Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome IV/Séance du 7 juillet 1834

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Séance du 7 juillet 1834.


présidence de m. constant prévost.

M. Delafosse, qui tient la plume comme secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est adoptée. M. le président proclame ensuite membres de la Société :

MM.

Dussieux (Louis-Étienne), professeur de géographie, à Paris ; présenté par MM. Camille Gaillard et Constant Prévost ;

Demey, docteur en médecine, à Paris ; présenté par MM. Wafferdin et de Montalembert ;

Jary (Auguste) ; présenté par MM. Vigoureux et Constant Prévost.


dons faits à la société

La Société reçoit :

1° De la part de MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, le tome second de leurs Mémoires pour servir à une description géologique de la France. In-8° de 474 p. Paris, 1834.

Annales des Mines, 3e série, tome V, 2e livraison. mars et avril, 1834.

Recueil de la Société libre l’agriculture, sciences, arts et belles lettres du département de l’Eure. N° 19. Juillet 1834.

Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse. N° 33. In-8° de 124 p. avec 1 pl.

De la part de M. Beltrami, son ouvrage intitulé l’Italie et l’Europe. In-8° de 48 p. Paris, 1834.

6° De la part de M. Boubée :

A. Les portraits de MM. Ami Boué et Reboul.

B. Les n° 13 et 14 de l’Echo du monde savant, contenant une revue des procès-verbaux du congrès de Clermont.

C. La 4e édition de son Tableau de l’état du globe à ses différens âges ; gravé sur acier.

7° De la part de M. Charles D’Orbigny : son Tableau synoptique du règne végétal, d’après la méthode de M. A. L. de Jussieu, modifiée par M. A Richard ; comprenant toutes les Familles naturelles, avec leur synonymie, les noms des principaux Genres qu’elles renferment, et toutes les espèces employées en médecine, désignées sous leurs noms latins, pharmaceutiques et vulgaires, avec l’indication précise des parties de chaque plante qui sont employées, de leur action physiologique, de leur emploi thérapeutique, de leur dose, et de leur mode d’administration.

8° Journal des sciences, lettres et arts de la Sicile (Giornale di Scienze, Letters e Arti per la Sicilia). N° 138, tome LVI, armée 12.

9° Actes de l’Académie I. et R. économique-graire des géorgofiles de Florence (Atti dell’I. e R. academia economico-agraria dei georgofili di Firenze). Les tomes 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 11 (années 1827, 1833), et le 1er cahier du tome XII (1834).

10° Sur la profondeur des mers autour de l’Europe (Der seeeboden um Europa) ; par M. Auguste Zeune, de Berlin. In-8° de 14 p. Berlin, 1834.

11° Le 11e cahier de 1833 de la Gazette de Styrie, publiée par la Société littéraire du Johanneum, à Gratz.

12° De la part de M. L’Eveillé, 13 échantillons de roches et 49 espèces de fossiles des environs de Tournay.

13° De la part de M. de Verneuil, un bel échantillon de chaux carbonatée d’Avesnes.

14° M. Roberton présente un Ornithocoprolite trouvé dans un lieu nommé les Meilleries-Saint-Sauveur, à trois ou quatre lieues de Valognes, dans une petite couche de calcaire d’eau douce reposant sur des cailloux roulés, et contenant des coquilles d’eau douce et des dents de Sauriens ; c’est dans une portion tuffacée de ce dépôt qu’a été observé l’Ornithocoprolite, avec des dents de Sauriens, beaucoup de petits Bulimes, presque généralement brisés et extrêmement tendres, et en outre des Carpolithes, entre autres les Carpolithes thalietroïdes, Var., Websterii, Ad. Brong., identiques avec celles de l’île de Wight.


correspondance.

M. Bidard écrit à la Société pour lui adresser une note sur la carbonisation du bois. La lecture de cette notice est renvoyée à l’une des prochaines séances.

M. Paul Savi annonce l’envoi de sept volumes, formant la continuation des actes de l’Académie des géorgofiles de Florence.

M. Guillaume Schulz, inspecteur des mines des-Asturies et de la Galice, adresse la lettre suivante, datée du 30 mai, de Rivadeo, en Galice.

J’ai presque achevé un relevé et une description géologique de la Galice, savoir, quinze feuilles de manuscrit et une carte géologique d’un pied carré. Voici les faits principaux, en attendant que j’adresse la Société tout mon manuscrit.

