Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome I/Séance du 6 juin 1831
N° 9. ─ JUIN 1831
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M. Brongniart occupe le fauteuil.
Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, le président annonce la perte douloureuse que la Société vient de faire de l’un de ses membres, par le décès de M. Lill de Lilienbach, directeur des mines de Hallein, en Salzbourg (Autriche) ; et il proclame membre de la Société M. C.-T. Jackson, docteur en médecine et membre de plusieurs sociétés, à Boston (Mass), aux États-Unis, présenté par MM. Nérée Boubée et Élie de Beaumont.
On passe à la correspondance.
Il est fait hommage à la Société :
1° Par la Société industrielle de Mulhausen, du numéro 19 de son Bulletin ;
2° Par la Société industrielle d’Angers et du département de Maine-et-Loire, des numéros 1, 2, 3 (1re année), et du numéro 1 (2e année) de son Bulletin.
Une lettre de remerciement sera adressée à cette Société, à laquelle, en échange, on enverra le Bulletin de la-Societé.
3° De la part de M. Deshayes, d’une planche représentant le Cerithium giganteum de grandeur naturelle ;
4° De la part de M. Sedgwick, du numéro 20 des procès-verbaux de le Société géologique de Londres. Ce numéro contient le discours tenu par M. Sedgwick le 18 février 1831, et adressé aussi séparément à la Société ; de plus, on y trouve le compte rendu de la distribution de la première médaille d’or fondée par le docteur Wollaston, et donnée à M. William Smith en considération de ses grandes découvertes géologiques en Angleterre, et surtout comme y ayant le premier déterminé la succession des couches au moyen des fossiles.
5° Par la Société géologique de Londres, la figure d’un poisson fossile du schiste d’Engi, dans le canton de Glaris en Suisse, et une planche représentant des ossemens du Felis spelœd de Gailenreuth.
La Société reçoit une invitation imprimée pour la réunion de naturalistes qui doit avoir lieu le 26 septembre à York, en Angleterre.
Il est présenté :
1° Par M. Brongniart, un ouvrage allemand de M. Zippe, intitulé Tableau des formations de la Bohême (Ubersicht, etc.). In-8°, Prag. 1831 ;
2° Une table des phénomènes volcaniques comprenant une liste des volcans anciens et modernes, avec les dates de leurs éruptions respectives et des principaux tremblemens de terre. Cette table de M. le docteur Daubeny forme une feuille grand raisin. M. de Blainville commence la lecture d’un mémoire de M. Botta (fils de l’historien italien), intitulé : Sur la Structure géognostique du Liban et l’Anti-Liban.
M. Boubée présente les fossiles qu’il a recueillis dans un terrain de calcaire d’eau douce qui limite au sud-est le bassin de Toulouse. Plusieurs couches de calcaire siliceux très-blanc, de calcaire argileux, de marnes et d’argile smectique, constituent ce terrain. Des débris de végétaux et de grands animaux sont propres aux couches marneuses et argileuses, et leur impriment une fétidité que les ouvriers ont de la peine à supporter pendant l’été, lorsqu’ils découvrent ces nombreux débris ; Les calcaires, et notamment le calcaire siliceux, ne présentent que des coquilles la plupart terrestres. Parmi les espèces que M. Boubée a recueillies, la plupart paraissent n’avoir pas encore été décrites ; voici les noms que M. Boubée leur impose :
1° Bulimus lœvo-longus, remarquable par son port, un peu semblable à celui des clausilies, sa longueur de près de cinq pouces, son enroulement à gauche, et sa lèvre columellaire libre qui réunit les bords de son ouverture.
2o Bulimus mumia, caractérisé par sa bouche presque arrondie, calleuse, et par l’épaisseur remarquable du test dans toute la coquille, dextre, long de deux pouces. M. Michelin observe qu’il se rapproche un peu d’une grosse variété du Bulimus decollatus rapportée d’Alger. Quoique beaucoup plus grand et d’un autre genre, le B. mumia ressemble beaucoup au Cyclostoma mumia pour le port et la forme de la bouche.
