Célide/Première partie

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La veuve Duchesne (p. 1-412).

CÉLIDE, OU HISTOIRE DE LA MARQUISE DE BLIVILLE

PREMIÈRE PARTIE.

Célide, dont j’entreprends d’écrire l’Hiſtoire, était une de ces perſonnes rares, favoriſées des plus précieux dons de la nature. Vertu, modeſtie, généroſité, eſprit, beauté ; en un mot, toutes les qualités qui peuvent plaire, ſe trouvaient réunies en elle.

Mais avant de rien dire de plus de notre Héroïne, il ſaut reprendre les choſes d’un peu plus haut, & parler des Pere & Mere, qui eurent le bonheur de donner le jour à cette admirable fille. Le Comte de Bricour, dont les Ancêtres s’étaient toujours diſtingués par leur attachement pour le Souverain, par leur zèle pour la Patrie, devait eſpérer, qu’en marchant ſur leurs traces, il acquerrait du moins l’eſtime de ſon Prince ; cependant, le contraire arriva ; après avoir, pendant trente-trois ans, prodigué ſon ſang pour ſon Roi, avoir eu le corps tout couvert de bleſſures, avoir épuiſé preſque tout ſon patrimoine pour ſon ſervice, il n’en reçut aucune récompenſe ; il fut déſſervi à la Cour par des courtiſans jaloux, qui ne pouvant lui ôter ſa gloire, lui ôterent au moins la faveur du Prince.

Le Comte, qui était naturellement Philoſophe, regarda d’un œil ſtoique, l’injuſtice qu’on lui faiſait, & réſolut, ſans murmurer, d’aller paſſer le reſte de ſa vie avec ſa femme & ſa fille, dans une petite terre, à ſoixante lieues de Paris, le ſeul bien qui lui reſtait. La Comteſſe ſoutint ſon infortune avec la même fermeté : la tendreſſe qu’ils avaient l’un pour l’autre les eût conſolés dans leur diſgrace, ſi l’intérêt de leur chere fille, (qui eſt cette Célide :) ne leur eut fait ſouhaiter bien ſouvent des richeſſes qu’ils n’avaient jamais déſirées pour eux-mêmes.

Célide n’avait alors que quatorze ans ; & quoiqu’elle ſût auſſi capable de ſentir le poids de ſon malheur, que ſi elle eût été dans un âge plus avancé, elle n’en parut pas plus mélancolique ; craignant d’ajouter aux chagrins des Auteurs de ſes jours, qu’elle ſavait n’être affligés, que pour elle.

Le Comte & la Comteſſe, s’attacherent dans cette ſolitude, à perfectionner l’éducation de leur aimable fille ; à lui inſpirer de l’amour pour la vertu, & du mépris pour les richeſſes : Ma chere Célide, lui diſait un jour la Comteſſe ; ſi vous voulez être heureuſe, ne donnez pas à l’ambition, l’entrée de votre cœur : cette funeſte paſſion empoiſonnerait vos plus beaux jours ; quoiqu’on faſſe pour elle, on ne peut la ſatisfaire : ſes jouiſſances même ſont des tourmens, & ne valent pas le repos dont vous jouiſſez ici. Ah ! Ma dame, s’écria Célide ; que je plains les ambitieux, — s’ils ſont tels que vous le dites ! s’ils ſont tels ? croyez ma fille, croyez que quelqu’énergique, que vous paraiſſe le trait dont je viens de les peindre, il eſt encore bien faible auprès de la vérité. Il eſt encore une autre paſſion non moins dangereuſe, c’eſt l’amour : ah ! ma fille, écoutez attentivement, ce que j’ai à vous dire ſur ce ſujet ; & gravez le dans votre cœur, en caracteres ineffaçables : l’amour plaît, il flatte à ſon premier abord ; mais que ces momens ſont courts ! il n’eſt point pour le cœur de plus mortel poiſon ; ne croyez pas, ma fille, être aimée, parce qu’on vous le dira, fuyez ceux qui vous feront de pareils aveux comme vos plus cruels ennemis : ne vous laiſſez ſéduire, ni par la figure, ni par l’eſprit : penſez en vous-même, que ces dehors attrayans, cachent une ame perfide. — Quoi, ma mere, tous les hommes ſont donc trompeurs ? — ils ne le ſont pas tous ; mais le nombre des autres eſt ſi petit, que le plus ſûr eſt de ne ſe fier à aucun ; ſachez auſſi Célide, qu’une fille vertueuſe, ne doit point avoir d’affections ignorées de ſes pere & mere. —

C’était ainſi, que cette tendre mere, tâchait d’aſſurer le bonheur de ſa fille. Que Célide aurait été heureuſe, s’il avait plu au ciel, de la lui laiſſer plus longtems ! mais elle était deſtinée à éprouver les coups les plus rudes, dont un cœur ſenſible puiſſe être frappé.