La Galice est un pays montagneux, mais très fertile ; aucune de ses montagnes n’atteint la limite des neiges perpétuelles, mais la plupart ont entre 2000 et 6000 pieds d’élévation et produisent avec leurs nombreuses gorges et vallées une grande variété dans la configuration du pays. Les vallées au nord et au midi sont assez profondes ; des plateaux montueux ou parsemés de collines existent entre le cap Finistère, Lugo et Mondonedo, et atteignent à peine 2000 pieds de hauteur.

Les trois quarts du pays, savoir, la portion occidentale, sont composés de roches primaires ; l’autre quart, ou la partie orientale, offre surtout des dépôts intermédiaires ; les vallées évasées et quelques plaines sont couvertes de masses alluviales anciennes et modernes, et un petit nombre de bassins sont tertiaires, tandis que les formations secondaires manquent totalement. Il n’y a point de roches volcaniques si ce n’est un seul filon basaltique.

Le sol primaire est composé de Granite, de Gneiss, de Micaschiste, d’Itacolumite, de Talcschiste, de Schiste chloriteux, d’une grande variété de roches amphiboliques et serpentineuses, enfin il y a aussi quelques masses d’Eurite et de petits amas de Diorite.

Le Granite est quelquefois porphyrique ; dans ce cas sa surface est couverte de blocs qui frappent de loin l’observateur ; il est fort répandu surtout dans la partie orientale de la Galice.

Le Gneiss est très varié, il passe souvent aux roches Granitoïdes, et plus fréquemment au Micaschiste ; cette dernière roche passe de son côté au Talcschiste et au Schiste chloriteux.

L’Itacolumite ou Quartzite talqueux est extrêmement bien caractérisé et occupe assez de place dans le nord de la Galice ; il est blanchâtre ou jaunâtre.

Les roches amphibolitiques forment quatre grands amas, dont l’un existe près de Santiago, l’autre au cap Ortégal ; elles sont en partie fort mélangées de quartz, de feldspath, de chlorite, de grenats, etc., et forment de nombreux passages, surtout aux roches chloriteuses et au gneiss.

La Serpentine exploitable accompagne dans plusieurs points les roches précédentes, et s’associe avec de belles variétés de pierre ollaire. L’Euphotide est une roche plus rare.

L’Eurite en partie porphyrique se rencontre au milieu des roches primaires et intermédiaires, formations qui contiennent aussi de petits amas de diorite. La Siénite est un accident rare, et elle est peu caractérisée. Au sud du cap Ortégal, une montagne serpentineuse offre un filon de marbre blanc grenu ou presque compacte.

Un filon de basalte existe dans un gneiss porphyrique à six mètres à l’est de Santiago au milieu de la Galice ; il a quelques mètres de puissance sans former ni butte ni crête, du reste la roche est bien caractérisée par les cristaux de péridot et de pyroxène. Le cône singulier du Pico-sagro, avec une créte allongée d’un mille de longueur et traversé par la rivière d’Ulla, est composé de quartz blanc semi-cristallin et de quartz-hyalin.

Du schiste argileux et de l’ardoise se subordonnent aux roches primaires et ne se distinguent pas des schistes de transition.

Les schistes cristallins et le gneiss de la Galice ont en général une direction du nord au sud et une très forte inclinaison à l’ouest ; ils se placent dessous et dessus le granite.

Le sol intermédiaire de la partie orientale de la Galice est composé de schiste argileux, verdâtre et noirâtre, de quartzite stratifié, d’une petite quantité de grauwacke, d’une plus grande masse de grauwacke schisteuse et d’un nombre assez considérable de bancs de calcaire ou de marbre.

Les pétrifications ne se rencontrent que dans les schistes noirâtres, ce sont des Trilobites et des Orthocères, avec quelques bivalves mal caractérisés, des polypiers et des impressions de plantes. Le calcaire ne m’a pas offert jusqu’ici de fossiles.

La direction des couches intermédiaires est du nord au sud, et leur inclinaison est forte et variable.

Quant aux roches tertiaires, je n’ai pas encore achevé mes recherches : dans deux bassins considérables appartenant au système potamographique du Cabe, il y a un dépôt horizontal de marne bigarrée qui ressemble beaucoup au Keuper et passe supérieurement à une masse sableuse rosâtre ou verdâtre ; ce n’est en partie qu’une arkose marneuse désagrégée, et en partie une marne argileuse verte qui est recouverte d’alluvions anciennes. La partie supérieure de ce dépôt se retrouve dans beaucoup d’autres points de la Galice, soit sous les alluvions anciennes, sont non recouvertes.

