Cécilia/4/7

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Cécilia, ou Mémoires d’une héritière
Traduction par anonyme.
(3p. 14-18).



CHAPITRE VII.

Méprise.


Le jeune Delvile qui avait rencontré madame Harrel et Cécile au Panthéon, et qui leur avait demandé la permission de les voir chez elles, ne manqua pas de leur rendre visite. M. Harrel le reçut avec beaucoup d’empressement, et l’invita à prendre le thé le lendemain, et à passer la soirée avec eux. La proposition fut acceptée. Delvile fut fort aimable ; mais quoique sa principale satisfaction vînt évidemment du plaisir qu’il avait de s’entretenir avec Cécile, elle eut cependant le chagrin de remarquer qu’il paraissait croire encore qu’elle avait des engagements indissolubles avec le chevalier, se retirant toutes les fois que ce dernier s’approchait, et aussi soigneux lorsqu’il était auprès d’elle, de lui céder la place, que de la garder quand il était éloigné. Il est vrai que, pendant que le baronnet était occupé de son jeu, il tâchait d’engager l’attention de Cécile, et de faire en sorte qu’elle ne s’entretînt qu’avec lui. Il fut très-empressé de lui parler des affaires de M. Belfield, qu’il lui dit avoir pris depuis peu un aspect plus favorable. La lettre de recommandation qu’il lui avait montrée, n’avait point produit l’effet qu’il s’en promettait, parce que le seigneur auquel elle était adressée, avait déjà donné sa parole à un autre gouverneur ; mais il avait pris des mesures différentes, et il espérait qu’elles réussiraient mieux. Il avait communiqué ses vues à M. Belfield, et se flattait que la perspective d’être employé avantageusement lui rendrait les forces et le courage. Je ne saurais pourtant vous cacher, ajouta-t-il, que j’ai plutôt obtenu son consentement pour les démarches que je fais, que son approbation ; et je crois même que, si je l’avais consulté d’avance, il ne me l’aurait pas donné. Le temps, j’espère, émoussera cette sensibilité, et la réflexion le fera rougir de cette folle délicatesse. Il faudra cependant, jusqu’à ce qu’il soit un peu plus maître de lui-même, user d’une grande circonspection pour adoucir son humeur. La maladie, le chagrin et la pauvreté l’ont accablé à la fois : nous aurions par conséquent tort de nous étonner de le trouver aussi peu traitable, son âme étant affaissée autant que son corps est épuisé. Cécile le confirma dans ces sentiments, et leur donna même une nouvelle force, en l’assurant qu’elle pensait précisément comme lui. L’intérêt qu’elle prit au succès de ses soins, l’engagea à les redoubler. Depuis ce moment, il trouva presque tous les jours occasion de la voir chez elle. L’intérêt qu’elle prenait à M. Belfield lui donnait le droit de lui faire part de toutes ses démarches : tantôt, il avait des lettres à lui montrer, ou quelque nouveau projet à lui communiquer ; tantôt, à se plaindre d’un refus, ou à lui faire appercevoir quelque lueur d’espérance. Cependant, quoique ses liaisons avec Cécile devinssent tous les jours plus intimes ; quoique ses attentions pour elle fûssent plus marquées, et que le goût qu’il témoignait pour sa société parût encore augmenté par le plaisir d’en jouir, il n’eut jamais l’air de douter un instant de ses engagements avec le chevalier, et ne manifesta ni desir ni intention de lui nuire.

Cette prévention faisait peu de peine à Cécile, parce qu’elle imaginait pouvoir la faire servir à lui procurer la facilité de connaître mieux son caractère, qu’elle n’aurait pu s’en flatter ; si, comme elle l’espérait, cette erreur une fois dissipée, il s’attachait plus sérieusement et avec plus de chaleur. Pour éclaircir pleinement ses doutes et sur le frère et sur la sœur, Cécile alla voir encore mademoiselle Belfield. Elle eut la satisfaction de la trouver beaucoup plus gaie, et d’apprendre que le noble ami de son frère, dont elle lui avait déjà parlé, et que Cécile avait précédemment soupçonné être le jeune Delvile, lui avait tracé un nouveau plan de conduite, au moyen duquel ses affaires pourraient se raccommoder, et lui-même se voir honorablement placé. Cependant Cécile, fâchée que Delvile crût que le chevalier Floyer eût encore des droits sur son cœur, résolut de ne plus laisser au hasard le soin de détruire cette erreur ; mais de s’adresser, sans perdre de temps, à son tuteur, M. Delvile, pour le prier de vouloir bien se charger de détruire les prétentions aussi ridicules que déplacées du chevalier. Par ce moyen, elle espérait, en se débarrassant de lui, s’assurer en même temps des véritables sentiments du jeune Delvile.