin, et il s’en écoulera peut-être beaucoup avant qu’on sache en employer les résultats, qui sont cependant les seuls moyens que nous ayons pour arriver à quelque connoissance positive sur ce sujet.

Sur la mer les vents sont plus réguliers que sur la terre, parce que la mer est un espace libre, et dans lequel rien ne s’oppose à la direction du vent ; sur la terre, au contraire, les montagnes, les forêts, les villes, etc., forment des obstacles qui font changer la direction des vents, et qui souvent produisent des vents contraires aux premiers. Ces vents réfléchis par les montagnes se font souvent sentir dans toutes les provinces qui en sont voisines, avec une impétuosité souvent aussi grande que celle du vent direct qui les produit ; ils sont aussi très irréguliers, parce que leur direction dépend du contour, de la hauteur, et de la situation des montagnes qui les réfléchissent. Les vents de mer soufflent avec plus de force et plus de continuité que les vents de terre ; ils sont aussi beaucoup moins variables et durent plus long-temps. Dans les vents de terre, quelque violents qu’ils soient, il y a des moments de rémission et quelquefois des instants de repos ; dans ceux de mer, le courant d’air est constant et continuel sans aucune interruption : la différence de ces effets dépend de la cause que nous venons d’indiquer.

En général, sur la mer, les vents d’est et ceux qui viennent des pôles, sont plus forts que les vents d’ouest et que ceux qui viennent de l’équateur ; dans les terres, au contraire, les vents d’ouest et de sud sont plus ou moins violents que les vents d’est et de nord, suivant la situation des climats. Au printemps et en automne les vents sont plus violents qu’en été ou en hiver, tant sur mer que sur terre ; on peut en donner plusieurs raisons : 1o le printemps et l’automne sont les saisons des plus grandes marées, et par conséquent les vents que ces marées produisent, sont plus violents dans ces deux saisons ; 2o le mouvement que l’action du soleil et de la lune produit dans l’air, c’est-à-dire le flux et le reflux de l’atmosphère, est aussi plus grand dans la saison des équinoxes ; 3o la fonte des neiges au printemps, et la résolution des vapeurs que le soleil a élevées pendant l’été, qui retombent en pluies abondantes pendant l’automne, produisent, ou du moins augmentent les vents ; 4o le passage du chaud au froid, ou du froid au chaud, ne peut se faire sans augmenter ou diminuer considérablement le volume de l’air, ce qui seul doit produire de très grands vents.

On remarque souvent dans l’air des courants contraires : on voit des nuages qui se meuvent dans une direction, et d’autres nuages plus élevés ou plus bas que les premiers, qui se meuvent dans une direction contraire ; mais cette contrariété de mouvement ne dure pas long-temps, et n’est ordinairement produite que par la résistance de quelque nuage à l’action du vent, et par la répulsion du vent direct qui règne seul dès que l’obstacle est dissipé.

Les vents sont plus violents dans les lieux élevés que dans les plaines ; et plus on monte dans les hautes montagnes, plus la force du vent augmente jusqu’à ce qu’on soit arrivé à la hauteur ordinaire des nuages, c’est-à-dire à environ un quart ou un tiers de lieue de hauteur perpendiculaire : au delà de cette hauteur le ciel est ordinairement serein, au moins pendant l’été, et le vent diminue ; on prétend même qu’il est tout-à-fait insensible au sommet des plus hautes montagnes : cependant la plupart de ces sommets, et même les plus élevés, étant couverts de glace et de neige, il est naturel de penser que cette région de l’air est agitée par les vents dans le temps de la chute de ces neiges ; ainsi ce ne peut être que pendant l’été que les vents ne s’y font pas sentir. Ne pourroit-on pas dire qu’en été les vapeurs légères qui s’élèvent au sommet de ces montagnes, retombent en rosée, au lieu qu’en hiver elles se condensent, se gèlent, et retombent en neige ou en glace, ce qui peut produire en hiver des vents au dessus de ces montagnes, quoiqu’il n’y en ait point en été ?

Un courant d’air augmente de vitesse comme un courant d’eau, lorsque l’espace de son passage se rétrécit : le même vent qui ne se fait sentir que médiocrement dans une plaine large et découverte, devient violent en passant par une gorge de montagne, ou seulement entre deux bâtiments élevés, et le point de la plus violente action du vent est au dessus de ces mêmes bâtiments, ou de la gorge de la montagne ; l’air étant comprimé par la résistance de ces obstacles, a plus de masse, plus de densité ; et la même vitesse subsistant, l’effort ou le coup du vent, le momentum, en devient beaucoup plus fort. C’est ce qui fait qu’auprès d’une église ou d’une tour les vents semblent être beaucoup plus violents qu’ils ne le sont à une certaine distance de ces édifices. J’ai souvent remarqué que le vent réfléchi par un bâtiment isolé ne laissoit pas d’être bien plus violent que le vent direct qui produisoit ce vent réfléchi ; et lorsque j’en ai cherché la raison, je n’en ai pas trouvé d’autre que celle que je viens de rapporter : l’air chassé se comprime contre le bâtiment et se réfléchit non seulement avec la vitesse qu’il avoit auparavant, mais encore avec plus de masse ; ce qui rend en effet son action beaucoup plus violente[55].

À ne considérer que la densité de l’air, qui est plus grande à la surface de la terre que dans tout autre point de l’atmosphère, on seroit porté à croire que la plus grande action du vent devroit être aussi à la surface de la terre, et je crois que cela est en effet ainsi toutes les fois que le ciel est serein : mais lorsqu’il est chargé de nuages, la plus violente action du vent est à la hauteur de ces nuages, qui sont plus denses que l’air, puisqu’ils tombent en forme de pluie ou de grêle. On doit donc dire que la force du vent doit s’estimer non seulement par sa vitesse, mais aussi par la densité de l’air, de quelque cause que puisse provenir cette densité, et qu’il doit arriver souvent qu’un vent qui n’aura pas plus de vitesse qu’un autre vent, ne laissera pas de renverser des arbres et des édifices, uniquement parce que l’air poussé par ce vent sera plus dense. Ceci fait voir l’imperfection des machines qu’on a imaginées pour mesurer la vitesse du vent.

Les vents particuliers, soit qu’ils soient directs ou réfléchis, sont plus violents que les vents généraux. L’action interrompue des vents de terre dépend de cette compression de l’air, qui rend chaque bouffée beaucoup plus violente qu’elle ne le seroit si le vent souffloit uniformément ; quelque fort que soit un vent continu, il ne causera jamais les désastres que produit la fureur de ces vents qui soufflent, pour ainsi dire, par accès : nous en donnerons des exemples dans l’article qui suit.

On pourroit considérer les vents et leurs différentes directions sous des points de vue généraux, dont on tireroit peut-être des inductions utiles : par exemple, il me paroît qu’on pourroit diviser les vents par zones ; que le vent d’est, qui s’étend à environ 25 ou 30 degrés de chaque côté de l’équateur, doit être regardé comme exerçant son action tout autour du globe dans la zone torride : le vent de nord souffle presque aussi constamment dans la zone froide, que le vent d’est dans la zone torride ; et on a reconnu qu’à la Terre-de-Feu et dans les endroits les moins éloignés du pôle austral où l’on est parvenu, le vent vient aussi du pôle. Ainsi l’on peut dire que le vent d’est occupant la zone torride, les vents du nord occupent les zones froides ; et à l’égard des zones tempérées, les vents qui y règnent ne sont, pour ainsi dire, que des courants d’air, dont le mouvement est composé de ceux de ces deux vents principaux qui doivent produire tous les vents dont la direction tend à l’occident ; et à l’égard des vents d’ouest, dont la direction tend à l’orient, et qui règnent souvent dans la zone tempérée, soit dans la mer Pacifique, soit dans l’Océan Atlantique, on peut les regarder comme des vents réfléchis par les terres de l’Asie et de l’Amérique, mais dont la première origine est due aux vents d’est et de nord.

Quoique nous ayons dit que, généralement parlant, le vent d’est règne tout autour du globe à environ 25 ou 30 degrés de chaque côté de l’équateur, il est cependant vrai que dans quelques endroits il s’étend à une bien moindre distance, et que sa direction n’est pas partout de l’est à l’ouest ; car en deçà de l’équateur il est un peu est-nord-est, et au delà de l’équateur il est est-sud-est ; et plus on s’éloigne de l’équateur, soit au nord, soit au sud, plus la direction du vent est oblique : l’équateur est la ligne sous laquelle la direction du vent de l’est à l’ouest est la plus exacte. Par exemple, dans l’Océan Indien le vent général d’orient en occident ne s’étend guère au delà de 15 degrés : en allant de Goa au cap de Bonne-Espérance on ne trouve ce vent d’est qu’au delà de l’équateur, environ au 12e degré de latitude sud, et il ne se fait pas sentir en deçà de l’équateur ; mais lorsqu’on est arrivé à ce 12e degré de latitude sud, on a ce vent jusqu’au 28e degré de latitude sud. Dans la mer qui sépare l’Afrique de l’Amérique, il y a un intervalle, qui est depuis le 4e degré de latitude nord jusqu’au 10e ou 11e degré de latitude nord, où ce vent général n’est pas sensible ; mais au delà de ce 10e ou 11e degré ce vent règne et s’étend jusqu’au 30e degré.

Il y a aussi beaucoup d’exceptions à faire au sujet des vents moussons, dont le mouvement est alternatif : les uns durent plus ou moins long-temps, les autres s’étendent à de plus grandes ou à de moindres distances ; les autres sont plus ou moins réguliers, plus ou moins violents. Nous rapporterons ici, d’après Varenius, les principaux phénomènes de ces vents. « Dans l’Océan Indien, entre l’Afrique et l’Inde jusqu’aux Moluques, les vents d’est commencent à régner au mois de janvier, et durent jusqu’au commencement de juin ; au mois d’août ou de septembre commence le mouvement contraire, et les vents d’ouest règnent pendant trois ou quatre mois ; dans l’intervalle de ces moussons, c’est-à-dire à la fin de juin, au mois de juillet, et au commencement d’août, il n’y a sur cette mer aucun vent fait, et on éprouve de violentes tempêtes qui viennent du septentrion.

» Ces vents sont sujets à de plus grandes variations en approchant des terres ; car les vaisseaux ne peuvent partir de la côte de Malabar, non plus que des autres ports de la côte occidentale de la presqu’île de l’Inde, pour aller en Afrique, en Arabie, en Perse, etc., que depuis le mois de janvier jusqu’au mois d’avril ou de mai : car dès la fin de mai et pendant les mois de juin, de juillet, et d’août, il se fait de si violentes tempêtes par les vents de nord ou de nord-est, que les vaisseaux ne peuvent tenir à la mer ; au contraire, de l’autre côté de cette presqu’île, c’est-à-dire sur la mer qui baigne la côte de Coromandel, on ne connoît point ces tempêtes.

» On part de Java, de Ceylan, et de plusieurs endroits au mois de septembre pour aller aux îles Moluques, parce que le vent d’occident commence alors à souffler dans ces parages ; cependant, lorsqu’on s’éloigne de l’équateur de 15 degrés de latitude australe, on perd ce vent d’ouest et on retrouve le vent général, qui est dans cet endroit un vent de sud-est. On part de même de Cochin, pour aller à Malaca, au mois de mars, parce que les vents d’ouest commencent à souffler dans ce temps. Ainsi ces vents d’occident se font sentir en différents temps dans la mer des Indes : on part, comme l’on voit, dans un temps pour aller de Java aux Moluques, dans un autre temps pour aller de Cochin à Malaca, dans un autre pour aller de Malaca à la Chine, et encore dans un autre pour aller de la Chine au Japon.

» À Banda les vents d’occident finissent à la fin de mars ; il règne des vents variables et des calmes pendant le mois d’avril ; au mois de mai les vents d’orient recommencent avec une grande violence. À Ceylan les vents d’occident commencent vers le milieu du mois de mars, et durent jusqu’au commencement d’octobre que reviennent les vents d’est, ou plutôt d’est-nord-est. À Madagascar, depuis le milieu d’avril jusqu’à la fin de mai, on a des vents de nord et de nord-ouest ; mais aux mois de février et de mars ce sont des vents d’orient et de midi. De Madagascar au cap de Bonne-Espérance le vent du nord et les vents collatéraux soufflent pendant les mois de mars et d’avril. Dans le golfe de Bengale le vent de midi se fait sentir avec violence après le 20 d’avril ; auparavant il règne dans cette mer des vents de sud-ouest ou de nord-ouest. Les vents d’ouest sont aussi très violents dans la mer de la Chine pendant les mois de juin et de juillet ; c’est aussi la saison la plus convenable pour aller de la Chine au Japon : mais pour revenir du Japon à la Chine, ce sont les mois de février et de mars qu’on préfère, parce que les vents d’est ou de nord-est règnent alors dans cette mer.

» Il y a des vents qu’on peut regarder comme particuliers à de certaines côtes : par exemple, le vent de sud-est presque continuel sur les côtes du Chili et du Pérou : il commence au 46e degré ou environ de latitude sud, et il s’étend jusqu’au delà de Panama ; ce qui rend le voyage de Lima à Panama beaucoup plus aisé à faire et plus court que le retour. Les vents d’occident soufflent presque continuellement, ou du moins très fréquemment, sur les côtes de la terre Magellanique, aux environs du détroit de Le Maire ; sur la côte de Malabar les vents de nord et de nord-ouest règnent presque continuellement ; sur la côte de Guinée le vent de nord-ouest est aussi fort fréquent, et à une certaine distance de cette côte, en pleine mer, on retrouve le vent de nord-est ; les vents d’occident règnent sur les côtes du Japon aux mois de novembre et de décembre. »

Les vents alternatifs ou périodiques dont nous venons de parler, sont des vents de mer ; mais il y a aussi des vents de terre qui sont périodiques, et qui reviennent ou dans une certaine saison, ou à de certains jours, ou même à de certaines heures : par exemple, sur la côte de Malabar, depuis le mois de septembre jusqu’au mois d’avril, souffle un vent de terre qui vient du côté de l’orient ; ce vent commence ordinairement à minuit et finit à midi, et il n’est plus sensible dès qu’on s’éloigne à douze ou quinze lieues de la côte ; et depuis midi jusqu’à minuit il règne un vent de mer qui est fort foible, et qui vient de l’occident : sur la côte de la Nouvelle-Espagne en Amérique, et sur celle de Congo en Afrique, il règne des vents de terre pendant la nuit, et des vents de mer pendant le jour : à la Jamaïque les vents soufflent de tous côtés à la fois pendant la nuit, et les vaisseaux ne peuvent alors y arriver sûrement, ni en sortir avant le jour.

En hiver le port de Cochin est inabordable, et il ne peut en sortir aucun vaisseau, parce que les vents y soufflent avec une telle impétuosité, que les bâtiments ne peuvent pas tenir à la mer, et que d’ailleurs le vent d’ouest, qui y souffle avec fureur, amène à l’embouchure du fleuve de Cochin une si grande quantité de sable, qu’il est impossible aux navires, et même aux barques, d’y entrer pendant six mois de l’année ; mais les vents d’est qui soufflent pendant les six autres mois repoussent ces sables dans la mer, et rendent libre l’entrée de la rivière. Au détroit de Babel-Mandel, il y a des vents de sud-est qui y régnent tous les ans dans la même saison, et qui sont toujours suivis de vents de nord-ouest. À Saint-Domingue il y a deux vents différents qui s’élèvent régulièrement presque chaque jour : l’un, qui est un vent de mer, vient du côté de l’orient, et il commence à dix heures du matin ; l’autre, qui est un vent de terre, et qui vient de l’occident, s’élève à six ou sept heures du soir et dure toute la nuit. Il y auroit plusieurs autres faits de cette espèce à tirer des voyageurs, dont la connoissance pourroit peut-être nous conduire à donner une histoire des vents qui seroit un ouvrage très utile pour la navigation et pour la physique.

Sur l’état de l’air au dessus des hautes montagnes.

* Il est prouvé, par des observations constantes et mille fois réitérées, que plus on s’élève au dessus du niveau de la mer ou des plaines, plus la colonne de mercure des baromètres descend, et que par conséquent le poids de la colonne d’air diminue d’autant plus qu’on s’élève plus haut ; et comme l’air est un fluide élastique et compressible, tous les physiciens ont conclu de ces expériences du baromètre, que l’air est beaucoup plus comprimé et plus dense dans les plaines qu’il ne l’est au dessus des montagnes. Par exemple, si le baromètre, étant à vingt-sept pouces dans la plaine, tombe à dix-huit pouces au haut de la montagne, ce qui fait un tiers de différence dans le poids de la colonne d’air, on a dit que la compression de cet élément étant toujours proportionnelle au poids incombant, l’air du haut de la montagne est en conséquence d’un tiers moins dense que celui de la plaine, puisqu’il est comprimé par un poids moindre d’un tiers. Mais de fortes raisons me font douter de la vérité de cette conséquence, qu’on a regardée comme légitime et même naturelle.

Faisons pour un moment abstraction de cette compressibilité de l’air que plusieurs causes peuvent augmenter, diminuer, détruire, ou compenser ; supposons que l’atmosphère soit également dense partout : si son épaisseur n’étoit que de trois lieues, il est sûr qu’en s’élevant à une lieue, c’est-à-dire de la plaine au haut de la montagne, le baromètre étant chargé d’un tiers de moins, descendroit de vingt-sept pouces à dix-huit. Or, l’air, quoique compressible, me paroît être également dense à toutes les hauteurs, et voici les faits et les réflexions sur lesquels je fonde cette opinion.

1o Les vents sont aussi puissants, aussi violents au dessus des plus hautes montagnes que dans les plaines les plus basses ; tous les observateurs sont d’accord sur ce fait. Or, si l’air y étoit d’un tiers moins dense, leur action seroit d’un tiers plus foible, et tous les vents ne seroient que des zéphirs à une lieue de hauteur, ce qui est absolument contraire à l’expérience.

2o Les aigles et plusieurs autres oiseaux, non seulement volent au sommet des plus hautes montagnes, mais même ils s’élèvent encore au dessus à de grandes hauteurs. Or, je demande s’ils pourroient exécuter leur vol ni même se soutenir dans un fluide qui seroit une fois moins dense, et si le poids de leur corps, malgré tous leurs efforts, ne les ramèneroit pas en bas.

3o Tous les observateurs qui ont grimpé au sommet des plus hautes montagnes conviennent qu’on y respire aussi facilement que partout ailleurs, et que la seule incommodité qu’on y ressent est celle du froid, qui augmente à mesure qu’on s’élève plus haut. Or, si l’air étoit d’un tiers moins dense au sommet des montagnes, la respiration de l’homme, et des oiseaux qui s’élèvent encore plus haut, seroit non seulement gênée, mais arrêtée, comme nous le voyons dans la machine pneumatique dès qu’on a pompé le quart ou le tiers de la masse de l’air contenu dans le récipient.

4o Comme le froid condense l’air autant que la chaleur le raréfie, et qu’à mesure qu’on s’élève sur les hautes montagnes le froid augmente d’une manière très sensible, n’est-il pas nécessaire que les degrés de la condensation de l’air suivent le rapport du degré du froid ? et cette condensation peut égaler et même surpasser celle de l’air des plaines, où la chaleur qui émane de l’intérieur de la terre est bien plus grande qu’au sommet des montagnes, qui sont les pointes les plus avancées et les plus refroidies de la masse du globe. Cette condensation de l’air par le froid, dans les hautes régions de l’atmosphère, doit donc compenser la diminution de densité produite par la diminution de la charge ou poids incombant, et par conséquent l’air doit être aussi dense sur les sommets froids des montagnes que dans les plaines. Je serois même porté à croire que l’air y est plus dense, puisqu’il semble que les vents y soient plus violents, et que les oiseaux qui volent au dessus de ces sommets de montagnes semblent se soutenir dans les airs d’autant plus aisément qu’ils s’élèvent plus haut.

De là je pense qu’on peut conclure que l’air libre est à peu près également dense à toutes les hauteurs, et que l’atmosphère aérienne ne s’étend pas à beaucoup près aussi haut qu’on l’a déterminée, en ne considérant l’air que comme une masse élastique, comprimée par le poids incombant : ainsi l’épaisseur totale de notre atmosphère pourroit bien n’être que de trois lieues, au lieu de quinze ou vingt comme l’ont dit les physiciens[56].

Nous concevons alentour de la terre une première couche de l’atmosphère, qui est remplie de vapeurs qu’exhale ce globe, tant par sa chaleur propre que par celle du soleil. Dans cette couche, qui s’étend à la hauteur des nuages, la chaleur que répandent les exhalaisons du globe, produit et soutient une raréfaction qui fait équilibre à la pression de la masse d’air supérieur, de manière que la couche basse de l’atmosphère n’est point aussi dense qu’elle le devroit être à proportion de la pression qu’elle éprouve : mais à la hauteur où cette raréfaction cesse, l’air subit toute la condensation que lui donne le froid de cette région où la chaleur émanée du globe est fort atténuée, et cette condensation paroît même être plus grande que celle que peut imprimer sur les régions inférieures, soutenues par la raréfaction, le poids des couches supérieures ; c’est du moins ce que semble prouver un autre phénomène qui est la condensation et la suspension des nuages dans la couche élevée où nous les voyons se tenir. Au dessous de cette moyenne région, dans laquelle le froid et la condensation commencent, les vapeurs s’élèvent sans être visibles, si ce n’est dans quelques circonstances où une partie de cette couche froide paroît se rabattre jusqu’à la surface de la terre, et où la chaleur émanée de la terre, éteinte pendant quelques moments par des pluies, se ranimant avec plus de force, les vapeurs s’épaississent alentour de nous en brumes et en brouillards : sans cela elles ne deviennent visibles que lorsqu’elles arrivent à cette région où le froid les condense en flocons, en nuages, et par là même arrête leur ascension ; leur gravité, augmentée à proportion qu’elles sont devenues plus denses, les établissant dans un équilibre qu’elles ne peuvent plus franchir. On voit que les nuages sont généralement plus élevés en été, et constamment encore plus élevés dans les climats chauds ; c’est que, dans cette saison et dans ces climats, la couche de l’évaporation de la terre a plus de hauteur : au contraire, dans les plages glaciales des pôles, où cette évaporation de la chaleur du globe est beaucoup moindre, la couche dense de l’air paroît toucher à la surface de la terre et y retenir les nuages qui ne s’élèvent plus, et enveloppent ces parages d’une brume perpétuelle. (Add. Buff.)

Sur quelques vents qui varient régulièrement.

* Il y a de certains climats et de certaines contrées particulières où les vents varient, mais constamment et régulièrement ; les uns au bout de six mois, les autres après quelques semaines, et enfin d’autres du jour à la nuit ou du soir au matin. J’ai dit, page 254 de ce volume, « qu’à Saint-Domingue il y a deux vents différents, qui s’élèvent régulièrement presque chaque jour ; que l’un est un vent de mer qui vient de l’orient, et que l’autre est un vent de terre qui vient de l’occident. » M. Fresnaye m’a écrit que je n’avois pas été exactement informé. « Les deux vents réguliers, dit-il, qui soufflent à Saint-Domingue, sont tous deux des vents de mer, et soufflent l’un de l’est le matin, et l’autre de l’ouest le soir, qui n’est que le même vent renvoyé ; comme il est évident que c’est le soleil qui le cause, il y a un moment de bourrasque que tout le monde remarque entre une heure et deux de l’après-midi. Lorsque le soleil a décliné, raréfiant l’air de l’ouest, il chasse dans l’est les nuages que le vent du matin avoit confinés dans la partie opposée. Ce sont ces nuages renvoyés, qui, depuis avril et mai jusque vers l’automne, donnent dans la partie du Port-au-Prince les pluies réglées qui viennent constamment de l’est. Il n’y a pas d’habitant qui ne prédise la pluie du soir entre six et neuf heures, lorsque, suivant leur expression, la brise a été renvoyée. Le vent d’ouest ne dure pas toute la nuit, il tombe régulièrement vers le soir ; et c’est lorsqu’il a cessé, que les nuages poussés à l’orient ont la liberté de tomber, dès que leur poids excède un pareil volume d’air : le vent que l’on sent la nuit est exactement un vent de terre qui n’est ni de l’est ni de l’ouest, mais dépend de la projection de la côte. Au Port-au-Prince, ce vent du midi est d’un froid intolérable dans les mois de janvier et de février : comme il traverse la ravine de la rivière froide, il y est modifié[57]. »

Sur les lavanges.

* Dans les hautes montagnes, il y a des vents accidentels qui sont produits par des causes particulières, et notamment par les lavanges. Dans les Alpes, aux environs des glacières, on distingue plusieurs espèces de lavanges. Les unes sont appelées lavanges venteuses, parce qu’elles produisent un grand vent ; elles se forment lorsqu’une neige nouvellement tombée vient à être mise en mouvement, soit par l’agitation de l’air, soit en fondant par dessous au moyen de la chaleur intérieure de la terre : alors la neige se pelotonne, s’accumule, et tombe en coulant en grosses masses vers le vallon ; ce qui cause une grande agitation dans l’air, parce qu’elle coule avec rapidité et en très grand volume, et les vents que ces masses produisent sont si impétueux, qu’ils renversent tout ce qui s’oppose à leur passage, jusqu’à rompre de gros sapins. Ces lavanges couvrent d’une neige très fine tout le terrain auquel elles peuvent atteindre, et cette poudre de neige voltige dans l’air au caprice des vents, c’est-à-dire sans direction fixe ; ce qui rend ces neiges dangereuses pour les gens qui se trouvent alors en campagne, parce qu’on ne sait pas trop de quel côté tourner pour les éviter, car en peu de moments on se trouve enveloppé et même entièrement enfoui dans la neige.

Une autre espèce de lavanges, encore plus dangereuse que la première, sont celles que les gens du pays appellent schlaglauwen, c’est-à-dire lavanges frappantes ; elles ne surviennent pas aussi rapidement que les premières, et néanmoins elles renversent tout ce qui se trouve sur leur passage, parce qu’elles entraînent avec elles une grande quantité de terres, de pierres, de cailloux, et même des arbres tout entiers, en sorte qu’en passant et en arrivant dans le vallon, elles tracent un chemin de destruction en écrasant tout ce qui s’oppose à leur passage. Comme elles marchent moins rapidement que les lavanges qui ne sont que de neige, on les évite plus aisément : elles s’annoncent de loin ; car elles ébranlent, pour ainsi dire, les montagnes et les vallons par leur poids et leur mouvement, qui causent un bruit égal à celui du tonnerre.

Au reste, il ne faut qu’une très petite cause pour produire ces terribles effets ; il suffit de quelques flocons de neige tombés d’un arbre ou d’un rocher, ou même du son des cloches, du bruit d’une arme à feu, pour que quelques portions de neige se détachent du sommet, se pelotonnent et grossissent en descendant jusqu’à devenir une masse aussi grosse qu’une petite montagne.

Les habitants des contrées sujettes aux lavanges ont imaginé des précautions pour se garantir de leurs effets ; ils placent leurs bâtiments contre quelques petites éminences qui puissent rompre la force de la lavange : ils plantent aussi des bois derrière leurs habitations ; on peut voir au mont Saint-Gothard une forêt de forme triangulaire, dont l’angle aigu est tourné vers le mont, et qui semble plantée exprès pour détourner les lavanges et les éloigner du village d’Urseren et des bâtiments situés au pied de la montagne ; et il est défendu, sous de grosses peines, de toucher à cette forêt, qui est, pour ainsi dire, la sauve-garde du village. On voit de même, dans plusieurs autres endroits, des murs de précaution dont l’angle aigu est opposé à la montagne, afin de rompre et détourner les lavanges ; il y a une muraille de cette espèce à Davis, au pays des Grisons, au dessus de l’église du milieu, comme aussi vers les bains de Leuk ou Louèche en Valais. On voit dans ce même pays des Grisons et dans quelques autres endroits, dans les gorges de montagne, des voûtes de distance en distance, placées à côté du chemin et taillées dans le roc, qui servent aux passagers de refuge contre les lavanges. (Add. Buff.)

ARTICLE XV.

Des vents irréguliers, des ouragans, des trombes, et de quelques autres phénomènes causés par l’agitation de la mer et de l’air.


Les vents sont plus irréguliers sur terre que sur mer, et plus irréguliers dans les pays élevés que dans les pays de plaines. Les montagnes non seulement changent la direction des vents, mais même elles en produisent qui sont ou constants ou variables suivant les différentes causes : la fonte des neiges qui sont au dessus des montagnes, produit ordinairement des vents constants qui durent quelquefois assez long-temps ; les vapeurs qui s’arrêtent contre les montagnes et qui s’y accumulent, produisent des vents variables, qui sont très fréquents dans tous les climats, et il y a autant de variations dans ces mouvements de l’air qu’il y a d’inégalités sur la surface de la terre. Nous ne pouvons donc donner sur cela que des exemples, et rapporter les faits qui sont avérés ; et comme nous manquons d’observations suivies sur la variation des vents, et même sur celle des saisons dans les différents pays, nous ne prétendons pas expliquer toutes les causes de ces différences, et nous nous bornerons à indiquer celles qui nous paroîtront les plus naturelles et les plus probables.

Dans les détroits, sur toutes les côtes avancées, à l’extrémité et aux environs de tous les promontoires, des presqu’îles, et des caps, et dans tous les golfes étroits, les orages sont plus fréquents ; mais il y a outre cela des mers beaucoup plus orageuses que d’autres. L’Océan Indien, la mer du Japon, la mer Magellanique, celle de la côte d’Afrique au delà des Canaries, et de l’autre côté vers la terre de Natal, la mer Rouge, la mer Vermeille, sont toutes fort sujettes aux tempêtes. L’Océan Atlantique est aussi plus orageux que le grand Océan, qu’on a appelé, à cause de sa tranquillité, mer Pacifique : cependant cette mer Pacifique n’est absolument tranquille qu’entre les tropiques, et jusqu’au quart environ des zones tempérées ; et plus on approche des pôles, plus elle est sujette à des vents variables dont le changement subit cause souvent des tempêtes.

Tous les continents terrestres sont sujets à des vents variables qui produisent souvent des effets singuliers : dans le royaume de Cachemire, qui est environné des montagnes du Caucase, on éprouve à la montagne Pire-Penjale des changements soudains ; on passe, pour ainsi dire, de l’été à l’hiver en moins d’une heure : il y règne deux vents directement opposés, l’un de nord et l’autre de midi, que, selon Bernier, on sent successivement en moins de deux cents pas de distance. La position de cette montagne doit être singulière et mériteroit d’être observée. Dans la presqu’île de l’Inde, qui est traversée du nord au sud par les montagnes de Gate, on a l’hiver d’un côté de ces montagnes, et l’été de l’autre côté dans le même temps, en sorte que sur la côte de Coromandel l’air est serein et tranquille, et fort chaud, tandis qu’à celle de Malabar, quoique sous la même latitude, les pluies, les orages, les tempêtes, rendent l’air aussi froid qu’il peut l’être dans ce climat ; et au contraire lorsqu’on a l’été à Malabar, on a l’hiver à Coromandel. Cette même différence se trouve des deux côtés du cap de Rasalgate en Arabie : dans la partie de la mer qui est au nord du cap, il règne une grande tranquillité, tandis que dans la partie qui est au sud on éprouve de violentes tempêtes. Il en est encore de même dans l’île de Ceylan : l’hiver et les grands vents se font sentir dans la partie septentrionale de l’île, tandis que dans les parties méridionales il fait un très beau temps d’été ; et au contraire quand la partie septentrionale jouit de la douceur de l’été, la partie méridionale à son tour est plongée dans un air sombre, orageux, et pluvieux. Cela arrive non seulement dans plusieurs endroits du continent des Indes, mais aussi dans plusieurs îles : par exemple, à Céram, qui est une longue île dans le voisinage d’Amboine, on a l’hiver dans la partie septentrionale de l’île, et l’été en même temps dans la partie méridionale, et l’intervalle qui sépare les deux saisons n’est pas de trois ou quatre lieues.

En Égypte il règne souvent pendant l’été des vents du midi qui sont si chauds, qu’ils empêchent la respiration ; ils élèvent une si grande quantité de sable, qu’il semble que le ciel est couvert de nuages épais ; ce sable est si fin et il est chassé avec tant de violence, qu’il pénètre partout, et même dans les coffres les mieux fermés : lorsque ces vents durent plusieurs jours, ils causent des maladies épidémiques, et souvent elles sont suivies d’une grande mortalité. Il pleut très rarement en Égypte ; cependant tous les ans il y a quelques jours de pluie pendant les mois de décembre, janvier, et février. Il s’y forme aussi des brouillards épais qui sont plus fréquents que les pluies, surtout aux environs du Caire : ces brouillards commencent au mois de novembre, et continuent pendant l’hiver ; ils s’élèvent avant le lever du soleil ; pendant toute l’année il tombe une rosée si abondante, lorsque le ciel est serein, qu’on pourroit la prendre pour une petite pluie.

Dans la Perse l’hiver commence en novembre et dure jusqu’en mars : le froid y est assez fort pour y former de la glace, et il tombe beaucoup de neige dans les montagnes, et souvent un peu dans les plaines ; depuis le mois de mars jusqu’au mois de mai il s’élève des vents qui soufflent avec force et qui ramènent la chaleur ; du mois de mai au mois de septembre le ciel est serein, et la chaleur de la saison est modérée pendant la nuit par des vents frais qui s’élèvent tous les soirs, et qui durent jusqu’au lendemain matin ; et en automne il se fait des vents qui, comme ceux du printemps, soufflent avec force ; cependant, quoique ces vents soient assez violents, il est rare qu’ils produisent des ouragans et des tempêtes : mais il s’élève souvent pendant l’été, le long du golfe Persique, un vent très dangereux que les habitants appellent Samyel, et qui est encore plus chaud et plus terrible que celui de l’Égypte dont nous venons de parler ; ce vent est suffocant et mortel ; son action est presque semblable à celle d’un tourbillon de vapeur enflammée, et on ne peut en éviter les effets lorsqu’on s’y trouve malheureusement enveloppé. Il s’élève aussi sur la mer Rouge, en été, et sur les terres de l’Arabie, un vent de même espèce qui suffoque les hommes et les animaux, et qui transporte une si grande quantité de sable, que bien des gens prétendent que cette mer se trouvera comblée avec le temps par l’entassement successif des sables qui y tombent : il y a souvent de ces nuées de sable en Arabie, qui obscurcissent l’air et qui forment des tourbillons dangereux. À la Véra-Cruz, lorsque le vent de nord souffle, les maisons de la ville sont presque enterrées sous le sable qu’un vent pareil amène : il s’élève aussi des vents chauds en été à Négapatan dans la presqu’île de l’Inde, aussi bien qu’à Pétapouli et à Masulipatan. Ces vents brûlants qui font périr les hommes, ne sont heureusement pas de longue durée, mais ils sont violents ; et plus ils ont de vilesse, et plus ils sont brûlants, au lieu que tous les autres vents rafraîchissent d’autant plus qu’ils ont de vitesse. Cette différence ne vient que du degré de chaleur de l’air : tant que la chaleur de l’air est moindre que celle du corps des animaux, le mouvement de l’air est rafraîchissant ; mais si la chaleur de l’air est plus grande que celle du corps, alors le mouvement de l’air ne peut qu’échauffer et brûler. À Goa, l’hiver, ou plutôt le temps des pluies et des tempêtes, est aux mois de mai, de juin, et de juillet ; sans cela les chaleurs y seroient insupportables.

Le cap de Bonne-Espérance est fameux par ses tempêtes et par le nuage singulier qui les produit : ce nuage ne paroît d’abord que comme une petite tache ronde dans le ciel, et les matelots l’ont appelé œil de bœuf ; j’imagine que c’est parce qu’il se soutient à une très grande hauteur qu’il paroît si petit. De tous les voyageurs qui ont parlé de ce nuage, Kolbe me paroît être celui qui l’a examiné avec le plus d’attention : voici ce qu’il en dit, tom. I, pag. 224 et suivantes : « Le nuage qu’on voit sur les montagnes de la Table, ou du Diable, ou du Vent y est composé, si je ne me trompe, d’une infinité de petites particules poussées premièrement contre les montagnes du Cap, qui sont à l’est, par les vents d’est qui régnent pendant presque toute l’année dans la zone torride ; ces particules ainsi poussées sont arrêtées dans leur cours par ces hautes montagnes, et se ramassent sur leur côté oriental ; alors elles deviennent visibles, et y forment de petits monceaux ou assemblages de nuages, qui, étant incessamment poussés par le vent d’est, s’élèvent au sommet de ces montagnes. Ils n’y restent pas long-temps tranquilles et arrêtés ; contraints d’avancer, ils s’engouffrent entre les collines qui sont devant eux, où ils sont serrés et pressés comme dans une manière de canal : le vent les presse au dessous, et les côtés opposés des deux montagnes les retiennent à droite et à gauche. Lorsqu’en avançant toujours ils parviennent au pied de quelque montagne où la campagne est un peu plus ouverte, ils s’étendent, se déploient, et deviennent de nouveau invisibles ; mais bientôt ils sont chassés sur les montagnes par les nouveaux nuages qui sont poussés derrière eux, et parviennent ainsi, avec beaucoup d’impétuosité, sur les montagnes les plus hautes du Cap, qui sont celles du Vent et de la Table, où règne alors un vent tout contraire : là il se fait un conflit affreux, ils sont poussés par derrière et repoussés par devant ; ce qui produit des tourbillons horribles, soit sur les hautes montagnes dont je parle, soit dans la vallée de la Table, où ces nuages voudroient se précipiter. Lorsque le vent de nord-ouest a cédé le champ de bataille, celui de sud-est augmente et continue de souffler avec plus ou moins de violence pendant son semestre ; il se renforce pendant que le nuage de l’œil de bœuf est épais, parce que les particules qui viennent s’y amasser par derrière, s’efforcent d’avancer ; il diminue lorsqu’il est moins épais, parce qu’alors moins de particules pressent par derrière ; il baisse entièrement lorsque ce nuage ne paroît plus, parce qu’il n’y vient plus de l’est de nouvelles particules, ou qu’il n’en arrive pas assez ; le nuage enfin ne se dissipe point, ou plutôt paroît toujours à peu près de même grosseur, parce que de nouvelles matières remplacent par derrière celles qui se dissipent par devant.

» Toutes ces circonstances du phénomène conduisent à une hypothèse qui en explique si bien toutes les parties : 1o Derrière la montagne de la Table on remarque une espèce de sentier ou une traînée de légers brouillards blancs, qui, commençant sur la descente orientale de cette montagne, aboutit à la mer, et occupe dans son étendue les montagnes de Pierre. Je me suis très souvent occupé à contempler cette traînée, qui, suivant moi, étoit causée par le passage rapide des particules dont je parle, depuis les montagnes de Pierre jusqu’à celle de la Table.

» Ces particules, que je suppose, doivent être extrêmement embarrassées dans leur marche par les fréquents chocs et contre-chocs causés non seulement par les montagnes, mais encore par les vents de sud et d’est qui régnent aux lieux circonvoisins du Cap ; c’est ici ma seconde observation. J’ai déjà parlé des deux montagnes qui sont situées sur les pointes de la baie Falzo ou fausse baie : l’une s’appelle la Lèvre pendante, et l’autre Norwège. Lorsque les particules que je conçois sont poussées sir ces montagnes par les vents d’est, elles en sont repoussées par les vents de sud, ce qui les porte sur les montagnes voisines ; elles y sont arrêtées pendant quelque temps et y paroissent en nuages, comme elles le faisoient sur les deux montagnes de la baie Falzo, et même un peu davantage. Ces nuages sont souvent fort épais sur la Hollande Hottentote, sur les montagnes de Stellenbosch, de Drakenstein, et de Pierre, mais surtout sur la montagne de la Table et sur celle du Diable.

» Enfin ce qui confirme mon opinion est que constamment deux ou trois jours avant que les vents de sud-est soufflent, on aperçoit sur la Tête du lion de petits nuages noirs qui la couvrent ; ces nuages sont, suivant moi, composés des particules dont j’ai parlé : si le vent de nord-ouest règne encore lorsqu’elles arrivent, elles sont arrêtées dans leur course ; mais elles ne sont jamais chassées fort loin jusqu’à ce que le vent de sud-est commence. »

Les premiers navigateurs qui ont approché du cap de Bonne-Espérance ignoroient les effets de ces nuages funestes, qui semblent se former lentement, tranquillement, et sans aucun mouvement sensible dans l’air, et qui tout d’un coup lancent la tempête, et causent un orage qui précipite les vaisseaux dans le fond de la mer, surtout lorsque les voiles sont déployées. Dans la terre de Natal il se forme aussi un petit nuage semblable à l’œil de bœuf au cap de Bonne-Espérance, et de ce nuage il sort un vent terrible et qui produit les mêmes effets. Dans la mer qui est entre l’Afrique et l’Amérique, surtout sous l’équateur et dans les parties voisines de l’équateur, il s’élève très souvent de ces espèces de tempêtes. Près de la côte de Guinée il se fait quelquefois trois ou quatre orages en un jour : ils sont causés et annoncés, comme ceux du cap de Bonne-Espérance, par de petits nuages noirs ; le reste du ciel est ordinairement fort serein, et la mer tranquille. Le premier coup de vent qui sort de ces nuages est furieux, et feroit périr les vaisseaux en pleine mer, si l’on ne prenoit pas auparavant la précaution de caler les voiles. C’est principalement aux mois d’avril, de mai, et de juin, qu’on éprouve ces tempêtes sur la mer de Guinée, parce qu’il n’y règne aucun vent réglé dans cette saison, et plus bas, en descendant de Loango, la saison de ces orages sur la mer voisine des côtes des Loango est celle des mois de janvier, février, mars, et avril. De l’autre côté de l’Afrique, au cap de Guardafui, il s’élève de ces espèces de tempêtes au mois de mai, et les nuages qui les produisent sont ordinairement au nord, comme ceux du cap de Bonne-Espérance.

Toutes ces tempêtes sont donc produites par des vents qui sortent d’un nuage, et qui ont une direction, soit du nord au sud, soit du nord-est au sud-ouest, etc. : mais il y a d’autres espèces de tempêtes que l’on appelle des ouragans, qui sont encore plus violentes que celles-ci, et dans lesquelles les vents semblent venir de tous les côtés ; ils ont un mouvement de tourbillon et de tournoiement auquel rien ne peut résister. Le calme précède ordinairement ces horribles tempêtes, et la mer paroît alors aussi unie qu’une glace ; mais dans un instant la fureur des vents élève les vagues jusqu’aux nues. Il y a des endroits dans la mer où l’on ne peut pas aborder, parce que alternativement il y a ou des calmes ou des ouragans de cette espèce : les Espagnols ont appelé ces endroits calmes et tornados. Les plus considérables sont auprès de la Guinée, à deux ou trois degrés latitude nord : ils ont environ trois cents ou trois cent cinquante lieues de longueur sur autant de largeur, ce qui fait un espace de plus de trois cent mille lieues carrées. Le calme ou les orages sont presque continuels sur cette côte de Guinée, et il y a des vaisseaux qui y ont été retenus trois mois sans pouvoir en sortir.