La Comteſſe vécut dans cette retraite pendant ſix mois, dans la plus parfaite ſanté : mais au bout de ce tems, elle tomba dans une langueur, qui alarma ſon époux & ſa fille. En proie à des inſomnies continuelles ; ſe refuſant même à la nourriture ; le commerce du monde lui était devenu inſupportable ; une anxiété ſecrette, dont elle-même ne pouvait rendre raiſon, émpoiſonnait tous ſes momens ; & les plus célébres médecins qui avaient été mandés, ne donnaient qu’une très faible eſpérance du retour de ſa ſanté : Célide, de ſon côté, voyant l’état de ſa mere, vivait dans les larmes, & paſſait les nuits, livrée à la douleur, comme ſa mere aux ſouffrances. Sa femme de chambre, eſſayait vainement de la conſoler : Ah ! ma chere Angélique, (c’eſt ainſi que cette fille ſe nommait.) Quand je penſe, que peut-être dans peu, je ſerai privée pour toujours d’une mere que j’adore ; la raiſon ne peut rien ſur mon déſeſpoir. Tendre mere ! quoi ! je ne vous verrais plus ! — Ces paroles étaient toujours entrecoupées de ſanglots. — Mais, mademoiſelle lui diſait Angélique, vous pleurez ſur ſes dangers, comme vous pleureriez ſur ſa perte. — Ah ! ce coup me donnerait la mort je ne ſurvivrai point à ma mere. — L’aimable Célide ne ſe contraignait que devant la Comteſſe ; encore était-ce avec les plus grands efforts ; & l’on peut dire qu’elle avait le ſourire à la bouche, & le déſeſpoir dans le cœur.

Le Comte de Bricour, de ſon côté, n’était pas moins affligé que ſa fille : il allait ſouvent ſe promener dans un petit bois attenant à ſon jardin, où il goûtait la triſte ſatisfaction de pleurer en liberté. — Ciel, diſait-il ; eſt-ce ainſi que vous récompenſez la réſignation que j’ai pour vos volontés ! j’ai ſupporté ſans me plaindre, l’ingratitude dont on a payé mes ſervices ; j’étais né pour vivre dans les honneurs, j’ai vécu ſans murmurer dans l’obſcurité : eſt-ce un trop léger châtiment de mes fautes ? faut-il encore m’ôter une épouſe que j’idolâtre ! jettez les yeux ſur cette fille infortunée : que ſon innocence vous attendriſſe ! conſervez lui ſa mere ! Enfin, le Comte, quand il était ſeul, s’abandonnait comme Célide, aux ſoupirs, & aux larmes ; & devant la chere épouſe, il affectait une auſſi grande tranquillité, que ſi ſa guériſon eût été certaine. Malgré leurs précautions, l’infortunée Comteſſe liſait dans l’ame de l’un & de l’autre, & en avait le cœur déchiré : elle ſentait bien que ſon mal était mortel, & elle feignait auſſi bien qu’eux pour les raſſurer à ſon tour.

