Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome II/Séance du 4 juin 1832
Présidence de M. Brongniart.
Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, M., le président proclame membre de la Société :
M. Baudin, ingénieur des mines à Clermont, présenté par
MM. de Beaumont et Dufrénoy.
M. le président annonce que la Société vient d’être autorisée par le gouvernement, et reconnue comme établissement d’utilité publique par une ordonnance du Roi, du 3 avril 1832, insérée au Bulletin des lois du 12 mai, 2e partie, 1er section, no 155, et au Moniteur du 19.
M. Cordier fait hommage à la Société de 26 échantillons de roches et fossiles de terrains intermédiaires, recueillis à l’ile de Gothland par M. le comte de Vargas.
La Société reçoit les ouvrages suivans :
1° De la part de la société philosophique de Cambridge, la deuxième partie du volume IV de ses Transactions. In-4°, 114 pages, 15 planches.
2° De la part de M. Thurmann, son Essai sur les soulèvemens jurassiques du Porentruy. Description géognostique de la série jurassique, et théorie orographique du soulèvement, avec 6 planches représentant la classification des soulèvemens jurassiques en quatre ordres. In-4° de 84 pages (extrait du tome II des Mémoires de la Société d’histoire naturelle de Strasbourg, 1832).
3° De la part de M. Boubée, la Relation de ses expériences physiques et géologiques faites au lac d’Oo, prés Bagnère de Luchon ; suivie de l’itinéraire du naturaliste de Bagnere au lac. In-18, 40 pages, 6 pl. Paris, 1832.
4° Le No 22 du Bullet. de la société industr. de Mulhouse.
5° Le No 18 (juin 1832) du Mémorial encyclopédique.
6° Le No 108 (avril 1832) du Bulletin de la société de géographie de Paris.
7° Les No 26 et 27 de l’Européen, journal des sciences morales et économiques.
On lit une lettre imprimée de M. Hœninghaus qui donne une description de la grande Tridacne (Tridacna gigas) d’après un échantillon complet, accompagné de l’animal, qu’il a pu étudier récemment.
Il est donné lecture d’une lettre de M. de Caumont (de Caen), qui annonce que la société linnéenne de Normandie, présidée par M. Deslongchamps, a appris avec une vive satisfaction que la Société géologique tiendrait cette année ses séances extraordinaires dans le Calvados, et qu’elle a l’intention de fixer à la même époque sa séance générale.
Le conseil ayant eu déjà communication d’une première lettre à ce sujet, le secrétaire fera connaître à M. de Caumont les projets de la Société, de sorte que les membres feront partie de cette course puissent profiter des obligeantes dispositions et des connaissances locales des naturalistes de Normandie.
On lit une lettre de M. César Moreau, directeur de l’Académie d’industrie, qui demande que la Société géologique veuille bien examiner et déterminer des échantillons de marne adressés à l’Académie de l’industrie par M. Delabrosse, maire de Ciron (département de l’Indre) ; la lettre d’envoi de celui-ci est aussi communiquée à la Société.
M. le président charge MM. Dufrénoy et Héricart de Thury de prendre connaissance de ces échantillons.
M. Héricart Ferrand présente à la Société un essai de coupe. géognostique des terrains du bassin de Paris, depuis Laon jusqu’à Châtillon, ou du nord au midi, sur une étendue de treize myriamètres un quart, et s’applique particulièrement à démontrer :
1° Que la nummulites Lœvigata (Lamarck), qui se trouve sur la montagne de Laon, à une hauteur au-dessus de l’Océan de 203 mètres 710 milli. s’est aussi retrouvée dans le puits artésien de la maison de Seine, à l’embouchure du canal de Saint-Denis dans la Seine, à une profondeur au-dessous de l’Océan de 42 mètres 84 milli.
Ce qui établit une différence de niveau entre ces deux points de 245 mètres 794 milli.
2° Qu’autant ce même fossile est abondant sur la montagne
de Laon et sur les plateaux du Soissonnais, autant il diminue
en nombre, et devient de plus en plus rare à mesure
qu’il approche vers le midi, baisse vers la Seine, et plonge
au-dessous du niveau de l’Océan.