Lorsque les vents contraires arrivent à la fois dans le même endroit, comme à un centre, ils produisent ces tourbillons et ces tournoiements d’air par la contrariété de leur mouvement, comme les courants contraires produisent dans l’eau des gouffres ou des tournoiements : mais lorsque ces vents trouvent en opposition d’autres vents qui contrebalancent de loin leur action, alors ils tournent autour d’un grand espace dans lequel il règne un calme perpétuel ; et c’est ce qui forme les calmes dont nous parlons, et desquels il est souvent impossible de sortir. Ces endroits de la mer sont marqués sur les globes de Senex, aussi bien que les directions des différents vents qui règnent ordinairement dans toutes les mers. À la vérité, je serois porté à croire que la contrariété seule des vents ne pourroit pas produire cet effet, si la direction des côtes et la forme particulière du fond de la mer dans ces endroits n’y contribuoient pas ; j’imagine donc que les courants causés en effet par les vents, mais dirigés par la forme des côtes et des inégalités du fond de la mer, viennent tous aboutir dans ces endroits, et que leurs directions opposées et contraires forment les tornados en question dans une plaine environnée de tous côtés d’une chaîne de montagnes.

Les gouffres ne paroissent être autre chose que des tournoiements d’eau causés par l’action de deux ou de plusieurs courants opposés. L’Euripe, si fameux par la mort d’Aristote, absorbe et rejette alternativement les eaux sept fois en vingt-quatre heures : ce gouffre est près des côtes de la Grèce. Le Charybde, qui est près du détroit de Sicile, rejette et absorbe les eaux trois fois en vingt-quatre heures. Au reste, on n’est pas trop sûr du nombre de ces alternatives de mouvement dans ces gouffres. Le docteur Placentia, dans son traité qui a pour titre l’Egeo redivivo, dit que l’Euripe a des mouvements irréguliers pendant dix-huit ou dix-neuf jours de chaque mois, et des mouvements réguliers pendant onze jours ; qu’ordinairement il ne grossit que d’un pied, et rarement de deux pieds ; il dit aussi que les auteurs ne s’accordent pas sur le flux et le reflux de l’Euripe ; qu’il les uns disent qu’il se fait deux fois, d’autres sept, d’autres onze, d’autres douze, d’autres quatorze fois, en vingt-quatre heures ; mais que Loirius l’ayant examiné de suite pendant un jour entier, l’avoit observé à chaque six heures d’une manière évidente et avec un mouvement si violent, qu’à chaque fois il pouvoit faire tourner alternativement les roues d’un moulin.

Le plus grand gouffre que l’on connoisse est celui de la mer de Norwège ; on assure qu’il a plus de vingt lieues de circuit ; il absorbe pendant six heures tout ce qui est dans son voisinage, l’eau, les baleines, les vaisseaux, et rend ensuite pendant autant de temps tout ce qu’il a absorbé.

Il n’est pas nécessaire de supposer dans le fond de la mer des trous et des abîmes qui engloutissent continuellement les eaux, pour rendre raison de ces gouffres ; on sait que quand l’eau a deux directions contraires, la composition de ces mouvements produit un tournoiement circulaire, et semble former un vide dans le centre de ce mouvement, comme on peut l’observer dans plusieurs endroits auprès des piles qui soutiennent les arches des ponts, surtout dans les rivières rapides : il en est de même des gouffres de la mer, ils sont produits par le mouvement de deux ou plusieurs courants contraires ; et comme le flux ou le reflux sont la principale cause des courants, en sorte que pendant le flux ils sont dirigés d’un côté, et que pendant le reflux ils vont en sens contraire, il n’est pas étonnant que les gouffres qui résultent de ces courants attirent et engloutissent pendant quelques heures tout ce qui les environne, et qu’ils rejettent ensuite pendant tout autant de temps tout ce qu’ils ont absorbé.

Les gouffres ne sont donc que des tournoiements d’eau qui sont produits par des courants opposés, et les ouragans ne sont que des tourbillons ou tournoiements d’air produits par des vents contraires : ces ouragans sont communs dans la mer de la Chine et du Japon, dans celle des îles Antilles, et en plusieurs autres endroits de la mer, surtout auprès des terres avancées et des côtes élevées ; mais ils sont encore plus fréquents sur la terre, et les effets en sont quelquefois prodigieux. « J’ai vu, dit Bellarmin, je ne le croirois pas si je ne l’eusse pas vu, une fosse énorme creusée par le vent, et toute la terre de cette fosse emportée sur un village, en sorte que l’endroit d’où la terre avoit été enlevée paroissoit un trou épouvantable, et que le village fut entièrement enterré par cette terre transportée[58]. » On peut voir dans l’Histoire de l’Académie des Sciences et dans les Transactions philosophiques le détail des effets de plusieurs ouragans qui paroissent inconcevables, et qu’on auroit de la peine à croire, si les faits n’étoient attestés par un grand nombre de témoins oculaires, véridiques, et intelligents.

Il en est de même des trombes, que les navigateurs ne voient jamais sans crainte et sans admiration. Ces trombes sont fort fréquentes auprès de certaines côtes de la Méditerranée, surtout lorsque le ciel est fort couvert, et que le vent souffle en même temps de plusieurs côtés ; elles sont plus communes près des caps de Laodicée, de Grecgo, et de Carmel, que dans les autres parties de la Méditerranée. La plupart de ces trombes sont autant de cylindres d’eau qui tombent des nues, quoiqu’il semble quelquefois, surtout quand on est à quelque distance, que l’eau de la mer s’élève en haut.

Mais il faut distinguer deux espèces de trombes. La première, qui est la trombe dont nous venons de parler, n’est autre chose qu’une nuée épaisse, comprimée, resserrée, et réduite en un petit espace par des vents opposés et contraires, lesquels, soufflant en même temps de plusieurs côtés, donnent à la nuée la forme d’un tourbillon cylindrique, et font que l’eau tombe tout à la fois sous cette forme cylindrique ; la quantité d’eau est si grande et la chute en est si précipitée, que si malheureusement une de ces trombes tomboit sur un vaisseau, elle le briseroit et le submergeroit dans un instant. On prétend, et cela pourroit être fondé, qu’en tirant sur la trombe plusieurs coups de canons chargés à boulets, on la rompt, et que cette commotion de l’air la fait cesser assez promptement : cela revient à l’effet des cloches qu’on sonne pour écarter les nuages qui portent le tonnerre et la grêle.

L’autre espèce de trombe s’appelle typhon ; et plusieurs auteurs ont confondu le typhon avec l’ouragan, surtout en parlant des tempêtes de la mer de la Chine, qui est en effet sujette à tous deux : cependant ils ont des causes bien différentes. Le typhon ne descend pas des nuages comme la première espèce de trombe ; il n’est pas uniquement produit par le tournoiement des vents comme l’ouragan : il s’élève de la mer vers le ciel avec une grande violence ; et quoique ces typhons ressemblent aux tourbillons qui s’élèvent sur la terre en tournoyant, ils ont une autre origine. On voit souvent, lorsque les vents sont violents et contraires, les ouragans élever des tourbillons de sable, de terre, et souvent ils enlèvent et transportent dans ce tourbillon les maisons, les arbres, les animaux. Les typhons de mer, au contraire, restent dans la même place, et ils n’ont pas d’autre cause que celle des feux souterrains ; car la mer est alors dans une grande ébullition, et l’air est si fort rempli d’exhalaisons sulfureuses, que le ciel paroît caché d’une croûte couleur de cuivre, quoiqu’il n’y ait aucun nuage et qu’on puisse voir à travers ces vapeurs le soleil et les étoiles : c’est à ces feux souterrains qu’on peut attribuer la tiédeur de la mer de la Chine en hiver, où ces typhons sont très fréquents[59].

Nous allons donner quelques exemples de la manière dont ils se produisent. Voici ce que dit Thévenot dans son Voyage du Levant : « Nous vîmes des trombes dans le golfe Persique entre les îles Quésomo, Laréca, et Ormus. Je crois que peu de personnes ont considéré les trombes avec toute l’attention que j’ai faite dans la rencontre dont je viens de parler, et peut-être qu’on n’a jamais fait les remarques que le hasard m’a donné lieu de faire ; je les exposerai avec toute la simplicité dont je fais profession dans tout le récit de mon voyage, afin de rendre les choses plus sensibles et plus aisées à comprendre.

» La première qui parut à nos yeux étoit du côté du nord ou tramontane, entre nous et l’île Quésomo, à la portée d’un fusil du vaisseau ; nous avions alors la proue à grec levant ou nord-est. Nous aperçûmes d’abord en cet endroit l’eau qui bouillonnoit et étoit élevée de la surface de la mer d’environ un pied ; elle étoit blanchâtre, et au dessus paroissoit comme une fumée noire un peu épaisse, de manière que cela ressembloit proprement à un tas de paille où l’on auroit mis le feu, mais qui ne feroit encore que fumer : cela faisoit un bruit sourd, semblable à celui d’un torrent qui court avec beaucoup de violence dans un profond vallon ; mais ce bruit étoit mêlé d’un autre un peu plus clair, semblable à un fort sifflement de serpents ou d’oies. Un peu après nous vîmes comme un canal obscur qui avoit assez de ressemblance à une fumée qui va montant aux nues en tournant avec beaucoup de vitesse, et ce canal paroissoit gros comme le doigt, et le même bruit continuoit toujours. Ensuite la lumière nous en ôta la vue, et nous connûmes que cette trombe étoit finie, parce que nous vîmes que cette trombe ne s’élevoit plus, et ainsi la durée n’avoit pas été de plus d’un demi-quart d’heure. Celle-là finie, nous en vîmes une autre du côté du midi, qui commença de la même manière qu’avoit fait la précédente ; presque aussitôt il s’en fit une semblable à côté de celle-ci vers le couchant, et incontinent après une troisième à côté de cette seconde : la plus éloignée des trois pouvoit être à portée du mousquet loin de nous ; elles paroissoient toutes trois comme trois tas de paille hauts d’un pied et demi ou de deux, qui fumoient beaucoup, et faisoient même bruit que la première. Ensuite nous vîmes tout autant de canaux qui venoient depuis les nues sur ces endroits où l’eau étoit élevée, et chacun de ces canaux étoit large par le bout qui tenoit à la nue, comme le large bout d’une trompette, et faisoit la même figure (pour l’expliquer intelligiblement) que peut faire la mamelle ou la tette d’un animal tirée perpendiculairement par quelque poids. Ces canaux paroissoient blancs d’une blancheur blafarde, et je crois que c’étoit l’eau qui étoit dans ces canaux transparents qui les faisoit paroître blancs : car apparemment ils étoient déjà formés avant que de tirer l’eau, selon qu’on peut juger par ce qui suit : et lorsqu’ils étoient vides, ils ne paroissoient pas, de même qu’un canal de verre fort clair, exposé au jour devant nos yeux à quelque distance, ne paroît pas, s’il n’est rempli de liqueur teinte. Ces canaux n’étoient pas droits, mais courbés en quelques endroits ; même ils n’étoient pas perpendiculaires : au contraire, depuis les nues où ils paroissoient entés jusqu’aux endroits où ils tiroient l’eau, ils étoient fort inclinés ; et ce qui est de plus particulier, c’est que la nue où étoit attachée la seconde de ces trois ayant été chassée du vent, ce canal la suivit sans se rompre et sans quitter le lieu où il tiroit l’eau, et passant derrière le canal de la première, ils furent quelque temps croisés comme en sautoir, ou en croix de Saint-André. Au commencement ils étoient tous trois gros comme le doigt, si ce n’est auprès de la nue qu’ils étoient plus gros, comme j’ai déjà remarqué ; mais dans la suite celui de la première de ces trois se grossit considérablement : pour ce qui est des deux autres, je n’en ai autre chose à dire, car la dernière formée ne dura guère davantage qu’avoit duré celle que nous avions vue du côté du nord. La seconde du côté du midi dura environ un quart d’heure : mais la première de ce même côté dura un peu davantage, et ce fut celle qui nous donna le plus de crainte ; et c’est de celle-là qu’il me reste encore quelque chose à dire. D’abord son canal étoit gros comme le doigt ; ensuite il se fit gros comme le bras, et après comme la jambe, et enfin comme un gros tronc d’arbre, autant qu’un homme pourroit embrasser. Nous voyions distinctement au travers de ce corps transparent l’eau qui montoit en serpentant un peu, et quelquefois il diminuoit un peu de grosseur, tantôt par haut et tantôt par bas : pour lors il ressembloit justement à un boyau rempli de quelque matière fluide que l’on presseroit avec les doigts, ou par haut pour faire descendre cette liqueur, ou par bas pour la faire monter ; et je me persuadai que c’étoit la violence du vent qui faisoit ces changements, faisant monter l’eau fort vite lorsqu’il pressoit le canal par le bas, et la faisant descendre lorsqu’il le pressoit par le haut. Après cela il diminua tellement de grosseur, qu’il étoit plus menu que le bras, comme un boyau qu’on allonge en le tirant perpendiculairement ; ensuite il retourna gros comme la cuisse ; après il redevint fort menu : enfin je vis que l’eau élevée sur la superficie de la mer commençoit à s’abaisser, et le bout du canal qui lui touchoit, s’en sépara et s’étrécit, comme si on l’eût lié, et alors la lumière qui nous parut par le moyen d’un nuage qui se détourna, m’en ôta la vue. Je ne laissai pas de regarder encore quelque temps si je ne le reverrois point, parce que j’avois remarqué que par trois ou quatre fois le canal de la seconde de ce même côté du midi nous avoit paru se rompre par le milieu, et incontinent après nous le revoyions entier, et ce n’étoit que la lumière qui nous en cachoit la moitié : mais j’eus beau regarder avec toute l’attention possible, je ne revis plus celui-ci, et il ne se fit plus de trombe, etc.

» Ces trombes sont fort dangereuses sur mer ; car si elles viennent sur un vaisseau, elles se mêlent dans les voiles, en sorte que quelquefois elles l’enlèvent, et, le laissant ensuite retomber, elles le coulent à fond, et cela arrive particulièrement quand c’est un petit vaisseau ou une barque : tout au moins, si elles n’enlèvent pas un vaisseau, elles rompent toutes les voiles, ou bien laissent tomber dedans toute l’eau qu’elles tiennent ; ce qui le fait souvent couler à fond. Je ne doute point que ce ne soit par de semblables accidents que plusieurs des vaisseaux dont on n’a jamais eu de nouvelles, ont été perdus, puisqu’il n’y a que trop d’exemples de ceux que l’on a su de certitude avoir péri de cette manière. »

Je soupçonne qu’il y a plusieurs illusions d’optique dans les phénomènes que ce voyageur nous raconte ; mais j’ai été bien aise de rapporter les faits tels qu’il a cru les voir, afin qu’on puisse ou les vérifier, ou du moins les comparer avec ceux que rapportent les autres voyageurs. Voici la description qu’en donne Le Gentil dans son Voyage autour du monde : « À onze heures du matin, l’air étant chargé de nuages, nous vîmes autour de notre vaisseau, à un quart de lieue environ de distance, six trombes de mer qui se formèrent avec un bruit sourd, semblable à celui que fait l’eau en coulant dans des canaux souterrains ; ce bruit s’accrut peu à peu, et ressembloit au sifflement que font les cordages d’un vaisseau lorsqu’un vent impétueux s’y mêle. Nous remarquâmes d’abord l’eau qui bouillonnoit et qui s’élevoit au dessus de la surface de la mer d’environ un pied et demi ; il paroissoit au dessus de ce bouillonnement un brouillard, ou plutôt une fumée épaisse, d’une couleur pâle, et cette fumée formoit une espèce de canal qui montoit à la nue.

» Les canaux ou manches de ces trombes se plioient selon que le vent emportoit les nues auxquelles ils étoient attachés ; et malgré l’impulsion du vent, non seulement ils ne se détachoient pas, mais encore il sembloit qu’ils s’allongeassent pour les suivre, en s’étrécissant et se grossissant à mesure que le nuage s’élevoit ou se baissoit.

» Ces phénomènes nous causèrent beaucoup de frayeur, et nos matelots, au lieu de s’enhardir, fomentoient leur peur par les contes qu’ils débitoient. Si ces trombes, disoient-ils, viennent à tomber sur notre vaisseau, elle l’enlèveront, et, le laissant ensuite retomber, elles le submergeront. D’autres (et ceux-ci étoient les officiers) répondoient d’un ton décisif qu’elles n’enlèveroient pas le vaisseau, mais que venant à le rencontrer sur leur route, cet obstacle romproit la communication qu’elles avoient avec l’eau de la mer, et qu’étant pleines d’eau, toute l’eau qu’elles renfermeroient tomberoit perpendiculairement sur le tillac du vaisseau et le briseroit.

» Pour prévenir ce malheur, on amena les voiles et on chargea le canon, les gens de mer prétendant que le bruit du canon, agitant l’air, fait crever les trombes et les dissipe : mais nous n’eûmes pas besoin de recourir à ce remède ; quand elles eurent couru pendant dix minutes autour du vaisseau, les unes à un quart de lieue, les autres à une moindre distance, nous vîmes que les canaux s’étrécissoient peu à peu, qu’ils se détachèrent de la superficie de la mer, et qu’enfin ils se dissipèrent[60]. »

Il paroît par la description que ces deux voyageurs donnent des trombes, qu’elles sont produites, au moins en partie, par l’action d’un feu ou d’une fumée qui s’élève du fond de la mer avec une grande violence, et qu’elles sont fort différentes de l’autre espèce de trombe qui est produite par l’action des vents contraires, et par la compression forcée et la résolution subite d’un ou de plusieurs nuages, comme le décrit M. Shaw : « Les trombes, dit-il[61], que j’ai eu occasion de voir, m’ont paru autant de cylindres d’eau qui tomboient des nuées, quoique par la réflexion des colonnes qui descendent, ou par les gouttes qui se détachent de l’eau qu’elles contiennent et qui tombent, il semble quelquefois, surtout quand on en est à quelque distance, que l’eau s’élève de la mer en haut. Pour rendre raison de ce phénomène, on peut supposer que les nuées étant assemblées dans un même endroit par des vents opposés, ils les obligent, en les pressant avec violence, de se condenser et de descendre en tourbillons. »

Il reste beaucoup de faits à acquérir avant qu’on puisse donner une explication complète de ces phénomènes ; il me paroît seulement que s’il y a sous les eaux de la mer des terrains mêlés de soufre, de bitume et de minéraux, comme l’on n’en peut guère douter, on peut concevoir que ces matières venant à s’enflammer produisent une grande quantité d’air[62] comme en produit la poudre à canon ; que cette quantité d’air nouvellement généré et prodigieusement raréfié s’échappe et monte avec rapidité, ce qui doit élever l’eau et peut produire ces trombes qui s’élèvent de la mer vers le ciel : et de même si, par l’inflammation des matières sulfureuses que contient un nuage, il se forme un courant d’air qui descende perpendiculairement du nuage vers la mer, toutes les parties aqueuses que contient le nuage peuvent suivre le courant d’air et former une trombe qui tombe du ciel sur la mer. Mais il faut avouer que l’explication de cette espèce de trombe, non plus que celle que nous avons donnée par le tournoiement des eaux et la compression des nuages, ne satisfait pas encore à tout ; car on aura raison de nous demander pourquoi l’on ne voit pas plus souvent sur la terre, comme sur la mer, de ces espèces de trombes qui tombent perpendiculairement des nuages.

L’Histoire de l’Académie, année 1727, fait mention d’une trombe de terre qui parut à Capestan près de Béziers ; c’étoit une colonne assez noire qui descendoit d’une nue jusqu’à terre, et diminuoit toujours de largeur en approchant de la terre, où elle se terminoit en pointe ; elle obéissoit au vent qui souffloit de l’ouest au sud-ouest ; elle étoit accompagnée d’une espèce de fumée fort épaisse et d’un bruit pareil à celui d’une mer fort agitée, arrachant quantité de rejetons d’olivier, déracinant des arbres et jusqu’à un gros noyer qu’elle transporta jusqu’à quarante ou cinquante pas, et marquant son chemin par une large trace bien battue, où trois carrosses de front auroient passé. Il parut une autre colonne de la même figure, mais qui se joignit bientôt à la première ; et après que le tout eut disparu, il tomba une grande quantité de grêle.

Cette espèce de trombe paroît être encore différente des deux autres : il n’est pas dit qu’elle contînt de l’eau, et il semble, tant par ce que je viens d’en rapporter, que par l’explication qu’en a donnée M. Andoque, lorsqu’il a fait part de l’observation de ce phénomène à l’Académie, que cette trombe n’étoit qu’un tourbillon de vent épaissi et rendu visible par la poussière et les vapeurs condensées qu’il contenoit. Dans la même histoire, année 1741, est parlé d’une trombe vue sur le lac de Genève : c’étoit une colonne dont la partie supérieure aboutissoit à un nuage assez noir, et dont la partie inférieure, qui étoit plus étroite, se terminoit un peu au dessus de l’eau. Ce météore ne dura que quelques minutes ; et dans le moment qu’il se dissipa, on aperçut une vapeur épaisse qui montoit de l’endroit où il avoit paru, et là même les eaux du lac bouillonnoient et sembloient faire effort pour s’élever. L’air étoit fort calme pendant le temps que parut cette trombe ; et lorsqu’elle se dissipa, il ne s’ensuivit ni vent ni pluie. « Avec tout ce que nous savons déjà, dit l’historien de l’Académie, sur les trombes marines, ne seroit-ce pas une preuve de plus qu’elles ne se forment point par le seul conflit des vents, et qu’elles sont presque toujours produites par quelque éruption de vapeurs souterraines, ou même de volcans, dont on sait d’ailleurs que le fond de la mer n’est pas exempt ? Les tourbillons d’air et les ouragans qu’on croit communément être la cause de ces sortes de phénomènes, pourroient donc bien n’en être que l’effet ou une suite accidentelle. »

Sur la violence des vents du midi dans quelques contrées septentrionales.

* Les voyageurs russes ont observé qu’à l’entrée du territoire de Milim, il y a sur le bord de la Lena, à gauche, une grande plaine entièrement couverte d’arbres renversés, et que tous ces arbres sont couchés du sud au nord en ligne droite, sur une étendue de plusieurs lieues ; en sorte que tout ce district, autrefois couvert d’une épaisse forêt, est aujourd’hui jonché d’arbres dans cette même direction du sud au nord. Cet effet des vents méridionaux dans le nord a aussi été remarqué ailleurs. Dans le Groenland, principalement en automne, il règne des vents si impétueux, que les maisons s’en ébranlent et se fendent ; les tentes et les bateaux en sont emportés dans les airs. Les Groenlandois assurent même que quand ils veulent sortir pour mettre leurs canots à l’abri, ils sont obligés de ramper sur le ventre, de peur d’être le jouet des vents. En été, on voit s’élever de semblables tourbillons, qui bouleversent les flots de la mer, et font pirouetter les bateaux. Les plus fières tempêtes viennent du sud, tournent au nord et s’y calment : c’est alors que la glace des baies est enlevée de son lit, et se disperse sur la mer en monceaux. (Add. Buff.)

Sur les trombes.

* M. de La Nux, que j’ai déjà eu occasion de citer plusieurs fois dans mon ouvrage, et qui a demeuré plus de quarante ans dans l’île de Bourbon, s’est trouvé à portée de voir un grand nombre de trombes, sur lesquelles il a bien voulu me communiquer ses observations, que je crois devoir donner ici par extrait.

Les trombes que cet observateur a vues, se sont formées, 1o dans des jours calmes et des intervalles de passage du vent de la partie du nord à celle du sud, quoiqu’il en ait vu une qui s’est formée avant ce passage du vent à l’autre, et dans le courant même d’un vent de nord, c’est-à-dire assez long-temps avant que ce vent eût cessé ; le nuage duquel cette trombe dépendoit, et auquel elle tenoit, étoit encore violemment poussé ; le soleil se montroit en même temps derrière lui, eu égard à la direction du vent : c’étoit le 6 janvier, vers les onze heures du matin.

2o Ces trombes se sont formées pendant le jour, dans des nuées détachées, fort épaisses en apparence, bien plus étendues que profondes, et bien terminées par dessous parallèlement à l’horizon, le dessous de ces nuées paroissant toujours fort noir.

3o Toutes ces trombes se sont montrées d’abord sous la forme de cônes renversés, dont les bases étoient plus ou moins larges.

4o De ces différentes trombes qui s’annonçoient par ces cônes renversés, et qui quelquefois tenoient au même nuage, quelques unes n’ont pas eu leur entier effet : les unes se sont dissipées à une petite distance du nuage ; les autres sont descendues vers la surface de la mer, et en apparence fort près, sous la forme d’un long cône aplati, très étroit, et pointu par le bas. Dans le centre de ce cône, et sur toute sa longueur, régnoit un canal blanchâtre, transparent, et d’un tiers environ du diamètre du cône, dont les deux côtés étoient fort noirs, surtout dans le commencement de leur apparence.

Elles ont été observées d’un point de l’île de Bourbon élevé de cent cinquante toises au dessus du niveau de la mer, et elles étoient, pour la plupart, à trois, quatre, ou cinq lieues de distance de l’endroit de l’observation, qui étoit la maison même de l’observateur.

Voici la description détaillée de ces trombes.

Quand le bout de la manche, qui pour lors est fort pointu, est descendu environ au quart de la distance du nuage à la mer, on commence à voir sur l’eau, qui d’ordinaire est calme et d’un blanc transparent, une petite noirceur circulaire, effet du frémissement (ou tournoiement) de l’eau : à mesure que la pointe de cette manche descend, l’eau bouillonne, et d’autant plus que cette pointe approche de plus près la surface de la mer, et l’eau de la mer s’élève successivement en tourbillon, à plus ou moins de hauteur, et d’environ vingt pieds dans les plus grosses trombes. Le bout de la manche est toujours au dessus du tourbillon, dont la grosseur est proportionnée à celle de la trombe qui le fait mouvoir. Il ne paroît pas que le bout de la manche atteigne jusqu’à la surface de la mer, autrement qu’en se joignant au tourbillon qui s’élève.

On voit quelquefois sortir du même nuage de gros et de petits cônes de trombes ; il y en a qui ne paroissent que comme des filets, d’autres un peu plus forts. Du même nuage on voit sortir assez souvent dix ou douze petites trombes toutes complètes, dont la plupart se dissipent très près de leur sortie, et remontent visiblement à leur nuage : dans ce dernier cas, la manche s’élargit tout à coup jusqu’à l’extrémité inférieure, et ne paroît plus qu’un cylindre suspendu au nuage, déchiré par en bas, et de peu de longueur.

Les trombes à large base, c’est-à-dire les grosses trombes, s’élargissent insensiblement dans toute leur longueur et par le bas qui paroît s’éloigner de la mer et se rapprocher de la nue. Le tourbillon qu’elles excitent sur l’eau diminue peu à peu, et bientôt la manche de cette trombe s’élargit dans sa partie inférieure et prend une forme presque cylindrique : c’est dans cet état que des deux côtés élargis du canal on voit comme de l’eau entrer en tournoyant vivement et abondamment dans le nuage ; et c’est enfin par le raccourcissement successif de cette espèce de cylindre que finit l’apparence de la trombe.

Les plus grosses trombes se dissipent le moins vite, quelques unes des plus grosses durent plus d’une demi-heure.

On voit assez ordinairement tomber de fortes ondées, qui sortent du même endroit du nuage d’où sont sorties et auxquelles tiennent encore quelquefois les trombes : ces ondées cachent souvent aux yeux celles qui ne sont pas encore dissipées. J’en ai vu, dit M. de La Nux, deux le 26 octobre 1755, très distinctement, au milieu d’une ondée qui devint si forte, qu’elle m’en déroba la vue.

Le vent, ou l’agitation de l’air inférieur sous la nuée, ne rompt ni les grosses ni les petites trombes ; seulement cette impulsion les détourne de la perpendiculaire : les plus petites forment des courbes très remarquables, et quelquefois des sinuosités ; en sorte que leur extrémité qui aboutissoit à l’eau de la mer, étoit fort éloignée de l’aplomb de l’autre extrémité qui étoit dans le nuage.

On ne voit plus de nouvelles trombes se former lorsqu’il est tombé de la pluie des nuages d’où elles partent.

« Le 14 juin de l’année 1756, sur les quatre heures après midi, j’étois, dit M. de La Nux, au bord de la mer, élevé de vingt à vingt-cinq pieds au dessus de son niveau. Je vis sortir d’un même nuage douze à quatorze trombes complètes, dont trois seulement considérables, et surtout la dernière. Le canal du milieu de la manche étoit si transparent, qu’à travers je voyois les nuages que derrière elle, à mon égard, le soleil éclairoit. Le nuage, magasin de tant de trombes, s’étendoit à peu près du sud-est au nord-ouest, et cette grosse trombe, dont il s’agit uniquement ici, me restoit vers le sud-sud-ouest : le soleil étoit déjà fort bas, puisque nous étions dans les jours les plus courts. Je ne vis point d’ondées tomber du nuage : son élévation pouvoit être de cinq ou six cents toises au plus. »

Plus le ciel est chargé de nuages, et plus il est aisé d’observer les trombes et toutes les apparences qui les accompagnent.

M. de La Nux pense, peut-être avec raison, que ces trombes ne sont que des portions visqueuses du nuage, qui sont entraînées par différents tourbillons, c’est-à-dire par des tournoiements de l’air supérieur engouffré dans les masses des nuées dont le nuage total est composé.

Ce qui paroît prouver que ces trombes sont composées de parties visqueuses, c’est leur ténacité, et, pour ainsi dire, leur cohérence ; car elles font des inflexions et des courbures, même en sens contraire, sans se rompre : si cette matière des trombes n’étoit pas visqueuse, pourroit-on concevoir comment elles se courbent et obéissent aux vents, sans se rompre ? Si toutes les parties n’étoient pas fortement adhérentes entre elles, le vent les dissiperoit, ou tout au moins les feroit changer de forme ; mais comme cette forme est constante dans les trombes grandes et petites, c’est un indice presque certain de la ténacité visqueuse de la matière qui les compose.

Ainsi le fond de la matière des trombes est une substance visqueuse contenue dans les nuages, et chaque trombe est formée par un tourbillon d’air qui s’engouffre entre les nuages, et boursoufflant le nuage inférieur, le perce et descend avec son enveloppe de matière visqueuse ; et comme les trombes qui sont complètes descendent depuis le nuage jusque sur la surface de la mer, l’eau frémira, bouillonnera, tourbillonnera à l’endroit vers lequel le bout de la trombe sera dirigé par l’effet de l’air qui sort de l’extrémité de la trombe comme du tuyau d’un soufflet : les effets de ce soufflet sur la mer augmenteront à mesure qu’il s’en approchera, et que l’orifice de cette espèce de tuyau, s’il vient à s’élargir, laissera sortir plus d’air.

On a cru mal à propos que les trombes enlevoient l’eau de la mer, et qu’elles en renfermoient une grande quantité : ce qui a fortifié ce préjugé, ce sont les pluies, ou plutôt les averses qui tombent souvent aux environs des trombes. Le canal du milieu de toutes les trombes est toujours transparent, de quelque côté qu’on les regarde : si l’eau de la mer paroît monter, ce n’est pas dans ce canal, mais seulement dans ses côtés ; presque toutes les trombes souffrent des inflexions, et ces inflexions se font souvent en sens contraire, en forme d’S, dont la tête est au nuage et la queue à la mer. Les espèces de trombes dont nous venons de parler ne peuvent donc contenir de l’eau, ni pour la verser à la mer, ni pour la monter au nuage : ainsi ces trombes ne sont à craindre que par l’impétuosité de l’air qui sort de leur orifice inférieur ; car il paroîtra certain à tous ceux qui auront occasion d’observer ces trombes, qu’elles ne sont composées que d’un air engouffré dans un nuage visqueux, et déterminé par son tournoiement vers la surface de la mer.

M. de La Nux a vu des trombes autour de l’île de Bourbon dans les mois de janvier, mai, juin, octobre, c’est-à-dire en toutes saisons ; il en a vu dans des temps calmes et pendant de grands vents : mais néanmoins on peut dire que ces phénomènes ne se montrent que rarement, et ne se montrent guère que sur la mer, parce que la viscosité des nuages ne peut provenir que des parties bitumineuses et grasses que la chaleur du soleil et les vents enlèvent à la surface des eaux de la mer, et qui se trouvent rassemblées dans des nuages assez voisins de sa surface ; c’est par cette raison qu’on ne voit pas de pareilles trombes sur la terre, où il n’y a pas, comme sur la surface de la mer, une abondante quantité de parties bitumineuses et huileuses que l’action de la chaleur pourroit en détacher. On en voit cependant quelquefois sur la terre, et même à de grandes distances de la mer ; ce qui peut arriver lorsque les nuages visqueux sont poussés rapidement par un vent violent de la mer vers les terres. M. de Grignon a vu au mois de juin 1768, en Lorraine, près de Vauvillier, dans les coteaux qui sont une suite de l’empiètement des Vosges, une trombe très bien formée ; elle avoit environ cinquante toises de hauteur ; sa forme étoit celle d’une colonne, et elle communiquoit à un gros nuage fort épais, et poussé par un ou plusieurs vents violents, qui faisoient tourner rapidement la trombe, et produisoient des éclairs et des coups de tonnerre. Cette trombe ne dura que sept ou huit minutes, et vint se briser sur la base du coteau, qui est élevé de cinq ou six cents pieds[63].

Plusieurs voyageurs ont parlé des trombes de mer, mais personne ne les a si bien observées que M. de La Nux. Par exemple, ces voyageurs disent qu’il s’élève au dessus de la mer une fumée noire, lorsqu’il se forme quelques trombes ; nous pouvons assurer que cette apparence est trompeuse, et ne dépend que de la situation de l’observateur : s’il est placé dans un lieu assez élevé pour que le tourbillon qu’une trombe excite sur l’eau ne surpasse pas à ses yeux l’horizon sensible, il ne verra que de l’eau s’élever et retomber en pluie, sans aucun mélange de fumée, et on le reconnoîtra avec la dernière évidence, si le soleil éclaire le lieu du phénomène.

Les trombes dont nous venons de parler n’ont rien de commun avec les bouillonnements et les fumées que les feux sous-marins excitent quelquefois, et dont nous avons fait mention ailleurs ; ces trombes ne renferment ni n’excitent aucune fumée. Elles sont assez rares partout : seulement les lieux de la mer où l’on en voit le plus souvent sont les plages des climats chauds, et en même temps celles où les calmes sont ordinaires et où les vents sont le plus inconstants ; elles sont peut-être aussi plus fréquentes près les îles et vers les côtes que dans la pleine mer. (Add. Buff.)

ARTICLE XVI.

Des volcans et des tremblements de terre.


Les montagnes ardentes qu’on appelle volcans renferment dans leur sein le soufre, le bitume, et les matières qui servent d’aliment à un feu souterrain, dont l’effet, plus violent que celui de la poudre ou du tonnerre, a de tout temps étonné, effrayé les hommes, et désolé la terre. Un volcan est un canon d’un volume immense, dont l’ouverture a souvent plus d’une demi-lieue : cette large bouche à feu vomit des torrents de fumée et de flammes, des fleuves de bitume, de soufre, et de métal fondu, des nuées de cendres et de pierres, et quelquefois elle lance à plusieurs lieues de distance des masses de rochers énormes, et que toutes les forces humaines réunies ne pourroient pas mettre en mouvement. L’embrasement est si terrible, et la quantité des matières ardentes, fondues, calcinées, vitrifiées, que la montagne rejette, est si abondante, qu’elles enterrent les villes, les forêts, couvrent les campagnes de cent et de deux cents pieds d’épaisseur, et forment quelquefois des collines et des montagnes qui ne sont que des monceaux de ces matières entassées. L’action de ce feu est si grande, la force de l’explosion est si violente, qu’elle produit par sa réaction des secousses assez fortes pour ébranler et faire trembler la terre, agiter la mer, renverser les montagnes, détruire les villes et les édifices les plus solides, à des distances même très considérables.

Ces effets, quoique naturels, ont été regardés comme des prodiges ; et quoiqu’on voie en petit des effets du feu assez semblables à ceux des volcans, le grand, de quelque nature qu’il soit, a si fort le droit de nous étonner, que je ne suis pas surpris que quelques auteurs aient pris ces montagnes pour les soupiraux d’un feu central, et le peuple pour les bouches de l’enfer. L’étonnement produit la crainte, et la crainte fait naître la superstition : les habitants de l’île d’Islande croient que les mugissements de leur volcan sont les cris des damnés, et que leurs éruptions sont les effets de la fureur et du désespoir de ces malheureux.

Tout cela n’est cependant que du bruit, du feu, et de la fumée : il se trouve dans une montagne des veines de soufre, de bitume, et d’autres matières inflammables ; il s’y trouve en même temps des minéraux, des pyrites, qui peuvent fermenter, et qui fermentent en effet toutes les fois qu’elles sont exposées à l’air ou à l’humidité ; il s’en trouve ensemble une très grande quantité ; le feu s’y met et cause une explosion proportionnée à la quantité des matières enflammées, et dont les effets sont aussi plus ou moins grands dans la même proportion : voilà ce que c’est qu’un volcan pour un physicien, et il lui est facile d’imiter l’action de ces feux souterrains, en mêlant ensemble une certaine quantité de soufre et de limaille de fer qu’on enterre à une certaine profondeur, et de faire ainsi un petit volcan dont les effets sont les mêmes, proportion gardée, que ceux des grands ; car il s’enflamme par la seule fermentation, il jette la terre et les pierres dont il est couvert, et il fait de la fumée, de la flamme et des explosions.

Il y a en Europe trois fameux volcans, le mont Etna en Sicile, le mont Hécla en Islande, et le mont Vésuve en Italie près de Naples. Le mont Etna brûle depuis un temps immémorial ; ses éruptions sont très violentes, et les matières qu’il rejette si abondantes, qu’on peut y creuser jusqu’à soixante-huit pieds de profondeur, où l’on a trouvé des pavés de marbre et des vestiges d’une ancienne ville qui a été couverte et enterrée sous cette épaisseur de terre rejetée, de la même façon que la ville d’Héraclée a été couverte par les matières rejetées du Vésuve. Il s’est formé de nouvelles bouches de feu dans l’Etna en 1650, 1669, et en d’autres temps. On voit les flammes et les fumées de ce volcan depuis Malte, qui en est à soixante lieues : il s’en élève continuellement de la fumée, et il y a des temps où cette montagne ardente vomit avec impétuosité des flammes et des matières de toute espèce. En 1537, il y eut une éruption de ce volcan qui causa un tremblement de terre dans toute la Sicile pendant douze jours, et qui renversa un très grand nombre de maisons et d’édifices ; il ne cessa que par l’ouverture d’une nouvelle bouche à feu, qui brûla tout à cinq lieues aux environs de la montagne ; les cendres rejetées par le volcan étoient si abondantes et lancées avec tant de force, qu’elles furent portées jusqu’en Italie, et des vaisseaux qui étoient éloignés de la Sicile en furent incommodés. Fazelli décrit fort au long les embrasements de cette montagne, dont il dit que le pied a cent lieues de circuit.

Ce volcan a maintenant deux bouches principales : l’une est plus étroite que l’autre. Ces deux ouvertures fument toujours, mais on n’y voit jamais de feu que dans le temps des éruptions : on prétend qu’on a trouvé des pierres qu’il a lancées jusqu’à soixante mille pas.

En 1683, il arriva un terrible tremblement en Sicile, causé par un violente éruption de ce volcan ; il détruisit entièrement la ville de Catane, et fit périr plus de soixante mille personnes dans cette ville seule, sans compter ceux qui périrent dans les autres villes et villages voisins.

L’Hécla lance ses feux à travers les glaces et les neiges d’une terre gelée ; ses éruptions sont cependant aussi violentes que celles de l’Etna et des autres volcans des pays méridionaux. Il jette beaucoup de cendres, des pierres ponces, et quelquefois, dit-on, de l’eau bouillante ; on ne peut pas habiter à six lieues de distance de ce volcan, et toute l’île d’Islande est fort abondante en soufre. On peut voir l’histoire des violentes éruptions de l’Hécla dans Dithmar Bleffken.

Le mont Vésuve, à ce que disent les historiens, n’a pas toujours brûlé, et il n’a commencé que du temps du septième consulat de Tite Vespasien et de Flavius Domitien : le sommet s’étant ouvert, ce volcan rejeta d’abord des pierres et des rochers, et ensuite du feu et des flammes en si grande abondance, qu’elles brûlèrent deux villes voisines, et des fumées si épaisses qu’elles obscurcissoient la lumière du soleil. Pline, voulant examiner cet incendie de trop près, fut étouffé par la fumée[64]. Dion Cassius rapporte que cette éruption du Vésuve fut si violente, qu’il jeta des cendres et des fumées sulfureuses en si grande quantité et avec tant de force, qu’elles furent portées jusqu’à Rome, et même au delà de la mer Méditerranée en Afrique et en Égypte. L’une des deux villes qui fut couverte des matières rejetées par ce premier incendie du Vésuve, est celle d’Héraclée, qu’on a retrouvée dans ces derniers temps à plus de soixante pieds de profondeur sous ces matières, dont la surface étoit devenue, par la succession du temps, une terre labourable et cultivée. La relation de la découverte d’Héraclée est entre les mains de tout le monde : il seroit seulement à désirer que quelqu’un versé dans l’histoire naturelle et la physique, prit la peine d’examiner les différentes matières qui composent cette épaisseur de terrain de soixante pieds ; qu’il fît en même temps attention à la disposition et à la situation de ces mêmes matières, aux altérations qu’elles ont produites ou souffertes elles-mêmes, à la direction qu’elles ont suivie, à la dureté qu’elles ont acquise, etc.

Il y a apparence que Naples est situé sur un terrain creux et rempli de minéraux brûlants, puisque le Vésuve et la Solfatare semblent avoir des communications intérieures ; car quand le Vésuve brûle, la Solfatare jette des flammes ; et lorsqu’il cesse, la Solfatare cesse aussi. La ville de Naples est à peu près à égale distance entre les deux.

Une des dernières et des plus violentes éruptions du Vésuve a été celle de l’année 1737 ; la montagne vomissoit par plusieurs bouches de gros torrents de matières métalliques fondues et ardentes, qui se répandoient dans la campagne et s’alloient jeter dans la mer. M de Montealègre, qui communiqua cette relation à l’Académie des Sciences, observa avec horreur un de ces fleuves de feu, et vit que son cours étoit de six ou sept milles depuis sa source jusqu’à la mer, sa largeur de cinquante ou soixante pas, sa profondeur de vingt-cinq ou trente palmes, et, dans certains fonds ou vallées, de cent vingt ; la matière qu’il rouloit étoit semblable à l’écume qui sort du fourneau d’une forge, etc.[65].

