Célide/Dédicace

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La veuve Duchesne (p. v-x).

À MONSEIGNEUR DE A.B.E.E.E.H.L.M.R.S.S.

Monseigneur,

Entraînée par la vivacité de l’admiration que vous avez fait naître dans mon ame ; par ce ſentiment qui m’eſt commun avec tous ceux qui ſavent penſer ; j’oſe, ſous le voile qui dérobera ſans doute à tous les mortels & à vous-même, Monſeigneur, la connaiſſance de ma témérité ; j’oſe faire hommage au plus grand des hommes, des prémices de ma faible plume : quel hommage ! eſt-il digne !… Je m’arréte, étonnée de moi-même… ma raiſon, ſeriez-vous égarée ? Quoi, c’est à !……… & j’oſe…… mais on l’ignorera toujours : moi ſeule je le ſaurai. Quelle ſatiſfaction, dira peut-être quelqu’un, retirerez-vous d’une action ignorée ? Quelle ſatisfaction ! quoi ! en eſt-ce une légere de goûter la douceur de répandre des ſentimens que l’europe entiere partage avec moi ? Oui, Monſeigneur, oui, cette penſée occupera délicieuſement le reſte de mes jours ; rien ne pourra troubler le raviſſement qu’elle m’inſpirera. Cependant, ce que j’oſe vous adreſſer, ne parviendra pas juſqu’à vous. Ah ! ſi jamais il pouvait !… ſi un jour vos regards daignaient s’abbaiſſer !… pourriez-vous vous ignorer vous-même ?.. Mais, que dis-je ? vain eſpoir ! erreur enchantereſſe ! ceſſez d’étaler tous vos charmes ! Non, Monſeigneur, non, je ceſſe de me flatter. Au milieu des occupations ſublimes qui vous environnent : parmi les idées héroïques qui ſont l’eſſence de votre imagination ; je ſens toute l’impoſſibilité de mon aimable chimere. Je ceſſe donc de chercher d’autre ſatisfaction que celle que je trouve dans mon propre cœur. Du ſein de la retraite & de l’obſcurité, ma voix s’éleve pour dire que vous… Ah ! que ne puis-je vous nommer !… Orateurs ſameux eſprits profonds ! génies élevés ! venez tous ! déployez la délicateſſe & les graces de votre ſtyle ; que vos idées s’aggrandiſſent ! que vos ames s’élevent ! que vos cœurs s’enflamment ! ſurpaſſez-vous vous-mêmes ! vous aurez encore peu ſait pour louer mon Héros. Son nom eſt la ſeule louange qui ſoit digne de lui. Toute l’éloquence humaine ne pourrait rendre que faiblement ce que ce nom exprime. À ce nom, je crois voir tout l’Univers ému, ſaiſi, tranſporté, oublier ſes infortunes ; arrêter ſes pleurs ; ſuſpendre ſes alarmes ; ceſſer ſes fureurs, pour ſe livrer à la douce contemplation des vertus du ſage, dont ce nom à jamais immortel, préſente le vrai & raviſſant tableau ! Par-tout où vous vous avancez, Monſeigneur, voyez diſparaître le poiſon de la calomnie ; les horreurs de la jalouſie ; voyez les affreux ſerpens de l’envie s’enfoncer dans leurs ſombres retraites votre ſouffle ſeul les anéantit ; il leur eſt mortel ; ils ne peuvent habiter dans les lieux où vous reſpirez. Ah ! Monſeigneur, ô vous ! objet de l’amour & de la vénération de vos concitoyens, qui fiers de ce titre, s’applaudiſſent de voir envier à ces murs fortunés, la gloire de vous avoir vu naître ! que ne puis-je développer ce qui eſt concentré au dedans de moi-même ! que ne puis-je !… Ah ! qu’il eſt cruel pour moi de mettre ſi peu d’énergie dans mes expreſſions ! de ſentir tout de feu, & de peindre tout de glace ! Mais, je le répète encore ; il faudrait votre nom : ne pouvant le dire, je dois donc me taire ; & me renfermer dans le profond reſpect avec lequel j’ai l’honneur d’être,

Monseigneur,

Votre très-humble
& très-obéiſſante
ſervante,
M****