Cependant, ſe ſentant un jour beaucoup plus mal, elle les fit appeller tous deux, & leur tint ce diſcours. Mon cher époux, & vous ma chere fille, ne nous abuſons pas plus longtems mutuellement : vous avez voulu me cacher vos douleurs, & moi, mes maux : & aucun de nous n’y a réuſſi. Voici le moment où tout déguiſement ſerait inutile ; je ſens que ma fin s’approche : employons donc les courts inſtans qui nous reſtent à étre enſemble, à ne nous pas quitter, puiſqu’il faut nous ſéparer bientôt pour toujours. Pendant que la Comteſſe parlait, le Comte & Célide avaient les yeux mouillés de larmes. — Chere épouſe, s’écria le Comte ; ah ! que nous dites-vous. faites uſage de toute votre raiſon, mon cher Comte ; ainſi que toi, ma chere Célide, ajouta-t-elle, en entendant les ſanglots qui lui échappaient, & qu’elle s’efforçait vainement de retenir. Songez que ce qui arrivera dans peu, ne ſerait arrivé qu’un peu plus tard ; la loi de la nature, eût ſait ce que la rigueur du ciel ordonne ; mon cher Bricour, vous me reverrez dans ma fille ; & toi, Célide, tu pourras ſupporter ma perte, avec le pere que le ciel t’a donné. — Ah ! ma mere ! ma tendre mere ! s’écria Célide, en ſe précipitant entre ſes bras : ne nous accablez pas, je vous en conjure, par un diſcours ſi cruel : laiſſez-nous eſpérer que le ciel touché de nos pleurs, va vous rendre à nos vœux ! Je le ſouhaite, mon enfant, plus que je ne l’eſpere, répondit la Comteſſe les larmes aux yeux. Pendant cette ſcène attendriſſante, la violence des ſentimens qui agitent le Comte, empêche ſes pleurs de couler. Il regarde ſa femme & ſa fille, les yeux egarés ; en un mot, tout en lui, exprime le déſeſpoir le plus viſ. Enfin, il les prend l’une & l’autre dans ſes bras, & couvre de larmes le viſage de la mere & de la fille ; quant à la Comteſſe, toute ſa fermeté l’abandonne ; elle ſoupire, elle pleure, elle ſe plaint avec eux. On n’entendait que ces mots : — chere épouſe ! — aimable époux ! — Adorable mere ! — Ma chere fille : — il ſaut donc nous quitter pour toujours ! — Cette ſcène touchante dura près d’une heure, & aurait encore duré plus longtems, ſi la Comteſſe la premiere ne l’eût interrompue : cette reſpectable femme, faiſant un dernier effort ſur elle-même, ſeche ſes larmes, ſe dégage de ces douces étreintes qui attendriſſent trop ſon cœur ; & les regardant d’un air un peu ſévere, quoique ſort touchant : — Qu’eſt donc devenu, dit-elle à ſon mari, ce ſtoïcien, dont rien ne pouvait ébranler l’âme ? Quoi ! La deſtruction d’une ſimple mortelle ſait couler ſes pleurs ! ah ! mon cher Comte ! je ne reconnais plus en vous, cette fermeté qui vous caractériſait ſi bien : — & toi, ma fille, qu’as-tu ſait de toutes les leçons que tu as reçues de ta mere ? ne t’ai-je pas dit cent ſois, qu’on devait ſouvent regarder comme un bien ce qui paraît un mal à nos faibles regards : qu’il ſaut remercier le ciel de tout, & baiſer la main qui nous frappe. — La Comteſſe eut à peine achevé ces mots, qui ſurent les derniers de ſa vie, qu’elle tomba dans une faibleſſe, qui enleva de la terre, la plus digne & la plus vertueuſe des femmes.

De quelles expreſſions me ſervirai-je pour rendre la douleur du Comte & de Célide après ce ſatal événement ? Peu s’en ſaut que je n’imite ce peintre, [1] qui ayant à repréſenter l’affliction, qu’Agamemnon reſſentait du ſacrifice d’Iphigénie, & qui déſeſpérant de pouvoir atteindre à ce degré de perfection, lui couvrit le viſage d’un voile pour faire voir, que les grandes douleurs ſont inexprimables.

Cependant, pour ſatisfaire la curioſité de mes lecteurs, je vais leur tracer, autant qu’il me ſera poſſible ce touchant tableau.

