Bulletin bibliographique, 1850/09
THE MISER’S SECRET or the Days of Jame the First : — An Historical Romance[1] - C’est un point à vérifier que celui de savoir si tout le talent du monde peut faire revivre un genre littéraire épuisé. Si pareil succès n’est point au-dessus des forces humaines, il serait fort à souhaiter que ce miracle s’accomplît au profit du roman historique. Vainement l’accuse-t-on de fausser des idées qui doivent rester précises, d’attenter à la majesté de l’histoire, de mal disposer l’esprit de la jeunesse à des enseignemens plus corrects, plus utiles, mais aussi plus arides et plus austères. — Tel n’est pas, selon moi, le résultat obtenu. Ceux qui ont appris l’histoire d’Écosse dans les romans de Walter Scott n’auraient pour la plupart jamais ouvert Robertson, et de ceux-là même qui avaient étudié les premiers volumes de David Hume, fort peu s’étaient fait une idée aussi nette de la conquête normande qu’ils l’eurent après avoir dévoré le premier volume d’Ivanhoé. Un savant historien, M. Augustin Thierry, étant d’ailleurs de cet avis, on peut se dispenser de le développer tout au long, et ce n’est point là le but que nous nous proposons en ce moment. Notre unique visée est de faire connaître en quelques mots un roman anonyme dont quelques organes de la critique anglaise ont déjà signalé le mérite. Sauf erreur, ce roman ne figure point au nombre des reproductions (soyons toujours polis) de la librairie anglo-parisienne, et par cette raison même il est plus essentiel d’en parler, puisque il est exposé à demeurer plus obscur.
Nous ne le donnerons certes pas pour un chef-d’œuvre. Les Aventures de l’Écossais Nigel, qui nous reportent précisément à la même époque, sans être, il s’en faut bien, un des meilleurs romans de Walter Scott, pour l’intérêt du récit comme pour la vérité des détails historiques, sont très supérieures à l’ouvrage de son successeur anonyme. Celui-ci, cependant, n’a péché ni par l’étude du temps, ni par celle des caractères. Son héros, ou, pour parler d’une façon moins ambitieuse, son principal personnage, est un gentilhomme qui, dépouillé de ses biens par un perfide ami, engage contre celui-ci une lutte presque désespérée. Sans une guinée vaillant, comment Oliver Newport peut-il espérer de faire triompher son droit, et, en attendant, de vivre, lui et sa fille Florence ? Il y parvient cependant au moyen d’un stratagème bien connu des romanciers et même des vaudevillistes modernes, c’est-à-dire en se donnant les dehors de l’avarice la plus sordide, et en laissant soupçonner qu’il possède des richesses considérables. C’est là ce Secret de l’Avare qui donne son titre au roman, et que nous révélons sans le moindre scrupule. Effectivement ce n’est pas à découvrir ce secret, percé à jour dès les premières pages, que le lecteur s’évertue, pour peu qu’il soit pourvu de quelque sagacité, mais bien à suivre les détails d’une intrigue assez compliquée : d’une part, entre le frère de Buckingham, sir John Villiers, et la fille du lord chief-justice, le savantissime Coke ; de l’autre, entre Florence Newport, la fille de Newport, et George Ellicombe, dernier rejeton d’une famille ruinée, mais ruinée sans le vouloir paraître. Jacques Ier et son solicitor general, le très célèbre sir Francis Bacon, ont aussi leur rôle dans ce petit drame, ainsi qu’un personnage fantastique, Rowlee Walletort, qui est à la fois bouffon de cour et agent secret de la police royale ; — au demeurant, et malgré la double honte de sa profession, le cœur le plus droit, le plus généreux, le plus dévoué qu’on ait jamais rencontré sous le manteau d’un espion, cet espion fût-il le célèbre Harvey Birch de Fenimore Cooper.
Il serait un peu long d’expliquer comment l’altière lady Coke veut alternativement marier sa fille Florence à sir John Villiers et à George Ellicombe, comment celui-ci, qui soupçonne Florence Newport d’avoir une riche dot, ne veut point, par ce seul motif, et malgré les conseils intéressés de lady Ellicombe, sa mère, faire agréer à cette noble héritière l’amour dont il brûle secrètement pour elle ; par quels moyens Oliver Newport maintient son crédit et finalement gagne le procès d’où sa fortune dépend ; bref, comment nos quatre amoureux, séparés par une série de malentendus, se trouvent récompensés de leurs peines par un double hymen facile à prévoir. Ce peu de mots laissera parfaitement deviner quels sont les élémens d’intérêt de ce récit, historique si l’on veut, romanesque bien certainement ; mais ce qui, mieux encore que l’intérêt romanesque, recommande le livre en question, ce sont les détails qu’il renferme sur la cour de Jacques Ier, ainsi que sur la rivalité professionnelle de Coke et de Bacon. C’est là le côté sérieux et aussi le plus attrayant côté de cette chronique tant soit peu banale. Nous ne pouvons nous empêcher d’admirer, à ce propos, la persistance du génie britannique. Voici tantôt vingt ans que les volages Français ont dit adieu aux romans historiques, et, durant ces vingt années, il s’en est régulièrement publié sept ou huit au moins, chaque saison, dans la capitale du Royaume-Uni. Cependant la vogue les abandonne de plus en plus. Sir Edward Bulwer Lytton a pu s’en apercevoir, il y a trois ou quatre ans, lorsqu’il publia le Dernier des Barons, et mieux encore, lorsqu’après cet échec d’une œuvre laborieuse et savante, il obtint son plus grand succès avec le joli roman de mœurs intitulé : Les Caxton. Très décidément, ce qui prévaut aujourd’hui chez nos voisins, c’est le roman d’observation intime, les peintures d’intérieur. Là excellent. Dickens et Thackeray, plus populaires à coup sûr qu’aucun de leurs contemporains, et laissant bien loin derrière eux tous ceux des romanciers modernes qui vont chercher leurs sujets dans les annales de la Grande-Bretagne. Ce dédain de l’histoire, ce culte des réalités de la vie, ressemblent à un symptôme social. L’étudier et le comprendre est une tâche plus sérieuse que celle d’analyser vingt romans comme celui qui vient de nous occuper.
- ↑ In three volumes, London, William Shobert publisher, 1850.