Dans la vallée de Sarria ces roches sont plus calcaires et forment surtout une marne calcaire blanche. Je n’ai jamais pu y découvrir quelque apparence de fossiles. Minéralogiquement la partie inférieure ressemblerait aux roches du Keuper, et la portion supérieure se rapprocherait de l’aspect du sable vert ; mais je pense que c’est un dépôt tertiaire qui aurait peut-être quelque rapport avec certaines masses tertiaires du pied septentrional des Pyrénées orientales.

En outre, il y a en Galice des sables et des argiles tertiaires avec des amas considérables de lignite, mais on n’y a pas découvert de gypse.

Les alluvions anciennes abondent dans les vallées et les plaines, et dans la partie orientale du pays ou elles viennent en contact avec le sol intermédiaire ; les Romains y ont eu des lavages d’or. Dans les alluvions, il est remarquable de trouver de si nombreuses plages sableuses alternant avec des côtes très escarpées, et, sur quelques fleuves peu loin de la mer et soumis aux marées, des dépôts énormes de limon.

Le mouvement du grand courant de l’Atlantique et du golfe de Biscaye doit être en rapport avec la production de ce dépôt. Il y a des alluvions aurifères très riches sur le Sil. Dans le sol de transition il existe des bancs étendus et puissans de fer hydraté, ainsi que quelques filons de galène argentifère. Le terrain primaire et surtout le gneiss micacé et le granite sont caractérisés par de riches filons, et de petits filons d’étain oxidé massif.

M. Zeune, de Berlin, écrit qu’on fore dans cette ville un puits artésien qui a déjà 180 pieds de profondeur, et dans lequel on met des tubes de fer de 6 pouces de diamètre. Depuis le 169e pied, on a rencontré de l’argile noire semblable à celle des lignites tertiaires. On n’a pas encore trouvé d’eau, quoiqu’on soit à 80 pieds au-dessous du niveau de la mer.

À Dresde on fore aussi un puits qui était arrivé, le 24 mai, à 767 pieds, et qui donne 3  ; pieds cubes d’eau dans une minute. Dresde étant à 280 pieds au-dessus du niveau de la mer, on a donc atteint un niveau de 487 pieds plus bas que celui de la mer. On a traversé des argiles et des grès du système crétacé.

A Torgau on fore également un puits artésien.

Le procès-verbal ayant fait mention de la discussion soulevée dans la dernière séance par la lecture de son Mémoire, M. Dufrénoy croit devoir ajouter quelques observations, qui sont résumées dans la note suivante :

Le Mémoire sur les terrains tertiaires, dont j’ai eu l’honneur de lire la première partie à la Société, dans sa dernière séance, est précédé de quelques généralités sur les phases principales qu’a, présentées l’étude de ces terrains ; ce préambule, au plus de 3 ou 4 pages, a soulevé de la part de M. Constant Prévost une réclamation que j’étais loin de prévoir, et à laquelle je me serais empressé de faire droit si elle m’avait paru fondée. Notre confrère a paru croire que j’avais oublié de citer ses travaux sur les terrains tertiaires et notamment son Mémoire sur les terrains de Vienne, en Autriche.

Si mon intention avait été de faire dans ce préambule un historique des travaux intéressans auxquels l’étude des terrains tertiaires a donné lieu, je n’aurais pu commettre cet oubli. J’aurais également eu soin de rappeler les beaux Mémoires de M. Webster sur les terrains tertiaires de l’Angleterre, Mémoires dans lesquels, après avoir constaté la correspondance des formations du bassin de Paris et de l’île de Wight, l’auteur signale la différence de nature qui existe entre ces formations ; mais jetant un coup d’œil rapide sur l’étude des terrains tertiaires, j’ai cru ne devoir indiquer que les travaux qui avaient modifié nos idées sur cette partie de la géologie, et ne pas mentionner ceux qui en avaient seulement étendu le domaine, quelque intérêt d’ailleurs que ces travaux présentassent.

MM. Cuvier et Brongniart avaient supposé que les terrains tertiaires de Paris avaient précédé immédiatement la dernière catastrophe que notre globe a subie. M. Desnoyers a reconnu, au contraire, qu’il existe des formations plus modernes que les étages supérieurs du bassin de Paris, formations qu’il a désignées sous le nom de quaternaires. La distinction faite par M. Desnoyers a donné la clef des terrains tertiaires du midi, qui jusqu’alors étaient regardes comme la représentation exacte des formations parisiennes. Il m’a donc paru juste de signaler cette idée nouvelle et les changemens importans qu’elle avait introduits dans la classification des terrains dont je vous ai entretenus.