À la mort de la Comteſſe, le Comte & Célide s’évanouirent, & ne revirent le jour, que pour vouloir attenter à leur vie ; on ſut obligé d’éloigner d’eux, tous les inſtrumens meurtriers, qui pouvaient ſervir à leur perte. Ils ſurent près de quinze jours dans ce funeſte état ; la douleur leur ſervant preſque ſeule d’alimens : lorſqu’en revenant à eux, les yeux du pere & de la fille ſe rencontrerent, ils fondirent tous deux en larmes : Ah ! ma fille ! ah ! Mon pere ! furent les premieres paroles, qu’ils eurent la force de prononcer. Le Paſteur du lieu, vieillard reſpectable par ſa piété, attendait un moment plus calme, pour leur adreſſer les conſolations de la Religions ce ſaint homme, voyant enfin qu’un ſentiment plus doux, avait ſuccédé à l’horreur des premiers, s’approcha d’eux, & leur dit : — monſieur & mademoiſelle, la perte que vous faites, n’exige que trop, les larmes que vous verſez ; mais pour ne pas offenſer le ciel ; il ſaut mettre des bornes à ſa douleur ; vous avez voulu attenter à des jours, qui ne vous appartienent pas, puiſqu’ils ſont à Dieu ; & ce ſerait y attenter de nouveau, que de vous aban donner à l’excès du déſeſpoir celle que vous pleurez n’eſt morte qu’à la terre ; & les vertus nous donnent lieu de penſer qu’elle habite le ſéjour de la félicité : en ſuivant le chemin de cette même vertu, qui aſſure un bonheur éternel, à l’objet de vos regrets, vous ayez l’eſpoir de le rejoindre, pour n’en être plus ſéparés : quoi ! toujours des larmes, continua-t-il, embrâſé du ſaint zéle qui l’animait ; ah ! réjouiſſez-vous plutôt de l’heureuſe demeure dont elle a pris poſſeſſion : penſez que la terre eſt un paſſage, qu’elle n’a quitté qu’un peu plutôt que vous. — L’onction avec laquelle ce ſaint homme parlait, adoucit la vive amertume, qui régnait dans le cœur du Comte & de ſa fille. L’eſpérance qu’il leur donnait de ſe réunir un jour à la Comteſſe ; ſervit d’antidote à la douleur qui les dévorait. Le tems qui remédie ſeul aux : maux de l’ame, y contribua plus encore que les diſcours de leur Paſteur. Mais ils ne perdirent jamais le ſouvenir de celle qu’ils avaient tant aimée : elle faiſait preſque toujours leur unique entretien de Comte ſe rappellait les vertus & la beauté de ſon aimable épouſe & Célide, les bons exemples qu’elle avait reçus de ſa mere il n’y avait pas une parole de la Comteſſe, qu’elle n’eût retenue, & qui n’eût pris la forme d’un précepte dans ſon cœur. Elle repaſſa dans ſon eſprit tout ce qu’elle lui avait dit dé l’ambition, & de l’amour ; & elle réſolut fermement d’être en garde contre ces deux paſſions. Hélas ! que cette réſolution fut vaine ! le moment approche où ſon cœur va connaître une ſenſibilité nouvelle à laquelle elle ſe flattait inutilement d’échapper. Mais pour faciliter l’intelligence de la ſuite de cette hiſtoire ; il eſt néceſſaire d’inſtruire le lecteur, de quelle maniere, le Comte & ſa fille vivaient dans leur château.

Le Comte de Bricour ne voyait preſque perſonne ; la compagnie qui lui, plaiſait le plus, était celle de ſa chere Célide, qui avait autant d’agrémens dans l’eſprit, que dans la ſigure : ſes amuſemens étaient la chaſſe, la promenade, & la lecture. Ce dernier ſaiſait principalement celui de mademoiſelle de Bricour ; quant à la promenade, ce n’était jamais, que dans les jardins du château, qu’elle en prenait le plaiſir ; elle s’occupait auſſi à quelques petits ouvrages propres aux perſonnes de notre ſexe, où elle excellait admirablement ; mais cette charmante fille excellait en tout.

Deux ans s’étaient écoulés depuis la mort de la Comteſſe ; lorſqu’un jour le Comte étant allé faire une tournée autour de ſon château, entra dans un bois, qui en était un peu éloigné, & s’y enfonça en rêvant à ſon aimable femme, qui occupait encore vivement ſon cœur : l’obſcurité de la nuit qui commençait à paraître, n’étant que plus propre à ſes ſombres penſées, ne lui fit point diſcontinuer ſa promenade ; il s’avance toujours arrivé au milieu du bois, il entend du bruit, auſſitôt il leve les yeux, & voit venir à lui trois hommes : deux s’avancent pour le ſaiſir, & le troiſieme s’approche le piſtolet à la main : à cet aſpect, le Comte rappellant tout ſon courage, ſe recule, tire ſon épée & en bleſſe un ; mais, c’était en vain qu’il ſe défendait il allait ſuccomber, ſi le ciel, protecteur de la vertu, ne lui eût envoyé du ſecours.