De ces deux faits, M. Héricart Ferrand pose cette question :
« L’être organisé auquel a appartenu cette dépouille vivait-il dans une épaisseur d’eau de 245 à 246 mètres, et était-il de pleine mer, ou n’était-il que de rivage, ne trouvant plus les conditions de son existence à mesure que le rivage prenait de la profondeur ? »
M. Constant Prévost fait observer que l’inclinaison des couches tertiaires de Laon vers Paris a été constatée depuis long-temps par MM. d’Omalius d’Halloy et Brongniart, et que cette différence de niveau tient à des relèvemens postérieurs, bien plutôt qu’au dépôt originaire de la même couche et des mêmes fossiles à des niveaux aussi différens ; les nummulites peuvent ainsi avoir été primitivement déposées sur un fond à peu près horizontal ; elles ne semblent pas non plus à M. C. Prévost avoir vécu sur la place où elles sont enfouies ; mais les mollusques auxquels ces corps ont appartenu étaient probablement flottans et grands nageurs à la manière des spirules, qui, suivant les saisons, apparaissent en grandes troupes, et leurs dépouilles peuvent être ainsi très inégalement enfouies dans les sédimens marins.
M. Deshayes rappelle que beaucoup de céphalopodes sont pélagiques ou habitans de la haute mer pendant la plus grande partie de leur vie, et qu’ils deviennent littoraux pendant la saison des amours.
M. Desnoyers lit un Mémoire sur les terrains tertiaires du nord-ouest de la France autres que la formation des faluns de la Loire.
Ces terrains, déposés en dehors des limites habituellement assignées au bassin de Paris, recouvrent une surface à peine interrompue de plus de deux mille lieues carrées sur quinze ou seize départemens, depuis le département du Nord jusqu’à celui de la Vienne. Ils s’étendent surtout du N. au S. sur une longueur d’environ cent lieues, sur une largeur moyenne de vingt à trente, particulièrement au-dessus de la formation crayeuse dont ils contiennent tant de débris, et avec une épaisseur très variable, mais qui atteint jusqu’à plus de deux cents pieds.
Les terrains secondaires ne se montrent sur cette vaste surface que par l’excavation des vallées, et avant les dénudations l’écorce tertiaire paraît avoir été continue. Elle se prolonge encore au-delà de ces limites en lambeaux, disséminés sur des terrains plus anciens que la craie jusque dans le Cotentin, la Bretagne, l’Anjou, la Vendée, et se réunit, d’une part, aux terrains analogues du bassin de la Gironde, par le Périgord ; d’une autre, à ceux de la France centrale par le Berry et le Nivernais. M. Desnoyers a constaté cette disposition générale pour l’espace qu’il a spécialement étudié depuis la Picardie jusqu’à une douzaine de lieues au S. de la Loire, par un grand nombre de coupes partielles et par sept coupes principales de trente à quarante lieues chacune, partant de Paris et se dirigeant en rayonnant au N.-O. à l’O. au S.-O. et au S. :
1° Jusqu’au Boulonais par Beauvais, Amiens et Arras ; 2° jusqu’à Dieppe, par Rouen ; 3° jusqu’à Dives par Evreux et Lisieux ; 4° jusqu’à Alençon par Dreux et Mortagne ; 5° jusqu’à la Flèche par Chartres, Nogent-le-Rotrou et le Mans ; 6° jusqu’au delà des falunières de Touraine par Châteaudun, Vendôme, Tours et Châtellerault ; 7° enfin jusqu’à la Sologne par Étampes et Blois.
Dans ce vaste espace deux fois plus étendu que le bassin de Paris proprement dit, et faisant partie du grand plateau physique, si apparent, qui s’étend en pente douce des montagnes d’Auvergne aux bords de la Manche, les dépôts tertiaires présentent quatre groupes principaux dont les différens termes ont été rapportés soit à la craie inférieure, soit à quelques parties des terrains parisiens, soit aux alluvions anciennes, et qui cependant ne constituent qu’une seule grande formation.
Les géologues qui en ont signalé l’existence sur quelques points, par des observations imprimées ou inédites, sont surtout MM. Brongniart, P. d’Omalius, C. Prévost, Mesnard, Maulny, Hérault, de Magneville, Passy, de Caumont, de Tristan, Dujardin, Héricart-Ferrand, Dufrénoy, et quelques naturalistes plus anciens ; mais chacun pour quelques localités isolées, et sans les considérer comme parties d’un même ensemble. L’auteur du Mémoire en a plusieurs fois aussi parlé dans ses travaux antérieurs.