Le Mémoire de M. C. Prévost sur Vienne, en Autriche, Mémoire dont je reconnais l’importance et le mérite de description, ne me paraît pas avoir fourni l’idée mère du travail de M. Desnoyers. J’y trouve au contraire une comparaison avec les terrains de Paris, et c’est par cette raison que je ne l’ai pas cité. Il en est de même de la note que M. Prévost a insérée dans le Bulletin de la Société philomatique, pour l’année 1825. Sans doute l’auteur, dont les travaux actuels sont empreints des idées nouvellement introduites dans la science, a oublié ses premières opinions ; c’est à cette erreur seule que je puis attribuer l’observation qu’il a cru devoir faire dans la dernière séance. Je vous demande donc la permission de lui rappeler, en transcrivant quelques unes de ses paroles, les opinions qu’il professait peu de temps avant la publication du travail de M. Desnoyers. Il vous sera facile de vous convaincre qu’il ne soupçonnait pas alors l’existence d’un terrain plus moderne que les meulières de Paris.

« S’il fallait se décider, écrit M. C.Prévost[1], à rapporter les terrains des environs de Vienne et ceux d’Italie à l’une de ces deux formations marines des environs de Paris, on conviendra que sous beaucoup de rapports généraux, on pourrait leur trouver de l’analogie avec la dernière et la plus récente de ces formations : comme eux, celle-ci est composée de couches meubles, d’argile plus ou moins pure, et de sable souvent micacé ; comme eux, elle semble être le dernier témoignage de la présence prolongée de la mer sur nos continents, et l’effet d’un déluge qui aurait anéanti des races entières de grands animaux déjà répandus sur les terres. »

Rien ne révèle dans ce passage l’idée d’une formation plus nouvelle que les assises les plus récentes de Paris ; l’auteur y établit au contraire une identité entre les formations, et surtout une identité entre la cause qui a produit les terrains de Vienne et de Paris.

Une seconde citation de ce même Mémoire prouvera que l’auteur regardait alors les terrains de Bordeaux comme analogues à ceux de Paris ; seulement il associait déjà, et avec raison, les faluns des Landes et de la Touraine avec les sables marins supérieurs de Paris ; mais en même temps, il commettait une erreur qui n’a été reconnue que long-temps après par M. Deshayes, erreur qui consistait à assimiler les couches des collines subapennines à ces mêmes terrains.

Ce passage est ainsi conçu :

« Ayant retrouvé dans des dépôts marins des côtes de Nice, de Roussillon, de Loignan près de Bordeaux, de Dax, et même de la Touraine, quelques espèces de coquilles fossiles qui se voient également en Italie et en Autriche, mais qui sont étrangères aux fossiles du Grignon, c’est-à-dire au calcaire inférieur au gypse, il pourrait se faire que ces dépôts des divers lieux que je viens de citer fussent reconnus par la suite pour appartenir à la formation des collines subapennines et peut-être des sables marins supérieurs des environs de Paris, plutôt qu’à celle du calcaire de Grignon [2]. »

On remarquera que, dans cette seconde citation, loin de supposer les collines subapennines comme formant un troisième étage des terrains tertiaires, c’est avec doute que M. C. Prévost les sépare de l’étage inférieur pour les associer au grès de Fontainebleau. Le second Mémoire sur lequel M. C. Prévost a attiré l’attention de la Société n’a aucun trait à la question qui nous occupe ; c’est à proprement parler une dissertation théorique sur la manière dont les terrains tertiaires ont dû se former, et dans laquelle l’auteur, a pour but principal de montrer, selon ses expressions propres, qu’il n’est pas nécessaire pour expliquer les faits géologues de faire intervenir des causes extraordinaires qui ne sauraient agir maintenant qu’en troublant l’ordre de l’univers. Cette thèse a été développée depuis avec beaucoup de talent par M. Lyell, mais avec une exagération dont il est juste de reconnaître que M. C. Prévost s’était sagement abstenu.

Les considérations sur lesquelles M. C. Prévost s’appuie sont ingénieuses ; elles expliquent d’une manière satisfaisante ces oscillations de formations marines et de formations d’eau douce qu’il a montrées être beaucoup plus répétées que ne l’avaient pensé les auteurs de la description géologique des environs de Paris ; mais je ne crois pas que ces considérations aient conduit à aucun résultat nouveau sur la division des terrains tertiaires, et par suite qu’elles aient influé d’une manière prononcée sur leur détermination ; j’ajouterai que, dans ce dernier Mémoire, M. C.Prévost exprime encore à plusieurs reprises l’opinion, que la formation des meulières de Paris a précédé immédiatement l’époque actuelle. En effet, après avoir expliqué la formation du calcaire d’eau douce supérieur, il dit : « Enfin les eaux diluviennes, descendant des montagnes du sud-est, vinrent transformer ces plaines marécageuses élevées (de calc. d’eau douce) dans le sol raviné que nous habitons maintenant[3]. »