Le Marquis de Bliville, (fils du Duc de ce nom ;) Colonel d’un des premiers Régimens d’Inſanterie de France, qu’il allait joindre à *** paſſait dans ſa chaiſe, avec quatre domeſtiques, un peu plus loin de l’endroit où le Comte était attaqué ; entendant un coup de piſtolet, il ordonne à ſes gens d’arrêter ; il ſe précipite à terre, l’épée à la main, & dirigeant ſes pas vers le bruit qu’il avait entendu, ſuivi de ſes domeſtiques, il s’approche & apperçoit le Comte qui ſe défendait ſeul, contre ſes aſſaſſins : — Courage, monſieur, lui cria le Marquis, en ſe rangeant de ſon côté avec les ſiens qui, auſſi-bien que lui, mirent tous le piſtolet à la main. Mais, à peine eurent-ils le tems de ſe mettre en défenſe, qu’ils virent ſortir d’entre les arbres, ſix hommes armés de même que les premiers. Le Marquis fit des prodiges de valeur, ainſi que le Comte ; ſes valets même, ſeconderent leur maître, plus vaillamment qu’on n’aurait dû l’attendre de ces ſortes de gens : ſur-tout un d’eux, nommé la forêt, qui lui étoit ſinguliérement attaché. Le Comte tua un de ces brigands, en mit deux hors de combat ; & le Marquis en tua trois de ſa propre main ; mais il reçut un coup de piſtolet, dans le bras droit, & un autre dans la hanche du côté gauche : la forêt en reçut auſſi un à l’épaule ; ce brave garçon s’étant mis devant lui, pour lui faire un rempart de ſon corps.

Quand le Comte fut délivré du danger qu’il avait couru, il ſe tourna avec précipitation vers le Marquis pour lui faire ſes remercimens ; mais quelle fut ſa douleur, quand il l’apperçut bleſſé, & à demi évanoui dans les bras de ſes gens. Car le Marquis ayant toujours combattu malgré ſes bleſſures, ſes forces s’étaient totalement épuiſées. — Que l’état où je vous vois, généreux inconnu, s’écria-t-il ; empoiſonne la vie que vous m’avez conſervée ! — Auſſi-tôt, il le fait remettre dans ſa chaiſe & conduire, chez lui ; quand on eut deſcendu le Marquis, on le tranſporta ſur un lit, où il perdit entiérement connaiſſance.

Le Comte donna ordre à un de ſes domeſtiques, d’aller promptement chercher les Chirurgiens, & revint dans la chambre où était de Bliville, qui commençait à reprendre ſes ſens : un moment après, le Comte s’étant informé où était ſa fille, on lui dit qu’elle était dans ſon cabinet, il y fut à l’inſtant, & la trouva qui liſait tranquillement, n’ayant rien entendu de tout ce qui s’était paſſé. Mais ; quel ſut l’effroi de Célide ! lorſqu’en s’approchant de lui, elle apperçut des traces de ſang, en pluſieurs endroits de ſon habit. Ciel ! que vois-je : s’écria-t-elle, en pâliſſant & en ſe laiſſant retomber ſur ſa chaiſe ; mon pere ! ah ! ſeriez-vous bleſſé ? non, ma chere fille, non : lui dit-il, en lui prodiguant les plus tendres careſſes : ne crains rien pour ton pere. Le danger n’exiſte plus ; — & alors il lui raconta le péril qu’il avoit couru, & comment il en avait été garanti, ainſi qu’on l’a vu plus haut. Pendant ce récit, la terreur avait été peinte ſur le viſage de Célide ; mais quand le Comte eut achevé de lui dire ce qu’il devait au Marquis : la reconnaiſſance attendriſſant ſon cœur, elle fondit en larmes. — Que ne puis-je, dit-elle, au prix de mon ſang, guérir dans le moment, le généreux mortel, à qui je dois le bonheur de vous embraſſer ! — Comme elle achevait ces mots, on vint avertir le Comte, que les chirurgiens étaient arrivés : il repaſſa alors dans la chambre du Marquis, dont ils viſiterent les bleſſures. Celle qu’il avait au bras, ne ſut pas trouvée conſidérable, la balle n’ayant paſſé que dans les chairs. Mais celle de la hanche, ſans paraitre mortelle, était très-dangereuſe : les Chirurgiens donnerent cependant beaucoup d’eſpérance de ſa guériſon, & reſterent auprès de lui, en lui recommandant le ſilence ; de ſorte que quelque deſir, qu’eut le Comte de lui parler, pour lui témoigner encore, plus vivement qu’il n’avait fait, toute ſa reconnaiſſance ; l’intérêt de ſa ſanté l’en empêcha : quant à la Forêt, ſa bleſſure fut trouvée aſſez légere.