M. de Beaumont a énoncé l’opinion partagée par M. Dufrénoy, que les calcaires d’eau douce de l’Auvergne se liaient intimement avec ceux de la partie méridionale du bassin de Paris, dont ils seraient un relèvement. Or, comme ceux-ci, les plus récens du bassin, se lient eux-mêmes intimement, suivant M. Desnoyers, aux terrains tertiaires de l’ouest, il en résulterait que ce vaste dépôt se serait étendu géologiquement jusqu’à l’Auvergne, en même temps qu’il s’y rattache par la disposition extérieure du sol ; mais les observations de M. Desnoyers ne s’étendent que jusqu’à 15 ou 20 lieues au midi de la Loire.
Les groupes qu’il distingue sont :
1° Le groupe des argiles, avec silex brisés de la craie, minerais de fer exploités, très abondans, brèche ferrugineuse, brèche et poudingue siliceux. Ce système semble passer sensiblement à des dépôts d’alluvion.
2° Le groupe des sables avec grès commun, lustré et ferrugineux, brèches et poudingues siliceux, bois silicifiés, silex de la craie et fossiles silicifiés, particulièrement des alcyons, provenant du même terrain, terrain auquel on les a généralement rapportés. Ce sont les grès et les brèches siliceuses de ce terrain qui forment, comme dans le S.-E. de l’Angleterre, les nombreux monumens druidiques des pays dont le fond du sol est la craie.
Ces deux groupes de la surface des craies, terrain auquel on les a généralement rapportés, paraissent représentés sur les terrains plus anciens de l’ouest par des dépôts également argileux et sableux, mais avec des débris des roches qu’ils recouvrent.
3° Le groupe des calcaires et des silex évidemment d’eau douce, avec marnes, sables, argiles, et graviers subordonnés, avec brèche crayeuse à ciment d’eau douce, et craie remaniée ou endurcie en place par le même ciment.
4° Le groupe (plus problématique) des couches mélangées à fossiles fluviatiles et marins, bien moins développé, seulement aux extrémités du plateau et plutôt dans les parties inférieures.
Recherchant les relations de ces différens systèmes entre eux, M. Desnoyers a reconnu que des superpositions constantes dans certains départemens, par exemple, l’argile à silex au-dessus des sables dans l’Orne et l’Eure-et-Loir, n’étaient pas constantes, et même étaient tout-à-fait contraires en d’autres (Eure et Seine-Inférieure
Les brèches et les poudingues à débris de la formation crayeuse et à ciment, soit calcaire, soit siliceux, soit argileux, occupent habituellement les parties inférieures des groupes, et cependant la brèche ferrugineuse recouvre d’ordinaire les points les plus élevés des plateaux. Les silex brisés se rencontrent dans presque tous les dépôts.
Les grès forment des amas ou des bancs au milieu des sables irrégulièrement cimentés ; on les voit aussi en blocs isolés au milieu des graviers et des argiles.
Les calcaires et silex d’eau douce remplissent de petits bassins assez bien limités au milieu des autres dépôts ; M. Desnoyers en a observé une quinzaine, dont les principaux sont aux environs de Nogent-le-Rotrou, la Ferté-Bernard, Mamers, le Mans, la Flèche, Saumur, Château-du-Loir, Château-Regnault, Vendôme, Tours, Blois, Mayenne ; et au S.-O. du bassin de Paris, les prolongemens très ondulés du grand système d’eau douce supérieur de ce bassin. Ces dépôts, riches la plupart en coquilles d’eau douce, forment habituellement un étage à niveau inférieur, bordé de toutes parts par des sables et des argiles, qui ne les recouvrent pas le plus souvent, mais qui sur les bords s’entremêlent avec les sédimens chimiques, calcaires et siliceux, plus purs et plus isolés vers le centre. On y reconnaît très bien les deux agens du dépôt, les sources calcarifères et silicifères du centre et les eaux courantes qui entraînèrent à plusieurs reprises dans ces petits bassins lacustres des sédimens d’alluvion contemporains, alternant à plusieurs reprises avec les calcaires et les silex purs des sources. Le bassin de Nogent offre surtout ces dispositions de la manière la plus évidente et plus clairement qu’aucun autre ; il rappelle, par le mode de remplissage, les bassins tout récens des lacs d’Écosse, décrits par M. Lyell.