Il est dit ensuite dans l’analyse de ce Mémoire[4] : « Si les suppositions faites par M. C. Prévost sont fondées, le bassin du nord (Tamise), ainsi que celui du midi (Gironde), seront restés long-temps encore sous les eaux marines après que le bassin de la Seine était devenu un lac ; et dans ce dernier bassin on ne trouvera pas des dépôts de la mer aussi récens que dans les premiers. Dans ceux-ci on pourra même observer des nuances graduées entre les dépôts anciens et ceux de la mer actuelle (Tours, Loignan, Anvers, Angleterre, Crag, Bagshot-Sand). En effet, sur ce point l’observation vient à l’appui du raisonnement : et, comme l’auteur l’a déjà annoncé dans un travail publié sur les environs de Vienne en Autriche, une partie des dépôts marins supérieurs de la Belgique et des environs de Bordeaux, a été formée peut-être en même temps que les collines subapennines, et que celles qui entourent Vienne, lorsque depuis long-temps déjà le bassin de Paris n’était plus occupé que par des eaux douces. »

Il résulte évidemment de ce passage que les terrains marins qui forment les collines subapennines se déposaient en même temps que les meulières de Paris ; M. C. Prévost ne supposait donc pas qu’ils appartinssent à une troisième époque géologique ; il résulte en outre de son argumentation qu’il ne pouvait pas y avoir de terrains plus modernes que ceux de Paris, puisqu’il s’efforce de démontrer que ces terrains sont le produit de forces semblables à celles qui agissent actuellement sur la terre, « et qu’il ne faut pas faire intervenir des causes extraordinaires qui ne sauraient exister qu’en troublant l’ordre de l’univers. »

Maintenant, messieurs, que je vous ai exposé les doctrines que M.C. Prévost professait en 1825, il vous est facile de juger qu’elles sont diamétralement opposées à l’existence de terrains tertiaires supérieurs ; le Mémoire que j’ai présenté à la Société a au contraire pour but de prouver qu’il existe dans le midi trois étages tertiaires distincts, séparés les uns des autres par des révolutions, et que le dernier étage, qui correspond aux formations des collines subapennines, présente un vaste dépôt marin postérieur aux meulières de Paris. Ce Mémoire est d’accord avec le travail de M. Desnoyers, et c’est pour cela qu’il m’a paru juste de lui attribuer la priorité de cette découverte, qui a changé nos idées sur les terrains tertiaires.

M. La Joye demande la parole pour relire et commenter le passage du premier Mémoire de M. C. Prévost, dans lequel ce géologue annonçait avoir trouvé, dans les dépôts marins de Nice, du Roussillon, de Loignan et de Dax, des espèces de coquilles que l’on voit également en Italie et en Autriche, mais qui sont complètement étrangères aux fossiles de Grignon ; d’où il inférait, d’après le plus grand nombre d’analogues qu’ils renferment, que ces premiers dépôts pourraient bien être beaucoup plus récens qu’on ne le croyait à cette époque. MM. Dufrénoy et de Beaumont répondent que, dans ce passage, M. C. Prévost a bien énoncé une opinion nouvelle, en disant qu’il pouvait y avoir des terrains marins contemporains des meulières, mais qu’il est impossible d’y trouver l’idée qu’il existât alors des formations plus récentes que ces mêmes meulières, idée qui a été émise pour la première fois par M. Desnoyers. M. C. Prévost exprime le désir qu’il soit mis fin à cette discussion, puisque, dit-il, l’un des passages de ses Mémoires, rapporté dans la note de M. Dufrénoy, établit clairement le seul fait qu’il a eu l’intention de rappeler, savoir : qu’en 1825 il avait énoncé l’opinion que l’on devait trouver hors du bassin. de Paris, et notamment dans celui de la Gironde, plusieurs dépôts formés sous les eaux marines, après le plus récent des terrains marins parisiens, c’est-à-dire après les grès marins supérieurs ou grès de Fontainebleau, et qu’à l’appui de cette idée conçue à priori, si l’on veut, il avait cité pour exemples les dépôts de Loignan, du Roussillon, de Tours, etc., prévision que des observations positives de MM. Desnoyers, Deshayes et Dufrénoy ont postérieurement confirmée.