En Asie, surtout dans les îles de l’Océan Indien, il y a un grand nombre de volcans ; l’un des plus fameux est le mont Albours auprès du mont Taurus, à huit lieues de Hérat : son sommet fume continuellement, et il jette fréquemment des flammes et d’autres matières en si grande abondance, que toute la campagne aux environs est couverte de cendres. Dans l’île de Ternate il y a un volcan qui rejette beaucoup de matière semblable à la pierre ponce. Quelques voyageurs prétendent que ce volcan est plus enflammé et plus furieux dans le temps des équinoxes que dans les autres saisons de l’année, parce qu’il règne alors de certains vents qui contribuent à embraser la matière qui nourrit ce feu depuis tant d’années. L’île de Ternate n’a que sept lieues de tour, et n’est qu’un sommet de montagne ; on monte toujours depuis le rivage jusqu’au milieu de l’île, où le volcan s’élève à une hauteur très considérable et à laquelle il est très difficile de parvenir. Il coule plusieurs ruisseaux d’eau douce qui descendent sur la croupe de cette même montagne ; et lorsque l’air est calme et que la saison est douce, ce gouffre embrasé est dans une moindre agitation que quand il fait de grands vents et des orages. Ceci confirme ce que j’ai dit dans le discours précédent, et semble prouver évidemment que le feu qui consume les volcans ne vient pas de la profondeur de la montagne, mais du sommet, ou du moins d’une profondeur assez petite, et que le foyer de l’embrasement n’est pas éloigné du sommet du volcan ; car si cela n’étoit pas ainsi, les grands vents ne pourroient pas contribuer à leur embrasement. Il y a quelques autres volcans dans les Moluques. Dans l’une des îles Maurices, à soixante-dix lieues des Moluques, il y a un volcan dont les effets sont aussi violents que ceux de la montagne de Ternate. L’île de Sorca, l’une des Moluques, étoit autrefois habitée ; il y avoit au milieu de cette île un volcan, qui étoit une montagne très élevée. En 1693, ce volcan vomit du bitume et des matières enflammées en si grande quantité, qu’il se forma un lac ardent qui s’étendit peu à peu, et toute l’île fut abîmée et disparut. Au Japon, il y a aussi plusieurs volcans, et dans les îles voisines du Japon les navigateurs ont remarqué plusieurs montagnes dont les sommets jettent des flammes pendant la nuit et de la fumée pendant le jour. Aux îles Philippines il y a aussi plusieurs montagnes ardentes. Un des plus fameux volcans des îles de l’Océan Indien, et en même temps un des plus nouveaux, est celui qui est près de la ville de Panarucan dans l’île de Java : il s’est ouvert en 1586 ; on n’avoit pas mémoire qu’il eût brûlé auparavant ; et à la première éruption il poussa une énorme quantité de soufre, de bitume et de pierres. La même année, le mont Gounapi dans l’île de Banda, qui brûloit seulement depuis dix-sept ans, s’ouvrit et vomit avec un bruit affreux des rochers et des matières de toute espèce. Il y a encore quelques autres volcans dans les Indes, comme à Sumatra et dans le nord de l’Asie, au delà du fleuve Jénisca et de la rivière de Pésida : mais ces deux derniers volcans ne sont pas bien reconnus.

En Afrique il y a une montagne, ou plutôt une caverne appelée Beniguazeval, auprès de Fez, qui jette toujours de la fumée, et quelquefois des flammes. L’une des îles du cap Vert, appelée l’ile de Fuogue, n’est qu’une grosse montagne qui brûle continuellement : ce volcan rejette, comme les autres, beaucoup de cendres et de pierres ; et les Portugais, qui ont plusieurs fois tenté de faire des habitations dans cette île, ont été contraints d’abandonner leur projet par la crainte des effets du volcan. Aux Canaries, le pic de Ténériffe, autrement appelé la montagne de Teide, qui passe pour être l’une des plus hautes montagnes de la terre, jette du feu, des cendres et de grosses pierres : du sommet coulent des ruisseaux de soufre fondu du côté du sud à travers les neiges ; ce soufre se coagule bientôt, et forme des veines dans la neige, qu’on peut distinguer de fort loin.

En Amérique il y a un très grand nombre de volcans, et surtout dans les montagnes du Pérou, et du Mexique : celui d’Aréquipa est un des plus fameux ; il cause souvent des tremblements de terre plus communs dans le Pérou que dans aucun autre pays du monde. Le volcan de Carrapa et celui de Malahallo sont, au rapport des voyageurs, les plus considérables après celui d’Aréquipa ; mais il y en a beaucoup d’autres dont on n’a pas une connoissance exacte. M. Bouguer, dans la relation qu’il a donnée de son voyage au Pérou, dans le volume des Mémoires de l’Académie de l’année 1744, fait mention de deux volcans, l’un appelé Cotopaxi, et l’autre Pichincha ; le premier est à quelque distance et l’autre est très voisin de la ville de Quito : il a même été témoin d’un incendie de Cotopaxi en 1742, et de l’ouverture qui se fit dans cette montagne d’une nouvelle bouche à feu ; cette éruption ne fit cependant d’autre mal que celui de fondre les neiges de la montagne et de produire ainsi des torrents d’eau si abondants, qu’en moins de trois heures ils inondèrent un pays de dix-huit lieues d’étendue, et renversèrent tout ce qui se trouva sur leur passage.

Au Mexique il y a plusieurs volcans dont les plus considérables sont Popochampèche et Popocatepec : ce fut auprès de ce dernier volcan que Cortez passa pour aller au Mexique, et il y eut des Espagnols qui montèrent jusqu’au sommet, où ils virent la bouche du volcan qui a environ une demi-lieue de tour. On trouve aussi de ces montagnes de soufre à la Guadeloupe, à Tercère et dans les autres îles des Açores ; et si on vouloit mettre au nombre des volcans toutes les montagnes qui fument ou desquelles il s’élève même des flammes, on pourroit en compter plus de soixante : mais nous n’avons parlé que de ces volcans redoutables auprès desquels on n’ose habiter, et qui rejettent des pierres et des matières minérales à une grande distance.

Ces volcans, qui sont en si grand nombre dans les Cordilières, causent, comme je l’ai dit, des tremblements de terre presque continuels, ce qui empêche qu’on y bâtisse avec de la pierre au dessus du premier étage ; et pour ne pas risquer d’être écrasés, les habitants de ces parties du Pérou ne construisent les étages supérieurs de leurs maisons qu’avec des roseaux et du bois léger. Il y a aussi dans ces montagnes plusieurs précipices et de larges ouvertures dont les parois sont noires et brûlées, comme dans le précipice du mont Ararath en Arménie, qu’on appelle l’Abîme ; ces abîmes sont les bouches des anciens volcans qui se sont éteints.

Il y a eu dernièrement un tremblement de terre à Lima dont les effets ont été terribles ; la ville de Lima et le port de Callao ont été presque entièrement abîmés, mais le mal a encore été plus considérable au Callao. La mer a couvert de ses eaux tous les édifices, et par conséquent noyé tous les habitants ; il n’est resté qu’une tour. De vingt-cinq vaisseaux qu’il y avoit dans ce port, il y en a eu quatre qui ont été portés à une lieue dans les terres, et le reste a été englouti par la mer. À Lima, qui est une très grande ville, il n’est resté que vingt-sept maisons sur pied ; il y a eu un grand nombre de personnes qui ont été écrasées, surtout des moines et des religieuses, parce que leurs édifices sont plus exhaussés, et qu’ils sont construits de matières plus solides que les autres maisons. Ce malheur est arrivé dans le mois d’octobre 1746 pendant la nuit : la secousse a duré quinze minutes.

Il y avoit autrefois près du port de Pisco au Pérou, une ville célèbre située sur le rivage de la mer : mais elle fut presque entièrement ruinée et désolée par le tremblement de terre qui arriva le 19 octobre 1682 ; car la mer, ayant quitté ses bornes ordinaires, engloutit cette ville malheureuse, qu’on a tâché de rétablir un peu plus loin à un bon quart de lieue de la mer.

Si l’on consulte les historiens et les voyageurs, on y trouvera des relations de plusieurs tremblements de terre et d’éruptions de volcans, dont les effets ont été aussi terribles que ceux que nous venons de rapporter. Posidonius, cité par Strabon dans son premier livre, rapporte qu’il y avoit une ville en Phénicie, située auprès de Sidon, qui fut engloutie par un tremblement de terre, et avec elle le territoire voisin et les deux tiers même de la ville de Sidon, et que cet effet ne se fit pas subitement, de sorte qu’il donna le temps à la plupart des habitants de fuir ; que ce tremblement s’étendit presque par toute la Syrie et jusqu’aux îles Cyclades, et en Eubée, où les fontaines d’Aréthuse tarirent tout à coup et ne reparurent que plusieurs jours après par de nouvelles sources éloignées des anciennes ; et ce tremblement ne cessa pas d’agiter l’île, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, jusqu’à ce que la terre se fût ouverte dans la campagne de Lépante et qu’elle eût rejeté une grande quantité de terre et de matières enflammées. Pline, dans son premier livre, chap. 84, rapporte que sous le règne de Tibère il arriva un tremblement de terre qui renversa douze villes d’Asie ; et dans son second livre, chapitre 85, il fait mention dans les termes suivants d’un prodige causé par un tremblement de terre : « Factum est semel (quod equidem in Etruscæ disciplinæ voluminibus inveni) ingens terrarum portentum, Lucio Marcio, Sex. Julio coss. in agro Mutinensi. Namque montes duo inter se concurrerunt, crepitu maximo adsultantes, recendentesque, inter eos flammâ fumoque in cœlum exeunte interdiù, spectante è viâ Æmiliâ magnâ equitum Romanorum, familiarumque et viatorum multitudine. Eo concursu villæ omnes elisæ ; animalia permulta, quæ intrâ fuerant, exanimata sunt, etc. » Saint Augustin (de Miraculis, lib. ii, cap. 3) dit que par un très grand tremblement de terre, il y eut cent villes renversées dans la Libye. Du temps de Trajan, la ville d’Antioche et une grande partie du pays adjacent furent abîmés par un tremblement de terre ; et du temps de Justinien, en 528, cette ville fut une seconde fois détruite par la même cause avec plus de quarante mille de ses habitants ; et soixante ans après, du temps de saint Grégoire, elle essuya un troisième tremblement avec perte de soixante mille de ses habitants. Du temps de Saladin, en 1182, la plupart des villes de Syrie et du royaume de Jérusalem furent détruites par la même cause. Dans la Pouille et dans la Calabre il est arrivé plus de tremblements de terre qu’en aucune autre partie de l’Europe : du temps du pape Pie II, toutes les églises et les palais de Naples furent renversés ; il y eut près de trente mille personnes de tuées, et tous les habitants qui restèrent furent obligés de demeurer sous des tentes jusqu’à ce qu’ils eussent rétabli leurs maisons. En 1629, il y eut des tremblements de terre dans la Pouille, qui firent périr sept mille personnes ; et en 1638, la ville de Sainte-Euphémie fut engloutie, et il n’est resté en sa place qu’un lac de fort mauvaise odeur ; Raguse et Smyrne furent aussi presque entièrement détruites. Il y eut en 1692 un tremblement de terre qui s’étendit en Angleterre, en Hollande, en Flandre, en Allemagne, en France, et qui se fit sentir principalement sur les côtes de la mer et auprès des grandes rivières ; il ébranla au moins deux mille six cents lieues carrées ; il ne dura que deux minutes : le mouvement étoit plus considérable dans les montagnes que dans les vallées. En 1688, le 10 de juillet, il y eut un tremblement de terre à Smyrne qui commença par un mouvement d’occident en orient. Le château fut renversé d’abord, ses quatre murs s’étant entr’ouverts et enfoncés de six pieds dans la mer. Ce château, qui étoit un isthme, est à présent une véritable île éloignée de la terre d’environ cent pas, dans l’endroit où la langue de terre a manqué : les murs qui étoient du couchant au levant sont tombés ; ceux qui alloient du nord au sud sont restés sur pied. La ville, qui est à dix milles du château, fut renversée presque aussitôt ; ont vit en plusieurs endroits des ouvertures à la terre, on entendit divers bruits souterrains : il y eut de cette manière cinq ou six secousses jusqu’à la nuit ; la première dura environ une demi-minute : les vaisseaux qui étoient à la rade furent agités, le terrain de la ville abaissé de deux pieds ; il n’est resté qu’environ le quart de la ville, et principalement les maisons qui étoient sur des rochers : on a compté quinze ou vingt mille personnes accablées par ce tremblement de terre. En 1695, dans un tremblement de terre qui se fit sentir à Bologne en Italie, on remarqua, comme une chose particulière, que les eaux devinrent troubles un jour auparavant.

« Il se fit un si grand tremblement de terre à Tercère, le 4 mai 1614, qu’il renversa en la ville d’Angra onze églises et neuf chapelles, sans les maisons particulières ; et en la ville de Praya il fut si effroyable, qu’il n’y demeura presque pas une maison debout ; et le 16 juin 1628, il y eut un si horrible tremblement dans l’île de Saint-Michel, que proche de là la mer s’ouvrit et fit sortir de son sein, en un lieu où il y avoit plus de cent cinquante toises d’eau, une île qui avoit plus d’une lieue et demie de long et plus de soixante toises de haut[66]. Il s’en étoit fait un autre en 1591, qui commença le 26 de juillet, et dura, dans l’île de Saint-Michel, jusqu’au 21 du mois suivant ; Tercère et Fayal furent agitées le lendemain avec tant de violence, qu’elles paroissoient tourner : mais ces affreuses secousses n’y recommencèrent que quatre fois, au lieu qu’à Saint-Michel elles ne cessèrent point un moment pendant plus de quinze jours ; les insulaires, ayant abandonné leurs maisons qui tomboient d’elles-mêmes à leurs yeux, passèrent tout ce temps exposés aux injures de l’air. Une ville entière, nommée Villa-Franca, fut renversée jusqu’aux fondements, et la plupart de ses habitants écrasés sous les ruines. Dans plusieurs endroits les plaines s’élevèrent en collines, et dans d’autres quelques montagnes s’aplanirent ou changèrent de situation ; il sortit de la terre une source d’eau vive qui coula pendant quatre jours, et qui parut ensuite sécher tout d’un coup ; l’air et la mer, encore plus agités, retentissoient d’un bruit qu’on auroit pris pour le mugissement de quantité de bêtes féroces ; plusieurs personnes mouroient d’effroi ; il n’y eut point de vaisseaux dans les ports mêmes qui ne souffrissent des atteintes dangereuses, et ceux qui étoient à l’ancre ou à la voile à vingt lieues aux environs des îles, furent encore plus maltraités. Les tremblements de terre sont fréquents aux Açores ; vingt ans auparavant il en étoit arrivé un dans l’île de Saint-Michel, qui avoit renversé une montagne fort haute. Il s’en fit un à Manille, au mois de septembre 1627, qui aplanit une des deux montagnes qu’on appelle Carvallos, dans la province de Cagayan. En 1645, la troisième partie de la ville fut ruinée par un pareil accident, et trois cents personnes y périrent ; l’année suivante elle en souffrit encore un autre. Les vieux Indiens disent qu’ils étoient autrefois plus terribles, et qu’à cause de cela on ne bâtissoit les maisons que de bois, ce que font aussi les Espagnols, depuis le premier étage.

» La quantité des volcans qui se trouvent dans l’île confirme ce qu’on a dit jusqu’à présent, parce qu’en certains temps ils vomissent des flammes, ébranlent la terre, et font tout ces effets que Pline attribue à ceux d’Italie, c’est-à-dire de faire changer de lit aux rivières et retirer les mers voisines, de remplir de cendres tous les environs, et d’envoyer des pierres fort loin avec un bruit semblable à celui du canon[67]. »

« L’an 1646, la montagne de l’île de Machian se fendit avec des bruits et un fracas épouvantables, par un terrible tremblement de terre, accident qui est fort ordinaire en ces pays là : il sortit tant de feux par cette fente, qu’ils consumèrent plusieurs nègreries avec les habitants et tout ce qui y étoit. On voyoit encore, l’an 1685, cette prodigieuse fente, et apparemment elle subsiste toujours ; on la nommoit l’ornière de Machian, parce qu’elle descendoit du haut en bas de la montagne, comme un chemin qui y auroit été creusé, mais qui de loin ne paroissoit être qu’une ornière. »

L’Histoire de l’Académie fait mention, dans les termes suivants, des tremblements de terre qui se sont faits en Italie en 1702 et 1703 : « Les tremblements commencèrent en Italie au mois d’octobre 1702, et continuèrent jusqu’au mois de juillet 1703 : les pays qui en ont le plus souffert, et qui sont aussi ceux par où ils commencèrent, sont la ville de Norcia avec ses dépendances dans l’État ecclésiastique, et la province de l’Abruzze. Ces pays sont contigus et situés au pied de l’Apennin, du côté du midi.

» Souvent les tremblements ont été accompagnés de bruits épouvantables dans l’air, et souvent aussi on a entendu ces bruits sans qu’il y ait eu de tremblements, le ciel étant même fort serein. Le tremblement du 2 février 1700, qui fut le plus violent de tous, fut accompagné, du moins à Rome, d’une grande sérénité du ciel et d’un grand calme dans l’air : il dura à Rome une demi-minute, et à Aquila, capitale de l’Abruzze, trois heures. Il ruina toute la ville d’Aquila, ensevelit cinq mille personnes sous les ruines, et fit un grand ravage dans les environs.

» Communément les balancements de la terre ont été du nord au sud, ou à peu près ; ce qui a été remarqué par le mouvement des lampes des églises.

» Il s’est fait dans un champ deux ouvertures, d’où il est sorti avec violence une grande quantité de pierres qui l’ont entièrement couvert et rendu stérile ; après les pierres il s’élança de ces ouvertures deux jets d’eau qui surpassoient beaucoup en hauteur les arbres de cette campagne, qui durèrent un quart d’heure, et inondèrent jusqu’aux campagnes voisines. Cette eau est blanchâtre, semblable à de l’eau de savon, et n’a aucun goût.

» Une montagne qui est près de Sigillo, bourg éloigné d’Aquila de vingt-deux milles, avoit sur son sommet une plaine assez grande, environnée de rochers qui lui servoient comme de murailles. Depuis le tremblement du 2 février, il s’est fait, à la place de cette plaine, un gouffre de largeur inégale, dont le plus grand diamètre est de vingt-cinq toises, et le moindre de vingt : on n’a pu en trouver le fond, quoiqu’on ait été jusqu’à trois cents toises. Dans le temps que se fit cette ouverture, on en vit sortir des flammes, et ensuite une très grosse fumée, qui dura trois jours avec quelques interruptions.

» À Gênes, le 1er et le 2 juillet 1703, il y eut deux petits tremblements ; le dernier ne fut senti que par des gens qui travailloient sur le môle : en même temps la mer dans le port s’abaissa de six pieds, en sorte que les galères touchèrent le fond, et cette basse mer dura près d’un quart d’heure.

» L’eau soufrée qui est dans le chemin de Rome à Tivoli s’est diminuée de deux pieds et demi de hauteur, tant dans le bassin que dans le fossé. En plusieurs endroits de la plaine appelée le Testine, il y avoit des sources et des ruisseaux d’eaux qui formoient des marais impraticables ; tout s’est séché. L’eau du lac appelé l’Enfer a diminué aussi de trois pieds en hauteur : à la place des anciennes sources qui ont tari, il en est sorti de nouvelles environ à une lieue des premières ; en sorte qu’il y a apparence que ce sont les mêmes eaux qui ont changé de route[68]. »

Le même tremblement de terre qui, en 1538, forma le Monte di Cenere auprès de Pouzzol, remplit en même temps le lac Lucrin de pierres, de terres, et de cendres ; de sorte qu’actuellement ce lac est un terrain marécageux.

Il y a des tremblements de terre qui se font sentir au loin dans la mer. M. Shaw rapporte qu’en 1724, étant à bord de la Gazelle, vaisseau algérien de cinquante canons, on sentit trois violentes secousses l’une après l’autre, comme si, à chaque fois, on avoit jeté d’un endroit fort élevé un poids de vingt ou trente tonneaux sur le lest : cela arriva dans un endroit de la Méditerranée où il y avoit plus de deux cents brasses d’eau. Il rapporte aussi que d’autres avoient senti des tremblements de terre bien plus considérables en d’autres endroits, et un entre autres à quarante lieues ouest de Lisbonne.

Schouten, en parlant d’un tremblement de terre qui se fit aux îles Moluques, dit que les montagnes furent ébranlées, et que les vaisseaux qui étoient à l’ancre sur trente et quarante brasses, se tourmentèrent comme s’ils se fussent donné des culées sur le rivage, sur des rochers, ou sur des bancs. « L’expérience, continue-t-il, nous apprend tous les jours que la même chose arrive en pleine mer où l’on ne trouve point de fond, et que quand la terre tremble, les vaisseaux viennent tout d’un coup à se tourmenter jusque dans les endroits où la mer étoit tranquille[69]. » Le Gentil, dans son Voyage autour du monde, parle des tremblements de terre dont il a été témoin, dans les termes suivants : « J’ai, dit-il, fait quelques remarques sur ces tremblements de terre. La première est qu’une demi-heure avant que la terre s’agite, tous les animaux paroissent saisis de frayeur ; les chevaux hennissent, rompent leurs licous, et fuient de l’écurie ; les chiens aboient ; les oiseaux, épouvantés et presque étourdis, entrent dans les maisons ; les rats et les souris sortent de leurs trous, etc. La seconde est que les vaisseaux qui sont à l’ancre sont agités si violemment, qu’il semble que toutes les parties dont ils sont composés vont se désunir ; les canons sautent sur leurs affûts, et les mâts, par cette agitation, rompent leurs haubans : c’est ce que j’aurois eu de la peine à croire, si plusieurs témoignages unanimes ne m’en avoient convaincu. Je conçois bien que le fond de la mer est une continuation de la terre ; que si cette terre est agitée, elle communique son agitation aux eaux qu’elle porte : mais ce que je ne conçois pas, c’est ce mouvement irrégulier du vaisseau, dont tous les membres et les parties prises séparément participent à cette agitation, comme si tout le vaisseau faisoit partie de la terre, et qu’il ne nageât pas dans une matière fluide ; son mouvement devroit être tout au plus semblable à celui qu’il éprouveroit dans une tempête. D’ailleurs, dans l’occasion où je parle, la surface de la mer étoit unie, et ses flots n’étoient point élevés ; toute l’agitation étoit intérieure, parce que le vent ne se mêla point au tremblement de terre. La troisième remarque est que si la caverne de la terre où le feu souterrain est renfermé va du septentrion au midi, et si la ville est pareillement située dans sa longueur du septentrion au midi, toutes les maisons sont renversées, au lieu que si cette veine ou caverne fait son effet en prenant la ville par sa largeur, le tremblement de terre fait moins de ravage, etc.[70]. »

Il arrive que, dans les pays sujets aux tremblements de terre, lorsqu’il se fait un nouveau volcan, les tremblements de terre finissent et ne se font sentir que dans les éruptions violentes du volcan, comme on l’a observé dans l’île Saint-Christophe.

Ces énormes ravages produits par les tremblements de terre ont faire croire à quelques naturalistes que les montagnes et les inégalités de la surface du globe n’étoient que le résultat des effets de l’action des feux souterrains, et que toutes les irrégularités que nous remarquons sur la terre devoient être attribuées à ces secousses violentes et aux bouleversements qu’elles ont produits. C’est, par exemple, le sentiment de Ray ; il croit que toutes les montagnes ont été formées par des tremblements de terre ou par l’explosion des volcans, comme le mont di Cenere, l’île nouvelle près de Santorin, etc. : mais il n’a pas pris garde que ces petites élévations formées par l’éruption d’un volcan, ou par l’action d’un tremblement de terre, ne sont pas intérieurement composées de couches horizontales, comme le sont toutes les autres montagnes ; car en fouillant dans le mont di Cenere, on trouve les pierres calcinées, les cendres, les terres brûlées, le mâchefer, les pierres ponces, tous mêlés et confondus comme dans un monceau de décombres. D’ailleurs, si les tremblements de terre et les feux souterrains eussent produit les grandes montagnes de la terre, comme les Cordilières, le mont Taurus, les Alpes, etc., la force prodigieuse qui auroit élevé ces masses énormes auroit en même temps détruit une grande partie de la surface du globe, et l’effet du tremblement auroit été d’une violence inconcevable, puisque les plus fameux tremblements de terre dont l’histoire fasse mention n’ont pas eu assez de force pour élever des montagnes : par exemple, il y eut, du temps de Valentinien Ier, un tremblement de terre qui se fit sentir dans tout le monde connu, comme le rapporte Ammien Marcellin[71], et cependant il n’y eut aucune montagne élevée par ce grand tremblement.

Il est cependant vrai qu’en calculant on pourroit trouver qu’un tremblement de terre assez violent pour élever les plus hautes montagnes, ne le seroit pas assez pour déplacer le reste du globe.

Car, supposons pour un instant que la chaîne des hautes montagnes qui traverse l’Amérique méridionale, depuis la pointe des terres Magellaniques jusqu’aux montagnes de la Nouvelle-Grenade et au golfe de Darien, ait été élevée tout à la fois et produite par un tremblement de terre, et voyons par le calcul l’effet de cette explosion. Cette chaîne de montagnes a environ dix-sept cents lieues de longueur, et communément quarante lieues de largeur, y compris les Sierras, qui sont des montagnes moins élevées que les Andes ; la surface de ce terrain est donc de soixante-huit mille lieues carrées. Je suppose que l’épaisseur de la matière déplacée par le tremblement est d’une lieue, c’est-à-dire que la hauteur moyenne de ces montagnes, prise du sommet jusqu’au pied, ou plutôt jusqu’aux cavernes qui, dans cette hypothèse, doivent les supporter, n’est que d’une lieue ; ce qu’on m’accordera facilement : alors je dis que la force de l’explosion ou du tremblement de terre aura élevé à une lieue de hauteur une quantité de terre égale à soixante-huit mille lieues cubiques ; or, l’action étant égale à la réaction, cette explosion aura communiqué au reste du globe la même quantité de mouvement : mais le globe entier est de 12,310,523,801 lieues cubiques, dont ôtant 68,000, il reste 12,310,455,801 lieues cubiques, dont la quantité de mouvement aura été égale à celle de 68,000 lieues cubiques élevées à une lieue ; d’où l’on voit que la force qui aura été assez grande pour déplacer 68,000 lieues cubiques et les pousser à une lieue, n’aura pas déplacé d’un pouce le reste du globe.

Il n’y auroit donc pas d’impossibilité absolue à supposer que les montagnes ont été élevées par des tremblements de terre, si leur composition intérieure, aussi bien que leur forme extérieure, n’étoient pas évidemment l’ouvrage des eaux de la mer. L’intérieur est composé de couches régulières et parallèles remplies de coquilles ; l’extérieur a une figure dont les angles sont partout correspondants : est-il croyable que cette composition uniforme et cette forme régulière aient été produites par des secousses irrégulières et des explosions subites ?

Mais comme cette opinion a prévalu chez quelques physiciens, et qu’il nous paroît que la nature et les effets des tremblements de terre ne sont pas bien entendus, nous croyons qu’il est nécessaire de donner sur cela quelques idées qui pourront servir à éclaircir cette matière.

La terre ayant subi de grands changements à sa surface, on trouve, même à des profondeurs considérables, des trous, des cavernes, des ruisseaux souterrains, et des endroits vides qui se communiquent quelquefois par des fentes et des boyaux. Il y a de deux espèces de cavernes. Les premières sont celles qui sont produites par l’action des feux souterrains et des volcans ; l’action du feu soulève, ébranle, et jette au loin les matières supérieures, et en même temps elle divise, fend, et dérange celles qui sont à côté, et produit ainsi des cavernes, des grottes, des trous, et des anfractuosités : mais cela ne se trouve ordinairement qu’aux environs des hautes montagnes où sont les volcans, et ces espèces de cavernes produites par l’action du feu sont plus rares que les cavernes de la seconde espèce, qui sont produites par les eaux. Nous avons vu que les différentes couches qui composent le globe terrestre à sa surface, sont toutes interrompues par des fentes perpendiculaires dont nous expliquerons l’origine dans la suite ; les eaux des pluies et des vapeurs, en descendant par ces fentes perpendiculaires, se rassemblent sur la glaise, et forment des sources et des ruisseaux ; elles cherchent par leur mouvement naturel toutes les petites cavités et les petits vides, et elles tendent toujours à couler et à s’ouvrir des routes, jusqu’à ce qu’elles trouvent une issue ; elles entraînent en même temps les sables, les terres, les graviers, et les autres matières qu’elles peuvent diviser, et peu à peu elles se font des chemins ; elles forment dans l’intérieur de la terre des espèces de petites tranchées ou de canaux qui leur servent de lit ; elles sortent enfin, soit à la surface de la terre, soit dans la mer, en forme de fontaines : les matières qu’elles entraînent laissent des vides dont l’étendue peut être fort considérable, et ces vides forment des grottes et des cavernes dont l’origine est, comme l’on voit, bien différente de celle des cavernes produites par des tremblements de terre.

Il y a deux espèces de tremblements de terre : les uns causés par l’action des feux souterrains et par l’explosion des volcans, qui ne se font sentir qu’à de petites distances et dans les temps que les volcans agissent, ou avant qu’ils s’ouvrent : lorsque les matières qui forment les feux souterrains viennent à fermenter, à s’échauffer, et à s’enflammer, le feu fait effort de tous côtés ; et s’il ne trouve pas naturellement des issues, il soulève la terre et se fait un passage en la rejetant, ce qui produit un volcan dont les effets se répètent et durent à proportion de la quantité des matières inflammables. Si la quantité des matières qui s’enflamment est peu considérable, il peut arriver un soulèvement et une commotion, un tremblement de terre, sans que pour cela il se forme un volcan : l’air produit et raréfié par le feu souterrain peut aussi trouver de petites issues par où il s’échappera, et dans ce cas il n’y aura encore qu’un tremblement sans éruption et sans volcan ; mais lorsque la matière enflammée est en grande quantité, et qu’elle est resserrée par des matières solides et compactes, alors il y a commotion et volcan : mais toutes ces commotions ne font que la première espèce des tremblements de terre, et elles ne peuvent ébranler qu’un petit espace. Une éruption très violente de l’Etna causera, par exemple, un tremblement de terre dans toute l’île de Sicile ; mais il ne s’étendra jamais à des distances de trois ou quatre cents lieues. Lorsque dans le mont Vésuve il s’est formé quelques nouvelles bouches à feu, il s’est fait en même temps des tremblements de terre à Naples et dans le voisinage du volcan : mais ces tremblements n’ont jamais ébranlé les Alpes, et ne se sont pas communiqués en France ou aux autres pays éloignés du Vésuve. Ainsi les tremblements de terre produits par l’action des volcans sont bornés à nn petit espace, c’est proprement l’effet de la réaction du feu ; et ils ébranlent la terre, comme l’explosion d’un magasin à poudre produit une secousse et un tremblement sensible à plusieurs lieues de distance.

Mais il y a une autre espèce de tremblement de terre bien différente pour les effets et peut-être pour les causes : ce sont les tremblements qui se font sentir à de grandes distances, et qui ébranlent une longue suite de terrain sans qu’il paroisse aucun nouveau volcan ni aucune éruption. On a des exemples de tremblements qui se sont fait sentir en même temps en Angleterre, en France, en Allemagne, et jusqu’en Hongrie : ces tremblements s’étendent toujours beaucoup plus en longueur qu’en largeur ; ils ébranlent une bande ou une zone de terrain avec plus ou moins de violence en différents endroits, et ils sont presque toujours accompagnés d’un bruit sourd, semblable à celui d’une grosse voiture qui rouleroit avec rapidité.

Pour bien entendre quelles peuvent être les causes de cette espèce de tremblement, il faut se souvenir que toutes les matières inflammables et capables d’explosion produisent, comme la poudre, par l’inflammation, une grande quantité d’air : que cet air produit par le feu est dans l’état d’une très grande raréfaction, et que par l’état de compression où il se trouve dans le sein de la terre, il doit produire des effets très violents. Supposons donc qu’à une profondeur très considérable, comme à cent ou deux cents toises, il se trouve des pyrites et d’autres matières sulfureuses, et que par la fermentation produite par la filtration des eaux ou par d’autres causes elles viennent à s’enflammer, et voyons ce qui doit arriver : d’abord ces matières ne sont pas disposées régulièrement par couches horizontales, comme le sont les matières anciennes qui ont été formées par le sédiment des eaux ; elles sont au contraire dans les fentes perpendiculaires, dans les cavernes au pied de ces fentes, et dans les autres endroits où les eaux peuvent agir et pénétrer. Ces matières, venant à s’enflammer, produiront une grande quantité d’air, dont le ressort, comprimé dans un petit espace comme celui d’une caverne, non seulement ébranlera le terrain supérieur, mais cherchera des routes pour s’échapper et se mettre en liberté. Les routes qui se présentent sont les cavernes et les tranchées formées par les eaux et par les ruisseaux souterrains ; l’air raréfié se précipitera avec violence dans tous ces passages qui lui sont ouverts, et il formera un vent furieux dans ces routes souterraines, dont le bruit se fera entendre à la surface de la terre, et en accompagnera l’ébranlement et les secousses ; ce vent souterrain produit par le feu s’étendra tout aussi loin que les cavités ou tranchées souterraines, et causera un tremblement plus ou moins grand à mesure qu’il s’éloignera du foyer, et qu’il trouvera des passages plus ou moins étroits ; ce mouvement se faisant en longueur, l’ébranlement se fera de même ; et le tremblement se fera sentir dans une longue zone de terrain ; cet air ne produira aucune éruption, aucun volcan, parce qu’il aura trouvé assez d’espace pour s’étendre, ou bien parce qu’il aura trouvé des issues, et qu’il sera sorti en forme de vent et de vapeur ; et quand même on ne voudroit pas convenir qu’il existe en effet des routes souterraines par lesquelles cet air et ces vapeurs souterraines peuvent passer, on conçoit bien que, dans le lieu même où se fait la première explosion, le terrain étant soulevé à une hauteur considérable, il est nécessaire que celui qui avoisine ce lieu se divise et se fende horizontalement pour suivre le mouvement du premier, ce qui suffit pour faire des routes qui de proche en proche peuvent communiquer le mouvement à une très grande distance. Cette explication s’accorde avec tous les phénomènes. Ce n’est pas dans le même instant ni à la même même heure qu’un tremblement de terre se fait sentir en deux endroits distants, par exemple, de cent ou deux cents lieues ; il n’y a point de feu ni d’éruption au dehors par ces tremblements qui s’étendent au loin, et le bruit qui les accompagne presque toujours marque le mouvement progressif de ce vent souterrain. On peut encore confirmer ce que nous venons de dire, en le liant avec d’autres faits : on sait que les mines exhalent des vapeurs ; indépendamment des vents produits par le courant des eaux, on y remarque souvent des courants d’un air malsain et de vapeurs suffocantes : on sait aussi qu’il y a sur la terre des trous, des abîmes, des lacs profonds qui produisent des vents, comme le lac de Boleslaw en Bohême, dont nous avons parlé.

Tout ceci bien entendu, je ne vois pas trop comment on peut croire que les tremblements de terre ont pu produire des montagnes, puisque la cause même de ces tremblements sont des matières minérales et sulfureuses qui ne se trouvent ordinairement que dans les fentes perpendiculaires des montagnes et dans les autres cavités de la terre, dont le plus grand nombre a été produit par les eaux ; que ces matières en s’enflammant ne produisent qu’une explosion momentanée et des vents violents qui suivent les routes souterraines des eaux ; que la durée des tremblements n’est en effet que momentanée à la surface de la terre, et que par conséquent leur cause n’est qu’une explosion et non pas un incendie durable ; et qu’enfin ces tremblements qui ébranlent un grand espace, et qui s’étendent à des distances très considérables, bien loin d’élever des chaînes de montagnes, ne soulèvent pas la terre d’une quantité sensible, et ne produisent pas la plus petite colline dans toute la longueur de leur cours.

Les tremblements de terre sont, à la vérité, bien plus fréquents dans les endroits où sont les volcans qu’ailleurs, comme en Sicile et à Naples : on sait, par les observations faites en différents temps, que les plus violents tremblements de terre arrivent dans le temps des grandes éruptions des volcans ; mais ces tremblements ne sont pas ceux qui s’étendent le plus loin, et ils ne pourroient jamais produire une chaîne de montagnes.

On a quelquefois observé que les matières rejetées de l’Etna, après avoir été refroidies pendant plusieurs années, et ensuite humectées par l’eau des pluies, se sont rallumées, et ont jeté des flammes avec une explosion assez violente qui produisoit même une espèce de petit tremblement.

En 1669, dans une furieuse éruption de l’Etna, qui commença le 11 mars, le sommet de la montagne baissa considérablement, comme tous ceux qui avoient vu cette montagne avant cette éruption s’en aperçurent ; ce qui prouve que le feu du volcan vient plutôt du sommet que de la profondeur intérieure de la montagne. Borelli est du même sentiment, et dit précisément « que le feu des volcans ne vient pas du centre ni du pied de la montagne, mais qu’au contraire il sort du sommet et ne s’allume qu’à une très petite profondeur[72]. »

Le mont Vésuve a souvent rejeté, dans ses éruptions, une grande quantité d’eau bouillante : M. Ray, dont le sentiment est que le feu des volcans vient d’une très grande profondeur, dit que c’est de l’eau de la mer qui communique aux cavernes intérieures du pied de cette montagne ; il en donne pour preuve la sécheresse et l’aridité du sommet du Vésuve, et le mouvement de la mer, qui, dans le temps de ces violentes éruptions, s’éloigne des côtes, et diminue au point d’avoir laissé quelquefois à sec le port de Naples. Mais quand ces faits seroient bien certains, ils ne prouveroient pas d’une manière solide que le feu des volcans vient d’une grande profondeur ; car l’eau qu’ils rejettent est certainement l’eau des pluies qui pénètre par les fentes, et qui se ramasse dans les cavités de la montagne : on voit découler des eaux vives et des ruisseaux du sommet des volcans, comme il en découle des autres montagnes élevées ; et comme elles sont creuses et qu’elles ont été plus ébranlées que les autres montagnes, il n’est pas étonnant que les eaux se ramassent dans les cavernes qu’elles contiennent dans leur intérieur, et que ces eaux soient rejetées dans le temps des éruptions avec les autres matières : à l’égard du mouvement de la mer, il provient uniquement de la secousse communiquée aux eaux par l’explosion ; ce qui doit les faire affluer ou refluer, suivant les différentes circonstances.

Les matières que rejettent les volcans sortent le plus souvent sous la forme d’un torrent de minéraux fondus, qui inonde tous les environs de ces montagnes : ces fleuves de matières liquéfiées s’étendent même à des distances considérables ; et en se refroidissant, ces matières, qui sont en fusion, forment des couches horizontales ou inclinées, qui, pour la position, sont semblables aux couches formées par les sédiments des eaux. Mais il est fort aisé de distinguer ces couches produites par l’expansion des matières rejetées des volcans, de celles qui ont pour origine les sédiments de la mer : 1o parce que ces couches ne sont pas d’égale épaisseur partout ; 2o parce qu’elles ne contiennent que des matières qu’on reconnoît évidemment avoir été calcinées, vitrifiées, ou fondues ; 3o parce qu’elles ne s’étendent pas à une grande distance. Comme il y a au Pérou un grand nombre de volcans, et que le pied de la plupart des montagnes des Cordilières est recouvert de ces matières rejetées par ces volcans, il n’est pas étonnant qu’on ne trouve pas de coquilles marines dans ces couches de terre ; elles ont été calcinées et détruites par l’action du feu : mais je suis persuadé que si l’on creusoit dans la terre argileuse qui, selon M. Bouguer, est la terre ordinaire de la vallée de Quito, on y trouveroit des coquilles, comme l’on en trouve partout ailleurs ; en supposant que cette terre soit vraiment de l’argile, et qu’elle ne soit pas, comme celle qui est au pied des montagnes, un terrain formé par les matières rejetées des volcans.

On a souvent demandé pourquoi les volcans se trouvent tous dans les hautes montagnes. Je crois avoir satisfait en partie à cette question dans le discours précédent ; mais comme je ne suis pas entré dans un assez grand détail, j’ai cru que je ne devois pas finir cet article sans développer davantage ce que j’ai dit sur ce sujet.

Les pics ou les pointes des montagnes étoient autrefois recouvertes et environnées de sables et de terres que les eaux pluviales ont entraînés dans les vallées ; il n’est resté que les rochers et les pierres qui formoient le noyau de la montagne. Ce noyau, se trouvant à découvert et déchaussé jusqu’au pied, aura encore été dégradé par les injures de l’air ; la gelée en aura détaché de grosses et de petites parties qui auront roulé au bas ; en même temps elle aura fait fendre plusieurs rochers au sommet de la montagne ; ceux qui forment la base de ce sommet se trouvant découverts, et n’étant plus appuyés par les terres qui les environnoient, auront un peu cédé ; et en s’écartant les uns des autres ils auront formé de petits intervalles : cet ébranlement de rochers inférieurs n’aura pu se faire sans communiquer aux rochers supérieurs un mouvement plus grand ; ils se seront fendus ou écartés les uns des autres. Il se sera donc formé dans ce noyau de montagne une infinité de petites et de grandes fentes perpendiculaires, depuis le sommet jusqu’à la base des rochers inférieurs ; les pluies auront pénétré dans toutes ces fentes, et elles auront détaché, dans l’intérieur de la montagne, toutes les parties minérales et toutes les autres matières qu’elles auront pu enlever ou dissoudre ; elles auront formé des pyrites, des soufres et d’autres matières combustibles ; et lorsque, par succession des temps, ces matières se seront accumulées en grande quantité, elles auront fermenté, et en s’enflammant elles auront produit les explosions et les autres effets des volcans. Peut-être aussi y avoit-il, dans l’intérieur de la montagne, des amas de ces matières minérales déjà formées, avant que les pluies pussent y pénétrer ; dès qu’il se sera fait des ouvertures ou des fentes qui auront donné passage à l’eau et à l’air, ces matières se seront enflammées et auront formé un volcan. Aucun de ces mouvements ne pouvant se faire dans les plaines, puisque tout est en repos, et que rien ne peut se déplacer, il n’est pas surprenant qu’il n’y ait aucun volcan dans les plaines, et qu’ils se trouvent tous en effet dans les hautes montagnes.

Lorsqu’on a ouvert des minières de charbon de terre, que l’on trouve ordinairement dans l’argile à une profondeur considérable, il est arrivé quelquefois que le feu s’est mis à ces matières ; il y a même des mines de charbon en Écosse, en Flandre, etc., qui brûlent continuellement depuis plusieurs années : la communication de l’air suffit pour produire cet effet. Mais ces feux qui se sont allumés dans ces mines ne produisent que de légères explosions, et ils ne forment pas des volcans, parce que tout étant solide et plein dans ces endroits, le feu ne peut pas être excité, comme celui des volcans, dans lesquels il y a des cavités et des vides où l’air pénètre ; ce qui doit nécessairement étendre l’embrasement, et peut augmenter l’action du feu au point où nous la voyons lorsqu’elle produit les terribles effets dont nous avons parlé.

Sur les tremblements de terre.

* Il y a deux causes qui produisent les tremblements de terre : la première est l’affaissement subit des cavités de la terre ; et la seconde, encore plus fréquente et plus violente que la première, est l’action des feux souterrains.

Lorsqu’une caverne s’affaisse dans le milieu des continents, elle produit par sa chute une commotion qui s’étend à une plus ou moins grande distance, selon la quantité du mouvement donné par la chute de cette masse à la terre ; et à moins que le volume n’en soit fort grand et ne tombe de très haut, sa chute ne produira pas une secousse assez violente pour qu’elle se fasse ressentir à de grandes distances : l’effet en est borné aux environs de la caverne affaissée ; et si le mouvement se propage plus loin, ce n’est que par de petits trémoussements et de légères trépidations.

Comme la plupart des montagnes primitives reposent sur des cavernes, parce que, dans le moment de la consolidation, ces éminences ne se sont formées que par des boursoufflures, il s’est fait, et il se fait encore de nos jours, des affaissements dans ces montagnes toutes les fois que les voûtes des cavernes minées par les eaux ou ébranlées par quelque tremblement, viennent à s’écrouler : une portion de la montagne s’affaisse en bloc, tantôt perpendiculairement, mais plus souvent en s’inclinant beaucoup, et quelquefois même en culbutant. On en a des exemples frappants dans plusieurs parties des Pyrénées, où les couches de la terre, jadis horizontales, sont souvent inclinées de plus de 45 degrés ; ce qui démontre que la masse entière de chaque portion de montagne dont les bancs sont parallèles entre eux, a penché tout en bloc, et s’est assise, dans le moment de l’affaissement, sur une base inclinée de 45 degrés : c’est la cause la plus générale de l’inclinaison des couches dans les montagnes. C’est par la même raison que l’on trouve souvent entre deux éminences voisines, des couches qui descendent de la première et remontent à la seconde, après avoir traversé le vallon. Ces couches sont horizontales, et gisent à la même hauteur dans les deux collines opposées, entre lesquelles la caverne s’étant écroulée, la terre s’est affaissée, et le vallon s’est formé sans autre dérangement dans les couches de la terre que le plus ou moins d’inclinaison, suivant la profondeur du vallon et la pente des deux coteaux correspondants.