Les trois premiers groupes n’ont présenté à M. Desnoyers que des fossiles d’eau douce ou des végétaux terrestres sans la moindre trace de coquilles marines, soit de l’âge du bassin de Paris, soit même de l’âge des faluns. Seulement vers les extrémités de ce vaste plateau, 1° vers Paris, à Étampes, à Épernon ; 2° aux environs de Dieppe ; 3° dans le Cotentin ; 4° aux environs de, Rennes ; 5° aux environs de Nantes, on voit dans les parties inférieures se mêler aux fossiles et aux couches d’eau douce, des fossiles et des sédimens marins assez analogues à ceux du calcaire grossier supérieur (orbitolites, milliolites), ou identiquement les mêmes que ceux de la dernière formation marine, et à Dieppe les fossiles des lignites problématiques du Soissonnais ; mais en même temps ces dépôts marins sont tout-à-fait distincts des faluns qui les recouvrent sur quelques points, en gisement transgressif. La liaison des vastes dépôts sans fossiles, ou à fossiles d’eau douce aux couches marines plus anciennes que les faluns, est plus douteuse que la liaison des autres groupes entre eux.
Du mélange intime et incontestable, du passage de l’un à l’autre et du remplacement mutuel des trois premiers groupes et dans chaque groupe des différens dépôts de ce vaste système, M. Desnoyers est porté è conclure qu’ils sont tous à peu près contemporains, et qu’ils ne diffèrent entre eux que par suite des circonstances ces diverses de leur sédimentation chimique ou mécanique, dans les lacs ou sur des cours d’eau, sur des rivages ou dans des parties plus profondes. Ils semblent avoir constitué une surface d’abord continentale, puis sous-lacustre et sous-fluviatile.
Vers les extrémités et aux bords extérieurs, il parait y avoir eu jonction de ces dépôts continentaux avec des dépôts et des bassins vraiment marins. Mais il serait possible que sur quelques points il y eût eu seulement superposition. Au contact du bassin de Paris, ils se lient intimement à la formation supérieure soit des sables et grès, soit des calcaires et meulières d’eau douce ; sur quelques points aussi ils semblent se lier avec le dépôt géologique de l’argile plastique ; mais plus loin les deux groupes se confondent tellement et l’argile minéralogiquement plastique passe tellement à celles qui contiennent les mines de fer, et qui enveloppent les meulières, qu’il est bien difficile de les séparer, et que les rapports naturels sont plutôt en faveur du groupement de l’ensemble de ces dépôts dans le dernier étage du bassin parisien qu’avec tout autre.
Tous les détails de gisement qui conduisent à ces résultats généraux se trouvent dans le Mémoire qui fera partie du premier volume des Mémoires de la Société géologique. »
M. Michelin dit avoir remarqué, aux environs de Broglie, la brèche ferrugineuse de ce système.
M, Dufrénoy, qui a aussi constaté l’existence de ces terrains, ainsi que M. de Beaumont, pour la carte géologique de France, reconnaît leur importance et leur vaste étendue. Ces deux géologues les rapportent positivement à l’étage supérieur du bassin de Paris, ne reconnaissant dans ce bassin que deux grands étages, l’un jusqu’au gypse inclusivement, l’autre postérieur.
M. C. Prévost fait remarquer que la liaison de ce système
avec l’argile à lignites et à coquilles fluviatiles et marines de
Varengeville, près Dieppe, système qui paraît bien plus analogue
au dépôt supérieur d’Headen-Hill (île de Wight) qu’à
l’argile plastique inférieure, conduirait au même rapprochement,
et qu’à cet étage il faudrait aussi sans doute rapporter
les lignites du Soissonnais, que lui et M. Desnoyers sont depuis
long-temps portés à considérer comme plus modernes
que l’argile plastique.
M. de Beaumont annonce ne pas partager cette dernière opinion relativement aux lignites du Soissonnais, et avoir de fortes raisons pour continuer à les regarder comme inférieurs au calcaire grossier. Il place aussi les lignites de Varengeville, avec ceux du Soissonnais, au-dessous du calcaire grossier.
Deshayes au contraire partage l’opinion de MM. C. Prévost et Desnoyers.
M. de Beaumont annonce la découverte qu’il vient de faire d’une couche de dolomie dans la partie supérieure de la craie, à Beyne, près de Grignon. Cette craie forme un mamelon sur les bords duquel s’appuient, en se relevant, des couches du calcaire grossier. La déchirure des vallons environnans présente à M. de Beaumont une disposition tout à-fait analogue à celles des cratères de soulèvement sur une petite échelle. La formation de cette dolomie et le relèvement des couches du calcaire grossier coïncideraient, selon M. de Beaumont, avec la période d’évaporation magnésienne qui a déterminé les grands systèmes de dolomies alpines.
Sur la proposition de M. le président, il y aura lundi prochain une séance supplémentaire. La séance est levée à onze heures.