M. des Genevez revient sur une observation qu’il avait déjà faite dans la dernière séance, au sujet du Mémoire de M. Dufrénoy. Il avait avancé, contrairement à l’assertion émise par notre confrère, que les landes des environs de Bordeaux ne formaient point une plaine ; il emprunte à un Mémoire de M. Deschamps, sur le nivellement de ce terrain, plusieurs données qui démontrent, selon lui, l’existence d’une arête élevée de plus de 150 mètres. MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont entrent dans quelques développemens à ce sujet, et insistent de nouveau sur l’exactitude des faits, tels que le Mémoire les a présentés.

M. Deshayes fait connaître à la Société que, sur les nombreux fossiles des Alpes que lui a montrés M. des Genevez, il n’en a pas vu un seul qui appartînt à la craie. Cette partie des Alpes lui paraît appartenir aux terrains tertiaires, et il croit devoir annoncer ce fait dès ce moment, sans l’avoir constaté. autrement que par les fossiles. M. de Beaumont, de son côté, prend date pour annoncer une opinion différente : il pense que, chronologiquement parlant, ce terrain a été déposé à la même époque que la craie de Meudon.

M. Charles L’Éveillé lit un Mémoire qui a pour titre :

« Aperçu géologique sur quelques localités très riches en coquilles fossiles, près des frontières de France et de Belgique. »
En donnant sur les terrains déjà décrits qui composent le midi de la Belgique et le nord de la France, un aperçu succinct, le but de l’auteur a été de constater quelques nouvelles localités remarquables par les nombreux fossiles qu’elles renferment. Ces dépôts coquilliers se trouvent principalement entre Valenciennes, Avesnes. Mons, Ath et Tournay. Ce travail, où se trouve la description des principales coquilles observées, et qu’accompagnent une carte géologique et une coupe générale des terrains, étant destiné par son auteur à être imprimé dans les Mémoires de la Société, est renvoyé à l’examen du Conseil.

On lit la notice suivante de M. Fleuriau de Bellevue :

Notices sur les variations singulières dans la hauteur de la colonne d’eau du puits artésien. des bains de mer de la Rochelle.

Avant de parler de ces variations, nous rappellerons succinctement que ce puits foré, qui est situé à 70 mètres du bord de la mer, a maintenant 559 pieds métriques de profondeur, et qu’il a été creusé dans le calcaire argileux de la formation jurassique moyenne ; que 60 pieds l’ont été dans une pierre d’un blanc jaunâtre, compacte, presque lithographique, et 499 dans un banc d’un gris bleuâtre, beaucoup plus argileux, dont l’épaisseur nous est encore inconnue ; qu’enfin ces bancs, divisés par de minces couches d’argile marneuse, sont presque horizontaux.

Nous ferons remarquer aussi que depuis 4 ans que ce puits avait été entrepris[5], l’eau qu’il contenait était restée constamment, (à quelques pouces près), jusqu’au 1er août dernier, à 22 pieds au-dessous du niveau du sol ; hauteur qui est à peu près celle des puits voisins, et des pleines mers des mortes-eaux.

À cette époque, on recommença à le percer, on lui donna 22 pieds de plus, ce qui porta sa profondeur à 555 pieds. Or, le 31, on fut très surpris de voir qu’une partie des tiges qui plongeaient précédemment dans l’eau, était sèche ; le lendemain, 1er septembre, les travaux étant suspendus, on vit que l’eau avait descendu de 144 pieds ; et le 2, cette chute était de 152 pieds.

Mais le 5, l’eau commença à remonter, et son ascension dura pendant un mois, jusqu’au 2 octobre. Elle a été, terme moyen, de 6 pieds par jour dans la première moitié du mois, et de 3 pieds 8 pouces seulement dans l’autre. Elle revint ainsi précisément à son ancienne hauteur de 22 pieds au-dessous du sol.

Le lendemain, 3 octobre, elle recommença à descendre, et le 4 elle avait baissé de 29 pieds.

Le 5, nouvelle ascension, jusqu’au 14, qui ne fut en totalité que de 9 pieds.

Mais les 14, 15 et 16, l’eau descendit de 93 pieds ; puis le 17, de 11, et le 18 de 36 ; au total 140 pieds dans 5 jours. Ainsi, la colonne d’eau qui, avant le 1er août, était de 505 pieds, se trouvait réduite de 60 pieds, ou d’un tiers de sa hauteur.

Le lendemain 19, elle recommença à monter, et continua régulièrement jusqu’au 13 novembre, où elle se trouva de 114 pieds plus élevée que le 18 octobre.

Puis, le jour suivant, 14 novembre, elle s’abaissa de nouveau jusqu’au 16, mais seulement de 14 pieds.