C’est là le seul effet sensible de l’affaissement des cavernes dans les montagnes et dans les autres parties des continents terrestres : mais toutes les fois que cet effet arrive dans le sein de la mer, où les affaissements doivent être plus fréquents que sur la terre, puisque l’eau mine continuellement les voûtes dans tous les endroits où elles soutiennent le fond de la mer, alors ces affaissements non seulement dérangent et font pencher les couches de la terre, mais ils produisent encore un autre effet sensible en faisant baisser le niveau des mers ; sa hauteur s’est déjà déprimée de deux mille toises par ces affaissements successifs depuis la première occupation des eaux ; et comme toutes les cavernes sous-marines ne sont pas encore à beaucoup prés entièrement écroulées, il est plus que probable que l’espace des mers s’approfondissant de plus en plus, se rétrécira par la surface, et que par conséquent l’étendue de tous les continents terrestres continuera toujours d’augmenter par la retraite et rabaissement des eaux.

Une seconde cause, plus puissante que la première, concourt avec elle pour produire le même effet ; c’est la rupture et l’affaissement des cavernes par l’effort des feux sous-marins. Il est certain qu’il ne se fait aucun mouvement, aucun affaissement dans le fond de la mer, que sa surface ne baisse ; et si nous considérons en général les effets des feux souterrains, nous reconnoîtrons que, dès qu’il y a du feu, la commotion de la terre ne se borne point à de simples trépidations, mais que l’effort du feu soulève, entr’ouvre la mer et la terre par des secousses violentes et réitérées, qui non seulement renversent et détruisent les terres voisines, mais encore ébranlent celles qui sont éloignées, et ravagent et bouleversent tout ce qui se trouve sur la route de leur direction.

Ces tremblements de terre, causés par les feux souterrains, précèdent ordinairement les éruptions des volcans et cessent avec elles, et quelquefois même au moment où ce feu renfermé s’ouvre un passage dans les flancs de la terre, et porte sa flamme dans les airs. Souvent aussi ces tremblements épouvantables continuent tant que les éruptions durent : ces deux effets sont intimement liés ensemble ; et jamais il ne se fait une grande éruption dans un volcan, sans qu’elle ait été précédée ou du moins accompagnée d’un tremblement de terre, au lieu que très souvent on ressent des secousses même assez violentes sans éruption de feu. Ces mouvements où le feu n’a point de part, proviennent non seulement de la première cause que nous avons indiquée, c’est-à-dire de l’écroulement des cavernes, mais aussi de l’action des vents et des orages souterrains. On a nombre d’exemples de terres soulevées ou affaissées par la force de ces vents intérieurs. M. le chevalier Hamilton, homme aussi respectable par son caractère, qu’admirable par l’étendue de ses connoissances et de ses recherches en ce genre, m’a dit avoir vu entre Trente et Vérone, près du village de Roveredo, plusieurs monticules composés de grosses masses de pierres calcaires, qui ont été évidemment soulevées par diverses explosions causées par des vents souterrains. Il n’y a pas le moindre indice de l’action du feu sur ces rochers ni sur leurs fragments : tout le pays des deux côtés du grand chemin, dans une longueur de près d’une lieue, a été bouleversé de place en place par ces prodigieux efforts des vents souterrains. Les habitants disent que cela est arrivé tout à coup par l’effet d’un tremblement de terre.

Mais la force du vent, quelque violent qu’on puisse le supposer, ne me paroît pas une cause suffisante pour produire d’aussi grands effets ; et quoiqu’il n’y ait aucune apparence de feu dans ces monticules soulevés par la commotion de la terre, je suis persuadé que ces soulèvements se sont faits par des explosions électriques de la foudre souterraine, et que les vents intérieurs n’y ont contribué qu’en produisant ces orages électriques dans les cavités de la terre. Nous réduirons donc à trois causes tous les mouvements convulsifs de la terre : la première et la plus simple est l’affaissement subit des cavernes ; la seconde, les orages et les coups de foudre souterraine ; et la troisième, l’action et les efforts des feux allumés dans l’intérieur du globe. Il me paroît qu’il est aisé de rapporter à l’une de ces trois causes tous les phénomènes qui accompagnent ou suivent les tremblements de terre.

Si les mouvements de la terre produisent quelquefois des éminences, ils forment encore plus souvent des gouffres. Le 15 octobre 1775, il s’est ouvert un gouffre sur le territoire du bourg Induno, dans les états de Modène, dont la cavité a plus de quatre cents brasses de largeur, sur deux cents de profondeur. En 1726, dans la partie septentrionale de l’Islande, une montagne d’une hauteur considérable s’enfonça en une nuit par un tremblement de terre, et un lac très profond prit sa place : dans la même nuit, à une lieue et demie de distance, un ancien lac, dont on ignoroit la profondeur, fut entièrement desséché et son fond s’éleva de manière à former un monticule assez haut, que l’on voit encore aujourd’hui. Dans les mers voisines de la Nouvelle-Bretagne, les tremblements de terre, dit M. de Bougainville, ont de terribles conséquences pour la navigation. Les 7 juin, 12 et 27 juillet 1766, il y en a eu trois à Boéro, et le 22 de ce même mois un à la Nouvelle-Bretagne. Quelquefois ces tremblements anéantissent des îles et des bancs de sable connus ; quelquefois aussi ils en créent où il n’y en avoit pas.

Il y a des tremblements de terre qui s’étendent très loin, et toujours plus en longueur qu’en largeur : l’un des plus considérables est celui qui se fit ressentir au Canada en 1663 ; il s’étendit sur plus de deux cents lieues de longueur et cent lieues de largeur, c’est-à-dire sur plus de vingt mille lieues superficielles. Les effets du dernier tremblement de terre du Portugal se sont fait de nos jours ressentir encore plus loin : M. le chevalier de Saint-Sauveur, commandant pour le roi à Merueis, a dit à M. de Gensanne qu’en se promenant à la rive gauche de la Jouante, en Languedoc, le ciel devint tout à coup fort noir, et qu’un moment après il aperçut au bas du coteau qui est à la rive droite de cette rivière, un globe de feu qui éclata d’une manière terrible. Il sortit de l’intérieur de la terre un tas de rochers considérables, et toute cette chaîne de montagnes se fendit depuis Merueis jusqu’à Florac, sur près de six lieues de longueur : cette fente a, dans certains endroits, plus de deux pieds de largeur, et elle est en partie comblée. Il y a d’autres tremblements de terre qui semblent se faire sans secousses et sans grande émotion. Kolbe rapporte que, le 24 septembre 1707, depuis huit heures du matin jusqu’à dix heures, la mer monta sur la contrée du cap de Bonne-Espérance, et en descendit sept fois de suite, et avec une telle vitesse, que d’un moment à l’autre la plage étoit alternativement couverte et découverte par les eaux.

Je puis ajouter, au sujet des effets des tremblements de terre et de l’éboulement des montagnes par l’affaissement des cavernes, quelques faits assez récents et qui sont bien constatés. En Norwége, un promontoire appelé Hammers-fields, tomba tout à coup en entier. Une montagne fort élevée, et presque adjacente à celle de Chimboraço, l’une des plus hautes des Cordillères, dans la province de Quito, s’écroula tout à coup. Le fait avec ses circonstances est rapporté dans les Mémoires de MM. de La Condamine et Bouguer. Il arrive souvent de pareils éboulements et de grands affaissements dans les îles des Indes méridionales. À Gamma-canore, où les Hollandois ont un établissement, une haute montagne s’écroula tout à coup en 1675, par un temps calme et fort beau ; ce qui fut suivi d’un tremblement de terre qui renversa les villages d’alentour, où plusieurs milliers de personnes périrent : le 11 août 1772, dans l’ile de Java, province de Cheribou, l’une des plus riches possessions des Hollandois, une montagne d’environ trois lieues de circonférence s’abîma tout à coup, s’enfonçant et se relevant alternativement comme les flots de la mer agitée : en même temps elle laissoit échapper une quantité prodigieuse de globes de feu qu’on apercevoit de très loin, et qui jetoient une lumière aussi vive que celle du jour ; toutes les plantations et trente-neuf nègreries ont été englouties, avec deux mille cent quarante habitants, sans compter les étrangers. Nous pourrions recueillir plusieurs autres exemples de l’affaissement des terres et de l’écroulement des montagnes par la rupture des cavernes, par les secousses des tremblements de terre, et par l’action des volcans : mais nous en avons dit assez pour qu’on ne puisse contester les inductions et les conséquences générales que nous avons tirées de ces faits particuliers. (Add. Buff.)

Des volcans.

* Les anciens nous ont laissé quelques notices des volcans qui leur étoient connus, et particulièrement de l’Etna et du Vésuve. Plusieurs observateurs savants et curieux ont, de nos jours, examiné de plus près la forme et les effets de ces volcans : mais la première chose qui frappe en comparant ces descriptions, c’est qu’on doit renoncer à transmettre à la postérité la topographie exacte et constante de ces montagnes ardentes ; leur forme s’altère et change, pour ainsi dire, chaque jour ; leur surface s’élève ou s’abaisse en différents endroits ; chaque éruption produit de nouveaux gouffres ou des éminences nouvelles : s’attacher à décrire tous ces changements, c’est vouloir suivre et représenter les ruines d’un bâtiment incendié. Le Vésuve de Pline et l’Etna d’Empédocle présentoient une face et des aspects différents de ceux qui nous sont aujourd’hui si bien représentés par MM. Hamilton et Brydone ; et, dans quelques siècles, ces descriptions récentes ne ressembleront plus à leur objet. Après la surface des mers, rien sur le globe n’est plus mobile et inconstant que la surface des volcans : mais de cette inconstance même et de cette variation de mouvements et de formes on peut tirer quelques conséquences générales en réunissant les observations particulières. (Add. Buff.)

Exemples des changements arrivés dans les volcans.

* La base de l’Etna peut avoir soixante lieues de circonférence, et sa hauteur perpendiculaire est d’environ deux mille toises au dessus du niveau de la mer Méditerranée. On peut donc regarder cette énorme montagne comme un cône obtus, dont la superficie n’a guère moins de trois cents lieues carrées : cette superficie conique est partagée en quatre zones placées concentriquement les unes au dessus des autres. La première et la plus large s’étend à plus de six lieues, toujours en montant doucement, depuis le point le plus éloigné de la base de la montagne ; et cette zone de six lieues de largeur est peuplée et cultivée presque partout. La ville de Catane et plusieurs villages se trouvent dans cette première enceinte, dont la superficie est de plus de deux cent vingt lieues carrées. Tout le fond de ce vaste terrain n’est que de la lave ancienne et moderne, qui a coulé des différents endroits de la montagne où se sont faites les explosions des feux souterrains ; et la surface de cette lave, mêlée avec les cendres rejetées par ces différentes bouches à feu, s’est convertie en une bonne terre actuellement semée de grains et plantée de vignobles, à l’exception de quelques endroits où la lave, encore trop récente, ne fait que commencer à changer de nature, et présente quelques espaces dénués de terre. Vers le haut de cette zone, on voit déjà plusieurs cratères ou coupes plus ou moins larges et profondes, d’où sont sorties les matières qui ont formé les terrains au dessous.

La seconde zone commence au dessus de six lieues (depuis le point le plus éloigné dans la circonférence de la montagne). Cette seconde zone a environ deux lieues de largeur en montant : la pente en est plus rapide partout que celle de la première zone ; et cette rapidité augmente à mesure qu’on s’élève et qu’on s’approche du sommet. Cette seconde zone, de deux lieues de largeur, peut avoir en superficie quarante ou quarante-cinq lieues carrées : de magnifiques forêts couvrent toute cette étendue, et semblent former un beau collier de verdure à la tête blanche et chenue de ce respectable mont. Le fond du terrain de ces belles forêts n’est néanmoins que de la lave et des cendres converties par le temps en terres excellentes ; et ce qui est encore plus remarquable, c’est l’inégalité de la surface de cette zone : elle ne présente partout que des collines, ou plutôt des montagnes, toutes produites par les différentes éruptions du sommet de l’Etna et des autres bouches à feu qui sont au dessous de ce sommet, et dont plusieurs ont autrefois agi dans cette zone, actuellement couverte de forêts.

Avant d’arriver au sommet, et après avoir passé les belles forêts qui recouvrent la croupe de cette montagne, on traverse une troisième zone, où il ne croît que de petits végétaux. Cette région est couverte de neige en hiver, qui fond pendant l’été ; mais ensuite on trouve la ligne de neige permanente qui marque le commencement de la quatrième zone, et s’étend jusqu’au sommet de l’Etna. Ces neiges et ces glaces occupent environ deux lieues en hauteur, depuis la région des petits végétaux jusqu’au sommet, lequel est également couvert de neige et de glace : il est exactement d’une figure conique, et l’on voit dans son intérieur le grand cratère du volcan, duquel il sort continuellement des tourbillons de fumée. L’intérieur de ce cratère est en forme de cône renversé, s’élevant également de tous côtés : il n’est composé que de cendres et d’autres matières brûlées, sorties de la bouche du volcan, qui est au centre du cratère. L’extérieur de ce sommet est fort escarpé ; la neige y est couverte de cendres ; et il y fait un très grand froid. Sur le côté septentrional de cette région de neige, il y a plusieurs petits lacs qui ne dégèlent jamais. En général, le terrain de cette dernière zone est assez égal et d’une même pente, excepté dans quelques endroits ; et ce n’est qu’au dessous de cette région de neige qu’il se trouve un grand nombre d’inégalités, d’éminences, et de profondeurs produites par les éruptions, et que l’on voit les collines et les montagnes plus ou moins nouvellement formées, et composées de matières rejetées par ces différentes bouches à feu.

Le cratère du sommet de l’Etna, en 1770, avoit, selon M. Brydone, plus d’une lieue de circonférence, et les auteurs anciens et modernes lui ont donné des dimensions très différentes : néanmoins tous ces auteurs ont raison, parce que toutes les dimensions de cette bouche à feu ont changé ; et tout ce que l’on doit inférer de la comparaison des différentes descriptions qu’on en a faites c’est que le cratère, avec ses bords, s’est éboulé quatre fois depuis six ou sept cents ans. Les matériaux dont il est formé retombent dans les entrailles de la montagne, d’où ils sont ensuite rejetés par de nouvelles éruptions qui forment un autre cratère, lequel s’augmente et s’élève par degrés, jusqu’à ce qu’il retombe de nouveau dans le même gouffre du volcan.

Ce haut sommet de la montagne n’est pas le seul endroit où le feu souterrain ait fait éruption ; on voit, dans tout le terrain qui forme la croupe de l’Etna, et jusqu’à de très grandes distances du sommet, plusieurs autres cratères qui ont donné passage au feu, et qui sont environnés de morceaux de rochers qui en sont sortis dans différentes éruptions. On peut même compter plusieurs collines, toutes formées par l’éruption de ces petits volcans qui environnent le grand ; chacune de ces collines offre à son sommet une coupe ou cratère, au milieu duquel on voit la bouche ou plutôt le gouffre profond de ces volcans particuliers. Chaque éruption de l’Etna a produit une nouvelle montagne ; et peut-être, dit M. Brydone, que leur nombre serviroit mieux que toute autre méthode à déterminer celui des éruptions de ce fameux volcan.

La ville de Catane, qui est au bas de la montagne, a souvent été ruinée par le torrent des laves qui sont sorties du pied de ces nouvelles montagnes, lorsqu’elles se sont formées. En montant de Catane à Nicolosi, on parcourt douze milles de chemin dans un terrain formé d’anciennes laves, et dans lequel on voit des bouches de volcans éteints, qui sont à présent des terres couvertes de blé, de vignobles, et de vergers. Les laves qui forment cette région proviennent de l’éruption de ces petites montagnes qui sont répandues partout sur les flancs de l’Etna : elles sont toutes sans exception d’une figure régulière, soit hémisphérique, soit conique : chaque éruption crée ordinairement une de ces montagnes. Ainsi l’action des feux souterrains ne s’élève pas toujours jusqu’au sommet de l’Etna ; souvent ils ont éclaté sur la croupe, et, pour ainsi dire, jusqu’au pied de cette montagne ardente. Ordinairement chacune de ces éruptions du flanc de l’Etna produit une montagne nouvelle, composée des rochers, des pierres, et des cendres lancées par la force du feu ; et le volume de ces montagnes nouvelles est plus ou moins énorme, à proportion du temps qu’a duré l’éruption : si elle se fait en peu de jours, elle ne produit qu’une colline d’environ une lieue de circonférence à la base, sur trois ou quatre cents pieds de hauteur perpendiculaire ; mais si l’éruption a duré quelques mois, comme celle de 1669, elle produit alors une montagne considérable de deux ou trois lieues de circonférence sur neuf cents ou mille pieds d’élévation ; et toutes ces collines enfantées par l’Etna, qui a douze mille pieds de hauteur, ne paroissent être que de petites éminences faites pour accompagner la majesté de la mère-montagne.

Dans le Vésuve, qui n’est qu’un très petit volcan en comparaison de l’Etna, les éruptions des flancs de la montagne sont rares, et les laves sortent ordinairement du cratère qui est au sommet ; au lieu que dans l’Etna les éruptions se sont faites bien plus souvent par les flancs de la montagne que par son sommet, et les laves sont sorties de chacune de ces montagnes formées par des éruptions sur les côtés de l’Etna. M. Brydone dit, d’après M. Recupero, que les masses de pierres lancées par l’Etna s’élèvent si haut, qu’elles emploient vingt-une secondes de temps à descendre et retomber à terre, tandis que celles du Vésuve tombent en neuf secondes ; ce qui donne douze cent quinze pieds pour la hauteur à laquelle s’élèvent les pierres lancées par le Vésuve, et six mille six cent quinze pieds pour la hauteur à laquelle montent celles qui sont lancées par l’Etna ; d’où l’on pourroit conclure, si les observations sont justes, que la force de l’Etna est à celle du Vésuve comme 441 sont à 81, c’est-à-dire cinq à six fois plus grande. Et ce qui prouve d’une manière démonstrative que le Vésuve n’est qu’un très foible volcan en comparaison de l’Etna, c’est que celui-ci paroît avoir enfanté d’autres volcans plus grands que le Vésuve. « Assez près de la caverne des Chèvres, dit M. Brydone, on voit deux des plus belles montagnes qu’ait enfantées l’Etna ; chacun des cratères de ces deux montagnes est beaucoup plus large que celui du Vésuve : ils sont à présent remplis par des forêts de chênes, et revêtus jusqu’à une grande profondeur d’un sol très fertile ; le fond du sol est composé de laves dans cette région comme dans toutes les autres, depuis le pied de la montagne jusqu’au sommet. La montagne conique qui forme le sommet de l’Etna et contient son cratère a plus de trois lieues de circonférence ; elle est extrêmement rapide, et couverte de neige et de glace en tout temps. Ce grand cratère a plus d’une lieue de circonférence en dedans, et il forme une excavation qui ressemble à un vaste amphithéâtre ; il en sort des nuages de fumée qui ne s’élèvent point en l’air, mais roulent vers le bas de la montagne : le cratère est si chaud, qu’il est très dangereux d’y descendre. La grande bouche du volcan est près du centre du cratère ; quelques uns des rochers lancés par le volcan hors de son cratère sont d’une grandeur incroyable : le plus gros qu’ait vomi le Vésuve est de forme ronde et a environ douze pieds de diamètre ; ceux de l’Etna sont bien plus considérables, et proportionnés à la différence qui se trouve entre les deux volcans. »

Comme toute la partie qui environne le sommet de l’Etna présente un terrain égal, sans collines ni vallées jusqu’à plus de deux lieues de distance en descendant, et qu’on y voit encore aujourd’hui les ruines de la tour du philosophe Empédocle, qui vivoit quatre cents ans avant l’ère chrétienne, il y a toute apparence que depuis ce temps le grand cratère du sommet de l’Etna n’a fait que peu ou point d’éruptions ; la force du feu a donc diminué, puisqu’il n’agit plus avec violence au sommet et que toutes les éruptions modernes se sont faites dans les régions plus basses de la montagne. Cependant, depuis quelques siècles, les dimensions de ce grand cratère du sommet de l’Etna ont souvent changé : on le voit par les mesures qu’en ont données les auteurs siciliens en différents temps. Quelquefois il s’est écroulé, ensuite il s’est reformé en s’élevant peu à peu jusqu’à ce qu’il s’écroulât de nouveau. Le premier de ces écroulements, bien constaté, est arrivé en 1157, un second en 1329, un troisième en 1474, et le dernier en 1669. Mais je ne crois pas qu’on doive en conclure avec M. Brydone, que dans peu le cratère s’écroulera de nouveau ; l’opinion que cet effet doit arriver tous les cent ans ne me paroît pas assez fondée, et je serois au contraire très porté à présumer que le feu n’agissant plus avec la même violence au sommet de ce volcan, ses forces ont diminué et continueront à s’affoiblir à mesure que la mer s’éloignera davantage : il l’a déjà fait reculer de plusieurs milles par ses propres forces, il en a construit les digues et les côtes par ses torrents de laves ; et d’ailleurs, on sait, par la diminution de la rapidité du Charybde et du Scylla, et par plusieurs autres indices, que la mer de Sicile a considérablement baissé depuis deux mille cinq cents ans : ainsi l’on ne peut guère douter qu’elle ne continue à s’abaisser, et que par conséquent l’action des volcans voisins ne se ralentisse, en sorte que le cratère de l’Etna pourra rester très long-temps dans son état actuel, et que, s’il vient à retomber dans ce gouffre, ce sera peut-être pour la dernière fois. Je crois encore pouvoir présumer que quoique l’Etna doive être regardé comme une des montagnes primitives du globe, à cause de sa hauteur et de son immense volume, et que très anciennement il ait commencé d’agir dans le temps de la retraite générale des eaux, son action a néanmoins cessé après cette retraite, et qu’elle ne s’est renouvelée que dans des temps assez modernes, c’est-à-dire lorsque la mer Méditerranée, s’étant élevée par la rupture du Bosphore et de Gibraltar, a inondé les terres entre la Sicile et l’Italie, et s’est approchée de la base de l’Etna. Peut-être la première des éruptions nouvelles de ce fameux volcan est elle encore postérieure à cette époque de la nature. « Il me paroît évident, dit M. Brydone, que l’Etna ne brûloit pas au siècle d’Homère, ni même long-temps auparavant ; autrement il seroit impossible que ce poëte eût tant parlé de la Sicile sans faire mention d’un objet si remarquable. » Cette réflexion de M. Brydone est très juste ; ainsi ce n’est qu’après le siècle d’Homère qu’on doit dater les nouvelles éruptions de l’Etna : mais on peut voir, par les tableaux poétiques de Pindare, de Virgile, et par les descriptions des auteurs anciens et modernes, combien en dix-huit ou dix-neuf cents ans la face entière de cette montagne et des contrées adjacentes a subi de changements et d’altérations par les tremblements de terre, par les éruptions, par les torrents de laves, et enfin par la formation de la plupart des collines et des gouffres produits par tous ces mouvements. Au reste, j’ai tiré les faits que je viens de rapporter de l’excellent ouvrage de M. Brydone, et j’estime assez l’auteur pour croire qu’il ne trouvera pas mauvais que je ne sois pas de son avis sur la puissance de l’aspiration des volcans et sur quelques autres conséquences qu’il a cru devoir tirer des faits ; personne, avant M. Brydone, ne les avoit si bien observés et si clairement présentés, et tous les savants doivent se réunir pour donner à son ouvrage tous les éloges qu’il mérite.

Les torrents de verre en fusion, auxquels on a donné le nom de laves, ne sont pas, comme on pourroit le croire, le premier produit de l’éruption d’un volcan : ces éruptions s’annoncent ordinairement par un tremblement de terre plus ou moins violent, premier effet de l’effort du feu qui cherche à sortir et à s’échapper au dehors ; bientôt il s’échappe en effet, et s’ouvre une route dont il élargit l’issue, en projetant au dehors les rochers et toutes les terres qui s’opposoient à son passage ; ces matériaux, lancés à une grande distance, retombent les uns sur les autres, et forment une éminence plus ou moins considérable, à proportion de la durée et de la violence de l’éruption. Comme toutes les terres rejetées sont pénétrées de feu, et la plupart converties en cendres ardentes, l’éminence qui en est composée est une montagne de feu solide, dans laquelle s’achève la vitrification d’une grande partie de la matière par le fondant des cendres ; dès lors cette matière fondue fait effort pour s’écouler, et la lave éclate et jaillit ordinairement au pied de la nouvelle montagne qui vient de la produire : mais dans les petits volcans, qui n’ont pas assez de force pour lancer au loin les matières qu’ils rejettent, la lave sort du haut de la montagne. On voit cet effet dans les éruptions du Vésuve : la lave semble s’élever jusque dans le cratère ; le volcan vomit auparavant des pierres et des cendres qui, retombant à-plomb sur l’ancien cratère, ne font que l’augmenter ; et c’est à travers cette matière additionnelle nouvellement tombée que la lave s’ouvre une issue. Ces deux effets, quoique différents en apparence, sont néanmoins les mêmes : car, dans un petit volcan qui, comme le Vésuve, n’a pas assez de puissance pour enfanter de nouvelles montagnes en projetant au loin les matières qu’il rejette, toutes tombent sur le sommet ; elles en augmentent la hauteur, et c’est au pied de cette nouvelle couronne de matière que la lave s’ouvre un passage pour s’écouler. Ce dernier effort est ordinairement suivi du calme du volcan ; les secousses de la terre au dedans, les projections au dehors, cessent dès que la lave coule : mais les torrents de ce verre en fusion produisent des effets encore plus étendus, plus désastreux, que ceux du mouvement de la montagne dans son éruption ; ces fleuves de feu ravagent, détruisent, et même dénaturent la surface de la terre. Il est comme impossible de leur opposer une digue ; les malheureux habitants de Catane en ont fait la triste expérience : comme leur ville avoit souvent été détruite en total ou en partie par les torrents de lave, ils ont construit de très fortes murailles de cinquante-cinq pieds de hauteur ; environnés de ces remparts, ils se croyoient en sûreté : les murailles résistèrent en effet au feu et au poids du torrent, mais cette résistance ne servit qu’à le gonfler ; il s’éleva jusqu’au dessus de ces remparts, retomba sur la ville, et détruisit tout ce qui se trouva sur son passage.

Ces torrents de lave ont souvent une demi-lieue et quelquefois jusqu’à deux lieues de largeur. « La dernière lave que nous avons traversée, dit M. Brydone, avant d’arriver à Catane, est d’une si vaste étendue, que je croyois qu’elle ne finiroit jamais ; elle n’a certainement pas moins de six ou sept milles de large, et elle paroît être en plusieurs endroits d’un profondeur énorme : elle a chassé en arrière les eaux de la mer a plus d’un mille, et a formé un large promontoire élevé et noir, devant lequel il y a beaucoup d’eau. Cette lave est stérile et n’est couverte que de très peu de terreau : cependant elle est ancienne ; car au rapport de Diodore de Sicile, cette même lave a été vomie par l’Etna au temps de la seconde guerre punique : lorsque Syracuse étoit assiégée par les Romains, les habitants de Taurominium envoyèrent un détachement pour secourir les assiégés ; les soldats furent arrêtés dans leur marche par ce torrent de lave qui avoit déjà gagné la mer avant leur arrivée au pied de la montagne ; il leur coupa entièrement le passage. Ce fait, confirmé par d’autres auteurs et même par des inscriptions et des monuments, s’est passé il y a deux mille ans ; et cependant cette lave n’est encore couverte que de quelques végétaux parsemés, et elle est absolument incapable de produire du blé et des vins ; il y a seulement quelques gros arbres dans les crevasses qui sont remplies d’un bon terreau. La surface des laves devient avec le temps un sol très fertile.

» En allant en Piémont, continue M. Brydone, nous passâmes sur un large pont construit entièrement de lave. Près de là, la rivière se plonge à travers une autre lave, qui est très remarquable et probablement une des plus anciennes qui soient sorties de l’Etna ; le courant, qui est extrêmement rapide, l’a rongée en plusieurs endroits jusqu’à la profondeur de cinquante ou soixante pieds ; et selon M. Recupero, son cours occupe une longueur d’environ quarante milles : elle est sortie d’une éminence très considérable sur la côte septentrionale de l’Etna ; et comme elle a trouvé quelques vallées qui sont à l’est, elle a pris son cours de ce côté ; elle interrompt la rivière d’Alcantara à diverses reprises, et enfin elle arrive à la mer près de l’embouchure de cette rivière. La ville de Jaci et toutes celles de cette côte sont fondées sur des rochers immenses de laves, entassés les uns sur les autres, et qui sont en quelques endroits d’une hauteur surprenante ; car il paroît que ces torrents enflammés se durcissent en rochers dès qu’ils sont arrivés à la mer… De Jaci à Catane on ne marche que sur la lave ; elle a formé toute cette côte, et, en beaucoup d’endroits, les torrents de lave ont repoussé la mer à plusieurs milles en arrière de ses anciennes limites… À Catane, près d’une voûte qui est à présent à trente pieds de profondeur, on voit un endroit escarpé où l’on distingue plusieurs couches de lave, avec une de terre très épaisse sur la surface de chacune : s’il faut deux mille ans pour former sur la lave une légère couche de terre, il a dû s’écouler un temps plus considérable entre chacune des éruptions qui ont donné naissance à ces couches. On a percé à travers sept laves séparées, placées les unes sur les autres, et dont la plupart sont couvertes d’un lit épais de bon terreau ; ainsi la plus basse de ces couches paroît s’être formée il y a quatorze mille ans… En 1669, la lave forma un promontoire à Catane, dans un endroit où il y avoit plus de cinquante pieds de profondeur d’eau, et ce promontoire est élevé de cinquante autres pieds au dessus du niveau actuel de la mer. Ce torrent de lave sortit au dessous de Montpelieri, vint frapper contre cette montagne, se partagea ensuite en deux branches, et ravagea tout le pays qui est entre Montpelieri et Catane, dont elle escalada les murailles, avant de se verser dans la mer ; elle forma plusieurs collines où il y avoit autrefois des vallées, et combla un lac étendu et profond dont on n’aperçoit pas aujourd’hui le moindre vestige… La côte de Catane à Syracuse est partout éloignée de trente milles au moins du sommet de l’Etna ; et néanmoins cette côte, dans une longueur de près de dix lieues, est formée des laves de ce volcan : la mer a été repoussée fort loin, en laissant des rochers élevés et des promontoires de laves qui défient la fureur des flots, et leur présentent des limites qu’ils ne peuvent franchir. Il y avoit, dans le siècle de Virgile, un beau port au pied de l’Etna ; il n’en reste aucun vestige aujourd’hui : c’est probablement celui qu’on a appelé mal à propos le port d’Ulysse. On montre aujourd’hui le lieu de ce port à trois ou quatre milles dans l’intérieur du pays : ainsi la lave a gagné toute cette étendue sur la mer, et a formé tous ces nouveaux terrains… L’étendue de cette contrée couverte de laves et d’autres matières brûlées est, selon M. Recupero, de cent quatre-vingt-trois milles en circonférence, et ce cercle augmente encore à chaque grande éruption. »

Voilà donc une terre d’environ trois cents lieues superficielles toute couverte ou formée par les projections des volcans, dans laquelle, indépendamment du pic de l’Etna, l’on trouve d’autres montagnes en grand nombre, qui toutes ont leurs cratères propres et nous démontrent autant de volcans particuliers : il ne faut donc pas regarder l’Etna comme un seul volcan, mais comme un assemblage, une gerbe de volcans, dont la plupart sont éteints ou brûlent d’un feu tranquille, et quelques autres, en petit nombre, agissent encore avec violence. Le haut sommet de l’Etna ne jette maintenant que des fumées, et, depuis très long-temps, il n’a fait aucune projection au loin, puisqu’il est partout environné d’un terrain sans inégalités à plus de deux lieues de distance, et qu’au dessous de cette haute région couverte de neige on voit une large zone de grandes forêts, dont le sol est une bonne terre de plusieurs pieds d’épaisseur. Cette zone inférieure est, à la vérité, semée d’inégalités, et présente des éminences, des vallons, des collines, et même d’assez grosses montagnes : mais, comme presque toutes ces inégalités sont couvertes d’une grande épaisseur de terre, et qu’il faut une longue succession de temps pour que les matières volcanisées se convertissent en terre végétale, il me paroît qu’on peut regarder ie sommet de l’Etna et les autres bouches à feu qui l’environnoient jusqu’à quatre ou cinq lieues au dessous comme des volcans presque éteints, ou du moins assoupis depuis nombre de siècles ; car les éruptions dont on peut citer les dates depuis deux mille cinq cents ans se sont faites dans la région plus basse, c’est-à-dire à cinq, six, et sept lieues de distance du sommet. Il me paroît donc qu’il y a eu deux âges différents pour les volcans de la Sicile : le premier très ancien, où le sommet de l’Etna a commencé d’agir, lorsque la mer universelle a laissé ce sommet à découvert et s’est abaissée à quelques centaines de toises au dessous ; c’est dès lors que se sont faites les premières éruptions qui ont produit les laves du sommet et formé les collines qui se trouvent au dessous dans la région des forêts : mais ensuite les eaux, ayant continué de baisser, ont totalement abandonné cette montagne, ainsi que toutes les terres de la Sicile et des continents adjacents ; et, après cette entière retraite des eaux, la Méditerranée n’étoit qu’un lac d’assez médiocre étendue, et ses eaux étoient très éloignées de la Sicile et de toutes les contrées dont elle baigne aujourd’hui les côtes. Pendant tout ce temps, qui a duré plusieurs milliers d’années, la Sicile a été tranquille, l’Etna et les autres anciens volcans qui environnent son sommet ont cessé d’agir ; et ce n’est qu’après l’augmentation de la Méditerranée par les eaux de l’Océan et de la mer Noire, c’est-à-dire après la rupture de Gibraltar et du Bosphore, que les eaux sont venues attaquer de nouveau les montagnes de l’Etna par leur base, et qu’elles ont produit les éruptions modernes et récentes, depuis le siècle de Pindare jusqu’à ce jour ; car ce poëte est le premier qui ait parlé des éruptions des volcans de la Sicile. Il en est de même du Vésuve : il a fait long-temps partie des volcans éteints de l’Italie, qui sont en très grand nombre ; et ce n’est qu’après l’augmentation de la mer Méditerranée que, les eaux s’en étant rapprochées, ses éruptions se sont renouvelées. La mémoire des premières, et même de toutes celles qui avoient précédé le siècle de Pline, étoit entièrement oblitérée ; et l’on ne doit pas en être surpris, puisqu’il s’est passé peut-être plus de dix mille ans depuis la retraite entière des mers jusqu’à l’augmentation de la Méditerranée, et qu’il y a ce même intervalle de temps entre la première action du Vésuve et son renouvellement. Toutes ces considérations semblent prouver que les feux souterrains ne peuvent agir avec violence que quand ils sont assez voisins des mers pour éprouver un choc contre un grand volume d’eau : quelques autres phénomènes particuliers paroissent encore démontrer cette vérité. On a vu quelquefois les volcans rejeter une grande quantité d’eau, et aussi des torrents de bitume. Le P. de La Torre, très habile physicien, rapporte que, le 10 mars 1755, il sortit du pied de la montagne de l’Etna un large torrent d’eau qui inonda les campagnes d’alentour. Ce torrent rouloit une quantité de sable si considérable, qu’elle remplit une plaine très étendue. Ces eaux étoient fort chaudes. Les pierres et les sables laissés dans la campagne ne différoient en rien des pierres et du sable qu’on trouve dans la mer. Ce torrent d’eau fut immédiatement suivi d’un torrent de matière enflammée, qui sortit de la même ouverture.

Cette même éruption de 1755 s’annonça, dit M. d’Arthenay, par un si grand embrasement, qu’il éclairoit plus de vingt-quatre milles de pays du côté de Catane ; les explosions furent bientôt si fréquentes, que, dès le 3 mars, on apercevoit une nouvelle montagne au dessus du sommet de l’ancienne, de la même manière que nous l’avons vu au Vésuve dans ces derniers temps. Enfin les jurats de Mascali ont mandé le 12, que le 9 du même mois les explosions devinrent terribles ; que la fumée augmenta à tel point que tout le ciel en fut obscurci ; qu’à l’entrée de la nuit il commença à pleuvoir un déluge de petites pierres, pesant jusqu’à trois onces, dont tous le pays et les cantons circonvoisins furent inondés ; qu’à cette pluie affreuse, qui dura plus de cinq quarts d’heure, en succéda une autre de cendres noires, qui continua toute la nuit ; que le lendemain, sur les huit heures du matin, le sommet de l’Etna vomit un fleuve d’eau comparable au Nil ; que les anciennes laves les plus impraticables par leurs montuosités, leurs coupures, et leurs pointes, furent en un clin d’œil converties par ce torrent en une vaste plaine de sable ; que l’eau, qui heureusement n’avoit coulé que pendant un demi-quart d’heure, étoit très chaude ; que les pierres et les sables qu’elle avoit charriés avec elle ne différoient en rien des pierres et du sable de la mer ; qu’après l’inondation il étoit sorti de la même bouche un petit ruisseau de feu qui coula pendant vingt-quatre heures ; que le 11, à un mille environ au dessous de cette bouche, il se fit une crevasse par où déboucha une lave qui pouvoit avoir cent toises de largeur et deux milles d’étendue, et qu’elle continuoit son cours au travers de la campagne le jour même que M. d’Arthenay écrivoit cette relation.

Voici ce que dit M. Brydone, au sujet de cette éruption : « Une partie des belles forêts qui composent la seconde région de l’Etna fut détruite en 1755 par un très singulier phénomène. Pendant une éruption du volcan, un immense torrent d’eau bouillante sortit, à ce qu’on imagine, du grand cratère de ! a montagne, en se répandant en un instant sur sa base, en renversant et détruisant tout ce qu’il rencontra dans sa course. Les traces de ce torrent étoient encore visibles (en 1770). Le terrain commençoit à recouvrer sa verdure et sa végétation, qui ont paru quelque temps avoir été anéanties. Le sillon que ce torrent d’eau a laissé semble avoir environ un mille et demi de largeur, et davantage en quelques endroits. Les gens éclairés du pays croient communément que le volcan a quelque communication avec la mer, et qu’il éleva cette eau par une force de succion. Mais, dit M. Brydone, l’absurdité de cette opinion est trop évidente pour avoir besoin d’être réfutée ; la force de succion seule, même en supposant un vide parfait, ne pourroit jamais élever l’eau à plus de trente-trois ou trente-quatre pieds, ce qui est égal au poids d’une colonne d’air dans toute la hauteur de l’atmosphère. » Je dois observer que M. Brydone me paroît se tromper ici, puisqu’il confond la force du poids de l’atmosphère avec la force de succion produite par l’action du feu. Celle de l’air, lorsqu’on fait le vide, est en effet limitée à moins de trente-quatre pieds ; mais la force de succion ou d’aspiration du feu n’a point de bornes ; elle est, dans tous les cas, proportionnelle à l’activité et à la quantité de la chaleur qui l’a produite, comme on le voit dans les fourneaux où l’on adapte des tuyaux aspiratoires. Ainsi l’opinion des gens éclairés du pays, loin d’être absurde, me paroît bien fondée : il est nécessaire que les cavités des volcans communiquent avec la mer ; sans cela ils ne pourroient vomir ces immenses torrents d’eau, ni même faire aucune éruption, puisque aucune puissance, à l’exception de l’eau choquée contre le feu, ne peut produire d’aussi violents effets.

Le volcan Pacayita, nommé volcan de l’eau par les Espagnols, jette des torrents d’eau dans toutes ses éruptions ; la dernière détruisit, en 1773, la ville de Guatimala, et les torrents d’eau et de laves descendirent jusqu’à la mer du Sud.

On a observé sur le Vésuve, qu’il vient de la mer un vent qui pénètre dans la montagne : le bruit qui se fait entendre dans certaines cavités, comme s’il passoit quelque torrent par dessous, cesse aussitôt que les vents de terre soufflent ; et on s’aperçoit en même temps que les exhalaisons de la bouche du Vésuve deviennent beaucoup moins considérables ; au lieu que lorsque le vent vient de la mer, ce bruit semblable à un torrent recommence, ainsi que les exhalaisons de flamme et de fumée, les eaux de la mer s’insinuant aussi dans la montagne, tantôt en grande, tantôt en petite quantité ; et il est arrivé plusieurs fois à ce volcan de rendre en même temps de la cendre et de l’eau.

Un savant, qui a comparé l’état moderne du Vésuve avec son état actuel, rapporte que, pendant l’intervalle qui précéda l’éruption de 1631, l’espèce d’entonnoir que forme l’intérieur du Vésuve s’étoit revêtu d’arbres et de verdure ; que la petite plaine qui le terminoit étoit abondante en excellents pâturages ; qu’en partant du bord supérieur du gouffre, on avoit un mille à descendre pour arriver à cette plaine, et qu’elle avoit, vers son milieu, un autre gouffre dans lequel on descendoit également pendant un mille, par des chemins étroits et tortueux, qui conduisoient dans un espace plus vaste, entouré de cavernes, d’où il sortoit des vents si impétueux et si froids, qu’il était impossible d’y résister. Suivant le même observateur, la sommité du Vésuve avoit alors cinq milles de circonférence. Après cela, on ne doit point être étonné que quelques physiciens aient avancé que ce qui semble former aujourd’hui deux montagnes n’en étoit qu’une autrefois ; que le volcan étoit au centre ; mais que le côté méridional s’étant éboulé par l’effet de quelque éruption, il avoit formé ce vallon, qui sépare le Vésuve du mont Somma.

M. Steller observe que les volcans de l’Asie septentrionale sont presque toujours isolés, qu’ils ont à peu près la même croûte ou surface, et qu’on trouve toujours des lacs sur le sommet et des eaux chaudes au pied des montagnes où les volcans se sont éteints. « C’est, dit-il, une nouvelle preuve de la correspondance que la nature a mise entre la mer, les montagnes, les volcans, et les eaux chaudes. On trouve nombre de ces eaux chaudes dans différents endroits de Kamtschatka. L’île de Sjanw, à quarante lieues de Ternate, a un volcan dont on voit souvent sortir de l’eau, des cendres, etc. Mais il est inutile d’accumuler ici des faits en plus grand nombre pour prouver la communication des volcans avec la mer : la violence de leurs éruptions seroit seule suffisante pour le faire présumer ; et le fait général de la situation près de la mer de tous les volcans actuellement agissants achève de le démontrer. Cependant, comme quelques physiciens ont nié la réalité et même la possibilité de cette communication des volcans à la mer, je ne dois pas laisser échapper un fait que nous devons à feu M. de La Condamine, homme aussi véridique qu’éclairé. Il dit « qu’étant monté au sommet du Vésuve, le 4 juin 1755, et même sur les bords de l’entonnoir qui s’est formé autour de la bouche du volcan depuis sa dernière explosion, il aperçut dans le gouffre, à environ quarante toises de profondeur, une grande cavité en voûte vers le nord de la montagne : il fit jeter de grosses pierres dans cette cavité, et il compta à sa montre douze secondes avant qu’on cessât de les entendre rouler ; à la fin de leur chute, on crut entendre un bruit semblable à celui que feroit une pierre en tombant dans un bourbier ; et quand on n’y jetoit rien, on entendoit un bruit semblable à celui des flots agités. » Si la chute de ces pierres jetées dans le gouffre s’étoit faite perpendiculairement et sans obstacles, on pourroit conclure des douze secondes de temps une profondeur de deux mille cent soixante pieds, ce qui donneroit au gouffre du Vésuve plus de profondeur que le niveau de la mer ; car, selon le P. de La Torre, cette montagne n’avoit, en 1755, que seize cent soixante-dix-sept pieds d’élévation au dessus de la surface de la mer ; et cette élévation est encore diminuée depuis ce temps. Il paroît donc hors de doute que les cavernes de ce volcan descendent au dessous du niveau de la mer, et que par conséquent il peut avoir communication avec elle.