3" Cyclostoma elegantilites, se distingue de tous les cyclostomes voisins du C. elegans par ses tours de spire élargis, très-peu convexes, et par ses sutures très-peu profondes.
4o Helix lapicidites, ressemble à plusieurs hélices (ou Carocolles Lam.) voisines de l’H. lapicida, mais il est plus grand, il a une spire plus élevée, point de carène saillante à la suture qui semble ne pas exister, tant les tours sont fondus l’un dans l’autre ; les stries sont transverses, très-obliques et extrêmement fines.
5o Helix serpentinites, qui ressemble un peu à l’H. serpentina, mais qui paraît s’en distinguer par une forme plus globulaire et plus régulière.
6o Helix nemoralites, se distingue de l’H. nemoralis par sa forme un peu carénée, par son test plus fort, et par l’absence de cet aplatissement du bord droit à l’angle de la spire que M. Deshayes a reconnu pour être le véritable caractère de l’espèce vivante.
7o Lymneus ore-longo, que sa bouche très-alongée et formant un angle d’ouverture très-aigu distingue facilement du L. longiscata de M. Brongniart.
Ce terrain présente en outre des cyclades, des planorbes, de petites lymnées et une grande paludine, mais les échantillons rapportés par l’auteur sont encore insuffisans pour les déterminer.
M. d’Omalius d’Halloy lit un mémoire intitulé Observations sur la classification des terrains.
Il fait remarquer, en premier lieu, que la division en deux classes chronologiques, celle des terrains primitifs et des terrains secondaires, a le désavantage de rompre les rapports naturels, ce qui lui paraît une conséquence de la circonstance que le mode de formation a plus influé sur les caractères des terrains que l’époque de formation ; il croit donc que les considérations tirées du mode de formation doivent primer sur celles tirées de l’époque : il adopte, en conséquence, pour première division celle en terrains formés de la manière que les chimistes appellent par la voie sèche et en terrains formés de la manière que les chimistes appellent par la voie humide, et il désigne ces deux classes par les noms de terrains plutoniens et de terrains neptuniens.
L’expérience ayant, en quelque manière, prouvé que toute classification des terrains devait présenter une combinaison des considérations tirées du mode et de l’époque de formation, l’auteur a cru devoir prendre les secondes de ces considérations pour déterminer les ordres ou subdivisions de chaque classe : il a, en conséquence, adopté pour base de ses ordres les six divisions qui figurent ordinairement dans les méthodes qui ont été le plus en usage dans le commencement de ce siècle ; mais la délimitation de quelques unes de ces coupes et leurs dénominations ne pouvant s’associer avec ses principes, il a cru devoir proposer quelques changemens à cet égard.
D’abord les deux premières de ces divisions, celle des terrains primitifs et celle des terrains de transition, renfermant chacune des roches plutoniennes et des roches neptuniennes, il réunit toutes les premières dans un même ordre qu’il nomme terrains agalysiens, et toutes les secondes dans un autre ordre qu’il nomme terrains hemilysiens, dénominations tirées de l’ouvrage de M. Brongniart, et destinées à rappeler que les roches du premier de ces groupes sont plus généralement cristallines que celles du second.
Les noms de terrains secondaires et de terrains tertiaires donnés à la troisième et à la quatrième division paraissent à l’auteur très-vicieux, puisqu’ils indiquent des positions, dans la série, différentes de celles que ces divisions y ont réellement ; il propose, en conséquence, les noms de terrains ammonéens et de terrains tériaires. La première de ces dénominations est destinée à rappeler que ces terrains sont ceux qui renferment le plus abondamment les animaux, actuellement perdus, que l’on appelle ammonites. La seconde, qui a été choisie aussi rapprochée que possible du mot tertiaire, doit être considérée comme rappelant que c’est dans ces terrains que l’on trouve le plus de ces débris de grands animaux (Therium), dont l’étude a fait faire de si grands progrès à la géologie, caractère qui s’applique d’autant mieux à ces terrains, que l’auteur a cru, pour former cette division, devoir réunir aux terrains tertiaires le groupe qu’il nomme, avec les géologistes anglais, terrain dilluvien, lequel a de commun avec les terrains tertiaires d’avoir été formé à une époque où l’état de notre globe était différent de ce qu’il est aujourd’hui.