Enfin elle remonta immédiatement : son ascension fut dans l’intervalle du 16 novembre au 15 décembre, de 42 pieds ; mais elle devint ensuite si lente, qu’elle n’a été que de 9 pieds dans un mois et , jusqu’à aujourd’hui (2 février), où elle est parvenue à 6 pieds au-dessous de son ancien niveau, et conséquemment à 28 au-dessous du sol.

On voit 1° que le mouvement alternatif de l’eau a été continuel pendant plus de 5 mois, c’est-à-dire, depuis la fin des travaux du mois d’août jusqu’à ce jour, et qu’il dure encore quoique faiblement ;

2° Qu’il s’est manifesté quatre abaissemens, dont deux ont été si rapides que l’eau a descendu de 30 et de 35 pieds par jour ; tandis que, dans les quatre ascensions, l’eau n’a monté, au commencement que de 5 à 6 pieds par jour, et ensuite que de 2 à 3 pieds.

Il n’y a eu d’exceptions à cet égard qu’à la fin de la dernière ascension ; mais si elle avait été beaucoup plus lente que les autres, et si les variations ont été alors plus rares, tout donne lieu de penser que la principale cause en est due aux vases qui se sont successivement accumulées au fond du puits, et qui l’ont obstrué plus ou moins, depuis les 17, 18 et 19 novembre, époque où on lui donna 4 pieds de plus de profondeur, et où tous les travaux ont été suspendus, faute de fonds.

Maintenant nous prions les hommes experts dans ces sortes d’entreprises de vouloir bien nous dire s’ils ont vu quelquefois de pareilles circonstances ; si elles ont été ou non le pronostic d’un succès prochain ; si enfin ils pensent que quelques travaux encore suffiraient pour faire paraître au jour les eaux de cette fontaine intermittente souterraine ?

On se perd ici en conjectures sur la cause de ces bizarres variations. De simples cavités à cinq ou six cents pieds au-dessous du niveau de la mer, ne peuvent suffire pour expliquer cette intermittence. Serait-elle due à ces courans souterrains dont les puits artésiens nous font connaître chaque jour l’existence ? Les travaux du mois d’août auraient-ils mis notre puits en communication, par des fissures du rocher, avec l’un de ces courans ? Celui-ci soutirerait-il ses eaux dans les momens où il est très rapide, et serait-il sans influence sur elles quand il est plus tranquille, en laissant alors aux sources ordinaires la faculté de remplir le vide qu’il aurait occasionné ? Enfin, son voisinage, s’il existe, ne nous offrirait-il pas une chance de succès ?

Nous laissons à d’autres à prononcer, et nous nous bornerons à leur faire remarquer, de plus, que, l’hiver précédent, on avait revêtu d’un tube en fonte de fer les 120 pieds supérieurs de ce puits, tant pour empêcher ses eaux de se perdre à la mer, que pour éviter le mélange des deux eaux, mais que ce mélange, quoique fort diminué, est encore sensible ; enfin on n’oubliera pas que ce puits est alimenté par des sources abondantes, ainsi que nous l’avons fait connaître dans une notice sur sa température, qui a été insérée dans le Bulletin de la Société géologique de France, des mois de mai et de novembre 1830.

M. de Roissy prend la parole pour demander si quelqu’un a connaissance de quelques variations semblables, et peut en indiquer la théorie. Il fait connaître l’opinion de M. Mulot, qui suppose que le dernier coup de sonde a fait rencontrer une faille ou fissure naturelle, par laquelle a pu s’écouler l’eau ascendante ; que cette fissure a été ensuite bouchée par les matières que l’eau entraînait, et débouchée alternativement par l’action du liquide. M. Boubée croit que la théorie ordinaire des sources intermittentes peut trouver ici une nouvelle application, et émet son opinion sur les chances que lui semble présenter la continuation du forage. Il pense que l’on doit poursuivre les opérations jusqu’à ce que l’on parvienne à un terrain différent de celui où l’on est maintenant, par exemple, aux argiles et schistes du lias.

M. La Joye présente diverses portions de crustacés fossiles que l’on trouve très abondamment dans les sables supérieurs du calcaire grossier qui domine le hameau du Gué à Tresnes, sur la route de Meaux à la Ferté-Milon, à 3 lieues de cette première ville.

M. Desmarest, dans son Histoire naturelle des crustacés fossiles, avait figuré un plastron provenant des sablières d’Etrepilly : il l’avait reconnu pour appartenir au genre Crabe et l’avait nommé Portune d’Héricart.

Les nombreux débris mis par M. La Joye sous les yeux de la Société, et l’animal entier reconstitué au moyen de diverses parties ralliées entre elles, prouvent l’exactitude de cette détermination.