J’ai reçu d’un témoin oculaire et bon observateur une note bien faite et détaillée sur l’état du Vésuve, le 15 juillet de cette même année 1755 : je vais la rapporter, comme pouvant servir à fixer les idées sur ce que l’on doit présumer et craindre des effets de ce volcan, dont la puissance me paroît être bien affoiblie. « Rendu au pied du Vésuve, distant de Naples de deux lieues, on monte pendant une heure et demie sur des ânes, et l’on en emploie autant pour faire le reste du chemin à pied ; c’en est la partie la plus escarpée et la plus fatigante ; on se tient à la ceinture de deux hommes qui précédent, et l’on marche dans les cendres et dans les pierres anciennement élancées.  » Chemin faisant, on voit les laves des différentes éruptions : la plus ancienne qu’on trouve, dont l’âge est incertain, mais à qui la tradition donne deux cents ans, est de couleur gris de fer, et a toutes les apparences d’une pierre ; elle s’emploie actuellement pour le pavé de Naples et pour certains ouvrages de maçonnerie. On en trouve d’autres, qu’on dit être de soixante, de quarante et de vingt ans ; la dernière est de l’année 1752… Ces différentes laves, à l’exception de la plus ancienne, ont de loin l’apparence d’une terre brune, noirâtre, raboteuse, plus ou moins fraîchement labourée. Vue de près, c’est une matière absolument semblable à celle qui reste du fer épuré dans les fonderies ; elle est plus ou moins composée de terre et de minéral ferrugineux, et approche plus ou moins de la pierre.

» Arrivé à la cime qui, avant les éruptions, étoit solide, on trouve un premier bassin, dont la circonférence, dit-on, a deux milles d’Italie, et dont la profondeur paroît avoir quarante pieds, entouré d’une croûte de terre de cette même hauteur, qui va en s’épaississant vers sa base, et dont le bord supérieur a deux pieds de largeur. Le fond de ce premier bassin est couvert d’une matière jaune, verdâtre, sulfureuse, durcie, et chaude, sans être ardente, qui, par différentes crevasses, laisse sortir de la fumée.

» Dans le milieu de ce premier bassin, on en voit un second, qui a moitié de la circonférence du premier, et pareillement la moitié de sa profondeur ; son fond est couvert d’une matière brune, noirâtre, telle que les laves les plus fraîches qui se trouvent sur la route.

» Dans ce second bassin s’élève un monticule creux dans son intérieur, ouvert dans sa cime, et pareillement ouvert depuis sa cime jusqu’à sa base, vers le côté de la montagne où l’on monte. Cette ouverture latérale peut avoir à la cime vingt pieds, et à la base quatre pieds de largeur. La hauteur du monticule est environ de quarante pieds ; le diamètre de sa base peut en avoir autant, et celui de l’ouverture de sa cime la moitié.

» Cette base, élevée au dessus du second bassin d’environ vingt pieds, forme un troisième bassin actuellement rempli d’une matière liquide et ardente, dont le coup d’œil est entièrement semblable au métal fondu qu’on voit dans les fourneaux d’une fonderie. Cette matière bouillonne continuellement avec violence ; son mouvement a l’apparence d’un lac médiocrement agité, et le bruit qu’il produit est semblable à celui des vagues.

» De minute en minute, il se fait de cette matière des élans comme ceux d’un gros jet d’eau ou de plusieurs jets d’eau réunis ensemble. Ces élans produisent une gerbe ardente qui s’élève à la hauteur de trente à quarante pieds, et retombe en différents arcs, partie dans son propre bassin, partie dans le fond du second bassin couvert de la matière noire : c’est la lueur réfléchie de ces jets ardents, quelquefois peut-être l’extrémité supérieure de ces jets mêmes, qu’on voit depuis Naples pendant la nuit. Le bruit que font ces élans dans leur élévation et dans leur chute, paroît composé de celui que fait un feu d’artifice en partant, et de celui que produisent les vagues poussées par un vent violent contre un rocher.

» Ces bouillonnements entremêlés de ces élans produisent un transvasement continuel de cette matière. Par l’ouverture de quatre pieds qui se trouve à la base du monticule, on voit couler, sans discontinuer, un ruisseau ardent de la largeur de l’ouverture, qui, dans un canal incliné et avec un mouvement moyen, descend dans le second bassin, couvert de matière noire, s’y divise en plusieurs ruisselets encore ardents, s’y arrête, et s’y éteint.

» Ce ruisseau ardent est actuellement une nouvelle lave, qui ne coule que depuis huit jours ; et si elle continue et augmente, elle produira avec le temps un nouveau dégorgement dans la plaine, semblable à celui qui se fit il y a deux ans : le tout est accompagné d’une épaisse fumée qui n’a point l’odeur du soufre, mais celle précisément que répand un fourneau où l’on cuit des tuiles.

» On peut, sans aucun danger, faire le tour de la cime sur le bord de la croûte, parce que le monticule creusé d’où partent les jets ardents est assez distant des bords pour ne laisser rien à craindre ; on peut pareillement sans danger descendre dans le premier bassin ; on pourroit même se tenir sur les bords du second, si la réverbération de la matière ardente ne l’empêchoit.

» Voilà l’état actuel du Vésuve, ce 15 juillet 1755 : il change sans cesse de forme et d’aspect ; il ne jette actuellement point de pierres, et l’on n’en voit sortir aucune flamme[73]. »

Cette observation semble prouver évidemment que le siége de l’embrasement de ce volcan, et peut-être de tous les autres volcans, n’est pas à une grande profondeur dans l’intérieur de la montagne, et qu’il n’est pas nécessaire de supposer leur foyer au niveau de la mer ou plus bas, et de faire partir de là l’explosion dans le temps des éruptions ; il suffit d’admettre des cavernes et des fentes perpendiculaires au dessous, ou plutôt à côté du foyer, lesquelles servent de tuyaux d’aspiration et de ventilateurs au fourneau du volcan.

M. de La Condamine, qui a eu plus qu’aucun autre physicien les occasions d’observer un grand nombre de volcans dans les Cordilières, a aussi examiné le mont Vésuve et toutes les terres adjacentes.

« Au mois de juin 1755, le sommet du Vésuve formoit, dit-il, un entonnoir ouvert dans un amas de cendres, de pierres calcaires, et de soufre, qui brûloit encore de distance en distance, qui teignoit le sol de sa couleur, et qui s’exhaloit par diverses crevasses, dans lesquelles la chaleur étoit assez grande pour enflammer en peu de temps un bâton enfoncé à quelques pieds dans ces fentes.

» Les éruptions de ce volcan sont fréquentes depuis plusieurs années ; et chaque fois qu’il lance des flammes et vomit des matières liquides, la forme extérieure de la montagne et sa hauteur reçoivent des changements considérables… Dans une petite plaine à mi-côte, entre la montagne de cendres et de pierres sorties du volcan, est une enceinte demi-circulaire de rochers escarpés de deux cents pieds de haut, qui bordent cette petite plaine du côté du nord. On peut voir d’après les soupiraux récemment ouverts dans les flancs de la montagne, les endroits par où se sont échappés, dans le temps de sa dernière éruption, les torrents de lave dont tout ce vallon est rempli.

» Ce spectacle présente l’apparence de flots métalliques refroidis et congelés ; on peut s’en former une idée imparfaite en imaginant une mer d’une matière épaisse et tenace dont les vagues commenceroient à se calmer. Cette mer avoit ses îles : ce sont des masses isolées, semblables à des rochers creux et spongieux, ouverts en arcades et en grottes bizarrement percées, sous lesquelles la matière ardente et liquide s’étoit fait des dépôts ou des réservoirs qui ressembloient à des fourneaux. Ces grottes, leurs voûtes, et leurs piliers… étoient chargés de scories suspendues en forme de grappes irrégulières de toutes les couleurs et de toutes les nuances.

» Toutes les montagnes ou coteaux des environs de Naples seront visiblement reconnus à l’examen pour des amas de matières vomies par des volcans qui n’existent plus, et dont les éruptions antérieures aux histoires ont vraisemblablement formé les ports de Naples et Pouzzol. Ces mêmes matières se reconnoissent sur toute la route de Naples à Rome, et aux portes de Rome même…

» Tout l’intérieur de la montagne de Frascati… la chaîne de collines qui s’étend de cet endroit à Grotta-Ferrata, à Castel Gandolfo, jusqu’au lac d’Albano, la montagne de Tivoli en grande partie, celle de Caprarola, de Viterbe, etc., sont composées de divers lits de pierres calcinées, de cendres pures, de scories, de matières semblables au mâchefer, à la terre cuite, à la lave proprement dite, enfin toutes pareilles à celles dont est composé le sol de Portici, et à celles qui sont sorties des flancs du Vésuve sous tant de formes différentes… Il faut donc nécessairement que toute cette partie de l’Italie ait été bouleversée par des volcans.

» Le lac d’Albano, dont les bords sont semés de matières calcinées, n’est que la bouche d’un ancien volcan, etc.… La chaîne des volcans d’Italie s’étend jusqu’en Sicile, et offre encore un assez grand nombre de foyers visibles sous différentes formes. En Toscane, les exhalaisons de Firenzuola, les eaux thermales de Pise ; dans l’État ecclésiastique, celles de Viterbe, de Norcia, de Nocera, etc. ; dans le royaume de Naples, celles d’Ischia, la Solfatara, le Vésuve ; en Sicile et dans les îles voisines de l’Etna, les volcans de Lipari, Stromboli, etc., d’autres volcans de la même chaîne éteints ou épuisés de temps immémorial, n’ont laissé que des résidus, qui, bien qu’ils ne frappent pas toujours au premier aspect, n’en sont pas moins reconnoissables aux yeux attentifs.

» Il est vraisemblable, dit M. l’abbé Mecati, que, dans les siècles passés, le royaume de Naples avoit, outre le Vésuve, plusieurs autres volcans…

» Le mont Vésuve, dit le P. de La Torre, semble une partie détachée de cette chaîne de montagnes qui, sous le nom d’Apennins, divise toute l’Italie dans sa longueur… Ce volcan est composé de trois monts différents : l’un est le Vésuve proprement dit ; les deux autres sont les monts Somma et d’Otajano. Ces deux derniers, placée plus occidentalement, forment une espèce de demi-cercle autour du Vésuve, avec lequel ils ont des racines communes.

» Cette montagne étoit autrefois entourée de campagnes fertiles, et couverte elle-même d’arbres et de verdure, excepté sa cime, qui étoit plate et stérile, et où l’on voyoit plusieurs cavernes entr’ouvertes. Elle étoit environnée de quantité de rochers qui en rendoient l’accès difficile, et dont les pointes, qui étoient fort hautes, cachoient le vallon élevé qui se trouve entre le Vésuve et les monts Somma et d’Otajano. La cime du Vésuve, qui s’est abaissée depuis considérablement, se faisant alors beaucoup plus remarquer, il n’est pas étonnant que les anciens aient cru qu’il n’avoit qu’un sommet…

» La largeur du vallon est, dans toute son étendue, de deux mille deux cent vingt pieds de Paris, et sa longueur équivaut à peu près à sa largeur… il entoure la moitié du Vésuve… et il est, ainsi que tous les côtés du Vésuve, rempli de sable brûlé et de petites pierres ponces. Les rochers qui s’étendent des monts Somma et d’Otajano offrent tout au plus quelques brins d’herbes, tandis que ces monts sont extérieurement couverts d’arbres et de verdure. Ces rochers paroissent, au premier coup d’œil, des pierres brûlées ; mais, en les observant attentivement, on voit qu’ils sont, ainsi que les rochers de ces autres montagnes, composés de lits de pierres naturelles, de terre couleur de châtaigne, de craie et de pierres blanches qui ne paroissent nullement avoir été liquéfiées par le feu…

» On voit tout autour du Vésuve les ouvertures qui s’y sont faites en différents temps, et par lesquelles sortent les laves, ces torrents de matières, qui sortent quelquefois des flancs, et qui tantôt courent sur la croupe de la montagne, se répandent dans les campagnes, et quelquefois jusqu’à la mer, et s’endurcissent comme une pierre lorsque la matière vient à se refroidir…

» À la cime du Vésuve on ne voit qu’une espèce d’ourlet ou de rebord de quatre à cinq palmes de large, qui, prolongé autour de la cime, décrit une circonférence de cinq mille six cent vingt-quatre pieds de Paris. On peut marcher commodément sur ce rebord. Il est tout couvert d’un sable brûlé, qui est rouge en quelques endroits, et sous lequel on trouve des pierres partie naturelles, partie calcinées… On remarque, dans deux élévations de ce rebord, des lits de pierres naturelles, arrangées comme dans toutes les montagnes ; ce qui détruit le sentiment de ceux qui regardent le Vésuve comme une montagne qui s’est élevée peu à peu au dessus du plan du vallon…

» La profondeur du gouffre où la matière bouillonne est de cinq cent quarante-trois pieds : pour la hauteur de la montagne depuis sa cime jusqu’au niveau de la mer, elle est de seize cent soixante-dix-sept pieds, qui font le tiers d’un mille d’Italie.

» Cette hauteur a vraisemblablement été plus considérable. Les éruptions qui ont changé la forme extérieure de la montagne en ont aussi diminué l’élévation par les parties qu’elles ont détachées du sommet, et qui ont roulé dans le gouffre. »

D’après tous ces exemples, si nous considérons la forme extérieure que nous présentent la Sicile et les autres terres ravagées par le feu, nous reconnoîtrons évidemment qu’il n’existe aucun volcan simple et purement isolé. La surface de ces contrées offre partout une suite et quelquefois une gerbe de volcans. On vient de le voir au sujet de l’Etna, et nous pouvons en donner un second exemple dans l’Hécla. L’Islande, comme la Sicile, n’est en grande partie qu’un groupe de volcans, et nous allons le prouver par les observations.

L’Islande entière ne doit être regardée que comme une vaste montagne parsemée de cavités profondes, cachant dans son sein des amas de minéraux, de matières vitrifiées et bitumineuses, et s’élevant de tous côtés du milieu de la mer qui la baigne, en forme d’un cône court et écrasé. Sa surface ne présente à l’œil que des sommets de montagnes blanchis par des neiges et des glaces, et plus bas l’image de la confusion et du bouleversement. C’est un énorme monceau de pierres et de rochers brisés, quelquefois poreux et à demi calcinés, effrayants par la noirceur et les traces de feu qui y sont empreintes. Les fentes et les creux de ces rochers ne sont remplis que d’un sable rouge, et quelquefois noir ou blanc ; mais dans les vallées que les montagnes forment entre elles, on trouve des plaines agréables.

La plupart des jokuts, qui sont des montagnes de médiocre hauteur, quoique couvertes de glaces, et qui sont dominées par d’autres montagnes plus élevées, sont des volcans qui, de temps à autre, jettent des flammes, et causent des tremblements de terre ; on en compte une vingtaine dans toute l’île. Les habitants des environs de ces montagnes ont appris, par leurs observations, que lorsque les glaces et la neige s’élèvent à une hauteur considérable, et qu’elles ont bouché les cavités par lesquelles il est anciennement sorti des flammes, on doit s’attendre à des tremblements de terre, qui sont suivis immanquablement d’éruptions de feu. C’est par cette raison qu’à présent les Hollandois craignent que les jokuts qui jetèrent des flammes, en 1728, dans le canton de Skatfield, ne s’enflamment bientôt, la glace et la neige s’étant accumulées sur leur sommet, et paroissant fermer les soupiraux qui favorisent les exhalaisons de ces feux souterrains.

En 1721, le jokut appelé Koëtlegan, à cinq ou six lieues à l’ouest de la mer, auprès de la baie de Portland, s’enflamma après plusieurs secousses de tremblement de terre. Cet incendie fondit des morceaux de glace d’une grosseur énorme, d’où se formèrent des torrents impétueux qui portèrent fort loin l’inondation avec la terreur, et entraînèrent jusqu’à la mer des quantités prodigieuses de terre, de sable, et de pierres. Les masses solides de glace et l’immense quantité de terre, de pierres, et de sable qu’emporta cette inondation, comblèrent tellement la mer, qu’à un demi-mille des côtes il s’en forma une petite montagne qui paroissoit encore au dessus de l’eau en 1750. On peut juger combien cette inondation amena de matières à la mer, puisqu’elle la fit remonter ou plutôt reculer à douze milles au delà de ses anciennes côtes.

La durée entière de cette inondation fut de trois jours, et ce ne fut qu’après ce temps qu’on put passer au pied des montagnes comme auparavant…

L’Hécla, que l’on a toujours regardé comme un des plus fameux volcans de l’univers à cause de ses éruptions terribles, est aujourd’hui un des moins dangereux de l’Islande. Les monts de Koëtlegan dont on vient de parler, et le mont Krafle, ont fait récemment autant de ravages que l’Hécla en faisoit autrefois. On remarque que ce dernier volcan n’a jeté des flammes que dix fois dans l’espace de huit cents ans ; savoir, dans les années 1104, 1157, 1222, 1300, 1341, 1362, 1389, 1558, 1636, et pour la dernière fois en 1693. Cette éruption commença le 13 février, et continua jusqu’au mois d’août suivant. Tous les autres incendies n’ont de même duré que quelques mois. Il faut donc observer que l’Hécla ayant fait les plus grands ravages au quatorzième siècle, à quatre reprises différentes, a été tout-à-fait tranquille pendant le quinzième, et a cessé de jeter du feu pendant cent soixante ans. Depuis cette époque il n’a fait qu’une seule éruption au seizième siècle, et deux au dix-septième. Actuellement on n’aperçoit sur ce volcan ni feu, ni fumée, ni exhalaisons ; on y trouve seulement dans quelques petits creux, ainsi que dans beaucoup d’autres endroits de l’île, de l’eau bouillante, des pierres, du sable, et des cendres.

En 1726, après quelques secousses de tremblements de terre, qui ne furent sensibles que dans les cantons du nord, le mont Krafle commença à vomir, avec un fracas épouvantable, de la fumée, du feu, des cendres, et des pierres. Cette éruption continua pendant deux ou trois ans, sans faire aucun dommage, parce que tout retomboit sur ce volcan ou autour de sa base.

En 1728, le feu s’étant communiqué à quelques montagnes situées près du Krafle, elles brûlèrent pendant plusieurs semaines. Lorsque les matières minérales qu’elles renfermoient furent fondues, il s’en forma un ruisseau de feu qui coula fort doucement vers le sud, dans les terrains qui sont au dessous de ces montagnes. Ce ruisseau brûlant s’alla jeter dans un lac, à trois lieues du mont Krafle, avec un grand bruit, et en formant un bouillonnement et un tourbillon d’écume horrible. La lave ne cessa de couler qu’en 1729, parce qu’alors vraisemblablement la matière qui la formoit étoit épuisée. Ce lac fut rempli d’une grande quantité de pierres calcinées, qui firent considérablement élever ses eaux : il a environ vingt lieues de circuit, et il est situé à une pareille distance de la mer. On ne parlera pas des autres volcans d’Islande ; il suffit d’avoir fait remarquer les plus considérables.

On voit, par cette description, que rien ne ressemble plus aux volcans secondaires de l’Etna que les jokuts de l’Hécla ; que dans tous deux le haut sommet est tranquille ; que celui du Vésuve s’est prodigieusement abaissé, et que probablement ceux de l’Etna et de l’Hécla étoient autrefois beaucoup plus élevés qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Quoique la topographie des volcans, dans les autres parties du monde, ne nous soit pas aussi bien connue que celle des volcans d’Europe, nous pouvons néanmoins juger, par analogie et par la conformité de leurs effets, qu’ils se ressemblent à tous égards : tous sont situés dans les îles ou sur le bord des continents ; presque tous sont environnés de volcans secondaires ; les uns sont agissants, les autres éteints ou assoupis ; et ceux-ci sont en bien plus grand nombre, même dans les Cordilières, qui paroissent être le domaine le plus ancien des volcans. Dans l’Asie méridionale, les îles de la Sonde, les Moluques, et les Philippines, ne retracent que destruction par le feu, et sont encore pleines de volcans. Les îles du Japon en contiennent de même un assez grand nombre : c’est le pays de l’univers qui est aussi le plus sujet aux tremblements de terre ; il y a des fontaines chaudes en beaucoup d’endroits. La plupart des îles de l’Océan Indien et de toutes les mers de ces régions orientales ne nous présentent que des pics et des sommets isolés qui vomissent le feu, que des côtes et des rivages tranchés, restes d’anciens continents qui ne sont plus : il arrive même encore souvent aux navigateurs d’y rencontrer des parties qui s’affaissent journellement ; et l’on y a vu des îles entières disparoître ou s’engloutir avec leurs volcans sous les eaux. Les mers de la Chine sont chaudes ; preuve de la forte effervescence des bassins maritimes en cette partie : les ouragans y sont affreux ; on y remarque souvent des trombes ; les tempêtes sont toujours annoncées par un bouillonnement général et sensible des eaux, et par divers météores et autres exhalaisons dont l’atmosphère se charge et se remplit.

Le volcan de Ténériffe a été observé par le docteur Thomas Heberden, qui a résidé plusieurs années au bourg d’Oratava, situé au pied du pic ; il trouva en y allant quelques grosses pierres dispersées de tous côtés à plusieurs lieues du sommet de cette montagne : les unes paroissent entières, d’autres semblent avoir été brûlées et jetées à cette distance par le volcan. En montant la montagne, il vit encore des rochers brûlés qui étoient dispersés en assez grosses masses.

« En avançant, dit-il, nous arrivâmes à la fameuse grotte de Zegds, qui est environnée de tous côtés par des masses énormes de rochers brûlés…

» À un quart de lieue plus haut, nous trouvâmes une plaine sablonneuse, du milieu de laquelle s’élève une pyramide de sable ou de cendres jaunâtres, que l’on appelle le pain de sucre. Autour de sa base, on voit sans cesse transpirer des vapeurs fuligineuses : de là jusqu’au sommet, il peut y avoir un demi-quart de lieue ; mais la montée en est très difficile par sa hauteur escarpée et le peu d’assiette qu’on trouve dans tout ce terrain…

» Cependant nous parvînmes à ce que l’on appelle la Chaudière. Cette ouverture a douze ou quinze pieds de profondeur ; ses côtés, se rétrécissant toujours jusqu’au fond, forment une concavité qui ressemble à un cône tronqué dont la base seroit renversée… La terre en est fort chaude ; et d’environ vingt soupiraux, comme d’autant de cheminées, s’exhale une fumée ou vapeur épaisse, dont l’odeur est très sulfureuse. Il semble que tout le sol soit mêlé ou poudré de soufre ; ce qui lui donne une surface brillante et colorée…

» On aperçoit une couleur verdâtre, mêlée d’un jaune brillant comme de l’or, presque sur toutes les pierres qu’on trouve aux environs : une autre partie peu étendue de ce pain de sucre est blanche comme la chaux ; et une autre, plus basse, ressemble à de l’argile rouge qui seroit couverte de sel.

» Au milieu d’un autre rocher nous découvrîmes un trou qui n’avoit pas plus de deux pouces de diamètre, d’où procédoit un bruit pareil à celui d’un volume considérable d’eau qui bouilliroit sur un grand feu. »

Les Açores, les Canaries, les îles du cap Vert, l’île de l’Ascension, les Antilles, qui paroissent être les restes des anciens continents qui réunissoient nos contrées à l’Amérique, ne nous offrent presque toutes que des pays brûlés ou qui brûlent encore. Les volcans anciennement submergés avec les contrées qui les portoient, excitent sous les eaux des tempêtes si terribles, que, dans une de ces tourmentes arrivées aux Açores, le suif des sondes se fondoit par la chaleur du fond de la mer. (Add. Buff.)

Des volcans éteints.

* Le nombre des volcans éteints est sans comparaison beaucoup plus grand que celui des volcans actuellement agissants ; on peut même assurer qu’il s’en trouve en très grande quantité dans presque toutes les parties de la terre. Je pourrois citer ceux que M. de La Condamine a remarqués dans les Cordilières, ceux que M. Fresnaye a observés à Saint-Domingue, dans le voisinage du Port-au-Prince, ceux du Japon et des autres îles orientales et méridionales de l’Asie, dont presque toutes les contrées habitées ont autrefois été ravagées par le feu ; mais je me bornerai à donner pour exemple ceux de l’Île-de-France et de l’île de Bourbon, que quelques voyageurs instruits ont reconnus d’une manière évidente.

« Le terrain de l’Île-de-France est recouvert, dit M. l’abbé de La Caille, d’une quantité prodigieuse de pierres de toutes sortes de grosseurs, dont la couleur est cendrée noire ; une grande partie est criblée de trous : elles contiennent la plupart beaucoup de fer, et la surface de la terre est couverte de mines de ce métal ; on y trouve aussi beaucoup de pierres ponces, surtout sur la côte nord de l’île, des laves ou espèces de laitier de fer, des grottes profondes, et d’autres vestiges manifestes de volcans éteints…

» L’île de Bourbon, continue M. l’abbé de La Caille, quoique plus grande que l’Île-de-France, n’est cependant qu’une grosse montagne, qui est comme fendue dans toute sa hauteur en trois endroits différents. Son sommet est couvert de bois et inhabité, et sa pente, qui s’étend jusqu’à la mer, est défrichée et cultivée dans les deux tiers de son contour ; le reste est recouvert de laves d’un volcan qui brûle lentement et sans bruit : il ne paroît même un peu ardent que dans la saison des pluies…

» L’île de l’Ascension est visiblement formée et brûlée par un volcan ; elle est couverte d’une terre rouge semblable à de la brique pilée ou à de la glaise brûlée… L’île est composée de plusieurs montagnes d’élévation moyenne, comme de cent à cent cinquante toises : il y en a une plus grosse qui est au sud-est de l’île, haute d’environ quatre cents toises… Son sommet est double et allongé ; mais toutes les autres sont terminées en cône assez parfait, et couvertes de terre rouge : la terre et une partie des montagnes sont jonchées d’une quantité prodigieuse de roches criblées d’une infinité de trous, de pierres calcaires et fort légères, dont un grand nombre ressemble à du laitier ; quelques unes sont recouvertes d’un vernis blanc sale, tirant sur le vert : il y a aussi beaucoup de pierres ponces. »

Le célèbre Cook dit que, dans une excursion que l’on fit dans l’intérieur de l’île d’Otaïti, on trouva que les rochers avoient été brûlés comme ceux de Madère, et que toutes les pierres portoient des marques incontestables du feu ; qu’on aperçoit aussi des traces de feu dans l’argile qui est sur les collines, et que l’on peut supposer qu’Otaïti et nombre d’îles voisines sont les débris d’un continent qui a été englouti par l’explosion d’un feu souterrain. Philippe Carteret dit qu’une des îles de la Reine-Charlotte, située vers le 11° 10′ de latitude sud, est d’une hauteur prodigieuse et d’une figure conique, et que son sommet a la forme d’un entonnoir, dont on voit sortir de la fumée, mais point de flammes ; que sur le côté le plus méridional de la terre de la Nouvelle-Bretagne se trouvent trois montagnes, de l’une desquelles il sort une grosse colonne de fumée.

L’on trouve des basaltes à l’île de Bourbon, où le volcan, quoique affoibli, est encore agissant ; à l’Île-de-France, où tous les feux sont éteints ; à Madagascar, où il y a des volcans agissants et d’autres éteints : mais pour ne parler que des basaltes qui se trouvent en Europe, on sait, à n’en pouvoir douter, qu’il y en a des masses considérables en Irlande, en Angleterre, en Auvergne, en Saxe sur les bords de l’Elbe, en Misnie sur la montagne de Cottener, à Marienbourg, à Weilbourg dans le comté de Nassau, à Lauterbach, à Bilstein, dans plusieurs endroits de la Hesse, dans la Lusace, dans la Bohême, etc. Ces basaltes sont les plus belles laves qu’aient produites les volcans qui sont actuellement éteints dans toutes ces contrées : mais nous nous contenterons de donner ici l’extrait des descriptions détaillées des volcans éteints qui se trouvent en France.

« Les montagnes d’Auvergne, dit M. Guettard, qui ont été, à ce que je crois, autrefois des volcans… sont celles de Volvic à deux lieues de Riom, du Puy-de-Dôme proche Clermont, et du mont d’Or. Le volcan de Volvic a formé par ses laves différents lits posés les uns sur les autres, qui composent ainsi des masses énormes, dans lesquelles on a pratiqué des carrières qui fournissent de la pierre à plusieurs endroits assez éloignés de Volvic… Ce fut à Moulins que je vis les laves pour la première fois… et étant à Volvic, je reconnus que la montagne n’étoit presque qu’un composé de différentes matières qui sont jetées dans les éruptions des volcans…

» La figure de cette montagne est conique ; sa base est formée par des rochers de granite gris blanc, ou d’une couleur de rose pâle… le reste de la montagne n’est qu’un amas de pierres ponces, noirâtres ou rougeâtres, entassées les unes sur les autres sans ordre ni liaison… Aux deux tiers de la montagne, on rencontre des espèces de rochers irréguliers, hérissés de pointes informes contournées en tous sens, de couleur rouge obscur, ou d’un noir sale et mat, et d’une substance dure et solide, sans avoir de trous comme les pierres ponces… Avant d’arriver au sommet, on trouve un trou large de quelques toises, d’une forme conique, et qui approche d’un entonnoir… La partie de la montagne qui est au nord et à l’est m’a paru n’être que de pierres ponces… Les bancs de pierre de Volvic suivent l’inclinaison de la montagne, et semblent se continuer sur cette montagne, et avoir communication avec ceux que les ravins mettent à découvert un peu au dessous du sommet… Ces pierres sont d’un gris de fer qui semble se charger d’une fleur blanche qu’on diroit en sortir comme une efflorescence : elles sont dures, quoique spongieuses et remplies de petits trous irréguliers.

» La montagne du Puy-de-Dôme n’est qu’une masse de matière qui n’annonce que les effets les plus terribles du feu le plus violent… Dans les endroits qui ne sont point couverts de plantes et d’arbres, on ne marche que parmi des pierres ponces, sur des quartiers de laves, et dans une espèce de gravier ou de sable formé par une sorte de mâchefer, et par de très petites pierres ponces mêlées de cendres…

» Ces montagnes présentent plusieurs pics, qui ont tous une cavité moins large au fond qu’à l’ouverture… Un de ces pics, le chemin qui y conduit, et tout l’espace qui se trouve de là jusqu’au Puy-de-Dôme, ne sont qu’un amas de pierres ponces ; et il en est de même pour ce qui est des autres pics, qui sont au nombre de quinze ou seize, placés sur la même ligne du sud au nord, et qui ont tous des entonnoirs.

» Le sommet du pic du mont d’Or est un rocher d’une pierre d’un blanc cendré tendre, semblable à celle du sommet des montagnes de cette terre volcanisée ; elle est seulement un peu moins légère que celle du Puy-de-Dôme. Si je n’ai pas trouvé sur cette montagne des vestiges de volcan en aussi grande quantité qu’aux deux autres, cela vient en grande partie de ce que le mont d’Or est plus couvert, dans toute son étendue, de plantes et de bois que la montagne de Volvic et le Puy-de-Dôme… Cependant la partie sud-ouest est entièrement découverte, et n’est remplie que de pierres et de rochers qui me paroissent avoir été exempts des effets du feu…

» Mais la pointe du mont d’Or est un cône pareil à ceux de Volvic et du Puy-de-Dôme : à l’est de cette pointe est le pic du Capucin, qui affecte également la figure conique ; mais la sienne n’est pas aussi régulière que celle des précédents : il semble même que ce pic ait plus souffert dans sa composition ; tout y paroît plus irrégulier, plus rompu, plus brisé… Il y a encore plusieurs pics dont la base est appuyée sur le dos de la montagne ; ils sont tous dominés par le mont d’Or, dont la hauteur est de cinq cent neuf toises… Le pic du mont d’Or est très roide ; il finit en une pointe de quinze ou vingt pieds de large en tous sens…

» Plusieurs montagnes entre Thiers et Saint-Chaumont ont une figure conique ; ce qui me fait penser, dit M. Guettard, qu’elles pouvoient avoir brûlé… Quoique je n’aie pas été à Pontgibault, j’ai des preuves que les montagnes de ce canton sont des volcans éteints ; j’en ai reçu des morceaux de laves qu’il étoit facile de reconnoître pour tels par les points jaunes et noirâtres d’une matière vitrifiée, qui est le caractère le plus certain d’une pierre de volcan. »

Le même M. Guettard et M. Faujas ont trouvé sur la rive gauche du Rhône, et assez avant dans le pays, de très gros fragments de basaltes en colonnes… En remontant dans le Vivarais, ils ont trouvé dans un torrent un amas prodigieux de matières de volcan, qu’ils ont suivi jusqu’à sa source : il ne leur a pas été difficile de reconnoître le volcan : c’est une montagne fort élevée, sur le sommet de laquelle ils ont trouvé la bouche d’environ quatre-vingts pieds de diamètre : la lave est partie visiblement du dessous de cette bouche ; elle a coulé en grandes masses par les ravins l’espace de sept ou huit mille toises ; la matière s’est amoncelée toute brûlante en certains endroits ; venant ensuite à s’y figer, elle s’est gercée et fendue dans toute sa hauteur, et a laissé toute la plaine couverte d’une quantité innombrable de colonnes, depuis quinze jusqu’à trente pieds de hauteur, sur environ sept pouces de diamètre.

« Ayant été me promener à Montferrier, dit M. Montet, village éloigné de Montpellier d’une lieue… je trouvai quantité de pierres noires détachées les unes des autres, de différentes figures et grosseurs… et les ayant comparées avec d’autres qui sont certainement l’ouvrage des volcans… je les trouvai de même nature que ces dernières : ainsi je ne doutai point que ces pierres de Montferrier ne fussent elles-mêmes une lave très dure ou une matière fondue par un volcan éteint depuis un temps immémorial. Toute la montagne de Montferrier est parsemée de ces pierres ou laves ; le village en est bâti en partie, et les rues en sont pavées… Ces pierres présentent, pour la plupart, à leurs surfaces, de petits trous ou de petites porosités qui annoncent bien qu’elles sont formées d’une matière fondue par un volcan ; on trouve cette lave répandue dans toutes les terres qui avoisinent Montferrier…

» Du côté de Pézenas, les volcans éteints y sont en grand nombre… toute la contrée en est remplie, principalement depuis le cap d’Agde, qui est lui-même un volcan éteint, jusqu’au pied de la masse des montagnes qui commencent à cinq lieues au nord de cette côte, et sur le penchant ou à peu de distance desquelles sont situés les villages de Livran, Peret, Fontès, Néfiez, Gabian, Faugères. On trouve, en allant du midi au nord, une espèce de cordon ou de chapelet fort remarquable, qui commence au cap d’Agde, et qui comprend les monts Saint-Thibery et le Causse (montagnes situées au milieu des plaines de Bressan) ; le pic de la tour de Valros, dans le territoire de ce village ; le pic de Montredon au territoire de Tourbes, et celui de Sainte-Marthe auprès du prieuré royal de Cassan, dans le territoire de Gabian. Il part encore du pied de la montagne, à la hauteur du village de Fontès, une longue et large masse qui finit au midi auprès de la grange des Prés… et qui est terminée, dans la direction du levant au couchant, entre le village de Caus et celui de Nizas… Ce canton a cela de remarquable, qu’il n’est presque qu’une masse de lave, et qu’on observe au milieu une bouche ronde d’environ deux cents toises de diamètre, aussi reconnoissable qu’il soit possible, qui a formé un étang qu’on a depuis desséché, au moyen d’une profonde saignée faite entièrement dans une lave dure et formée par couches, ou plutôt par ondes immédiatement contiguës…

» On trouve, dans ces endroits, de la lave et des pierres ponces ; presque toute la ville de Pézenas est pavée de lave ; le rocher d’Agde n’est que de la lave très dure, et toute cette ville est bâtie et pavée de cette lave, qui est très noire… Presque tout le territoire de Gabian, où l’on voit la fameuse fontaine de pétrole, est parsemé de laves et de pierres ponces.

» On trouve aussi au Causse de Basan et de Saint-Thibery une quantité considérable de basaltes… qui sont ordinairement des prismes à six faces, de dix à quatorze pieds de long… Ces basaltes se trouvent dans un endroit où les vestiges d’un ancien volcan sont on ne peut pas plus reconnoissables.

» Les bains de Balaruc… nous offrent partout les débris d’un volcan éteint ; les pierres qu’on y rencontre ne sont que des pierres ponces de différentes grosseurs…

» Dans tous les volcans que j’ai examinés, j’ai remarqué que la matière ou les pierres qu’ils ont vomies sont sous différentes formes : les unes sont en masse contiguë, très dures et pesantes, comme le rocher d’Agde : d’autres, comme celles de Montferrier et la lave de Tourbes, ne sont point en masses ; ce sont des pierres détachées, d’une pesanteur et d’une dureté considérables. »

M. Villet, de l’académie de Marseille, m’a envoyé, pour le Cabinet du Roi, quelques échantillons de laves et d’autres matières trouvées dans les volcans éteints de Provence, et il m’écrit qu’à une lieue de Toulon on voit évidemment les vestiges d’un ancien volcan, et qu’étant descendu dans une ravine au pied de cet ancien volcan de la montagne d’Ollioules, il fut frappé, à l’aspect d’un rocher détaché du haut, de voir qu’il étoit calciné ; qu’après en avoir brisé quelques morceaux, il trouva, dans l’intérieur, des parties sulfureuses si bien caractérisées, qu’il ne douta plus de l’ancienne existence de ces volcans éteints aujourd’hui.

M. Valmont de Bomare a observé, dans le territoire de Cologne, les vestiges de plusieurs volcans éteints.

Je pourrois citer un très grand nombre d’autres exemples qui tous concourent à prouver que le nombre des volcans éteints est peut-être cent fois plus grand que celui des volcans actuellement agissants, et l’on doit observer qu’entre ces deux états il y a, comme dans tous les autres effets de la nature, des états mitoyens, des degrés, et des nuances dont on ne peut saisir que les principaux points. Par exemple, les solfatares ne sont ni des volcans agissants, ni des volcans éteints, et semblent participer des deux. Personne ne les a mieux décrites qu’un de nos savants académiciens, M. Fougeroux de Bondaroy, et je vais rapporter ici ses principales observations.

« La solfatare située à quatre milles de Naples à l’ouest, et à deux milles de la mer, est fermée par des montagnes qui l’entourent de tous côtés. Il faut monter pendant environ une demi-heure avant que d’y arriver. L’espace compris entre les montagnes forme un bassin d’environ douze cents pieds de longueur sur huit cents pieds de largeur. Il est dans un fond par rapport à ces montagnes, sans cependant être aussi bas que le terrain qu’on a été obligé de traverser pour y arriver. La terre qui forme le fond de ce bassin est un sable très fin, uni, et battu ; le terrain est sec et aride, les plantes n’y croissent point ; la couleur du sable est jaunâtre… Le soufre qui s’y trouve en grande quantité, réuni avec ce sable, sert sans doute à le colorer.

» Les montagnes qui terminent la plus grande partie du bassin n’offrent que des rochers dépouillés de terre et de plantes ; les uns fendus, dont les parties sont brûlées et calcinées, et qui tous n’offrent aucun arrangement et n’ont aucun ordre dans leur position… Ils sont recouverts d’une plus ou moins grande quantité de soufre qui se sublime dans cette partie de la montagne, et dans celle du bassin qui en est proche.

» Le côté opposé… offre un meilleur terrain… aussi n’y voit-on pas de fourneaux pareils à ceux dont nous allons parler, et qui se trouvent communément dans la partie que l’on vient de décrire.

» Dans plusieurs endroits du fond du bassin on voit des ouvertures, des fenêtres, ou des bouches d’où il sort de la fumée accompagnée d’une chaleur qui brûleroit vivement les mains, mais qui n’est pas assez grande pour allumer du papier…

» Les endroits voisins donnent une chaleur qui se fait sentir à travers les souliers ; et il s’en exhale une odeur de soufre désagréable… Si l’on fait entrer dans le terrain un morceau de bois pointu, il sort aussitôt une vapeur, une fumée pareille à celle qu’exhalent les fentes naturelles…

» Il se sublime, par les ouvertures, du soufre en petite quantité, et un sel connu sous le nom de sel ammoniac, et qui en a les caractères…

» On trouve sur plusieurs des pierres qui environnent la solfatare, des filets d’alun qui y a fleuri naturellement… Enfin on retire encore du soufre de la solfatare… Cette substance est contenue dans des pierres de couleur grisâtre, parsemées de parties brillantes, qui dénotent celles du soufre cristallisé entre celles de la pierre… ; et ces pierres sont aussi quelquefois chargées d’alun…

» En frappant du pied dans le milieu du bassin, on reconnoît aisément que le terrain en est creux en dessous.

» Si l’on traverse le côté de la montagne le plus garni de fourneaux, et qu’on la descende, on trouve des laves, des pierres ponces, des écumes de volcans, etc., enfin tout ce qui, par comparaison avec les matières que donne aujourd’hui le Vésuve, peut démontrer que la solfatare a formé la bouche d’un volcan…

» Le bassin de la solfatare a souvent changé de forme ; on peut conjecturer qu’il en prendra encore d’autres, différentes de celle qu’il offre aujourd’hui : ce terrain se mine et se creuse tous les jours ; il forme maintenant une voûte qui couvre un abîme… Si cette voûte venoit à s’affaisser, il est probable que, se remplissant d’eau, elle produiroit un lac. »

M. Fougeroux de Bondaroy a aussi fait plusieurs observations sur les solfatares de quelques autres endroits de l’Italie.

« J’ai été, dit-il, jusqu’à la source d’un ruisseau que l’on passe entre Rome et Tivoli, et dont l’eau a une forte odeur de foie de soufre… elle forme deux petits lacs d’environ quarante toises dans leur plus grande étendue…

» L’un de ces lacs, suivant la corde que nous avons été obligés de filer, a en certains endroits jusqu’à soixante, soixante-dix, ou quatre-vingts brasses… On voit sur ces eaux plusieurs petites îles flottantes, qui changent quelquefois de place… elles sont produites par des plantes réduites en une espèce de tourbe, sur lesquelles les eaux, quoique corrosives, n’ont plus de prise…

» J’ai trouvé la chaleur de ces eaux de 20 degrés, tandis que le thermomètre à l’air libre étoit à 18 degrés ; ainsi les observations que nous avons faites n’indiquent qu’une très foible chaleur dans ces eaux… elles exhalent une odeur fort désagréable… et cette vapeur change la couleur des végétaux et celle du cuivre.