Le nom de terrains de transport, déjà vicieux lorsque la cinquième division comprenait le terrain diluvien, le serait beaucoup plus encore lorsque ce groupe en est retiré ; l’auteur propose de le remplacer par le nom de terrains modernes destiné à rappeler que ces terrains se forment depuis que le globe est dans son état actuel, de même que les historiens donnent le nom d’histoire moderne à celle qui commence avec l’établissement des états politiques actuels.
Enfin, le nom de terrains volcaniques donné à la dernière division est défectueux, parce que, outre le terrain volcanique proprement dit, on y range les basaltes et les trachytes, dont le mode de formation, quel qu’il puisse être, n’est pas absolument le même que celui des produits de nos volcans ; l’auteur a cru devoir le remplacer par le nom de terrains pyroïdes, destiné à rappeler que ces terrains ressemblent aux matières minérales qui ont subi l’action du feu.
L’auteur, ne pouvant conserver l’ordre sérial qui vient d’être indiqué, puisque les terrains plutoniens s’y trouvent séparés, et ne voulant pas, pour les motifs qu’il indique, suivre la marche adoptée, par plusieurs géologistes de placer les derniers de ces terrains hors de la série, a cru parer à ce double inconvénient, en plaçant d’abord en tête de la série les terrains neptuniens disposés de haut en bas, suivant la manière introduite par les géologistes anglais, et en les faisant suivre par les terrains plutoniens rangés dans un ordre inverse, c’est-à-dire en commençant par ceux qui paraissent les plus anciens, et en finissant par les produits de nos volcans actuels. L’auteur fait observer que cette disposition n’est pas aussi contraire à l’ordre de structure du globe que l’on pourrait supposer ; car, l’opinion étant assez généralement admise maintenant que les produits de nos volcans proviennent de dessous l’écorce solide de notre globe, on peut dire que, si l’ordre indiqué ci-dessus n’exprime pas la position des parcelles qui sont parvenues à nos yeux, il exprime au moins celle des grandes masses dont on suppose que ces parcelles ont été détachées.
Cependant, quels que soient, sous le rapport rationnel, les avantages de la division en terrains neptuniens et plutoniens, l’auteur ne se dissimule pas qu’elle a l’inconvénient d’obliger, lorsque l’on veut désigner une grande partie de l’écorce du globe, de se servir d’une expression qui se prononce sur une question qui demeurera toujours hypothétique, savoir le mode de formation des granites ; mais il a cru parer à cet inconvénient en conservant, comme méthode accessoire, la division en terrains secondaires et terrains primordiaux, qu’il rend applicables à l’ordre sérial indiqué ci-dessus, en y ajoutant, par forme d’appendice, une troisième petite classe composée des terrains pyroïdes, qui ne sont, en effet, dit l’auteur, ni primordiaux, ni secondaires, puisque, si, d’un côté, la position où on les voit les a fait ranger parmi les terrains secondaires, l’origine qu’on leur suppose les rend, en quelque manière, plus primitifs que les terrains primitifs proprement dits.
L’auteur, passant ensuite aux divisions de troisième rang, fait remarquer qu’il convenait de reprendre les considérations tirées du mode de formation, et, appliquant cette manière de voir aux terrains modernes, qui, ayant une histoire mieux connue, se prêtent plus facilement à un arrangement systématique, il y établit cinq groupes contemporains, dont le premier renferme des dépôts formés par des animaux, le second des dépôts formés par des végétaux, le troisième des dépôts formés par l’action mécanique des eaux atmosphériques, le quatrième des dépôts formés par l’action mécanique des eaux répandues à la surface de la terre, et le cinquième des dépôts formés par l’action chimique des eaux qui sortent du sein de la terre.