Ces crustacés sont donc des décapodes brachyures.

Ces Portunes sont si nombreuses dans les calcaires de Lisy et de son bassin, qu’ils en étaient devenus le fossile caractéristique et à juste raison : mais au lieu de donner, comme on l’a fait jusqu’à présent, le nom de calc. à Pagures à la roche qui renferme ces débris, il convient de lui imposer la dénomination de Calc. à Portunes.

Une remarque non moins intéressante à faire, c’est que la réunion de ces fossiles en si grande abondance dans un même point, se reproduit encore aussi considérable dans la nature vivante pour les animaux analogues : sur les côtes de l’océan de France, le Portune étrille (Cancer puber de Linné), qui sert de nourriture aux habitans pauvres, se trouve également en quantité remarquable.

Les animaux de cette espèce se rassemblent en foule au commencement d’avril, dans quelques criques tranquilles, abritées du vent du nord, où les femelles déposent, en mai, dans la fange des rivages, leurs œufs au nombre de 200 mille au moins pour chacune d’elles.

M. La Joye communique encore la portion inférieure fossile de la mâchoire d’un Éléphant provenant des terrains les plus modernes des bords du Rhin, à Manheim.

Ce fragment est remarquable par sa conservation, et parce qu’il fait connaître une espèce nouvelle d’Éléphant d’une taille qui ne surpassait pas celle de nos taureaux domestiques.

L’animal était adulte ; car, dans cette mâchoire, on voit qu’il existe déjà une dent de remplacement.

M. La Joye a donné ce fossile au muséum de Paris : M. de Blainville se propose d’en faire une description détaillée.

M. La Joye met en outre sous les yeux de la Société un corps organisé fossile qu’il a trouvé dans les falunières d’Assy. Ces faluns dépendent de la portion supérieure du calc. grossier, et offrent de nombreuses ressemblances avec les terrains de Valmondois.

Il croit que ce débris de corps organisé est une bélemnite d’espèce nouvelle, qui s’éloignerait par sa forme et ses deux sillons bilatéraux des bélemnites connues jusqu’à ce jour, et qui serait particulière au calcaire grossier.

Il invoque le témoignage de M. Deshayes, qui répond avoir été d’abord de cet avis, mais que des recherches ultérieures l’ont conduit à penser que ce corps était un genre nouveau intermédiaire aux Bélemnites et aux Beloptères.

M. de France avait déjà signalé ce corps singulier et l’avait rapproché des os de Sèches.

M. de Roissy pense que cet objet, nouveau pour lui et très intéressant, demande à être examiné avec soin pour qu’on puisse asseoir un jugement définitif.

M. La Joye persiste à croire que l’objet qui fait le sujet de la discussion est bien une espèce nouvelle de Bélemnite particulière du calc. grossier, et il fonde son opinion sur l’existence d’une cavité alvéolaire et sur la structure aciculaire radiée intérieure que présente ce corps, caractères qui distinguent, comme on le sait, les Bélemnites.

A l’occasion de la mâchoire fossile qui vient d’être présentée par M. La Joye, M. Constant Prévost annonce que M. G. Fairholme lui a dit avoir vu en Angleterre, dans une collection, plusieurs parties de squelette d’Éléphant fossile, recueillies sur les côtes de Norfolk, et dont les dimensions annoncent des animaux de la taille du Buffle environ. Le même savant lui a appris que dans l’Inde il existe encore une race d’Éléphants de cette taille, qu’il croit être couverts de poils assez touffus.

M. G. Fairholme est, comme l’on sait, l’un des savans anglais qui cherchent, par des observations, à lier le récit de Moïse avec les faits géologiques ; il vient de résumer en quelques lignes les principaux argumens qui peuvent servir à démontrer, selon lui, que l’action des eaux n’a pas agi depuis plus de 4 à 5,000 ans, soit sur le bord du plateau supérieur d’où tombe le Niagara, soit sur les falaises de craie de l’Europe. Ce résumé, offert par l’auteur à la Société, est intitulé : Geological positions in direct proof of an important part of scripture chronology. La question a été traitée avec plus de détail dans le n° 25 du Magasin physique de Londres et d’Édimbourg.

Séance levée à dix heures et demie.



  1. Journal de physique, année 1820, tome XCI, p. 463.
  2. Journal de physique, année 1820, tome XCI, p. 468.
  3. Bulletin de la Société philomatique pour l’année 1825, p. 75.
  4. Bulletin de la Société philomatique pour l’année 1825, p. 89.
  5. Par les soins de M. Gon, membre de la Société d’agriculture de cette ville.