Bulletin dramatique, 3e trim. 1830/01

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THÉÂTRE FRANÇAIS.L’Envieux, comédie en cinq actes et en vers, par M. Dorvo. — Cette pièce aura coûté infructueusement des frais de mémoire aux acteurs du Théâtre-Français. Elle a été écoutée froidement par le peu de monde qui se trouvait dans la salle. Les spectateurs ont dit qu’ils n’y retourneraient pas, et que bien des gens n’iraient pas du tout. Malgré les observations sévères que l’on a faites sur le caractère outré de L’Envieux, il serait injuste de ne pas reconnaître qu’au milieu de l’exagération qui le défigure, il offre plusieurs traits d’une profonde énergie, et cet homme incessamment tourmenté du besoin de nuire, et à qui le bonheur des autres a ôté le sommeil, est peint quelquefois avec habileté. Le style de la pièce est naturel. Les acteurs ont médiocrement joué. Ennui général : presque chute.

E.

THÉÂTRE-ITALIEN. — Le Théâtre Italien a donné pour son ouverture Rosemunda, tragédie en cinq actes, d’Alfieri, et Casa disabitata, comédie en un acte de M. Giraud.

La première de ces deux pièces a été écoutée avec froideur, et ce n’est sans raison : l’auteur en voulant s’écarter d’un excès est tombé dans un autre. Il essayait de réformer les arlequinades, les bouffonneries, en un mot, les farces de mauvais goût, si usitées alors chez les auteurs italiens, et il a élevé sa pièce à une telle sévérité de paroles qu’il en est résulté une monotonie qui a fini par ennuyer. On s’est bientôt lassé des scènes d’amour, de fureur et de vengeance qui se passent entre quatre personnages, seuls acteurs de la pièce.

On s’est amusé au contraire à la Casa disabitata qui a fait beaucoup rire : nous devons des éloges à M. Taddei, qui a joué dans cette pièce avec un naturel et un comique admirables le rôle d’un poète famélique. Ce n’est encore qu’une farce italienne ; mais elle attirera du monde.

Carlotta e Werter, drame en cinq actes. Les acteurs italiens devraient de préférence jouer des pièces comiques. Charlotte et Werther est un drame qui marche sérieusement pendant les quatre premiers actes, et dont le dénouement a été emprunté à une scène du Désespoir de Jocrisse. Il y a dans cette pièce un amalgame de pensées sévères et de plaisanteries qui n’est pas heureux ; du reste, la pièce a été jouée avec ensemble. Le public est resté spectateur assez froid.

Mal fare per far bene, comédie en deux actes. — Cette farce, qui rappelle ces mille canevas où les geôliers sont toujours dupés par leurs jolies captives, a été unanimement accueillie : on a beaucoup ri. Succès.

THÉÂTRE DE L’ODEON. — Le mari de ma femme, comédie en trois actes et en vers, par M. Rosier. — Succès complet. Il n’y a peut-être rien de neuf dans la pièce de M. Rosier ; mais il y a une peinture de mœurs assez vraie, de la plaisanterie bien entendue, et au théâtre la gaîté fait passer sur bien des imperfections. Les acteurs ont tous bien joué, Duparay et madame Moreau-Sainti surtout.

THÉÂTRE DU VAUDEVILLE. — Le Voyage par désespoir. – Un jeune homme est trahi par une danseuse qu’il adore : il veut la fuir. Sa vieille bonne, avant qu’il ne monte en voiture, lui fait de la morale dont voici à peu près le sens : « Avant d’être abandonné, vous avez abandonné Victorine, puis Laurette : elles seront mortes sans doute. Le ciel vous punit. — Oui, le ciel est juste, reprend le jeune homme, je mourrai probablement comme elles. » Il part. Sa voiture se brise en route : il est obligé de s’arrêter dans une auberge ; il retrouve là Victorine, bien fraîche et heureuse ; il commence par croire qu’on ne meurt pas d’amour. Il poursuit son chemin ; mais la voiture, qui n’avait pas été solidement raccommodée, éprouve dans un village un second accident. Il y a une noce : il retrouve Laurette qui se marie et feint de ne pas le reconnaître. Enfin il se remet en route pour la troisième fois ; mais son cocher qui, à ce qu’il paraît, avait décidément envie de le tuer, va accrocher la voiture d’une danseuse qui venait débuter à l’Opéra. Le jeune homme, échappé à ce troisième danger, s’embrase subitement à la vue de sa jolie voisine. Bref, il revient à Paris avec elle pour recommencer peut-être un nouveau voyage de désespoir dans un mois. Il y a des scènes plaisantes, d’autres invraisemblables. La pièce, qui ne roule que sur des voitures, a failli tomber comme elles, mais on en a ri. Léger succès.

La Petite Prude a obtenu un succès complet et mérité. On pourrait reprocher aux auteurs d’avoir choisi un sujet vieux et usé ; mais ils ont jeté sur cette pièce comique tant de traits d’esprit qu’ils ont désarmé la critique.

E.

THÉÂTRE DE LA GAîITÉ.Jeffries ou le Grand-Juge, quoique assez purement écrit, a fait bâiller tous ses auditeurs, et, pour les achever, les acteurs ont joué très faiblement. Mais cela se conçoit : il ne pouvait pas y avoir de vérité à rencontrer pour eux dans un drame qui fourmille d’invraisemblances et qui n’en finit pas.

P.


THÉÂTRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN.Halen-Humeya, ou les Arabes sous Philippe ii, mélodrame en trois actes, par M. Martinez de la Rosa, a attiré la foule et doit l’attirer encore long-temps. Ce drame réunit en effet tout ce qu’il faut pour intéresser vivement, et l’auteur mérite d’autant plus d’éloges qu’il avait à triompher d’un idiôme qui n’est pas le sien, ce qu’il a fait. Tout conspirait au reste au succès de cette pièce : mise en scène éblouissante, décors d’un effet admirable, et, chose qui tient du prodige, chœurs de figurans chantant des fragmens de musique religieuse avec un goût inconnu jusqu’alors à la Porte-Saint-Martin.

P.