» La solfatare de Viterbe, dit M. l’abbé Mazéas, n’a une embouchure que de trois à quatre pieds ; ses eaux bouillonnent et exhalent une odeur de foie de soufre, et pétrifient aussi leurs canaux, comme celle de Tivoli… Leur chaleur est au degré de l’eau bouillante, quelquefois au dessous… Des tourbillons de fumée qui s’en élèvent quelquefois, annoncent une chaleur plus grande ; et néanmoins le fond du bassin est tapissé des mêmes plantes qui croissent au fond des lacs et des marais : ces eaux produisent du vitriol dans les terrains ferrugineux, etc.

» Dans plusieurs montagnes de l’Apennin, et principalement celles qui sont sur le chemin de Bologne à Florence, on trouve des feux ou simplement des vapeurs qui n’ont besoin que de l’approche d’une flamme pour brûler elles-mêmes…

» Les feux de la montagne Cenida, proche Pietramala, sont placés à différentes hauteurs de la montagne, sur laquelle on compte quatre bouches à feu qui jettent des flammes… Un de ces feux est dans un espace circulaire entouré de buttes… La terre y paroît brûlée, et les pierres sont plus noires que celles des environs ; il en sort çà et là une flamme bleue, vive, ardente, claire, qui s’élève à trois ou quatre pieds de hauteur… Mais au delà de l’espace circulaire on ne voit aucun feu, quoiqu’à plus de soixante pieds du centre des flammes, on s’aperçoive encore de la chaleur que conserve le terrain…

» Le long d’une fente ou crevasse voisine du feu, on entend un bruit sourd comme seroit celui d’un vent qui traverseroit un souterrain… Près de ce lieu on trouve deux sources d’eau chaude… Ce terrain, dans lequel le feu existe depuis du temps, n’est ni enfoncé ni relevé… On ne voit près du foyer aucune pierre de volcan, ni rien qui puisse annoncer que ce feu ait jeté ; cependant des monticules près de cet endroit rassemblent tout ce qui peut prouver qu’elles ont été anciennement formées ou au moins changées par les volcans… En 1767, on ressentit même des secousses de tremblements de terre dans les environs, sans que le feu changeât, ni qu’il donnât plus ou moins de fumée.

» Environ à dix lieues de Modène, dans un endroit appelé Barigazzo, il y a encore cinq ou six bouches où paroissent des flammes dans certains temps, qui s’éteignent par un vent violent : il y a aussi des vapeurs qui demandent l’approche d’un corps enflammé pour prendre feu… Mais, malgré les restes non équivoques d’anciens volcans éteints, qui subsistent dans la plupart de ces montagnes, les feux qui s’y voient aujourd’hui ne sont point de nouveaux volcans qui s’y forment, puisque ces feux ne jettent aucune substance de volcans. »

Les eaux thermales, ainsi que les fontaines de pétrole, et des autres bitumes et huiles terrestres, doivent être regardées comme une autre nuance entre les volcans éteints et les volcans en action : lorsque les feux souterrains se trouvent voisins d’une mine de charbon, ils la mettent en distillation, et c’est là l’origine de la plupart des sources de bitume ; ils causent de même la chaleur des eaux thermales qui coulent dans leur voisinage. Mais ces feux souterrains brûlent tranquillement aujourd’hui ; on ne reconnoît leurs anciennes explosions que par les matières qu’ils ont autrefois rejetées : ils ont cessé d’agir lorsque les mers s’en sont éloignées ; et je ne crois pas, comme je l’ai dit, qu’on ait jamais à craindre le retour de ces funestes explosions, puisqu’il y a toute raison de penser que la mer se retirera de plus en plus. (Add. Buff.)

Des laves et basaltes.

* À tout ce que nous venons d’exposer au sujet des volcans, nous ajouterons quelques considérations sur le mouvement des laves, sur le temps nécessaire à leur refroidissement, et sur celui qu’exige leur conversion en terre végétale.

La lave qui s’écoule ou jaillit du pied des éminences formées par les matières que le volcan vient de rejeter, est un verre impur en liquéfaction, et dont la matière tenace et visqueuse n’a qu’une demi-fluidité ; ainsi les torrents de cette matière vitrifiée coulent lentement en comparaison des torrents d’eau, et néanmoins ils arrivent souvent à d’assez grandes distances : mais il y a dans ces torrents de feu un mouvement de plus que dans les torrents d’eau ; ce mouvement tend à soulever toute la masse qui coule, et il est produit par la force expansive de la chaleur dans l’intérieur du torrent embrasé ; la surface extérieure se refroidissant la première, le feu liquide continue à couler au dessous ; et comme l’action de la chaleur se fait en tous sens, ce feu, qui cherche à s’échapper, soulève les parties supérieures déjà consolidées, et souvent les force à s’élever perpendiculairement : c’est de là que proviennent ces grosses masses de laves en forme de rochers qui se trouvent dans le cours de presque tous les torrents où la pente n’est pas rapide. Par l’effort de cette chaleur intérieure, la lave fait souvent des explosions, sa surface s’entr’ouvre, et la matière liquide jaillit de l’intérieur et forme ces masses élevées au dessus du niveau du torrent. Le P. de La Torre est, je crois, le premier qui ait remarqué ce mouvement intérieur dans les laves ardentes ; et ce mouvement est d’autant plus violent qu’elles ont plus d’épaisseur et que la pente est plus douce : c’est un effet général et commun dans toutes les matières liquéfiées par le feu, et dont on peut donner des exemples que tout le monde est à portée de vérifier dans les forges[74]. Si l’on observe les gros lingots de fonte de fer qu’on appelle gueuses, qui coulent dans un moule ou canal dont la pente est presque horizontale, on s’apercevra aisément qu’elles tendent à se courber en effet d’autant plus qu’elles ont plus d’épaisseur[75]. Nous avons démontré, par les expériences rapportées dans les mémoires précédents, que les temps de la consolidation sont à très peu près proportionnels aux épaisseurs, et que la surface de ces lingots étant déjà consolidée, l’intérieur en est encore liquide : c’est cette chaleur intérieure qui soulève et fait bomber le lingot ; et si son épaisseur étoit plus grande, il y auroit, comme dans les torrents de lave, des explosions, des ruptures à la surface, et des jets perpendiculaires de matière métallique poussée au dehors par l’action du feu renfermé dans l’intérieur du lingot. Cette explication, tirée de la nature même de la chose, ne laisse aucun doute sur l’origine de ces éminences qu’on trouve fréquemment dans les vallées et les plaines que les laves ont parcourues et couvertes.

Mais, lorsqu’après avoir coulé de la montagne et traversé les campagnes, la lave toujours ardente arrive aux rivages de la mer, son cours se trouve tout à coup arrêté : le torrent de feu se jette comme un ennemi puissant, et fait d’abord reculer les flots ; mais l’eau, par son immensité, par sa froide résistance et par la puissance de saisir et d’éteindre le feu, consolide en peu d’instants la matière du torrent, qui dès lors ne peut aller plus loin, mais s’élève, se charge de nouvelles couches, et forme un mur à-plomb, de la hauteur duquel le torrent de lave tombe alors perpendiculairement et s’applique contre le mur à-plomb qu’il vient de former : c’est par cette chute et par le saisissement de la matière ardente que se forment les prismes de basalte[76], et leurs colonnes articulées. Ces prismes sont ordinairement à cinq, six, ou sept faces, et quelquefois à quatre ou à trois, comme aussi à huit ou neuf faces : leurs colonnes sont formées par la chute perpendiculaire de la lave dans les flots de la mer, soit qu’elle tombe du haut des rochers de la côte, soit qu’elle forme elle-même le mur à-plomb qui produit sa chute perpendiculaire : dans tous les cas, le froid et l’humidité de l’eau qui saisissent cette matière toute pénétrée de feu, en consolidant les surfaces au moment même de sa chute, les faisceaux qui tombent du torrent de lave dans la mer, s’appliquent les uns contre les autres ; et comme la chaleur intérieure des faisceaux tend à les dilater, ils se font une résistance réciproque, et il arrive le même effet que dans le renflement des pois, ou plutôt des graines cylindriques, qui seroient pressées dans un vaisseau clos rempli d’eau qu’on feroit bouillir ; chacune de ces graines deviendroit hexagonale par la compression réciproque ; et de même chaque faisceau de lave devient à plusieurs faces par la dilatation et la résistance réciproques ; et lorsque la résistance des faisceaux environnants est plus forte que la dilatation du faisceau environné, au lieu de devenir hexagone, il n’est que de trois, quatre, ou cinq faces ; au contraire, si la dilatation du faisceau environné est plus forte que la résistance de la matière environnante, il prend sept, huit, ou neuf faces, toujours sur sa longueur, ou plutôt sur sa hauteur perpendiculaire.

Les articulations transversales de ces colonnes prismatiques sont produites par une cause encore plus simple : les faisceaux de lave ne tombent pas comme une gouttière régulière et continue, ni par masses égales : pour peu donc qu’il y ait d’intervalle dans la chute de la matière, la colonne à demi consolidée à sa surface supérieure s’affaisse en creux par le poids de la masse qui survient, et qui dès lors se moule en convexe dans la concavité de la première ; et c’est ce qui forme les espèces d’articulations qui se trouvent dans la plupart de ces colonnes prismatiques : mais lorsque la lave tombe dans l’eau par une chute égale et continue, alors la colonne de basalte est aussi continue dans toute sa hauteur, et l’on n’y voit point d’articulations. De même lorsque, par une explosion, il s’élance du torrent de lave quelques masses isolées, cette masse prend alors une figure globuleuse ou elliptique, ou même tortillée en forme de câble ; et l’on peut rappeler à cette explication simple toutes les formes sous lesquelles se présentent les basaltes et les laves figurées.

C’est à la rencontre du torrent de lave avec les flots et à sa prompte consolidation, qu’on doit attribuer l’origine de ces côtes hardies qu’on voit dans toutes les mers qui sont au pied des volcans. Les anciens remparts de basalte, qu’on trouve aussi dans l’intérieur des continents, démontrent la présence de la mer et son voisinage des volcans dans le temps que leurs laves ont coulé : nouvelle preuve qu’on peut ajouter à toutes celles que nous avons données de l’ancien séjour des eaux sur toutes les terres actuellement habitées.

Les torrents de lave ont depuis cent jusqu’à deux et trois mille toises de largeur, et quelquefois cent cinquante et même deux cents pieds d’épaisseur ; et comme nous avons trouvé par nos expériences que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement du fer comme 132 sont à 236[77], et que les temps respectifs de leur consolidation sont à peu près dans ce même rapport[78], il est aisé d’en conclure que, pour consolider une épaisseur de dix pieds de verre ou de lave, il faut 201 2159 minutes, puisqu’il faut 360 minutes pour la consolidation de dix pieds d’épaisseur de fer ; par conséquent il faut 4028 minutes, ou 67 heures 8 minutes, pour la consolidation de deux cents pieds d’épaisseur de lave : et, par la même règle, on trouvera qu’il faut environ onze fois plus de temps, c’est-à-dire 30 jours 1724, ou un mois, pour que la surface de cette lave de deux cents pieds d’épaisseur soit assez froide pour qu’on puisse la toucher : d’où il résulte qu’il faut un an pour refroidir une lave de deux cents pieds d’épaisseur assez pour qu’on puisse la toucher sans se brûler à un pied de profondeur, et qu’à dix pieds de profondeur elle sera encore assez chaude au bout de dix ans pour qu’on ne puisse la toucher, et cent ans pour être refroidie au même point jusqu’au milieu de son épaisseur. M. Brydone rapporte qu’après plus de quatre ans la lave qui avoit coulé en 1766 au pied de l’Etna n’étoit pas encore refroidie. Il dit aussi « avoir vu une couche de lave de quelques pieds, produite par l’éruption du Vésuve, qui resta rouge de chaleur au centre, long-temps après que la surface fut refroidie, et qu’en plongeant un bâton dans ses crevasses il prenoit feu à l’instant, quoiqu’il n’y eût au dehors aucune apparence de chaleur. » Massa, auteur sicilien, digne de foi, dit « qu’étant à Catane, huit ans après la grande éruption de 1669, il trouva qu’en plusieurs endroits la lave n’étoit pas encore froide. »

M. le chevalier Hamilton laissa tomber des morceaux de bois sec dans une fente de lave du Vésuve, vers la fin d’avril 1771 ; ils furent enflammés dans l’instant : quoique cette lave fût sortie du volcan le 19 octobre 1767, elle n’avoit point de communication avec le foyer du volcan ; et l’endroit où il fit cette expérience étoit éloigné au moins de quatre milles de la bouche d’où cette lave avoit jailli. Il est très persuadé qu’il faut bien des années avant qu’une lave de l’épaisseur de celle-ci (d’environ deux cents pieds) se refroidisse.

Je n’ai pu faire des expériences sur la consolidation et îe refroidissement, qu’avec des boulets de quelques pouces de diamètre ; le seul moyen de faire ces expériences plus en grand seroit d’observer les laves, et de comparer les temps employés à leurs consolidation et refroidissement selon leurs différentes épaisseurs : je suis persuadé que ces observations confirmeroient la loi que j’ai établie pour le refroidissement depuis l’état de fusion jusqu’à la température actuelle ; et quoiqu’à la rigueur ces nouvelles observations ne soient pas nécessaires pour confirmer ma théorie, elles serviroient à remplir le grand intervalle qui se trouve entre un boulet de canon et une planète.

Il nous reste à examiner la nature des laves et à démontrer qu’elles se convertissent, avec le temps, en une terre fertile ; ce qui nous rappelle l’idée de la première conversion des scories du verre primitif qui couvroient la surface entière du globe après sa consolidation.

« On ne comprend pas sous le nom de laves, dit M. de La Condamine, toutes les matières sorties de la bouche d’un volcan, telles que les cendres, les pierres ponces, le gravier, le sable, mais seulement celles qui, réduites par l’action du feu dans un état de fluidité, forment en se refroidissant des masses solides dont la dureté surpasse celle du marbre. Malgré cette restriction, on conçoit qu’il y aura encore bien des espèces de laves, selon le différent degré de fusion du mélange, selon qu’il participera plus ou moins du métal, et qu’il sera plus ou moins intimement uni avec diverses matières. J’en distingue surtout trois espèces, et il y en a bien d’intermédiaires. La lave la plus pure ressemble, quand elle est polie, à une pierre d’un gris sale, et obscur ; elle est lisse, dure, pesante, parsemée de petits fragments semblables à du marbre noir, et de pointes blanchâtres ; elle paroît contenir des parties métalliques ; elle ressemble, au premier coup d’œil, à la serpentine, lorsque la couleur de la lave ne tire point sur le vert ; elle reçoit un assez beau poli, plus ou moins vif dans ses différentes parties ; on en fait des tables, des chambranles de cheminée, etc.

» La lave la plus grossière est inégale et raboteuse ; elle ressemble fort à des scories de forges ou écumes de fer. La lave la plus ordinaire tient un milieu entre ces deux extrêmes ; c’est celle que l’on voit répandue en grosses masses sur les flancs du Vésuve et dans les campagnes voisines. Elle y a coulé par torrents : elle a formé en se refroidissant des masses semblables à des rochers ferrugineux et rouillés, et souvent épais de plusieurs pieds. Ces masses sont interrompues et souvent recouvertes par des amas de cendres et de matières calcinées… C’est sous plusieurs lits alternatifs de laves, de cendres, et de terre, dont le total fait une croûte de soixante à quatre-vingts pieds d’épaisseur, qu’on a trouvé des temples, des portiques, des statues, un théâtre, une ville entière, etc.… »

« Presque toujours, dit M. Fougeroux de Bondaroy, immédiatement après l’éruption d’une terre brûlée ou d’une espèce de cendre… le Vésuve jette la lave… elle coule par les fentes qui sont faites à la montagne…

» La matière minérale enflammée, fondue, et coulante, ou la lave proprement dite, sort par les fentes ou crevasses avec plus ou moins d’impétuosité, et en plus ou moindre quantité, suivant la force de l’éruption ; elle se répand à une distance plus ou moins grande, suivant son degré de fluidité, et suivant la pente de la montagne qu’elle suit, qui retarde plus ou moins son refroidissement…

» Celle qui garnit maintenant une partie du terrain dans le bas de la montagne, et qui descend quelquefois jusqu’au pied de Portici… forme de grandes masses, dures, pesantes, et hérissées de pointes sur leur surface supérieure ; la surface qui porte sur le terrain est plus plate : comme ces morceaux sont les uns sur les autres, ils ressemblent un peu aux flots de la mer ; quand les morceaux sont plus grands et plus amoncelés, ils prennent la figure des rochers…

» En se refroidissant, la lave affecte différentes formes… La plus commune est en tables plus ou moins grandes ; quelques morceaux ont jusqu’à six, sept, ou huit pieds de dimension : elle s’est ainsi cassée et rompue en cessant d’être liquide et en se refroidissant ; c’est cette espèce de lave dont la superficie est hérissée de pointes…

» La seconde espèce ressemble à de gros cordages ; elle se trouve toujours proche l’ouverture, paroît s’être figée promptement et avoir roulé avant de s’être durcie : elle est moins pesante que celle de la première espèce ; elle est aussi plus fragile, moins dure et plus bitumineuse ; en la cassant, on voit que sa substance est moins serrée que dans la première…

» On trouve au haut de la montagne une troisième espèce de lave, qui est brillante, disposée en filets qui quelquefois se croisent ; elle est lourde et d’un rouge violet… Il y a des morceaux qui sont sonores et qui ont la figure de stalactites… Enfin on trouve à certaines parties de la montagne, des laves qui affectoient une forme sphérique, et qui paroissoient avoir roulé. On conçoit aisément comment la forme de ces laves peut varier suivant une infinité de circonstances, etc. »

Il entre des matières de toute espèce dans la composition des laves ; on a tiré du fer et un peu de cuivre de celles du sommet du Vésuve ; il y en a même quelques unes d’assez métalliques pour conserver la flexibilité du métal : j’ai vu de grandes tables de laves de deux pouces d’épaisseur, travaillées et polies comme des tables de marbre, se courber par leur propre poids ; j’en ai vu d’autres qui plioient sous une forte charge, mais qui reprenoient le plan horizontal par leur élasticité.

Toutes les laves, étant réduites en poudre, sont, comme le verre, susceptibles d’être converties, par l’intermède de l’eau, d’abord en argile, et peuvent devenir ensuite, par le mélange des poussières et des détriments de végétaux, d’excellents terrains. Ces faits sont démontrés par les belles et grandes forêts qui environnent l’Etna, qui toutes sont sur un fond de lave recouvert d’une bonne terre de plusieurs pieds d’épaisseur ; les cendres se convertissent encore plus vite en terre que les poudres de verre et de lave : on voit dans la cavité des cratères des anciens volcans actuellement éteints, des terrains fertiles ; on en trouve de même sur le cours de tous les anciens torrents de lave. Les dévastations causées par les volcans sont donc limitées par le temps ; et comme la nature tend toujours plus à produire qu’à détruire, elle répare, dans l’espace de quelques siècles, les dévastations du feu sur la terre, et lui rend sa fécondité en se servant même des matériaux lancés pour la destruction. (Add. Buff.)

ARTICLE XVII.

Des îles nouvelles, des cavernes, des fentes perpendiculaires, etc.


Les îles nouvelles se forment de deux façons, ou subitement par l’action des feux souterrains, ou lentement par le dépôt du limon des eaux. Nous parlerons d’abord de celles qui doivent leur origine à la première de ces deux causes. Les anciens historiens et les voyageurs modernes rapportent à ce sujet des faits, de la vérité desquels on ne peut guère douter. Sénèque assure que de son temps l’île de Thérasie[79] parut tout d’un coupa la vue des mariniers. Pline rapporte qu’autrefois il y eut treize îles dans la mer Méditerranée qui sortirent en même temps du fond des eaux, et que Rhodes et Délos sont les principales de ces treize îles nouvelles ; mais il paroît par ce qu’il en dit, et par ce qu’en disent aussi Amien Marcellin, Philon, etc., que ces treize îles n’ont pas été produites par un tremblement de terre, ni par une explosion souterraine : elles étoient auparavant cachées sous les eaux ; et la mer en s’abaissant a laissé, disent-ils, ces îles à découvert ; Délos avoit même le nom de Pélagia, comme ayant autrefois appartenu à la mer. Nous ne savons donc pas si l’on doit attribuer l’origine de ces treize îles nouvelles à l’action des feux souterrains, ou à quelque autre cause qui auroit produit un abaissement et une diminution des eaux dans la mer Méditerranée ; mais Pline rapporte que l’île d’Hiera près de Thérasie a été formée de masses ferrugineuses et de terres lancées du fond de la mer ; et dans le chapitre 89, il parle de plusieurs autres îles formées de la même façon. Nous avons sur tout cela des faits plus certains et plus nouveaux.

Le 23 mai 1707, au lever du soleil, on vit de cette même île de Thérasie ou de Santorin, à deux ou trois milles en mer, comme un rocher flottant : quelques gens curieux y allèrent, et trouvèrent que cet écueil, qui étoit sorti du fond de la mer, augmentoit sous leurs pieds ; et ils en rapportèrent de le pierre ponce et des huîtres que le rocher qui s’étoit élevé du fond de la mer tenoit encore attachées à sa surface. Il y avoit eu un petit tremblement de terre à Santorin deux jours avant la naissance de cet écueil. Cette nouvelle île augmenta considérablement jusqu’au 14 juin, sans accident, et elle avoit alors un demi-mille de tour, et vingt à trente pieds de hauteur ; la terre étoit blanche, et tenoit un peu de l’argile : mais après cela la mer se troubla de plus en plus, il s’en éleva des vapeurs qui infectoient l’île de Santorin ; et le 16 juillet on vit dix-sept ou dix-huit rochers sortir à la fois du fond de la mer ; ils se réunirent. Tout cela se fit avec un bruit affreux qui continua plus de deux mois, et des flammes qui s’élevoient de la nouvelle île ; elle augmentoit toujours en circuit et en hauteur, et les explosions lançoient toujours des rochers et des pierres à plus de sept milles de distance. L’île de Santorin elle-même a passé chez les anciens pour une production nouvelle ; et, en 726, 1427, et 1575, elle a reçu des accroissements, et il s’est formé de petites îles auprès de Santorin[80]. Le même volcan qui du temps de Sénèque a formé l’île de Santorin, a produit, du temps de Pline, celle d’Hiera ou de Volcanelle, et de nos jours a formé l’écueil dont nous venons de parler.

Le 10 octobre 1720, on vit auprès de l’île de Tercère un feu assez considérable s’élever de la mer ; des navigateurs s’en étant approchés par ordre du gouverneur, ils aperçurent, le 19 du même mois, une île qui n’étoit que feu et fumée, avec une prodigieuse quantité de cendres jetées au loin, comme par la force d’un volcan, avec un bruit pareil à celui du tonnerre. Il se fit en même temps un tremblement de terre qui se fit sentir dans les lieux circonvoisins, et on remarqua sur la mer une grande quantité de pierres ponces, surtout autour de la nouvelle île ; ces pierres ponces voyagent, et on en a quelquefois trouvé une grande quantité dans le milieu même des grandes mers[81]. L’Histoire de l’Académie, année 1721, dit, à l’occasion de cet événement, qu’après un tremblement de terre dans l’île de Saint-Michel, l’une des Açores, il a paru à vingt-huit lieues au large, entre cette île et la Tercère, un torrent de feu qui a donné naissance à deux nouveaux écueils[82]. Dans le volume de l’année suivante 1722, on trouve le détail qui suit :

« M. Delisle a fait savoir à l’Académie plusieurs particularités de la nouvelle île entre les Açores, dont nous n’avions dit qu’un mot en 1721[83] ; il les avoit tirées d’une lettre de M. de Montagnac, consul à Lisbonne.

» Un vaisseau où il étoit, mouilla, le 18 septembre 1721, devant la forteresse de la ville de Saint-Michel, qui est dans l’île du même nom, et voici ce qu’on apprit d’un pilote du port.

» La nuit du 7 au 8 décembre 1720, il y eut un grand tremblement de terre dans la Tercère et dans Saint-Michel, distantes l’une de l’autre de vingt-huit lieues, et l’île neuve sortit ; on remarqua en même temps que la pointe de l’île de Pic, qui en étoit à trente lieues, et qui auparavant jetoit du feu, s’étoit affaissée et n’en jetoit plus : mais l’île neuve jetoit continuellement une grosse fumée ; et effectivement elle fut vue du vaisseau où étoit M. de Montagnac, tant qu’il en fut à portée. Le pilote assura qu’il avoit fait dans une chaloupe le tour de l’île, en l’approchant le plus qu’il avoit pu. Du côté du sud il jeta la sonde, et fila soixante brasses sans trouver fond : du côté de l’ouest il trouva les eaux fort changées ; elles étoient d’un blanc bleu et vert, qui sembloit du bas-fond, et qui s’étendoit à deux tiers de lieue ; elles paroissoient vouloir bouillir : au nord-ouest, qui étoit l’endroit d’où sortoit la fumée, il trouva quinze brasses d’eau, fond de gros sable ; il jeta une pierre à la mer, et il vit, à l’endroit où elle étoit tombée, l’eau bouillir et sauter en l’air avec impétuosité ; le fond étoit si chaud, qu’il fondit deux fois de suite le suif qui étoit au bout du plomb. Le pilote observa encore de ce côté là, que la fumée sortoit d’un petit lac borné d’une dune de sable. L’île est à peu près ronde, et assez haute pour être aperçue de sept à huit lieues dans un temps clair.

» On a appris depuis par une lettre de M. Adrien, consul de la nation françoise dans l’île de Saint-Michel, en date du mois de mars 1722, que l’île neuve avoit considérablement diminué, et qu’elle étoit presque à fleur d’eau, de sorte qu’il n’y avoit pas d’apparence qu’elle subsistât encore long-temps[84]. »

On est donc assuré par ces faits et par un grand nombre d’autres semblables à ceux-ci, qu’au dessous même des eaux de la mer les matières inflammables renfermées dans le sein de la terre agissent et font des explosions violentes. Les lieux où cela arrive sont des espèces de volcans qu’on pourroit appeler sous-marins, lesquels ne diffèrent des volcans ordinaires que par le peu de durée de leur action et le peu de fréquence de leurs effets ; car on conçoit bien que le feu s’étant une fois ouvert un passage, l’eau doit y pénétrer et l’éteindre. L’île nouvelle laisse nécessairement un vide que l’eau doit remplir ; et cette nouvelle terre qui n’est composée que des matières rejetées par le volcan marin, doit ressembler en tout au Monte di Cenere, et aux autres éminences que les volcans terrestres ont formées en plusieurs endroits ; or, dans le temps du déplacement causé par la violence de l’explosion, et pendant ce mouvement, l’eau aura pénétré dans la plupart des endroits vides, elle aura éteint pour un temps ce feu souterrain. C’est apparemment par cette raison que ces volcans sous-marins agissent plus rarement que les volcans ordinaires, quoique les causes de tous les deux soient les mêmes, et que les matières qui produisent et nourrissent ces feux souterrains, puissent se trouver sous les terres couvertes par la mer, en aussi grande quantité que sous les terres qui sont à découvert.

Ce sont ces mêmes feux souterrains ou sous-marins qui sont la cause de toutes ces ébullitions des eaux de la mer, que les voyageurs ont remarquées en plusieurs endroits, et des trombes dont nous avons parlé : ils produisent aussi des orages et des tremblements qui ne sont pas moins sensibles sur la mer que sur la terre. Ces îles qui ont été formées par ces volcans sous-marins, sont ordinairement composées de pierres ponces et de rochers calcinés ; et ces volcans produisent, comme ceux de la terre, des tremblements et des commotions très violentes.

On a aussi vu souvent des feux s’élever de la surface des eaux. Pline nous dit que le lac de Trasimène a paru enflammé sur toute sa surface. Agricola rapporte que lorsqu’on jette une pierre dans le lac de Denstad en Thuringe, il semble, lorsqu’elle descend dans l’eau, que ce soit un trait de feu.

Enfin la quantité de pierres ponces que les voyageurs nous assurent avoir rencontrées dans plusieurs endroits de l’Océan et de la Méditerranée, prouve qu’il y a au fond de la mer des volcans semblables à ceux que nous connoissons, et qui ne diffèrent, ni par les matières qu’ils rejettent, ni par la violence des explosions, mais seulement par la rareté et par le peu de continuité de leurs effets : tout, jusqu’aux volcans, se trouve au fond des mers, comme à la surface de la terre.

Si même on y fait attention, on trouvera plusieurs rapports entre les volcans de terre et les volcans de mer ; les uns et les autres ne se trouvent que dans les sommets des montagnes. Les îles des Açores et celles de l’Archipel ne sont que des pointes de montagnes, dont les unes s’élèvent au dessus de l’eau, et les autres sont au dessous. On voit par la relation de la nouvelle île des Açores, que l’endroit d’où sortoit la fumée, n’étoit qu’à quinze brasses de profondeur sous l’eau ; ce qui, étant comparé avec les profondeurs ordinaires de l’Océan, prouve que cet endroit même est un sommet de montagne. On en peut dire tout autant du terrain de la nouvelle île auprès de Santorin : il n’étoit pas à une grande profondeur sous les eaux, puisqu’il y avoit des huîtres attachées aux rochers qui s’élevèrent. Il paroît aussi que ces volcans de mer ont quelquefois, comme ceux de terre, des communications souterraines, puisque le sommet du volcan du pic de Saint-George, dans l’île de Pic, s’abaissa lorsque la nouvelle île des Açores s’éleva. On doit encore observer que ces nouvelles îles ne paroissent jamais qu’auprès des anciennes, et qu’on n’a point d’exemple qu’il s’en soit élevé de nouvelles dans les hautes mers : on doit donc regarder le terrain où elles sont comme une continuation de celui des îles voisines ; et lorsque ces îles ont des volcans, il n’est pas étonnant que le terrain qui en est voisin contienne des matières propres à en former, et que ces matières viennent à s’enflammer, soit par la seule fermentation, soit par l’action des vents souterrains.

Au reste, les îles produites par l’action du feu et des tremblements de terre sont en petit nombre, et ces événements sont rares ; mais il y a un nombre infini d’îles nouvelles produites par les limons, les sables, et les terres que les eaux des fleuves ou de la mer entraînent et transportent en différents endroits. À l’embouchure de toutes les rivières, il se forme des amas de terre et des bancs de sable, dont l’étendue devient souvent assez considérable pour former des îles d’une grandeur médiocre. La mer, en se retirant et en s’éloignant de certaines côtes, laisse à découvert les parties les plus élevées du fond, ce qui forme autant d’îles nouvelles ; et de même en s’étendant sur de certaines plages, elle en couvre les parties les plus basses, et laisse paroître les parties les plus élevées qu’elle n’a pu surmonter, ce qui fait encore autant d’îles ; et on remarque en conséquence qu’il y a fort peu d’îles dans le milieu des mers, et qu’elles sont presque toutes dans le voisinage des continents, où la mer les a formées, soit en s’éloignant, soit en s’approchant de ces différentes contrées.

L’eau et le feu, dont la nature est si différente et même si contraire, produisent donc des effets semblables, ou du moins qui nous paroissent être tels, indépendamment des productions particulières de ces deux éléments, dont quelques unes se ressemblent au point de s’y méprendre, comme le cristal et le verre, l’antimoine naturel et l’antimoine fondu, les pépites naturelles des mines, et celles qu’on fait artificiellement par la fusion, etc. Il y a dans la nature une infinité de grands effets que l’eau et le feu produisent, qui sont assez semblables pour qu’on ait de la peine à les distinguer. L’eau, comme on l’a vu, a produit les montagnes et formé la plupart des îles ; le feu a élevé quelques collines et quelques îles : il en est de même des cavernes, des fentes, des ouvertures, des gouffres, etc. ; les unes ont pour origine les feux souterrains, et les autres les eaux tant souterraines que superficielles.

Les cavernes se trouvent dans le montagnes, et peu ou point du tout dans les plaines ; il y en a beaucoup dans les îles de l’Archipel et dans plusieurs autres îles, et cela parce que les îles ne sont en général que des dessus de montagnes. Les cavernes se forment, comme les précipices, par l’affaissement des rochers, ou, comme les abîmes, par l’action du feu : car pour faire d’un précipice ou d’un abîme une caverne, il ne faut qu’imaginer des rochers contre-buttés et faisant voûte par dessus ; ce qui doit arriver très souvent, lorsqu’ils viennent à être ébranlés et déracinés. Les cavernes peuvent être produites par les mêmes causes qui produisent les ouvertures, les ébranlements, et les affaissements des terres ; et ces causes sont les explosions des volcans, l’action des vapeurs souterraines et les tremblements de terre ; car ils font des bouleversements et des éboulements qui doivent nécessairement former des cavernes, des trous, des ouvertures, et des anfractuosités de toute espèce.

La caverne de Saint-Patrice en Irlande n’est pas aussi considérable qu’elle est fameuse ; il en est de même de la grotte du Chien en Italie, et de celle qui jette du feu dans la montagne de Beniguazeval au royaume de Fez. Dans la province de Derby en Angleterre, il y a une grande caverne fort considérable, et beaucoup plus grande que la fameuse caverne de Bauman auprès de la forêt Noire dans le pays de Brunswick. J’ai appris par une personne aussi respectable par son mérite que par son nom (milord comte de Morton) que cette grande caverne appelée Devil’s hole présente d’abord une ouverture fort considérable, comme celle d’une très grande porte d’église ; que par cette ouverture il coule un gros ruisseau ; qu’en avançant, la voûte de la caverne se rabaisse si fort, qu’en un certain endroit on est obligé, pour continuer sa route, de se mettre sur l’eau du ruisseau dans des baquets fort plats, où on se couche pour passer sous la voûte de la caverne, qui est abaissée dans cet endroit au point que l’eau touche presque à la voûte : mais après avoir passé cet endroit, la voûte se relève, et on voyage encore sur la rivière, jusqu’à ce que la voûte se rabaisse de nouveau et touche à la superficie de l’eau, et c’est là le fond de la caverne et la source du ruisseau qui en sort ; il grossit considérablement dans de certains temps, et il amène et amoncelle beaucoup de sable dans un endroit de la caverne qui forme comme un cul-de-sac, dont la direction est différente de celle de la caverne principale.

Dans la Carniole, il y a une caverne auprès de Potpéchio, qui est fort spacieuse, et dans laquelle on trouve un grand lac souterrain. Près d’Adelsperg, il y a une caverne dans laquelle on peut faire deux milles d’Allemagne de chemin, et où l’on trouve des précipices très profonds. Il y a aussi de grandes cavernes et de belles grottes sous les montagnes de Mendipp en Galles ; on trouve des mines de plomb auprès de ces cavernes, et des chênes enterrés à quinze brasses, de profondeur. Dans la province de Glocester, il y a une très grande caverne, qu’on appelle Penpark-hole, au fond de laquelle on trouve de l’eau à trente-deux brasses de profondeur ; on y trouve aussi des filons de mine de plomb.

On voit bien que la caverne de Devil’s hole et les autres, dont il sort de grosses fontaines ou des ruisseaux, ont été creusées et formées par les eaux, qui ont apporté les sables et les matières divisées qu’on trouve entre les rochers et les pierres ; et on auroit tort de rapporter l’origine de ces cavernes aux éboulements et aux tremblements de terre.

Une des plus singulières et des plus grandes cavernes que l’on connoisse, est celle d’Antiparos, dont M. de Tournefort nous a donné une ample description. On trouve d’abord une caverne rustique d’environ trente pas de largeur, partagée par quelques piliers naturels : entre les deux piliers qui sont sur la droite, il y a un terrain en pente douce, et ensuite, jusqu’au fond de la même caverne, une pente plus rude d’environ vingt pas de longueur ; c’est le passage pour aller à la grotte ou caverne intérieure, et ce passage n’est qu’un trou fort obscur, par lequel on ne sauroit entrer qu’en se baissant, et au secours des flambeaux. On descend d’abord dans un précipice horrible à l’aide d’un câble que l’on prend la précaution d’attacher tout à l’entrée ; on se coule dans un autre bien plus effroyable, dont les bords sont fort glissants, et qui répondent sur la gauche à des abîmes profonds. On place sur les bords de ces gouffres une échelle, au moyen de laquelle on franchit, en tremblant un rocher tout-à-fait coupé à plomb ; on continue à glisser par des endroits un peu moins dangereux. Mais dans le temps qu’on se croit en pays praticable, le pas le plus affreux vous arrête tout court, et on s’y casseroit la tête, si on n’étoit averti ou arrêté par ses guides : pour le franchir, il faut se couler sur le dos le long d’un gros rocher, et descendre une échelle qu’il faut y porter exprès ; quand on est arrivé au bas de l’échelle, on se roule quelque temps encore sur des rochers, et enfin on arrive dans la grotte. On compte trois cents brasses de profondeur depuis la surface de la terre : la grotte paroît avoir quarante brasses de hauteur sur cinquante de large ; elle est remplie de belles et grandes stalactites de différentes formes, tant au dessus de la voûte que sur le terrain d’en bas[85].

Dans la partie de la Grèce appelée Livadie (Achaia des anciens) il y a une grande caverne dans une montagne, qui étoit autrefois fort fameuse par les oracles de Trophonius, entre le lac de Livadia et la mer voisine, qui, dans l’endroit le plus près, en est à quatre milles : il y a quarante passages souterrains à travers le rocher, sous une haute montagne, par où les eaux du lac s’écoulent[86].

Dans tous les volcans, dans tous les pays qui produisent du soufre, dans toutes les contrées qui sont sujettes aux tremblements de terre, il y a des cavernes : le terrain de la plupart des îles de l’Archipel est caverneux presque partout ; celui des îles de l’Océan Indien, principalement celui des îles Moluques, ne paroît être soutenu que sur des voûtes et des concavités ; celui des îles Açores, celui des îles Canaries, celui des îles du cap Vert, et en général le terrain de presque toutes les petites îles, est, à l’intérieur, creux et caverneux en plusieurs endroits, parce que ces îles ne sont, comme nous l’avons dit, que des pointes de montagnes, où il s’est fait des éboulements considérables, soit par l’action des volcans, soit par celle des eaux, des gelées, et des autres injures de l’air. Dans les Cordilières, où il a plusieurs volcans et où les tremblements de terre sont fréquents, il y a aussi un grand nombre de cavernes, de même que dans le volcan de l’île de Banda, dans le mont Ararath, qui est un ancien volcan, etc.

Le fameux labyrinthe de l’île de Candie n’est pas l’ouvrage de la nature toute seule ; M. de Tournefort assure que les hommes y ont beaucoup travaillé : et on doit croire que cette caverne n’est pas la seule que les hommes aient augmentée ; ils en forment même tous les jours de nouvelles en fouillant les mines et les carrières ; et lorqu’elles sont abandonnées pendant un très long espace de temps, il n’est pas fort aisé de reconnoître si ces excavations ont été produites par la nature, ou faites de la main des hommes. On connoît des carrières qui sont d’une étendue très considérable, celle de Maestricht, par exemple, où l’on dit que cinquante mille personnes peuvent se réfugier, et qui est soutenue par plus de mille piliers, qui ont vingt ou vingt-quatre pieds de hauteur ; l’épaisseur de terre et de rocher qui est au dessus est de plus de vingt-cinq brasses. Il y a, dans plusieurs endroits de cette carrière, de l’eau et de petits étangs où l’on peut abreuver du bétail, etc. Les mines de sel de Pologne forment des excavations encore plus grandes que celle-ci. Il y a ordinairement de vastes carrières auprès de toutes les grandes villes ; mais nous n’en parlerons pas ici en détail : d’ailleurs les ouvrages des hommes, quelque grands qu’ils puissent être, ne tiendront jamais qu’une bien petite place dans l’histoire de la nature.

Les volcans et les eaux, qui produisent les cavernes à l’intérieur, forment aussi à l’extérieur des fentes, des précipices, et des abîmes. À Cajeta en Italie, il y a une montagne qui autrefois a été séparée par un tremblement de terre, de façon qu’il semble que la division en a été faite par la main des hommes. Nous avons déjà parlé de l’ornière de l’île de Machian, de l’abîme du mont Ararath, de la porte des Cordilières et de celle des Thermopyles, etc. ; nous pouvons y ajouter la porte de la montagne des Troglodytes en Arabie, celle des Échelles en Savoie, que la nature n’avoit fait qu’ébaucher, et que Victor Amédée a fait achever. Les eaux produisent, aussi bien que les feux souterrains, des affaissements de terre considérables, des éboulements, des chutes de rochers, des renversements de montagnes, dont nous pouvons donner plusieurs exemples.

« Au mois de juin 1714, une partie de la montagne de Diableret en Valais tomba subitement et tout à la fois entre deux et trois heures après midi, le ciel étant fort serein. Elle étoit de figure conique ; elle renversa cinquante-cinq cabanes de paysans, écrasa quinze personnes, et plus de cent bœufs et vaches, et beaucoup plus de menu bétail, et couvrit de ses débris une bonne lieue carrée ; il y eut une profonde obscurité causée par la poussière : les tas de pierres amassés en bas sont hauts de plus de trente perches, qui sont apparemment des perches du Rhin de dix pieds ; ces amas ont arrêté des eaux qui forment de nouveaux lacs fort profonds. Il n’y a dans tout cela nul vestige de matière bitumineuse, ni de soufre, ni de chaux cuite, ni par conséquent de feu souterrain ; apparemment la base de ce grand rocher s’étoit pourrie d’elle-même et réduite en poussière. »

On a un exemple remarquable de ces affaissements dans la province de Kent, auprès de Folkstone : les collines des environs ont baissé de distance en distance par un mouvement insensible et sans aucun tremblement de terre ; ces collines sont à l’intérieur des rochers de pierre et de craie. Par cet affaissement, elles ont jeté dans la mer des rochers et des terres qui en étoient voisines. On peut voir la relation de ce fait bien attesté dans les Transactions philosoph. abrig’d. vol. IV, page 250.

En 1618, la ville de Pleurs en Valteline fut enterrée sous les rochers au pied desquels elle étoit située. En 1678, il y eut une grande inondation en Gascogne, causée par l’affaissement de quelques morceaux de montagnes dans les Pyrénées, qui firent sortir les eaux qui étoient contenues dans les cavernes souterraines de ces montagnes. En 1680, il en arriva encore une plus grande en Irlande, qui avoit aussi pour cause l’affaissement d’une montagne dans des cavernes remplies d’eau. On peut concevoir aisément la cause de tous ces effets ; on sait qu’il y a des eaux souterraines en une infinité d’endroits : ces eaux entraînent peu à peu les sables et les terres à travers lesquels elles passent, et par conséqent elles peuvent détruire peu à peu la couche de terre sur laquelle porte une montagne ; et cette couche de terre qui lui sert de base venant à manquer plutôt d’un côté que de l’autre, il faut que la montagne se renverse ; ou si cette base manque à peu près également partout, la montagne s’affaisse sans se renverser.