Les terrains tériaires laissant encore entrevoir, quoique d’une manière hypothétique, les circonstances principales de leur formation, l’auteur les a divisés en trois groupes, qu’il suppose avoir été respectivement formés, savoir : le premier par l’action mécanique d’eaux violemment agitées, le deuxième par l’action, plus souvent chimique que mécanique, d’eaux douces, et le troisième par l’action, aussi plus souvent chimique que mécanique, d’eaux marines.
Quant aux terrains ammonéens, l’auteur reconnaît que, n’ayant plus de moyens pour y établir des divisions fondées sur le mode de formation, il s’est borné à choisir, parmi les coupes déjà admises, une division en cinq groupes, qui sont uniquement supposés représenter cinq époques successives de formation.
L’histoire des terrains hémilysiens étant encore moins connue que celle des terrains ammonéens, l’auteur annonce qu’il se pourrait que les quatre groupes qu’il y établit se rapportassent à des rapprochemens de composition, plutôt qu’à des époques de formation.
Il en est de même des cinq groupes que l’auteur admet, avec la plupart des géologistes, parmi les terrains agalysiens et pyroïdes, groupes qui ne sont, dit-il, établis que sur des caractères empyriques, mais qui lui paraissent former des coupes assez naturelles.
L’auteur, s’étendant ensuite sur les vices de toutes les nomenclatures géologiques, reconnaît qu’il ne serait pas à même de faire une réforme générale de ces nomenclatures, mais il a cru nécessaire de donner à chacun des vingt-deux groupes indiqués ci-dessus une dénomination adjective susceptible d’être prise dans un sens purement géologique. Cependant, pour éviter de créer des mots nouveaux, il a fait dériver quelques-unes de ces dénominations de l’une des roches dominantes dans le groupe ; mais il fait sentir qu’alors on doit éviter d’employer ces dénominations pour désigner autre chose que les groupes ou des parties des groupes auxquels elles sont affectées : ainsi l’auteur, ayant conservé à l’un de ses groupes le nom de terrain houiller, fait remarquer que, pour exprimer la présence de la houille dans d’autres groupes, on peut dire qu’il y a plusieurs terrains à houille, mais que l’on doit éviter d’appliquer le mot houiller à aucun de ces terrains autre que celui auquel cette dénomination est affectée.
Passant ensuite aux divisions d’un rang inférieur, l’auteur annonce qu’il n’a pas cru que l’état actuel de la science permit d’y établir une méthode régulière de classification et de nomenclature. Il a en général employé pour ces divisions le nom de système ; mais un seul degré de subdivision ne pouvant suffire, il a aussi recouru aux mots étage et membre ; d’un autre côté, la première de ces dénominations emportait une signification déterminée de position, et un même étage pouvant présenter des systèmes différens, il n’a employé le mot étage que comme division du quatrième rang, tandis que le mot système est employé comme division de cinquième rang là où la division en étage est possible, et comme division de quatrième rang là où la division en étage ne peut être appliquée. Le nom de membre est employé chaque fois qu’il est nécessaire de g subdiviser un système.
Quant aux noms particuliers adonner à ces subdivisions, l’auteur a voulu ne créer aucune dénomination nouvelle : il s’est, en conséquence, borné à distinguer les étages par les épithètes de supérieur, de moyen et d’inférieur ; et pour ce qui concerne les systèmes, comme on leur donne souvent plusieurs noms, il fait connaître les motifs qui l’ont dirigé dans le choix de ces dénominations. Il préfère, en premier lieu, les noms triviaux lorsqu’ils ne sont pas trop ridicules ; et à défaut de noms triviaux, il emploie les noms géographiques qui, tout imparfaits qu’ils sont, ne sont pas dans le cas de donner des idées fausses, tandis que les dénominations purement minéralogiques ont occasionné beaucoup de confusions, qui ont été très-nuisibles aux progrès de la géologie.
C’est d’après ces principes que l’auteur a rédigé le tableau de classification suivant, dont la première colonne représente les classes de la méthode principale, la seconde les ordres, la troisième les groupes spéciaux, les quatrième et cinquième les étages, les systèmes ou les membres principaux, et la sixième les classes de la
méthode accessoire.
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