Célide/Seconde partie

La veuve Duchesne, 1775 (p. 9-347).

bookCélideMlle MotteLa veuve Duchesne1775À la Haye et se trouve à Paris.CSeconde PartieMotte - Celide - vol 2.djvuMotte - Celide - vol 2.djvu/79-347

CÉLIDE, OU HISTOIRE DE LA MARQUISE DE BLIVILLE

SECONDE PARTIE.

MAIS, ô Ciel ! que devint Mademoiſelle de Blémigni, en apprenant que ſon frere avait rendu le dernier ſoupir. — Quoi ! s’écriait-elle, d’un air égaré : Il n’eſt plus… Mon frere ! Mon cher frere !… Pour jamais, c’en eſt fait… Je ne vous verrai plus…… — Le Comte ſentit auſſi très-vivement la perte de ſon ami : Célide, la tendre Célide mêlait ſes pleurs à ceux de ſa malheureuſe amie, qu’elle arracha du Château de Blémigni, dont le ſéjour, dans ces momens fatals, ne pouvait que lui être horrible, en redoublant à chaque inſtant ſa douleur ; & le Comte ſe chargea d’avoir ſoin des obſéques de ſon ami.

La triſte de Blémigni, arrivée chez le Comte de Bricour, s’était retirée dans le cabinet de Célide, avec cette aimable fille, qui, à côté d’elle, tenait une de ſes mains entre les ſiennes, qu’elle arroſait de larmes, ſans chercher à la conſoler autrement : maniere plus efficace, pour une ame ſenſible, que toutes ces vaines paroles, qu’emploient les indifférens, & qui ne font que révolter le cœur de ceux à qui elles s’adreſſent, quand ils ſont véritablement affligés.

Célide n’employait donc, ainſi que je viens de le dire, que le muet langage de ſes pleurs, pour diminuer le déſeſpoir de Mademoiſelle de Blémigni, qui, par les ſanglots qui lui échappaient de tems à autre, aurait attendri l’ame la plus inhumaine : elle gardait un profond ſilence : ſes pleurs coulaient quelquefois avec abondance ; & l’inſtant d’après, ſes yeux étaient ſecs. Dans un de ces intervalles, où ſon affliction n’était exprimée que par ſes ſombres regards, où les cruels ſentimens, qu’elle éprouvait, étaient ſi bien peints, qu’ils inſpiraient une ſorte de terreur ; elle les attacha fixement ſur Célide, & appercevant ſes larmes : — Vous pleurez, lui dit elle, en retirant bruſquement ſa main ; vous pleurez, Mademoiſelle ! Ah ! pleurez, & que vos larmes ne tariſſent jamais ! Vous ne pouvez trop en répandre, pour les maux que vous avez cauſés. C’eſt vous, cruelle : c’eſt vous, qui avez mis dans le ſein de l’infortuné de Blémigni, le funeſte poiſon, qui me prive pour toujours, d’un frere que je chériſſais, & qui méritait ſi bien toute ma tendreſſe. Ah ! s’écria Célide ſuffoquée de douleur, par ces cuiſans reproches ; de quoi m’accuſez-vous ? qui ! moi ! j’ai contribué à l’événement, qui eſt l’objet de mes regrets, ainſi que des vôtres ? Ah ! s’il eſt vrai que j’en ſois l’auteur, quoi qu’involontairement ; percez ce cœur, que vos reproches viennent de déchirer bien plus cruellement ! immolez cette infortunée victime aux mânes de de votre frere ! vengez ſa mort par la mienne ! délivrez-vous d’un objet plein d’horreur ! Inhumaine, reprit. Mademoiſelle de Blémigni, en l’embraſſant ; charmante enchantereſſe ! qui pourrait entendre les accens de cette voix, dont la douceur a tant de charmes, ſans être attendri ? Mais, pourquoi avez-vous eu tant de barbarie, pour un homme qui vous adorait ? — Eh ! diſpoſe-t-on de ſon cœur comme on le ſouhaiterait ! Ah ! Mademoiſelle, conſultez le vôtre ; & demandez- lui, ſi, depuis que de Séminille lui eſt cher, il aurait pu ſe donner à un autre ? — Au nom de Séminille, Mademoiſelle de Blémigni repouſſa Célide avec un geſte, qui ſemblait marquer beaucoup d’averſion : elle ſut s’aſſeoir au bout de la chambre, & retomba dans un abattement, & un ſerrement de cœur, qui ne lui permit plus de ſoulager ſa douleur par des larmes. Célide était bien affligée de l’état de ſon amie, qui ſemblait preſque démontrer un égarement d’eſprit : elle n’oſait, ni lui parler, ni s’approcher d’elle, dans la crainte d’irriter ſon violent déſeſpoir. Cet état apparent d’inſenſibilité continuant toujours, les Médecins ſurent mandés ; & à l’aide de leur art, elle recouvra enţierement ſa raiſon, & n’eut plus cette ſombre douleur, qui, en ſe renfermant en elle-même, avait ſait tout craindre pour ſa vie ; mais l’infortunée de Blémigni, n’en ſentit que mieux toute l’étendue de la perte qu’elle venait de faire : elle était inconſolable : ſon affliction, qui pour lors, s’exhalait par des torrens de pleurs, dont elle avait toujours le viſage inondé, pénétrait ceux qui en étaient les témoins. Mais en reprenant la liberté de ſe plaindre, Célide ceſſa de lui être odieuſe, & elle reprit pour elle, ſes mêmes ſentimens.

Fin de la ſeconde & derniere Partie.