Après avoir parlé des affaissements, des éboulements, et de tout ce qui n’arrive, pour ainsi dire, que par accident dans la nature, nous ne devons pas passer sous silence une chose qui est plus générale, plus ordinaire, et plus ancienne ; ce sont les fentes perpendiculaires que l’on trouve dans toutes les couches de terre. Ces fentes sont sensibles et aisées à reconnoître, non seulement dans les rochers, dans les carrières de marbre et de pierre, mais encore dans les argiles et dans les terres de toute espèce qui n’ont pas été remuées ; et on peut les observer dans toutes les coupes un peu profondes des terrains, et dans toutes les cavernes et les excavations. Je les appelle fentes perpendiculaires, parce que ce n’est jamais que par accident lorsqu’elles sont obliques, comme les couches horizontales ne sont inclinées que par accident. Woodward et Ray parlent de ces fentes, mais d’une manière confuse, et ils ne les appellent pas fentes perpendiculaires, parce qu’ils croient qu’elles peuvent être indifféremment obliques ou perpendiculaires ; et aucun auteur n’en a expliqué l’origine : cependant il est visible que ces fentes ont été produites, comme nous l’avons dit dans le discours précédent, par le desséchement des matières qui composent les couches horizontales. De quelque manière que ce desséchement soit arrivé, il a dû produire des fentes perpendiculaires ; les matières qui composent les couches n’ont pas pu diminuer de volume sans se fendre de distance en distance dans une direction perpendiculaire à ces mêmes couches. Je comprends cependant sous ce nom de fentes perpendiculaires toutes les séparations naturelles des rochers, soit qu’ils se trouvent dans leur position originaire, soit qu’ils aient un peu glissé sur leur base, et que par conséquent ils se soient un peu éloignés les uns des autres. Lorsqu’il est arrivé quelque mouvement considérable à des masses de rochers, ces fentes se trouvent quelquefois posées obliquement, mais c’est parce que la masse est elle-même oblique ; et avec un peu d’attention, il est toujours fort aisé de reconnoître que ces fentes sont en général perpendiculaires aux couches horizontales, surtout dans les carrières de marbre, de pierre à chaux, et dans toutes les grandes chaînes de rocher.

L’intérieur des montagnes est principalement composé de pierres et de rochers, dont les différents lits sont parallèles. On trouve souvent entre les lits horizontaux de petites couches d’une matière moins dure que la pierre, et les fentes perpendiculaires sont remplies de sable, de cristaux, de minéraux, de métaux, etc. Ces dernières matières sont d’une formation plus nouvelle que celle des lits horizontaux dans lesquels on trouve des coquilles marines. Les pluies ont peu à peu détaché les sables et les terres du dessus des montagnes, et elles ont laissé à découvert les pierres et les autres matières solides, dans lesquelles on distingue aisément les couches horizontales et les fentes perpendiculaires ; dans les plaines, au contraire, les eaux des pluies et les fleuves ayant amené une quantité considérable de terre, de sable, de gravier, et d’autres matières divisées, il s’en est formé des couches de tuf, de pierre molle et fondante, de sable, et de gravier arrondi, de terre mêlée de végétaux. Ces couches ne contiennent point de coquilles marines, ou du moins n’en contiennent que des fragments qui ont été détachés des montagnes avec les graviers et les terres. Il faut distinguer avec soin ces nouvelles couches des anciennes, où l’on trouve presque toujours un grand nombre de coquilles entières et posées dans leur situation naturelle.

Si l’on veut observer l’ordre et la distribution intérieure des matières dans une montagne composée, par exemple, de pierres ordinaires ou de matières lapidifiques calcinables, on trouve ordinairement sous la terre végétale une couche de gravier ; ce gravier est de la nature et de la couleur de la pierre qui domine dans ce terrain ; et sous le gravier on trouve de la pierre. Lorsque la montagne est coupée par quelque tranchée ou par quelque ravine profonde, on distingue aisément tous les bancs, toutes les couches dont elle est composée ; chaque couche horizontale est séparée par une espèce de joint qui est aussi horizontal ; et l’épaiseur de ces bancs ou de ces couches horizontales augmente ordinairement à proportion qu’elles sont plus basses, c’est-à-dire plus éloignées du sommet de la montagne : on reconnoît aussi que des fentes à peu près perpendiculaires divisent toutes ces couches et les coupent verticalement. Pour l’ordinaire, la première couche, le premier lit qui se trouve sous le gravier, et même le second, sont non seulement plus minces que les lits qui forment la base de la montagne, mais ils sont aussi divisés par des fentes perpendiculaires si fréquentes, qu’ils ne peuvent fournir aucun morceau de longueur, mais seulement du moellon. Ces fentes perpendiculaires, qui sont en si grand nombre à la superficie, et qui ressemblent parfaitement aux gerçures d’une terre qui se seroit desséchée, ne parviennent pas toutes, à beaucoup près, jusqu’au pied de la montagne : la plupart disparoissent insensiblement à mesure qu’elles descendent ; et au bas il ne reste qu’un certain nombre de ces fentes perpendiculaires, qui coupent encore plus à plomb qu’à la superficie les bancs inférieurs, qui ont aussi plus d’épaisseur que les bancs supérieurs.

Ces lits de pierre ont souvent, comme je l’ai dit, plusieurs lieues d’étendue sans interruption : on retrouve aussi presque toujours la même nature de pierre dans la montagne opposée, quoiqu’elle en soit séparée par une gorge ou par un vallon ; et les lits de pierre ne disparoissent entièrement que dans les lieux où la montagne s’abaisse et se met au niveau de quelque grande plaine. Quelquefois entre la première couche de terre végétale et celle de gravier, on en trouve une de marne qui communique sa couleur et ses autres caractères aux deux autres : alors les fentes perpendiculaires des carrières qui sont au dessous sont remplies de cette marne, qui y acquiert une dureté presque égale en apparence à celle de la pierre, mais en l’exposant à l’air, elle se gerce, elle s’amollit, et elle devient grasse et ductile.

Dans la plupart des carrières, les lits qui forment le dessus ou le sommet de la montagne sont de pierre tendre, et ceux qui forment la base de la montagne sont de pierre dure ; la première est ordinairement blanche, d’un grain si fin, qu’à peine il peut être aperçu : la pierre devient plus grenue et plus dure à mesure qu’on descend ; et la pierre des bancs les plus bas est non seulement plus dure que celle des lits supérieurs, mais elle est aussi plus serrée, plus compacte et plus pesante ; son grain est fin et brillant, et souvent elle est aigre, et se casse presque aussi net que le caillou.

Le noyau d’une montagne est donc composé de différents lits de pierre, dont les supérieurs sont de pierre tendre, et les inférieurs de pierre dure. Le noyau pierreux est toujours plus large à la base, et plus pointu ou plus étroit au sommet : on peut en attribuer la cause à ces différents degrés de dureté que l’on trouve dans les lits de pierre ; car comme ils deviennent d’autant plus durs qu’ils s’éloignent davantage du sommet de la montagne, on peut croire que les courants et les autres mouvements des eaux qui ont creusé les vallées et donné la figure aux contours des montagnes, auront usé latéralement les matières dont la montagne est composée, et les auront dégradées d’autant plus qu’elles auront été plus molles : en sorte que les couches supérieures, étant les plus tendres, auront souffert la plus grande diminution sur leur largeur, et auront été usées latéralement plus que les autres ; les couches suivantes auront résisté un peu davantage ; et celles de la base, étant plus anciennes, plus solides, et formées d’une matière plus compacte et plus dure, auront été plus en état que toutes les autres de se défendre contre l’action des causes extérieures, et elles n’auront souffert que peu ou point de diminution latérale par le frottement des eaux. C’est là l’une des causes auxquelles on peut attribuer l’origine de la pente des montagnes ; cette pente sera devenue encore plus douce, à mesure que les terres du sommet et les graviers auront coulé et auront été entraînés par les eaux des pluies : et c’est par ces deux raisons que toutes les collines et les montagnes qui ne sont composées que de pierres calcinables ou d’autres matières lapidifiques calcinables, ont une pente qui n’est jamais aussi rapide que celle des montagnes composées de roc vif et de caillou en grande masse, qui sont ordinairement coupées à plomb à des hauteurs très considérables, parce que dans ces masses de matières vitrifiables les lits supérieurs, aussi bien que les lits inférieurs, sont d’une très grande dureté, et qu’ils ont tous également résisté à l’action des eaux, qui n’a pu les user qu’également de haut en bas, et leur donner par conséquent une pente perpendiculaire ou presque perpendiculaire.

Lorsque au dessus de certaines collines, dont le sommet est plat et d’une assez grande étendue, on trouve d’abord de la pierre dure sous la couche de terre végétale, on remarquera, si l’on observe les environs de ces collines, que ce qui paroît en être le sommet ne l’est pas en effet, et que ce dessus de collines n’est que la continuation de la pente insensible de quelque colline plus élevée ; car après avoir traversé cet espace de terrain, on trouve d’autres éminences qui s’élèvent plus haut, et dont les couches supérieures sont de pierre tendre, et les inférieures de pierre dure : c’est le prolongement de ces dernières couches qu’on retrouve au dessus de la première colline.

Lorsqu’au contraire on trouve une carrière à peu près au sommet d’une montagne, et dans un terrain qui n’est surmonté d’aucune hauteur considérable, on n’en tire ordinairement que de la pierre tendre, et il faut fouiller très profondément pour trouver la pierre dure. Ce n’est jamais qu’entre ces lits de pierre dure que l’on trouve des bancs de marbres : ces marbres sont diversement colorés par les terres métalliques que les eaux pluviales introduisent dans les couches par infiltration, après les avoir détachées des autres couches supérieures ; et on peut croire que dans tous les pays où il y a de la pierre, on trouveroit des marbres si l’on fouilloit assez profondément pour arriver aux bancs de pierre dure : quoto enim loco non suum marmor invenitur ? dit Pline. C’est en effet une pierre bien plus commune qu’on ne le croit, et qui ne diffère des autres pierres que par la finesse du grain, qui la rend plus compacte et susceptible d’un poli brillant ; qualité qui lui est essentielle, et de laquelle elle a tiré sa dénomination chez les anciens.

Les fentes perpendiculaires des carrières et les joints des lits de pierre sont souvent remplis ou incrustés de certaines concrétions, qui sont tantôt transparentes comme le cristal, et d’une figure régulière, et tantôt opaques et terreuses ; l’eau coule par les fentes perpendiculaires, et elle pénètre même le tissu serré de la pierre ; les pierres qui sont poreuses s’imbibent d’une si grande quantité d’eau, que la gelée les fait fendre et éclater. Les eaux pluviales, en criblant à travers les lits d’une carrière, et pendant le séjour qu’elles font dans les couches de marne, de pierre, de marbre, en détachent les molécules les moins adhérentes et les plus fines, et se chargent de toutes les matières qu’elles peuvent enlever ou dissoudre. Ces eaux coulent d’abord le long des fentes perpendiculaires ; elles pénètrent ensuite entre les lits de pierre ; elles déposent entre les joints horizontaux, aussi bien que dans les fentes perpendiculaires, les matières qu’elles ont entraînées, et elles y forment des congellations différentes, suivant les différentes matières qu’elles déposent : par exemple, lorsque ces eaux gouttières criblent à travers la marne, la craie, ou la pierre tendre, la matière qu’elles déposent n’est aussi qu’une marne très pure et très fine qui se pelotonne ordinairement dans les fentes perpendiculaires des rochers sous la forme d’une substance poreuse, molle, ordinairement fort blanche et très légère, que les naturalistes ont appelée lac lunæ ou medulla saxi.

Lorsque ces filets d’eau chargés de matière lapidifique s’écoulent par les joints horizontaux des lits de pierre tendre ou de craie, cette matière s’attache à la superficie des blocs de pierre, et elle y forme une croûte écailleuse, blanche, légère, et spongieuse. C’est cette espèce de matière que quelques auteurs ont nommé agaric minéral, par sa ressemblance avec l’agaric végétal. Mais si la matière des couches a un certain degré de dureté, c’est-à-dire si les lits de la carrière sont de pierre dure ordinaire, de pierre propre à faire de la bonne chaux, le filtre étant alors plus serré, l’eau en sortira chargée d’une matière lapidifique plus pure, plus homogène, et dont les molécules pourront s’engrener plus exactement, s’unir plus intimement ; et alors il s’en formera des congélations qui auront à peu près la dureté de la pierre et un peu de transparence, et l’on trouvera dans ces carrières, sur la superficie des blocs, des incrustations pierreuses disposées en ondes, qui remplissent entièrement les joints horizontaux.

Dans les grottes et dans les cavités des rochers, qu’on doit regarder comme les bassins et les égouts des fentes perpendiculaires, la direction diverse des filets d’eau qui charrient la matière lapidifique donne aux concrétions qui en résultent des formes différentes ; ce sont ordinairement des culs-de-lampe et des cônes renversés qui sont attachés à la voûte, ou bien ce sont des cylindres creux et très blancs formés par des couches presque concentriques à l’axe du cylindre ; et ces congellatioan descendent quelquefois jusqu’à terre, et forment dans ces lieux souterrains des colonnes et mille autres figures aussi bizarres que les noms qu’il a plu aux naturalistes de leur donner : tels sont ceux de stalactites, stalagmites, ostéocolles, etc.

Enfin, lorsque ces sucs concrets sortent immédiatement d’une matière très dure, comme des marbres et des pierres dures, la matière lapidifique que l’eau charrie étant aussi homogène qu’elle peut l’être, et l’eau en ayant, pour ainsi dire, plutôt dissous que détaché les petites parties constituantes, elle prend, en s’unissant, une figure constante et régulière ; elle forme des colonnes à pans, terminées par une pointe triangulaire, qui sont transparentes, et composées de couches obliques : c’est ce qu’on appelle sparr ou spalt. Ordinairement cette matière est transparente et sans couleur ; mais quelquefois aussi elle est colorée lorsque la pierre dure, ou le marbre dont elle sort, contient des parties métalliques. Ce sparr a le degré de dureté de la pierre ; il se dissout, comme la pierre, par les esprits acides ; il se calcine au même degré de chaleur : ainsi on ne peut pas douter que ce ne soit de la vraie pierre, mais qui est devenue parfaitement homogène ; on pourroit même dire que c’est de la pierre pure et élémentaire, de la pierre qui est sous sa forme propre et spécifique.

Cependant la plupart des naturalistes regardent cette matière comme une substance distincte et existante indépendamment de la pierre ; c’est leur suc lapidifique ou cristallin, qui, selon eux, lie non seulement les parties de la pierre ordinaire, mais même celles du caillou. Ce suc, disent-ils, augmente la densité des pierres par des infiltrations réitérées ; il les rend chaque jour plus pierres qu’elles n’étoient, et il les convertit enfin en véritable caillou ; et lorsque ce suc s’est fixé en sparr, il reçoit, par des infiltrations réitérées, de semblables sucs encore plus épurés, qui en augmentent la densité et la dureté, en sorte que cette matière ayant été successivement sparr, verre, ensuite cristal, elle devient diamant. Ainsi toutes les pierres, selon eux, tendent à devenir caillou, et toutes les matières transparentes à devenir diamant.

Mais, si cela est, pourquoi voyons-nous que dans de très grands cantons, dans des provinces entières, ce suc cristallin ne forme que de la pierre, et que dans d’autres provinces il ne forme que du caillou ? Dira-t-on que ces deux terrains ne sont pas aussi anciens l’un que l’autre ; que ce suc n’a pas eu le temps de circuler et d’agir aussi long-temps dans l’un que dans l’autre ? cela n’est pas probable. D’ailleurs, d’où ce suc peut-il venir ? s’il produit les pierres et les cailloux, qu’est-ce qui peut le produire lui-même ? Il est aisé de voir qu’il n’existe pas indépendamment de ces matières, qui seules peuvent donner à l’eau qui les pénètre cette qualité pétrifiante toujours relativement à leur nature et à leur caractère spécifique, en sorte que dans les pierres elles forment du sparr, et dans les cailloux du cristal ; et il y a autant de différentes espèces de ce suc qu’il y a de matières différentes qui peuvent le produire et desquelles il peut sortir. L’expérience est parfaitement d’accord avec ce que nous disons ; on trouvera toujours que les eaux gouttières des carrières de pierres ordinaires forment des concrétions tendres et calcinables, comme ces pierres le sont ; qu’au contraire celles qui sortent du roc vif et du caillou forment des congélations dures et vitrifiables, et qui ont toutes les autres propriétés du caillou, comme les premières ont toutes celles de la pierre ; et les eaux qui ont pénétré des lits de matières minérales et métalliques, donnent lieu à la production des pyrites, des marcassites, et des grains métalliques.

Nous avons dit qu’on pouvoit diviser toutes les matières en deux grandes classes et par deux caractères généraux ; les unes sont vitrifiables, les autres sont calcinables : l’argile et le caillou, la marne et la pierre, peuvent être regardés comme les deux extrêmes de chacune de ces classes, dont les intervalles sont remplis par la variété presque infinie des mixtes, qui ont toujours pour base l’une ou l’autre de ces matières.

Les matières de la première classe ne peuvent jamais acquérir la nature et les propriétés de celles de l’autre : la pierre, quelqu’ancienne qu’on la suppose, sera toujours aussi éloignée de la nature du caillou que l’argile l’est de la marne ; aucun agent connu ne sera jamais capable de les faire sortir du cercle de combinaisons propre à leur nature. Les pays où il n’y a que des marbres et de la pierre n’auront jamais que des marbres et de la pierre, aussi certainement que ceux où il n’y a que du grès, du caillou, et du roc vif, n’auront jamais de la pierre ou du marbre.

Si l’on veut observer l’ordre et la distribution des matières dans une colline composée de matières vitrifiables, comme nous l’avons fait tout à l’heure dans une colline composée de matières calcinables, on trouvera ordinairement sous la première couche de terre végétale un lit de glaise ou d’argile, matière vitrifiable et analogue au caillou, et qui n’est, comme je l’ai dit, que du sable vitrifiable décomposé ; ou bien on trouve sous la terre végétale une couche de sable vitrifiable. Ce lit d’argile ou de sable répond au lit de gravier qu’on trouve dans les collines composées de matières calcinables. Après cette couche d’argile ou de sable, on trouve quelques lits de grès, qui le plus souvent n’ont pas plus d’un demi-pied d’épaisseur, et qui sont divisés en petits morceaux par une infinité de fentes perpendiculaires, comme le moellon du troisième lit de la colline composée de matières calcinables. Sous ce lit de grès on en trouve plusieurs autres de la même matière, et aussi des couches de sable vitrifiable ; et le grès devient plus dur et se trouve en plus gros blocs à mesure que l’on descend. Au dessous de ces lits de grès, on trouve une matière très dure, que j’ai appelée du roc vif ou du caillou en grande masse : c’est une matière très dure, très dense, qui résiste à la lime, au burin, à tous les esprits acides, beaucoup plus que n’y résiste le sable vitrifiable, et même le verre en poudre, sur lesquels l’eau-forte paroît avoir quelque prise. Cette matière, frappée avec un autre corps dur, jette des étincelles, et elle exhale une odeur de soufre très pénétrante. J’ai cru devoir appeler cette matière du caillou en grande masse : il est ordinairement stratifié sur d’autres lits d’argile, d’ardoise, de charbon de terre, et de sable vitrifiable, d’une très grande épaisseur ; et ces lits de cailloux en grande masse répondent encore aux couches de matières dures et aux marbres qui servent de base aux collines composées de matières calcinables.

L’eau, en coulant par les fentes perpendiculaires, et en pénétrant les couches de ces sables vitrifiables, de ces grès, de ces argiles, de ces ardoises, se charge des parties les plus fines et les plus homogènes de ces matières, et elle en forme plusieurs concrétions différentes, telles que les talcs, les amiantes, et plusieurs autres matières qui ne sont que des productions de ces stillations de matières vitrifiables, comme nous l’expliquerons dans notre discours sur les minéraux.

Le caillou, malgré son extrême dureté et sa grande densité, a aussi, comme le marbre ordinaire et comme la pierre dure, ses exsudations ; d’où résultent des stalactites de différentes espèces, dont les variétés dans la transparence, les couleurs, et la configuration, sont relatives à la différente nature du caillou qui les produit, et participent aussi des différentes matières métalliques ou hétérogènes qu’il contient : le cristal de roche, toutes les pierres précieuses, blanches ou colorées, et même le diamant, peuvent être regardés comme des stalactites de cette espèce. Les cailloux en petites masses, dont les couches sont ordinairement concentriques, sont aussi des stalactites et des pierres parasites du caillou en grande masse, et la plupart des pierres fines opaques ne sont que des espèces de caillou. Les matières du genre vitrifiable produisent, comme l’on voit, une aussi grande variété de concrétions que celles du genre calcinable ; et ces concrétions produites par les cailloux sont presque toutes des pierres précieuses, au lieu que celles de la pierre calcinable ne sont que des matières tendres et qui n’ont aucune valeur.

On trouve les fentes perpendiculaires dans le roc et dans les lits de cailloux en grande masse, aussi bien que dans les lits de marbre et de pierre dure : souvent même elles y sont plus larges, ce qui prouve que cette matière, en prenant corps, s’est encore plus desséchée que la pierre. L’une et l’autre de ces collines dont nous avons observé les couches, celles de matières calcinables, et celles de matières vitrifiables, sont soutenues tout au dessous sur l’argile ou sur le sable vitrifiable, qui sont les matières communes et générales dont le globe est composé, et que je regarde comme les parties les plus légères, comme les scories de la matière vitrifiée dont il est rempli à l’intérieur : ainsi toutes les montagnes et toutes les plaines ont pour base commune l’argile ou le sable. On voit par l’exemple du puits d’Amsterdam, par celui de Marly-la-Ville, qu’on trouve toujours au plus profond du sable vitrifiable : j’en rapporterai d’autres exemples dans mon discours sur les minéraux.

On peut observer, dans la plupart des rochers découverts, que les parois des fentes perpendiculaires se correspondent aussi exactement que celles d’un morceau de bois fendu ; et cette correspondance se trouve aussi bien dans les fentes étroites que dans les plus larges. Dans les grandes carrières de l’Arabie, qui sont presque toutes de granite, ces fentes ou séparations perpendiculaires sont très sensibles et très fréquentes ; et quoiqu’il y en ait qui aient jusqu’à vingt et trente aunes de large, cependant les côtés se rapportent exactement, et laissent une profonde cavité entre les deux. Il est assez ordinaire de trouver dans les fentes perpendiculaires des coquilles rompues en deux, de manière que chaque morceau demeure attaché à la pierre de chaque côté de la fente ; ce qui fait voir que ces coquilles étoient placées dans le solide de la couche horizontale lorsqu’elle étoit continue, et avant que la fente s’y fût faite.

Il y a de certaines matières dans lesquelles les fentes perpendiculaires sont fort larges, comme dans les carrières que cite M. Shaw ; c’est peut-être ce qui fait qu’elles y sont moins fréquentes. Dans les carrières de roc vif et de granite, les pierres peuvent se tirer en très grandes masses : nous en connoissons des morceaux, comme les grands obélisques et les colonnes qu’on voit à Rome en tant d’endroits, qui ont plus de soixante, quatre-vingts, cent, et cent cinquante pieds de longueur sans aucune interruption ; ces énormes blocs sont tous d’une seule pierre continue. Il paroît que ces masses de granite ont été travaillées dans la carrière même, et qu’on leur donnoit telle épaisseur que l’on vouloit, à peu près comme nous voyons que, dans les carrières de grès qui sont un peu profondes, on tire des blocs de telle épaisseur que l’on veut. Il y a d’autres matières où ces fentes perpendiculaires sont fort étroites : par exemple, elles sont fort étroites dans l’argile, dans la marne, dans la craie ; elles sont, au contraire, plus larges dans les marbres et dans la plupart des pierres dures. Il y en a qui sont imperceptibles et qui sont remplies d’une matière à peu près semblable à celle de la masse où elles se trouvent, et qui cependant interrompent la continuité des pierres ; c’est ce que les ouvriers appellent des poils : lorsqu’ils débitent un grand morceau de pierre, qu’ils le réduisent à une petite épaisseur, comme à un demi-pied, la pierre se casse dans la direction de ce poil. J’ai souvent remarqué, dans le marbre et dans la pierre, que ces poils traversent le bloc tout entier : ainsi ils ne diffèrent des fentes perpendiculaires que parce qu’il n’y a pas solution totale de continuité. Ces espèces de fentes sont remplies d’une matière transparente, et qui est du vrai sparr. Il y a un grand nombre de fentes considérables entre les différents rochers qui composent les carrières de grès ; cela vient de ce que ces rochers portent souvent sur des bases moins solides que celles des marbres ou des pierres calcinables, qui portent ordinairement sur des glaises, au lieu que les grès ne sont le plus souvent appuyés que sur du sable extrêmement fin : aussi y a-t-il beaucoup d’endroits où l’on ne trouve pas les grès en grande masse ; et, dans la plupart des carrières où l’on tire le bon grès, on peut remarquer qu’il est en cubes et en parallélipipèdes posés les uns sur les autres d’une manière assez irrégulière, comme dans les collines de Fontainebleau, qui de loin paroissent être des ruines de bâtiments. Cette disposition irrégulière vient de ce que la base de ces collines est de sable, et que les masses de grès se sont éboulées, renversées, et affaissées les unes sur les autres, surtout dans les endroits où on a travaillé autrefois pour tirer du grès, ce qui a formé un grand nombre de fentes et d’intervalles entre les blocs ; et si on y veut faire attention, on remarquera dans tous les pays de sable et de grès, qu’il y a des morceaux de rochers et de grosses pierres dans le milieu des vallons et des plaines en très grande quantité, au lieu que, dans les pays de marbre et de pierre dure, ces morceaux dispersés et qui ont roulé du dessus des collines et du haut des montagnes, sont fort rares ; ce qui ne vient que de la différente solidité de la base sur laquelle portent ces pierres, et de l’étendue des bancs de marbre et de pierres calcinables, qui est plus considérable que celle des grès.

Sur les cavernes formées par le feu primitif.

* Je n’ai parlé, dans ma Théorie de la terre, que de deux sortes de cavernes, les unes produites par le feu des volcans, et les autres par le mouvement des eaux souterraines : ces deux espèces de cavernes ne sont pas situées à de grandes profondeurs ; elles sont même nouvelles, en comparaison des autres cavernes bien plus vastes et bien plus anciennes, qui ont dû se former dans le temps de la consolidation du globe ; car c’est dès lors que se sont faites les éminences et les profondeurs de sa superficie, et toutes les boursouflures et cavités de son intérieur, surtout dans les parties voisines de la surface. Plusieurs de ces cavernes produites par le feu primitif, après s’être soutenues pendant quelque temps se sont ensuite fendues par le refroidissement successif, qui diminue le volume de toute matière ; bientôt elles se seront écroulées, et par leur affaissement elles ont formé les bassins actuels de la mer, où les eaux, qui étoient autrefois très élevées au dessus de ce niveau, se sont écoulées et ont abandonné les terres qu’elles couvroient dans le commencement : il est plus que probable qu’il subsiste encore aujourd’hui dans l’intérieur du globe un certain nombre de ces anciennes cavernes, dont l’affaissement pourra produire de semblables effets, en abaissant quelques espaces du globe, qui deviendront dès lors de nouveaux réceptacles pour les eaux ; et dans ce cas, elles abandonneront en partie le bassin qu’elles occupent aujourd’hui, pour couler par leur pente naturelle dans ces endroits plus bas. Par exemple, on trouve des bancs de coquilles marines sur les Pyrénées jusqu’à quinze cents toises de hauteur au dessus du niveau de la mer actuel, il est donc bien certain que les eaux, dans le temps de la formation de ces coquilles, étoient de quinze cents toises plus élevées qu’elles ne le sont aujourd’hui ; mais lorsqu’au bout d’un temps les cavernes qui soutenoient les terres de l’espace où gît actuellement l’Océan Atlantique se sont affaissées, les eaux, qui couvroient les Pyrénées et l’Europe entière, auront coulé avec rapidité pour remplir ces bassins, et auront par conséquent laissé à découvert toutes les terres de cette partie du monde. La même chose doit s’entendre de tous les autres pays ; il paroît qu’il n’y a que les sommets des plus hautes montagnes auxquels les eaux de la mer n’aient jamais atteint, parce qu’ils ne présentent aucuns débris des productions marines, et ne donnent pas des indices aussi évidents du séjour des mers : néanmoins comme quelques unes des matières dont ils sont composés, quoique toutes du genre vitrescible, semblent n’avoir pris leur solidité, leur consistance, et leur dureté que par l’intermède et le gluten de l’eau, et qu’elles paroissent s’être formées, comme nous l’avons dit, dans les masses de sable ou de poussière de verre qui étoient autrefois aussi élevées que ces pics de montagnes, et que les eaux des pluies ont, par succession de temps, entraînées à leur pied, on ne doit pas prononcer affirmativement que les eaux de la mer ne se soient jamais trouvées qu’au niveau où l’on trouve des coquilles ; elles ont pu être encore plus élevées, même avant le temps où leur température a permis aux coquilles d’exister. La plus grande hauteur à laquelle s’est trouvée la mer universelle, ne nous est pas connue ; mais c’est en savoir assez que de pouvoir assurer que les eaux étoient élevées de quinze cents ou deux mille toises au dessus de leur niveau actuel, puisque les coquilles se trouvent à quinze cents toises dans les Pyrénées et à deux mille toises dans les Cordilières.

Si tous les pics des montagnes étoient formés de verre solide ou d’autres matières produites immédiatement par le feu, il ne seroit pas nécessaire de recourir à l’autre cause, c’est-à-dire au séjour des eaux, pour concevoir comment elles ont pris leur consistance ; mais la plupart de ces pics ou pointes de montagnes paroissent être composés de matières qui, quoique vitrescibles, ont pris leur solidité et acquis leur nature par l’intermède de l’eau. On ne peut donc guère décider si le feu primitif seul a produit leur consistance actuelle, ou si l’intermède et le gluten de l’eau de la mer n’ont pas été nécessaires pour achever l’ouvrage du feu, et donner à ces masses vitrescibles la nature qu’elles nous présentent aujourd’hui. Au reste, cela n’empêche pas que le feu primitif, qui d’abord a produit les plus grandes inégalités sur la surface du globe, n’ait eu la plus grande part à l’établissement des chaînes de montagnes qui en traversent la surface, et que les noyaux de ces grandes montagnes ne soient tous des produits de l’action du feu, tandis que les contours de ces mêmes montagnes n’ont été disposés et travaillés par les eaux que dans des temps subséquents ; en sorte que c’est sur ces mêmes contours et à de certaines hauteurs que l’on trouve des dépôts de coquilles et d’autres productions de la mer.

Si l’on veut se former une idée nette des plus anciennes cavernes, c’est-à-dire de celles qui ont été formées par le feu primitif, il faut se représenter le globe terrestre dépouillé de toutes ses eaux, et de toutes les matières qui en recouvrent la surface jusqu’à la profondeur de mille ou douze cents pieds. En séparant par la pensée cette couche extérieure de terre et d’eau, le globe nous présentera la forme qu’il avoit à peu près dans les premiers temps de sa consolidation. La roche vitrescible, ou, si l’on veut, le verre fondu, en compose la masse entière ; et cette matière, en se consolidant et se refroidissant, a formé, comme toutes les autres matières fondues, des éminences, des profondeurs, des cavités, des boursouflures dans toute l’étendue de la surface du globe. Ces cavités intérieures formées par le feu sont les cavernes primitives, et se trouvent en bien plus grand nombre vers les contrées du Midi que dans celles du Nord, parce que le mouvement de rotation qui a élevé ces parties de l’équateur avant la consolidation y a produit un plus grand déplacement de la matière, et, en retardant cette même consolidation, aura concouru avec l’action du feu pour produire un plus grand nombre de boursouflures et d’inégalités dans cette partie du globe que dans toute autre. Les eaux venant des pôles n’ont pu gagner ces contrées méridionales, encore brûlantes, que quand elles ont été refroidies ; les cavernes qui les soutenoient s’étant successivement écroulées, la surface s’est abaissée et rompue en mille et mille endroits. Les plus grandes inégalités du globe se trouvent, par cette raison, dans les climats méridionaux : les cavernes primitives y sont encore en plus grand nombre que partout ailleurs ; elles y sont aussi situées plus profondément, c’est-à-dire peut-être jusqu’à cinq et six lieues de profondeur, parce que la matière du globe a été remuée jusqu’à cette profondeur par le mouvement de rotation, dans le temps de sa liquéfaction. Mais les cavernes qui se trouvent dans les hautes montagnes ne doivent pas toutes leur origine à cette même cause du feu primitif : celles qui gisent le plus profondément au dessous de ces montagnes, sont les seules qu’on puisse attribuer à l’action de ce premier feu ; les autres, plus extérieures et plus élevées dans la montagne, ont été formées par des causes secondaires, comme nous l’avons exposé. Le globe, dépouillé des eaux et des matières qu’elles oui transportées, offre donc à sa surface un sphéroïde bien plus irrégulier qu’il ne nous paroît l’être avec cette enveloppe. Les grandes chaînes de montagnes, leurs pics, leurs cornes, ne nous présentent peut-être pas aujourd’hui la moitié de leur hauteur réelle ; toutes sont attachées par leur base à la roche vitrescible qui fait le fond du globe, et sont de la même nature. Ainsi l’on doit compter trois espèces de cavernes produites par la nature ; les premières, en vertu de la puissance du feu primitif ; les secondes, par l’action des eaux ; et les troisièmes, par la force des feux souterrains : et chacune de ces cavernes différentes par leur origine, peuvent être distinguées et reconnues à l’inspection des matières qu’elles contiennent ou qui les environnent. (Add. Buff.)

TABLE

DES ARTICLES

CONTENUS

DANS LE DEUXIÈME VOLUME


SUITE DES PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE.


 286
 333
  1. Année 1720, pages 5 et suiv.
  2. Voyez sur cela Stenon, Ray, Woodward, etc.
  3. Voyez les Voyages de Shaw, vol. II, pages 70 et 84.
  4. Voyez Lettres philosophiques sur la formation des sels, page 205.
  5. Tancred. Robinson.
  6. Sur ce que j’ai écrit, au sujet de la lettre italienne, dans laquelle il est dit que ce sont les pèlerins et autres qui, dans le temps des croisades, ont rapporté de Syrie les coquilles que nous trouvons dans le sein de la terre en France, etc., ou a pu trouver, comme je le trouve moi-même, que je n’ai pas traité M. de Voltaire assez sérieusement ; j’avoue que j’aurois mieux fait de laisser tomber cette opinion que de la relever par une plaisanterie, d’autant que ce n’est pas mon ton, et que c’est peut-être la seule qui soit dans mes écrits. M. de Voltaire est un homme qui, par la supériorité de ses talents, mérite les plus grands égards. On m’apporta cette lettre italienne dans le temps même que je corrigeois la feuille de mon livre où il en est question ; je ne lus cette lettre qu’en partie, imaginant que c’étoit l’ouvrage de quelque érudit d’Italie, qui, d’après ses connoissances historiques, n’avoit suivi que son préjugé, sans consulter la nature ; et ce ne fut qu’après l’impression de mon volume sur la Théorie de la terre, qu’on m’assura que la lettre étoit de M. de Voltaire : j’eus regret alors à mes expressions. Voilà la vérité : je la déclare autant pour M. de Voltaire que pour moi-même et pour la postérité, à laquelle je ne voudrois pas laisser douter de la haute estime que j’ai toujours eue pour un homme aussi rare, et qui fait tant d’honneur à son siècle.

    L’autorité de M. de Voltaire ayant fait impression sur quelques personnes, il s’en est trouvé qui ont voulu vérifier par eux-mêmes si les objections contre les coquilles avoient quelque fondement, et je crois devoir donner ici l’extrait d’un mémoire qui m’a été envoyé, et qui me paroît n’avoir été fait que dans cette vue.

    « En parcourant différentes provinces du royaume et même d’Italie, j’ai vu, dit le P. Chabenat, des pierres figurées de toutes parts, et dans certains endroits en si grande quantité et arrangées de façon qu’on ne peut s’empêcher de croire que ces parties de la terre n’aient été autrefois le lit de la mer. J’ai vu des coquillages de toute espèce, et qui sont parfaitement semblables à leurs analogues vivants. J’en ai vu de la même figure et de la même grandeur : cette observation m’a paru suffisante pour me persuader que tous ces individus éloient de différents âges, mais qu’ils étoient de la même espèce. J’ai vu des cornes d’ammon depuis un demi-pouce jusqu’à près de trois pieds de diamètre. J’ai vu des pétoncles de toutes grandeurs, d’autres bivalves et des univalves également. J’ai vu outre cela des bélemnites, des champignons de mer, etc.

    » La forme et la quantité de toutes ces pierres figurées nous prouvent presque invinciblement qu’elles étoient autrefois des animaux qui vivoient dans la mer. La coquille surtout dont elles sont couvertes, semble ne laisser aucun doute, parce que, dans certaines, elle se trouve aussi luisante, aussi fraîche, et aussi naturelle que dans les vivants : si elle étoit séparée du noyau, on ne croiroit pas qu’elle fût pétrifiée. Il n’en est pas de même de plusieurs autres pierres figurées que l’on trouve dans cette vaste et belle plaine qui s’étend depuis Montauban jusqu’à Toulouse, depuis Toulouse jusqu’à Alby et dans les endroits circonvoisins : toute cette vaste plaine est couverte de terre végétale depuis l’épaisseur d’un demi-pied jusqu’à deux ; ensuite on trouve un lit de gros gravier et de la profondeur d’environ deux pieds ; au dessous du lit de gros gravier est un lit de sable fin, à peu près de la même profondeur ; et au dessous du sable fin, on trouve le roc. J’ai examiné attentivement le gros gravier ; je l’examine tous les jours, j’y trouve une infinité de pierres figurées de la même forme et de différentes grandeurs. J’y ai vu beaucoup d’holothuries et d’autres pierres de forme régulière, et parfaitement ressemblantes. Tout ceci sembloit me dire fort intelligiblement que ce pays-ci avoit été anciennement le lit de la mer, qui, par quelque révolution soudaine, s’en est retirée et y a laissé ses productions comme dans beaucoup d’autres endroits. Cependant je suspondois mon jugement à cause des objections de M. de Voltaire. Pour y répondre, j’ai voulu joindre l’expérience à l’observation. »

    Le P. Chabenat rapporte ensuite plusieurs expériences pour prouver que les coquilles qui se trouvent dans le sein de la terre sont de la même nature que celles de la mer ; je ne les rapporte pas ici, parce qu’elles n’apprennent rien de nouveau, et que personne ne doute de cette identité de nature entre les coquilles fossiles et les coquilles marines. Enfin le P. Chabenat conclut et termine son mémoire en disant : « On ne peut donc pas douter que toutes ces coquilles qui se trouvent dans le sein de la terre, ne soient de vraies coquilles et des dépouilles des animaux de la mer qui couvroit autrefois toutes ces contrées, et que par conséquent les objections de M. de Voltaire ne soient mal fondées. » (Add. Buff.)

  7. Voyez les Voyages de Shaw.
  8. Voyages de Shaw, tome II, page 84.
  9. Voyages de Shaw, tome II, page 84.
  10. Voyez le Voyage de Misson, tome III, page 109.
  11. Voyez le Voyage de Misson, tome II, page 312.
  12. Voyage de Paul Lucas, tome II, pages 380 et 381.
  13. Idem, tome III, page 326.
  14. Voyages de Shaw, tome II, page 70.
  15. Voyage de Monconys, première partie, page 334.
  16. Tavernier.
  17. J’ai deux observations essentielles à faire sur ce passage : la première, c’est que ces cornes d’ammon, qui paroissent faire un genre plutôt qu’une espèce dans la classe des animaux à coquilles, tant elles sont différentes les unes des autres par la forme et la grandeur, sont réellement les dépouilles d’autant d’espèces qui ont péri et ne subsistent plus. J’en ai vu de si petites, qu’elles n’avoient pas une ligne, et d’autres si grandes, qu’elles avoient plus de trois pieds de diamètre. Des observateurs dignes de foi m’ont assuré en avoir vu de beaucoup plus grandes encore, et entre autres une de huit pieds de diamètre sur un pied d’épaisseur. Ces différentes cornes d’ammon paroissent former des espèces distinctement séparées : les unes sont plus, les autres moins aplaties ; il y en a de plus ou de moins cannelées, toutes spirales, mais différemment terminées, tant à leur centre qu’à leurs extrémités : et ces animaux, si nombreux autrefois, ne se trouvent plus dans aucune de nos mers ; ils ne nous sont connus que par leurs dépouilles, dont je ne puis mieux représenter le nombre immense que par un exemple que j’ai tous les jours sous les yeux. C’est dans une minière de fer en grain, près d’Étivey, à trois lieues de mes forges de Buffon ; minière qui est ouverte il y a plus de cent cinquante ans, et dont on a tiré depuis ce temps tout le minerai qui s’est consommé à la forge d’Aisy ; c’est là, dis-je, que l’on voit une si grande quantité de ces cornes d’ammon entières et en fragments, qu’il semble que la plus grande partie de la minière a été modelée dans ces coquilles. La mine de Conflans en Lorraine, qui se traite au fourneau de Saint-Loup en Franche-Comté, n’est de même composée que de bélemnites et de cornes d’ammon : ces dernières coquilles ferrugineuses sont de grandeur si différente, qu’il y en a du poids depuis un gros jusqu’à deux cents livres. Je pourrois citer d’autres endroits où elles sont également abondantes. Il en est de même des bélemnites, des pierres lenticulaires, et de quantité d’autres coquillages dont on ne retrouve point aujourd’hui les analogues vivants dans aucune région de la mer, quoiqu’elles soient presque universellement répandues sur la surface entière de la terre. Je suis persuadé que toutes ces espèces, qui n’existent plus, ont autrefois subsisté pendant tout le temps que la température du globe et des eaux de la mer étoit plus chaude qu’elle ne l’est aujourd’hui ; et qu’il pourra de même arriver, à mesure que le globe se refroidira, que d’autres espèces actuellement vivantes cesseront de se multiplier, et périront comme ces premières ont péri, par le refroidissement.

    La seconde observation, c’est que quelques uns de ces ossements énormes, que je croyois appartir à des animaux inconnus, et dont je supposois les espèces perdues, nous ont paru néanmoins, après les avoir scrupuleusement examinés, appartenir à l’espèce de l’éléphant et à celle de l’hippopotame, mais, à la vérité, à des éléphants et des hippopotames plus grands que ceux du temps présent. Je ne connois dans les animaux terrestres qu’une seule espèce perdue ; c’est celle de l’animal dont j’ai fait dessiner les dents molaires avec leurs dimensions dans les Époques de la nature : les autres grosses dents et grands ossements que j’ai pu recueillir, ont appartenu à des éléphants et à des hippopotames. (Add. Buff.)

  18. Voyez Woodward.
  19. Voyez Ray’s Discourses, page 178.
  20. Voyez Woodward, pages 296 et 300.
  21. Voyez Stenon in prodromo Diss. de solido intra solidum, page 63.
  22. Voyez Ray’s Discourses, pages 178 et suiv.
  23. Année 1718, pages 3 et suiv.
  24. Extrait d’une lettre de M. Leschevin à M. de Buffon, Compiègne, le 8 octobre 1772.
  25. Lettres philosophiques de M. Bourguet. Bibliothèque raisonnée, mois d’avril, mai, et juin 1730.
  26. Voyez l’Histoire de l’Académie, 1708, page 24.
  27. Voyez Lettres philosophiques sur la formation des sels, page 198.
  28. Voyez Lettres philosophiques sur la formation des sels, page 196.
  29. Voyez le Journal des Savants, année 1680, page 12.
  30. Cette dernière assertion doit être modifiée : car quoiqu’il paroisse au premier coup d’œil qu’on puisse suivre les montagnes de l’Espagne jusqu’à la Chine, en passant des Pyrénées, en Auvergne, aux Alpes, en Allemagne, en Macédoine, au Caucase, et autres montagnes de l’Asie jusqu’à la mer de Tartarie, et quoiqu’il semble de même que le mont Atlas partage d’occident en orient le continent de l’Afrique, cela n’empêche pas que le milieu de cette grande presqu’île ne soit une chaîne continue de hautes montagnes qui s’étend depuis le mont Atlas aux monts de la Lune, et des monts de la Lune jusqu’aux terres du cap de Bonne-Espérance; en sorte que l’Afrique doit être considérée comme composée de montagnes qui en occupent le milieu dans toute sa longueur, et qui sont disposées du nord au sud et dans la même direction que celles de l’Amérique. Les parties de l’Atlas qui s’étendent depuis le milieu et des deux côtés vers l’occident et vers l’orient, ne doivent être considérées que comme des branches de la chaîne principale. Il en sera de même de la partie des monts de la Lune qui s’étend vers l’occident et vers l’orient : ce sont des montagnes collatérales de la branche principale qui occupe l’intérieur, c’est-à-dire le milieu de l’Afrique ; et s’il n’y a point de volcans dans cette prodigieuse étendue de montagnes, c’est parce que la mer est des deux côtés fort éloignée du milieu de cette vaste presqu’île ; tandis qu’en Amérique la mer est très voisine du pied des hautes montagnes, et qu’au lieu de former le milieu de la presqu’île de l’Amérique méridionale, elles sont au contraire toutes situées à l’occident, et que l’étendue des basses terres est en entier du côté de l’orient.

    La grande chaîne des Cordilières n’est pas la seule, dans le nouveau continent, qui soit dirigée du nord au sud; car dans le terrain de la Guiane, à environ cent cinquante lieues de Cayenne, il y a aussi une chaîne d’assez hautes montagnes qui court également du nord au sud : cette montagne est si escarpée du côté qui regarde Cayenne, qu’elle est, pour ainsi dire, inaccessible. Ce revers à-plomb de la chaîne de montagnes semble indiquer qu’il y a de l’autre côté une pente douce et une bonne terre : aussi la tradition du pays, ou plutôt le témoignage des Espagnols, est qu’il y a au delà de cette montagne des nations de sauvages réunis en assez grand nombre. On a dit aussi qu’il y avoit une mine d’or dans ces montagnes, et un lac où l’on trouvoit des paillettes d’or ; mais ce fait ne s’est pas confirmé.

    En Europe, la chaîne de montagnes qui commence en Espagne, passe en France, en Allemagne, et en Hongrie, se partage en deux grandes branches, dont l’une s’étend en Asie par les montagnes de la Macédoine, du Caucase, etc., et l’autre branche passe de la Hongrie dans la Pologne, la Russie, et s’étend jusqu’aux sources du Wolga et du Borysthène ; et se prolongeant encore plus loin, elle gagne une autre chaîne de montagnes en Sibérie qui aboutit enfin à la mer du Nord à l’occident du fleuve Oby. Ces chaînes de montagnes doivent être regardées comme un sommet presque continu, dans lequel plusieurs grands fleuves prennent leurs sources : les uns, comme le Tage, la Doure en Espagne, la Garonne, la Loire en France, le Rhin en Allemagne, se jettent dans l’Océan ; les autres, comme l’Oder, la Vistule. le Niémen, se jettent dans la mer Baltique ; enfin d’autres fleuves, comme la Doine, tombent dans la mer Blanche, et le fleuve Petzora dans la mer Glaciale. Du côté de l’orient, cette même chaîne de montagnes donne naissance à l’Yeucar et l’Èbre en Espagne, au Rhône en France, au Pô en Italie, qui tombent dans la mer Méditerranée ; au Danube et au Don, qui se perdent dans la mer Noire ; et enfin au Wolga, qui tombe dans la mer Caspienne.

    Le sol de la Norwège est plein de rochers et de groupes de montagnes. Il y a cependant des plaines fort unies de six, huit, et dix milles d’étendue. La direction des montagnes n’est point à l’ouest ou l’est, comme celle des autres montagnes de l’Europe ; elles vont au contraire, comme les Cordilières, du sud au nord.

    Dans l’Asie méridionale, depuis l’île de Ceylan et le cap Comorin, il s’étend une chaîne de montagnes qui sépare le Malabar de Coromandel, traverse le Mogol, regagne le mont Caucase, se prolonge dans le pays des Calmouks, et s’étend jusqu’à la mer du Nord à l’occident du fleuve Irtis : on en trouve une autre qui s’étend de même du nord au sud jusqu’au cap Razalgat en Arabie, et qu’on peut suivre à quelque distance de la mer Rouge jusqu’à Jérusalem ; elle environne l’extrémité de la mer Méditerranée et la pointe de la mer Noire, et de là s’étend par la Russie jusqu’au même point de la mer du Nord.

    On peut aussi observer que les montagnes de l’Indostan et celles de Siam courent du sud au nord, et vont également se réunir aux rochers du Thibet et de la Tartarie. Ces montagnes offrent, de chaque côté, des saisons différentes : à l’ouest on a six mois de pluie, tandis qu’on jouit à l’est du plus beau soleil.

    Toutes les montagnes de Suisse, c’est-à-dire celles de la Vallésie et des Grisons, celles de la Savoie, du Piémont, et du Tyrol, forment une chaîne qui s’étend du nord au sud jusqu’à la Méditerranée. Le mont Pilate, situé dans le canton de Lucerne, à peu près dans le centre de la Suisse, forme une chaîne d’environ quatorze lieues qui s’étend du nord au sud jusque dans le canton de Berne.

    On peut donc dire qu’en général les plus grandes éminences du globe sont disposées du nord au sud, et que celles qui courent dans d’autres direction ne doivent être regardées que comme des branches collatérales de ces premières montagnes ; et c’est en partie par cette disposition de montagnes primitives, que toutes les pointes des continents se présentent dans la direction du nord au sud, comme on le voit à la pointe de l’Afrique, à celle de l’Amérique, à celle de Californie, à celle de Groenland, au cap Comorin, à Sumatra, à la Nouvelle-Hollande, etc. ; ce qui paroît indiquer, comme nous l’avons déjà dit, que toutes les eaux sont venues en plus grande quantité du pôle austral que du pôle boréal.

    Si l’on consulte une nouvelle mappemonde, dans laquelle on a représenté autour du pôle arctique toutes les terres des quatre parties du monde, à l’exception d’une pointe de l’Amérique, et autour du pôle antarctique, toutes les mers et le peu de terres qui composent l’hémisphère pris dans ce sens, on reconnoîtra évidemment qu’il y a eu beaucoup plus de bouleversements dans ce second hémisphère que dans le premier, et que la quantité des eaux y a toujours été et y est encore bien plus considérable que dans notre hémisphère. Tout concourt donc à prouver que les plus grandes inégalités du globe se trouvent dans les parties méridionales, et que la direction la plus générale des montagnes primitives est du nord au sud plutôt que d’orient en occident dans toute l’étendue de la surface du globe. (Add. Buff.)

  31. Voyez Lettres philosophiques sur la formation des sels, pages 181 et 200.
  32. J’ai dit qu’on trouve dans les grès des espèces de clous, etc. Cela semble indiquer que les grandes masses de grès doivent leur origine à l’action du feu primitif. J’avois d’abord pensé que cette matière ne devoit sa dureté et la réunion de ses parties qu’à l’intermède de l’eau ; mais je me suis assuré, depuis, que l’action du feu produit le même effet, et je puis citer sur cela des expériences qui d’abord m’ont surpris, et que j’ai répétées assez souvent pour n’en pouvoir douter.
    EXPÉRIENCES.

    J’ai fait broyer des grès de différents degrés de dureté, et je les ai fait tamiser en poudre plus ou moins fine pour m’en servir à couvrir les cémentations dont je me sers pour convertir le fer en acier : cette poudre de grès répandue sur le cément, et amoncelée en forme de dôme de trois ou quatre pouces d’épaisseur, sur une caisse de trois pieds de longueur et deux pieds de largeur, ayant subi l’action d’un feu violent dans mes fourneaux d’aspiration pendant plusieurs jours et nuits de suite sans interruption, n’étoit plus de la poussière de grès, mais une masse solide, que l’on étoit obligé de casser pour découvrir la caisse qui contenoit le fer converti en acier boursouflé ; en sorte que l’action du feu sur cette poudre de grès en a fait des masses aussi solides que le grès de médiocre qualité qui ne sonne point sous le marteau. Cela m’a démontré que le feu peut, tout aussi bien que l’eau, avoir agglutiné les sables vitrescibles, et avoir par conséquent formé les grandes masses de grès qui composent le noyau de quelques unes de nos montagnes.

    Je suis donc très persuadé que toute la matière vitrescible dont est composée la roche intérieure du globe, et les noyaux de ses grandes éminences extérieures, ont été produits par l’action du feu primitif, et que les eaux n’ont formé que les couches inférieures et accessoires qui enveloppent ces noyaux, qui sont toutes posées par couches parallèles, horizontales, ou également inclinées, et dans lesquelles on trouve des débris de coquilles et d’autres productions de la mer.

    Ce n’est pas que je prétende exclure l’intermède de l’eau pour la formation des grès et de plusieurs autres matières vitrescibles ; je suis, au contraire, porté à croire que le sable vitrescible peut acquérir de la consistance, et se réunir en masses plus ou moins dures par le moyen de l’eau, peut-être encore plus aisément que par l’action du feu ; et c’est seulement pour prévenir les objections qu’on ne manqueroit pas de faire, si l’on imaginoit que j’attribue uniquement à l’intermède de l’eau la solidité et la consistance du grès et des autres matières composées de sable vitrescible. Je dois même observer que les grès qui se trouvent à la superficie ou à peu de profondeur dans la terre, ont tous été formés par l’intermède de l’eau ; car l’on remarque des ondulations et des tournoiements à la surface supérieure des masses de ces grès, et l’on y voit quelquefois des impressions de plantes et de coquilles. Mais on peut distinguer les grès formés par le sédiment des eaux, de ceux qui ont été produits par le feu : ceux-ci sont d’un plus gros grain, et s’égrènent plus facilement que les grès dont l’agrégation des parties est due à l’intermède de l’eau. Ils sont plus serrés, plus compactes ; les grains qui les composent ont des angles plus vifs, et en général ils sont plus solides et plus durs que les grès coagulés par le feu.

    Les matières ferrugineuses prennent un très grand degré de dureté par le feu, puisque rien n’est si dur que la fonte de fer ; mais elles peuvent aussi acquérir une dureté considérable par l’intermède de l’eau : je m’en suis assuré en mettant une bonne quantité de limaille de fer dans des vases exposés à la pluie ; cette limaille a formé des masses si dures, qu’on ne pouvoit les casser qu’au marteau.

    La roche vitreuse qui compose la masse de l’intérieur du globe est plus dure que le verre ordinaire ; mais elle ne l’est pas plus que certaines laves de volcans, et beaucoup moins que la fonte de fer, qui n’est cependant que du verre mêlé de parties ferrugineuses. Cette grande dureté de la roche du globe indique assez que ce sont les parties les plus fixes de toute la matière qui se sont réunies, et que, dès le temps de leur consolidation, elles ont pris la consistance et la dureté qu’elles ont encore aujourd’hui. L’on ne peut donc pas argumenter contre mon hypothèse de la vitrification générale, en disant que les matières réduites en verre par le feu de nos fourneaux sont moins dures que la roche du globe, puisque la fonte de fer, quelques laves ou basaltes, et même certaines porcelaines, sont plus dures que cette roche, et néanmoins ne doivent comme elle, leur dureté qu’à l’action du feu. D’ailleurs les éléments du fer et des autres minéraux qui donnent de la dureté aux matières liquéfiées par le feu ou atténuées par l’eau, existoient ainsi que les terres fixes dès le temps de la consolidation du globe ; et j’ai déjà dit qu’on ne devoit pas regarder la roche de son intérieur comme du verre pur, semblable à celui que nous faisons avec du sable et du salin, mais comme un produit vitreux mêlé des matières les plus fixes et les plus capables de soutenir la grande et longue action du feu primitif, dont nous ne pouvons comparer les grands effets que de loin, avec le petit effet de nos feux de fourneaux ; et néanmoins cette comparaison, quoique désavantageuse, nous laisse apercevoir clairement ce qu’il peut y avoir de commun dans les effets du feu primitif et dans les produits de nos feux, et nous démontre en même temps que le degré de dureté dépend moins de celui du feu que de la combinaison des matières soumises à son action. (Add. Buff.)

  33. J’ai tâché d’expliquer comment les pics des montagnes ont été dépouillés des sables vitrescibles qui les environnoient au commencement, et mon explication ne pèche qu’en ce que j’ai attribué la première formation des rochers qui forment le noyau de ces pics à l’intermède de l’eau, au lieu qu’on doit l’attribuer à l’action du feu ; ces pics ou cornes de montagnes ne sont que des prolongements et des pointes de la roche intérieure du globe, lesquelles étoient environnées d’une grande quantité de scories et de poussière de verre ; ces matières divisées auront été entraînées dans les lieux inférieurs par les mouvements de la mer dans le temps qu’elle a fait retraite, et ensuite les pluies et les torrents des eaux courantes auront encore sillonné du haut en bas les montagnes, et auront par conséquent achevé de dépouiller les masses de roc vif qui formoient les éminences du globe, et qui, par ce dépouillement, sont demeurées nues et telles que nous les voyons encore aujourd’hui. Je puis dire en général qu’il n’y a aucun autre changement à faire dans toute ma Théorie de la terre, que celui de la composition des premières montagnes qui doivent leur origine au feu primitif, et non pas à l’intermède de l’eau, comme je l’avois conjecturé, parce que j’étois alors persuadé, par l’autorité de Woodward et de quelques autres naturalistes, que l’on avoit trouvé des coquilles au dessus des sommets de toutes les montagnes : au lieu que, par des observations plus récentes, il paroît qu’il n’y a pas de coquilles sur les plus hauts sommets, mais seulement jusqu’à la hauteur de deux mille toises au dessus du niveau des mers, d’où il résulte qu’elle n’a peut-être pas surmonté ces hauts sommets, ou du moins qu’elle ne les a baignés que pendant un petit temps, en sorte qu’elle n’a formé que les collines et les montagnes calcaires, qui sont toutes au dessous de cette hauteur de deux mille toises. (Add. Buff.)
  34. Voyez Lettres édif., rec. II, tome II, page 135, etc.
  35. M. Fabry.
  36. C’est faute d’avoir fait ces réflexions que M. Kuhn dit que la source du Danube est au moins de deux milles d’Allemagne plus élevée que son embouchure ; que la mer Méditerranée est de 6 ¾ milles d’Allemagne plus basse que les sources du Nil ; que la mer Atlantique est plus basse d’un demi-mille que la Méditerranée, etc., ce qui est absolument contraire à la vérité. Au reste, le principe faux dont M. Kuhn tire toutes ces conséquences, n’est pas la seule erreur qui se trouve dans cette pièce sur l’origine des fontaines, qui a remporté le prix de l’académie de Bordeaux en 1741.
  37. Voyage de Granger ; Paris, 1745, pages 13 et 14.
  38. Au sujet de la théorie des eaux courantes, je vais ajouter une observation nouvelle, que j’ai faite depuis que j’ai établi des usines, où la différente vitesse de l’eau peut se reconnoître assez exactement. Sur neuf roues qui composent le mouvement de ces usines, dont les unes reçoivent leur impulsion par une colonne d’eau de deux ou trois pieds, et les autres de cinq à six pieds de hauteur, j’ai été assez surpris d’abord de voir que toutes ces roues tournoient plus vite la nuit que le jour, et que la différence étoit d’autant plus grande que la colonne d’eau étoit plus haute et plus large. Par exemple, si l’eau a six pieds de chute, c’est-à-dire si le biez près de la vanne a six pieds de hauteur d’eau, et que l’ouverture de la vanne ait deux pieds de hauteur, la roue tournera pendant la nuit, d’un dixième et quelquefois d’un neuvième plus vite que pendant le jour ; et s’il y a moins de hauteur d’eau, la différence entre la vitesse pendant la nuit et pendant le jour sera moindre, mais toujours assez sensible pour être reconnue. Je me suis assuré de ce fait, en mettant des marques blanches sur les roues, et en comptant avec une montre à secondes le nombre de leurs révolutions dans un même temps, soit la nuit, soit le jour, et j’ai constamment trouvé, par un très grand nombre d’observations, que le temps de la plus grande vitesse des roues étoit l’heure la plus froide de la nuit, et qu’au contraire celui de la moindre vitesse étoit le moment de la plus grande chaleur du jour : ensuite j’ai de même reconnu que la vitesse de toutes les roues est généralement plus grande en hiver qu’en été. Ces faits, qui n’ont été remarqués par aucun physicien, sont importants dans la pratique. La théorie en est bien simple : cette augmentation de vitesse dépend uniquement de la densité de l’eau, laquelle augmente par le froid et diminue par le chaud ; et, comme il ne peut passer que le même volume par la vanne, il se trouve que ce volume d’eau, plus dense pendant la nuit et en hiver qu’il ne l’est pendant le jour ou en été, agit avec plus de masse sur la roue, et lui communique par conséquent une plus grande quantité de mouvement. Ainsi, toutes choses étant égales d’ailleurs, on aura moins de perte à faire chômer ses usines à l’eau pendant la chaleur du jour, et à les faire travailler pendant la nuit : j’ai vu dans mes forges que cela ne laissoit pas d’influer d’un douzième sur le produit de la fabrication du fer.

    Une seconde observation, c’est que de deux roues, l’une plus voisine que l’autre du biez, mais du reste parfaitement égales, et toutes deux mues par une égale quantité d’eau qui passe par des vannes égales, celle des roues qui est la plus voisine du biez tourne toujours plus vite que l’autre qui en est plus éloignée, et à laquelle l’eau ne peut arriver qu’après avoir parcouru un certain espace dans le courant particulier qui aboutit à cette roue. On sent bien que le frottement de l’eau contre les parois de ce canal doit en diminuer la vitesse ; mais cela seul ne suffit pas pour rendre raison de la différence considérable qui se trouve entre le mouvement de ces deux roues : elle provient en premier lieu, de ce que l’eau contenue dans ce canal cesse d’être pressée latéralement, comme elle l’est en effet lorsqu’elle entre par la vanne du biez et qu’elle frappe immédiatement les aubes de la roue : secondement, cette inégalité de vitesse, qui se mesure sur la distance du biez à ces roues, vient encore de ce que l’eau qui sort d’une vanne n’est pas une colonne qui ait les dimensions de la vanne ; car l’eau forme dans son passage un cône irrégulier, d’autant plus déprimé sur les côtés, que la masse d’eau dans le biez a plus de largeur. Si les aubes de la roue sont très près de la vanne, l’eau s’y applique presque à la hauteur de l’ouverture de la vanne : mais si la roue est plus éloignée du biez, l’eau s’abaisse dans le coursier, et ne frappe plus les aubes de la roue à la même hauteur ni avec autant de vitesse que dans le premier cas ; et ces deux causes réunies produisent cette diminution de vitesse dans les roues qui sont éloignées du biez. (Add. Buff.)

  39. Au sujet de la salure de la mer, il y a deux opinions, qui toutes deux sont fondées et en partie vraies. Halley attribue la salure de la mer uniquement aux sels de la terre que les fleuves y transportent, et pense même qu’on peut reconnoître l’ancienneté du monde par le degré de cette salure des eaux de la mer. Leibnitz croit au contraire que le globe de la terre ayant été liquéfié par le feu, les sels et les autres parties empyreumatiques ont produit avec les vapeurs aqueuses une eau lixivielle et salée, et que par conséquent la mer avoit son degré de salure dès le commencement. Les opinions de ces deux grands physiciens, quoique opposées, doivent être réunies, et peuvent même s’accorder avec la mienne : il est en effet très probable que l’action du feu combinée avec celle de l’eau a fait la dissolution de toutes les matières salines qui se sont trouvées à la surface de la terre dès le commencement, et que par conséquent le premier degré de salure de la mer provient de la cause indiquée par Leibnitz ; mais cela n’empêche pas que la seconde cause désignée par Halley n’ait aussi très considérablement influé sur le degré de la salure actuelle de la mer, qui ne peut manquer d’aller toujours en augmentant, parce qu’en effet les fleuves ne cessent de transporter à la mer une grande quantité de sels fixes, que l’évaporation ne peut enlever ; ils restent donc mêlés avec la masse des eaux, qui, dans la mer, se trouvent généralement d’autant plus salées qu’elles sont plus éloignées de l’embouchure des fleuves, et que la chaleur du climat y produit une plus grande évaporation. La preuve que cette seconde cause y fait peut-être autant et plus que la première, c’est que tous les lacs dont il sort des fleuves, ne sont point salés ; tandis que presque tous ceux qui reçoivent des fleuves sans qu’ils en sortent, sont imprégnés de sel. La mer Caspienne, le lac Aral, la mer Morte, etc., ne doivent leur salure qu’aux sels que les fleuves y transportent, et que l’évaporation ne peut enlever. (Add. Buff.)
  40. J’ai dit que la cataracte de la rivière de Niagara au Canada étoit la plus fameuse, et qu’elle tomboit de 156 pieds de hauteur perpendiculaire. J’ai depuis été informé* qu’il se trouve en Europe une cataracte qui tombe de 300 pieds de hauteur ; c’est celle de Terni, petite ville sur la route de Rome a Bologne. Elle est formée par la rivière de Velino, qui prend sa source dans les montagnes de l’Abruzze. Après avoir passé par Riète, ville frontière du royaume de Naples, elle se jette dans le lac de Luco, qui paroît entretenu par des sources abondantes ; car elle en sort plus forte qu’elle n’y est entrée, et va jusqu’au pied de la montagne del Marmore, d’où elle se précipite par un saut perpendiculaire de 300 pieds ; elle tombe comme dans un abîme, d’où elle s’échappe avec une espèce de fureur. La rapidité de sa chute brise ses eaux avec tant d’effort contre les rochers et sur le fond de cet abîme, qu’il s’en élève une vapeur humide, sur laquelle les rayons du soleil forment des arcs-en-ciel, qui sont très variés ; et lorsque le vent du midi souffle et rassemble ce brouillard contre la montagne, au lieu de plusieurs petits arcs-en-ciel, on n’en voit plus qu’un seul qui couronne toute la cascade. (Add. Buff.)

    * Note communiquée à M. de Buffon par M. Fresnaye, conseiller au conseil supérieur de Saint-Domingue.

  41. Tome III, pages 332 et suivantes.
  42. Voyez la traduction des Voyages de Lade, par M. l’abbé Prévost, tome II, pages 305 et suivantes.
  43. Troisième Vovage des Hollandois par le Nord, tome I, pages 46 et suivantes.
  44. Voyez les Mémoires de l’Académie des Sciences, année 1704.
  45. Fragment d’une lettre écrite à M. de Buffon en 1772.
  46. Voyez le Voyage du Levant de Tournefort, vol. II, page 123.
  47. Voyez les Voyages de Chardin, page 142.
  48. À tout ce que j’ai dit pour prouver que la mer Caspienne n’est qu’un lac qui n’a point de communication avec l’Océan, et qui n’en a jamais fait partie, je puis ajouter une réponse que j’ai reçue de l’académie de Pétersbourg, à quelques questions que j’avois faites au sujet de cette mer.

    « Augusto 1748, octobr. 5, etc. Cancellaria accademiæ scientiarum mandavit ut Astrachanensis gubernii cancellaria responderet ad sequentia : 1o Sunt-ne vortices in mare Caspico necne ? 2o Quæ genera piscium illud inhabitant ? quomodò appellantar ? et an marini tantùm ant et fluviatiles ibidem reperiantur ? 3o Qualia genera concharum, quæ species ostrearum et cancrorum occurrunt ? 4o Quæ genera marinarum avium in ipso mari aut circa illud versantur ? Ad quæ Astrachanensis cancellaria die 13 Mart. 1749. sequentibus respondit.

    » Ad 1, in mari Caspico vortices occurrunt nusquam : hinc est, quod nec in mappis marinis exstant, nec ab ullo officialium rei navalis visi esse perhibentur.

    » Ad 2, pisces Caspium mare inhabilant : acipenseres, sturioli Gmelin, siluri, cyprini clavati, bramæ, percæ, cyprini ventre acuto, (ignoti alibi pisces), tincæ, salmones, qui, ut è mari fluvios intrare, ita et in mare è fluviis remeare solent.

    » Ad 3, conchæ in littoribus maris obviæ quidem sunt, sed parvæ, candidæ, aut ex una parte rubræ. Cancri ad littora observantur magnitudine fluviatilibus similes : ostreæ autem et capita Medusæ visa sunt nusquam.

    » Ad 4, aves marinæ quæ circa mare Caspium versantur, sunt anseres vulgares et rubri, pelicani, cygni, anates rubræ et nigricantes aquilæ, corvi aquatici, grues, plateæ, ardeæ albæ cinereæ et nigricantes, ciconiæ albæ gruibus similes, karawaiki (ignotum avis nomen), larorum variæ species, sturni nigri et lateribus albis instar picarum, phasiani, anseres parvi nigricantes, tudaki (ignotum avis nomen) albo colore præditi. »

    Ces faits, qui sont précis et authentiques, confirment pleinement, ce que j’ai avancé ; savoir, que la mer Caspienne n’a aucune communication souterraine avec l’Océan ; et ils prouvent de plus quelle n’en a jamais fait partie, puisqu’on n’y trouve point d’huîtres ni d’autres coquillages de la mer, mais seulement les espèces de ceux qui sont dans les rivières. On ne doit donc regarder cette mer que comme un grand lac formé dans le milieu des terres par les eaux des fleuves, puisqu’on n’y trouve que les mêmes poissons et les mêmes coquillages qui habitent les fleuves, et point du tout ceux qui peuplent l’Océan ou la Méditerranée. (Add. Buff.)

  49. Le pied cubique pèse trente-cinq livres, de seize onces chacune.
  50. Voyez le Voyage de Narbrough.
  51. Voyage de Dampier autour du monde, tome II, pag. 476 et suiv.
  52. M. l’abbé Dicquemare, savant physicien, a fait sur ce sujet des réflexions et quelques observations particulières, qui me paroissent s’accorder parfaitement avec ce que j’en ai dit dans ma Théorie de la terre.

    « Les entretiens avec des pilotes de toutes langues ; la discussion des cartes et des sondes écrites, anciennes et récentes ; l’examen des corps qui s’attachent à la sonde ; l’inspection des rivages, des bancs ; celle des couches qui forment l’intérieur de la terre, jusqu’à une profondeur à peu près semblable à la longueur des lignes des sondes les plus ordinaires ; quelques réflexions sur ce que la physique, la cosmographie et l’histoire naturelle ont de plus analogue avec cet objet, nous ont fait soupçonner, nous ont même persuadé, dit M. l’abbé Dicquemare, qu’il doit exister, dans bien des parages, deux fonds différents, dont l’un recouvre souvent l’autre par intervalles : le fond ancien ou permanent, qu’on peut nommer fond général, et le fond accidentel ou particulier. Le premier, qui doit faire la base d’un tableau général, est le sol même du bassin de la mer. Il est composé des mêmes couches que nous trouvons partout dans le sein de la terre, telles que la marne, la pierre, la glaise, le sable, les coquillages, que nous voyons disposés horizontalement, d’une épaisseur égale, sur une fort grande étendue… Ici ce sera un fond de marne ; là un de glaise, de sable, de roches. Enfin le nombre des fonds généraux qu’on peut discerner par la sonde, ne va guère qu’à six ou sept espèces. Les plus étendues et les plus épaisses de ces couches, se trouvant découvertes ou coupées en biseau, forment dans la mer de grands espaces, où l’on doit reconnoître le fond général, indépendamment de ce que les courants et autres circonstances peuvent y déposer d’étranger à sa nature. Il est encore des fonds permanents dont nous n’avons point parlé : ce sont ces étendues immenses de madrépores, de coraux, qui recouvrent souvent un fond de rochers, et ces bancs d’une énorme étendue de coquillages, que la prompte multiplication ou d’autres causes y ont accumulés ; ils y sont comme par peuplades. Une espèce paroit occuper une certaine étendue, l’espace suivant est occupé par une autre, comme on le remarque à l’égard des coquilles fossiles, dans une grande partie de l’Europe, et peut-être partout. Ce sont même ces remarques sur l’intérieur de la terre, et des lieux où la mer découvre beaucoup, où l’on voit toujours une espèce dominer comme par cantons, qui nous ont mis à portée de conclure sur la prodigieuse quantité des individus, et sur l’épaisseur des bancs du fond de la mer, dont nous ne pouvons guère connoître par la sonde que la superficie.

    » Le fond accidentel ou particulier… est composé d’une quantité prodigieuse de pointes d’oursins de toute espèce, que les marins nomment pointes d’alênes ; de fragments de coquilles, quelquefois pourries ; de crustacés, de madrépores, de plantes marines, de pyrites, de granites arrondis par le frottement, de particules de nacre, de mica, peut-être même de talc, auxquels ils donnent des noms conformes à l’apparence ; quelques coquilles entières, mais en petite quantité, et comme semées dans des étendues médiocres ; de petits cailloux, quelques cristaux, des sables colorés, un léger limon, etc. Tous ces corps, disséminés par les courants, l’agitation de la mer, etc., provenant en partie des fleuves, des éboulements de falaises, et autres causes accidentelles, ne recouvrent souvent qu’imparfaitement le fond général, qui se représente à chaque instant, quand on sonde fréquemment dans les mêmes parages… J’ai remarqué que depuis prés d’un siècle une grande partie des fonds généraux du golfe de Gascogne et de la Manche n’ont presque pas changé ; ce qui fonde encore mon opinion sur les deux fonds. » (Add. Buffon.)

  53. On doit ajouter à l’énumération des courants de la mer le fameux courant de Moschœ, Mosche, ou Male, sur les côtes de Norwège, dont un savant suédois nous a donné la description dans les termes suivants :

    « Ce courant, qui a pris son nom du rocher de Moschensiele, situé entre les deux îles de Lofœde et de Woerœn, s’étend à quatre milles vers le sud et vers le nord.

    » Il est extrêmement rapide, surtout entre le rocher de Mosche et la pointe de Lofœde ; mais plus il s’approche des deux îles de Woerœn et de Roest, moins il a de rapidité. Il achève son cours du nord au sud en six heures, puis du sud au nord en autant de temps.

    » Ce courant est si rapide, qu’il fait un grand nombre de petits tournants, que les habitants du pays ou les Norwégiens appellent gargamer.

    » Son cours ne suit point celui des eaux de la mer dans leur flux et dans leur reflux : il y est plutôt tout contraire. Lorsque les eaux de l'Océan montent, elles vont du sud au nord, et alors le courant va du nord au sud : lorsque la mer se retire, elle va du nord au sud, et pour lors le courant va du sud au nord.

    » Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que tant en allant qu’en revenant, il ne décrit pas une ligne droite, ainsi que les autres courants qu’on trouve dans quelques détroits, où les eaux de la mer montent et descendent ; mais il va en ligne circulaire.

    » Quand les eaux de la mer ont monté à moitié, celles du courant vont au sud-est. Plus la mer s’élève, plus il se tourne vers le sud ; de là il se tourne vers le sud-ouest, et du sud-ouest vers l’ouest.

    » Lorsque les eaux de la mer ont entièrement monté, le courant va vers le nord-ouest, et ensuite vers le nord : vers le milieu du reflux, il recommence son cours, après l’avoir suspendu pendant quelques moments…

    » Le principal phénomène qu’on y observe, est son retour par l’ouest du sud-sud-est vers le nord, ainsi que du nord vers le sud-est. S’il ne revenoit pas par le même chemin, il seroit fort difficile et presque impossible de passer de la pointe de Lofœde aux deux grandes îles de Worœn et de Roest. Il y a cependant aujourdhui deux paroisses qui seroient nécessairement sans habitants, si le courant ne prenoit pas le chemin que je viens de dire ; mais, comme il le prend en effet, ceux qui veulent passer de la pointe de Lofœde à ces deux îles, attendent que la mer ait monté à moitié, parce qu’alors le courant se dirige vers l’ouest : lorsqu’ils veulent revenir de ces îles vers la pointe de Lofœde, ils attendent le mi-reflux, parce qu’alors le courant est dirigé vers le continent ; ce qui fait qu’on passe avec beaucoup de facilité… Or, il n’y a point de courant sans pente : et ici l’eau monte d’un côté et descend de l’autre.

    » Pour se convaincre de cette vérité, il suffit de considérer qu’il y a une petite langue de terre qui s’étend à seize milles de Norwège dans la mer, depuis la pointe de Lofœde, qui est le plus à l’ouest, jusqu’à celle de Loddinge, qui est la plus orientale. Cette petite langue de terre est environnée par la mer ; et soit pendant le flux, soit pendant le reflux, les eaux y sont toujours arrêtées, parce qu’elles ne peuvent avoir d’issue que par six petits détroits ou passages qui divisent cette langue de terre en autant de parties. Quelques uns de ces détroits ne sont larges que d’un demi-quart de mille, et quelquefois moitié moins ; ils ne peuvent donc contenir qu’une petite quantité d’eau. Ainsi, lorsque la mer monte, les eaux qui vont vers le nord s’arrêtent en grande partie au sud de cette langue de terre : elles sont donc bien plus élevées vers le sud que vers le nord. Lorsque la mer se retire et va vers le sud, il arrive pareillement que les eaux s’arrêtent en grande partie au nord de cette langue de terre, et sont par conséquent bien plus hautes vers le nord que vers le sud.

    » Les eaux arrêtées de cette manière, tantôt au nord, tantôt au sud, ne peuvent trouver d’issue qu’entre la pointe de Lofœde et de l’île de Woerœn, et qu’entre cette île et celle de Roest.

    » La pente qu’elles ont lorsqu’elles descendent, cause la rapidité du courant ; et par la même raison cette rapidité est plus grande vers la pointe de Lofœde que partout ailleurs. Comme cette pointe est plus près de l’endroit où les eaux s’arrêtent, la pente y est aussi plus forte ; et plus les eaux du courant s’étendent vers les îles de Woerœn et de Roest, plus il perd de sa vitesse…

    » Après cela, il est aisé de concevoir pourquoi ce courant est toujours diamétralement opposé à celui des eaux de la mer. Rien ne s’oppose à celles-ci, soit qu’elles montent, soit qu’elles descendent ; au lieu que celles qui sont arrêtées au dessus de la pointe de Lofœde ne peuvent se mouvoir ni en ligne droite, ni au dessus de cette même pointe, tant que la mer n’est point descendue plus bas, et n’a pas, en se retirant, emmené les eaux que celles qui sont arrêtées au dessus de Lofœde doivent remplacer…

    » Au commencement du flux et du reflux, les eaux de la mer ne peuvent pas détourner celles du courant ; mais lorsqu’elles ont monté ou descendu à moitié, elles ont assez de force pour changer sa direction. Comme il ne peut alors retourner vers l’est, parce que l’eau est toujours stable près de la pointe de Lofœde, ainsi que je l’ai déjà dit, il faut nécessairement qu’il aille vers l’ouest, où l’eau est plus basse. » Cette explication me paroît bonne et conforme aux vrais principes de la théorie des eaux courantes.

    Nous devons encore ajouter ici la description du fameux courant de Charybde et Scylla, près de la Sicile, sur lequel M. Brydone a fait nouvellement des observations qui semblent prouver que sa rapidité et la violence de tous ses mouvements est fort diminuée.

    « Le fameux rocher de Scylla est sur la côte de la Calabre, le cap Pelore sur celle de Sicile, et le célèbre détroit du Phare court entre les deux. L’on entend, à quelques milles de distance de l’entrée du détroit, le mugissement du courant : il augmente à mesure qu’on s’approche, et, en plusieurs endroits, l’eau forme de grands tournants, lors même que tout le reste de la mer est uni comme une glace. Les vaisseaux sont attirés par ces tournants d’eaux : cependant on court peu de danger quand le temps est calme : mais si les vagues rencontrent ces tournants violents, elles forment une mer terrible. Le courant porte directement vers le rocher de Scylla : il est à environ un mille de l’entrée du Phare. Il faut convenir que réellement ce fameux Scylla n’approche pas de la description formidable qu’Homère en a faite ; le passage n’est pas aussi prodigieusement étroit ni aussi difficile qu’il le représente : il est probable que depuis ce temps il s’est fort élargi, et que la violence du courant a diminué en même proportion. Le rocher a près de deux cents pieds d’élévation ; on y trouve plusieurs cavernes et une espèce de fort bâti au sommet. Le fanal est à présent sur le cap Pelore. L’entrée du détroit entre ce cap et la Coda di Volpe en Calabre, paroît avoir à peine un mille de largeur ; son canal s’élargit, et il a quatre milles auprès de Messine, qui est éloignée de douze milles de l’entrée du détroit. Le célèbre gouffre ou tournant de Charybde est près de l’entrée du havre de Messine : il occasione{{{1}}} souvent dans l’eau un mouvement si irrégulier, que les vaisseaux ont beaucoup de peine à y entrer. Aristote fait une longue et terrible description de ce passage difficile. Homère, Lucrèce, Virgile, et plusieurs autres poëtes, l’ont décrit comme un objet qui inspiroit la plus grande terreur. Il n’est certainement pas si formidable aujourd’hui, et il est très probable que le mouvement des eaux depuis ce temps a émoussé les pointes escarpées des rochers, et détruit les obstacles qui resserroient les flots. Le détroit s’est élargi considérablement dans cet endroit. Les vaisseaux sont néanmoins obligés de ranger la côte de Calabre de très près, afin d’éviter l’attraction violente occasionée par le tournoiement des eaux ; et lorsqu’ils sont arrivés à la partie la plus étroite et la plus rapide du détroit, entre le cap Pelore et Scylla, ils sont en grand danger d’être jetés directement contre ce rocher. De là vient le proverbe,

    Incidit in Scyllam cupiens vitare Charybdin.
    On a placé un autre fanal pour avertir les marins qu’ils approchent de Charybde, comme le fanal du cap Pelore les avertit qu’ils approchent de Scylla. » (Add. Buff.)
  54. L’effet de cette cause a été déterminé géométriquement dans différentes hypothèses, et calculé par M. d’Alembert. Voyez Réflexions sur la cause générale des vents.
  55. Je dois rapporter ici une observation qui me paroît avoir échappé à l’attention des physiciens, quoique tout le monde soit en état de la vérifier ; c’est que le vent réfléchi est plus violent que le vent direct, et d’autant plus qu’on est plus près de l’obstacle qui le renvoie. J’en ai fait nombre de fois l’expérience, en approchant d’une tour qui a près de cent pieds de hauteur, et qui se trouve située au nord, à l’extrémité de mon jardin, à Montbard : lorsqu’il souffle un grand vent du midi, on se sent fortement poussé jusqu’à trente pas de la tour : après quoi il y a un intervalle de cinq ou six pas où l’on cesse d’être poussé, et où le vent, qui est réfléchi par la tour, fait, pour ainsi dire, équilibre avec le vent direct : après cela, plus on approche de la tour, et plus le vent qui en est réfléchi est violent ; il vous repousse en arrière avec beaucoup plus de force que le vent direct ne vous poussoit en avant. La cause de cet effet, qui est général, et dont on peut faire l’épreuve contre tous les grands bâtiments, contre les collines coupées à plomb, etc., n’est pas difficile à trouver. L’air dans le vent direct n’agit que par sa vitesse et sa masse ordinaire ; dans le vent réfléchi, la vitesse est un peu diminuée, mais la masse est considérablement augmentée par la compression que l’air souffre contre l’obstacle qui le réfléchit ; et comme la quantité de tout mouvement est composée de la vitesse multipliée par la masse, cette quantité est bien plus grande après la compression qu’auparavant. C’est une masse d’air ordinaire qui vous pousse dans le premier cas, et c’est une masse d’air une, ou deux fois plus dense qui vous repousse dans le second cas. (Add. Buff.)
  56. Albazen, par la durée des crépuscules, a prétendu que la hauteur de l’atmosphère est de 44,331 toises. Kepler, par cette même durée, lui donne 41,110 toises.

    M. de La Hire, en parlant de la réfraction horizontale de 32 minutes, établit le terme moyen de la hauteur de l’atmosphère à 34,585 toises.

    M. Mariotte, par ses expériences sur la compressibilité de l’air, donne à l’atmosphère plus de 30,000 toises.

    Cependant, en ne prenant pour l’atmosphère que la partie de l’air où s’opère la réfraction, ou du moins presque la totalité de la réfraction, M. Bouguer ne trouve que 5158 toises, c’est-à-dire deux lieues et demie ou trois lieues ; et je crois ce résultat plus certain et mieux fondé que tous les autres.

  57. Note communiquée à M. de Buffon par M. Fresnaye, conseiller au conseil supérieur de Saint-Domingue, en date du 10 mars 1777. (Add. Buff.)
  58. Bellarminus, de ascensu mentis in Deum.
  59. Voyez Acta erud. Lips. supp., tome I, page 405.
  60. Tome I, page 191.
  61. Tome II, page 56.
  62. Voyez l’Analyse de l’air de M. Hales, et le Traité de l’artillerie de M. Robins.
  63. Note communiquée par M. de Grignon à M. de Buffon, le 6 août 1777.
  64. Voyez l’Épître de Pline le jeune à Tacite.
  65. Voyez l’Histoire de l’Académie, année 1737, pages 7 et 8.
  66. Voyez les Voyages de Mandelslo.
  67. Voyez le Voyage de Gemelli Carreri, page 129.
  68. Page 10, année 1704.
  69. Voyez tome VI, page 103.
  70. Voyez le Nouveau Voyage autour du monde de M. Le Gentil, tome I, pages 172 et suiv.
  71. Lib. XXVI, cap. xiv.
  72. Voyez Borelli, de Incendiis montis Etnæ.
  73. Note communiquée à M. de Buffon, et envoyée de Naples, au mois de septembre 1755.
  74. La lave des fourneaux à fondre le fer subit les mêmes effets. Lorsque cette matière vitreuse coule lentement sur la dame, et qu’elle s’accumule à sa base, on voit se former des éminences, qui sont des bulles de verre concaves, sous une forme hémisphérique. Ces bulles crèvent, lorsque la force expansive est très active, et que la matière a moins de fluidité ; alors il en sort avec bruit un jet rapide de flamme ; lorsque cette matière vitreuse est assez adhérente pour souffrir une grande dilatation, ces bulles, qui se forment à sa surface, prennent un volume de huit à dix pouces de diamètre sans se crever, lorsque la vitrification en est moins achevée, et qu’elle a une consistance visqueuse et tenace ; ces bulles occupent peu de volume, et la matière, en s’affaissant sur elle-même, forme des éminences concaves, que l’on nomme yeux de crapaud. Ce qui se passe ici en petit dans le laitier des fourneaux de forge, arrive en grand dans les laves des volcans.
  75. Je ne parle pas ici des autres causes particulières, qui souvent occasionent la courbure des lingots de fonte. Par exemple, lorsque la fonte n’est pas bien fluide, lorsque le moule est trop humide, ils se courbent beaucoup plus, parce que ces causes concourent à augmenter l’effet de la première : ainsi l’humidité de la terre sur laquelle coulent les torrents de la lave aide encore à la chaleur intérieure à en soulever la masse, et à la faire éclater en plusieurs endroits par des explosions suivies de ces jets de matière dont cous avons parlé.
  76. Je n’examinerai point ici l’origine de ce nom basalte, que M. Desmarest, savant naturaliste de l’Académie des Sciences, croit avoir été donné par les anciens à deux pierres de nature différente ; et je ne parle ici que du basalte lave, qui est en forme de colonnes prismatiques.
  77. Voyez le Mémoire sur le refroidissement de la terre et des planètes.
  78. Voyez ibid.
  79. Aujourd’hui Santorin.
  80. Voyez l’Histoire de l’Académie, année 1708, pages 25 et suiv.
  81. Voyez Trans. phil. abrig’d, vol. VI, part. ii, page 154.
  82. Page 26.
  83. Voyez Trans. phil. abrig’d, vol. VI, part. ii, page 26.
  84. Page 12.
  85. Voyez le Voyage du Levant, pages 188 et suivantes.
  86. Voyez Géographie de Gordon, édition de Londres, 1733, p. 179.