Le lendemain matin, dès que le Comte ſut éveillé, il envoya ſavoir des nouvelles du Marquis, qui ſe trouva auſſi bien que ſon état pouvait le permettre : dès qu’il ſut levé il paſſa dans ſon appartement pour s’en informer à lui-même. Le Marquis, après l’avoir remercié de ſes ſoins, lui dit que dès qu’il pourrait être tranſporté… mais à ce mot, le Comte l’interrompant vivement : — arrêtez, s’écria-t-il ; de grace, généreux Marquis, ne continuez pas, je vous en conjure, un diſcours ſi outrageant pour un homme, qui vous doit le jour qu’il reſpire ! C’eſt plutôt au hazard, qu’à moi, (qui n’ai fait que ce que tout autre aurait fait à ma place) que vous en êtes redevable. Ah ! ne penſez pas, dit le Comte, diminuer le ſervice que vous m’avez rendu ; & dont je ne pourrai jamais m’acquitter : mais, continua-t-il, j’ai une fille à qui vous m’avez conſervé, qui eſt pénétrée pour vous de reconnaiſſance, qu’elle va venir vous témoigner dans l’inſtant, ſi vous le permettez : — & auſſi-tôt il paſſa dans la chambre de ſa fille, à qui, il préſenta la main pour la conduire dans celle du Marquis, où elle ne ſut pas plutôt, que prenant la parole, avec les graces qui lui étaient ſi naturelles & un certain air attendri qui la rendait encore plus charmante, elle lui dit : — je vous dois tant, monſieur, que quelqu’énergiques que ſoient mes expreſſions, elles ne vous pourront jamais offrir le plus léger équivalent des ſentimens de gratitude dont mon cœur eſt pénétré. — Ah ! mademoiſelle ! dit le Marquis, en la regardant avec un viſage où le reſpect & l’admiration étaient peints ; épargnez moi, je vous en ſupplie, un diſcours que je ne mérite pas : je ne ſuis que le faible inſtrument, dont il a plû au ciel de ſe ſervir pour vous conſerver votre reſpectable pere : trop heureux ! duſſai-je en perdre la vie, qu’il m’ait jugé digne d’y être employé. — Le Marquis en aurait dit davantage, mais les chirurgiens l’en empêcherent, en lui diſant que le ſilence lui était abſolument néceſſaire ; & qu’il n’avait déja que trop parlé. À ces mots, le Comte & Célide ſe retirerent. De Bliville ne put voir ſortir mademoiſelle de Bricour, ſans ſentir que ſon cœur en murmurait ; s’il en avait ſuivi les mouvemens, il ſe ſerait volontiers plaint à ceux qui le privaient de ſon agréable compagnie. Rien n’était comparable en effet à Célide qui avait alors dix-ſept ans. Auſſi fit-elle de profondes impreſſions, dans l’ame du Marquis, qui avait cependant vû tout ce qu’il y avait à la Cour, de plus charmantes perſonnes. Mais il trouvait que Célide les effaçait toutes. Il eſt vrai qu’il y en avait peu d’auſſi accomplies : ſes yeux étaient bleus ; l’eſprit, la vivacité, la douceur, & la modeſtie, y étaient peint et des cheveux blonds d’une beauté. incomparable, accompagnaient ſon teint, qui était d’une blancheur éblouiſſante. On y voyait toujours un coloris de roſes, qui, ſans avoir rien de factice, avait le plus grand éclat, qui en donnait encore un nouveau aux charmes de ſon aimable viſage. — Qu’elle eſt adorable ! diſait le Marquis, en lui-même : quelle diginité dans ſon air ! quelle nobleſſe dans ſes expreſſions ! — enfin, il y avait des momens où il ſe rejouiſſait en quelque ſorte de ſes bleſſures, qui faiſaient qu’il reſterait plus long-tems chez le Comte de Bricour ; où, il pourrait connaître Célide plus particuliérement : ainſi, au lieu de chercher à bannir de ſon cœur, l’image qui le lui enlevait, il cherchait au contraire à l’y imprimer d’une maniere indélébile.

Célide de ſon côté, penſait très favorablement, ſur le compte de de Bliville, qui, à la vérité, était ſort aimable : il avait ving-trois ans, était grand, bien ſait, & de la figure la plus intéreſſante : joint à cela, il était brave, (ce dont on vient d’avoir des preuves,) généreux ; d’une affabilité, (ſans oublier ſon rang,) qui le faiſoit adorer de tous les inférieurs ; d’une complaiſance, qui le faiſait chérir de ſes ſupérieurs & de ſes égaux ; & outre tout cela, il avait l’eſprit le plus tranſcendant. Célide ne put être inſenſible à tant de mérite ; le cœur, juſqu’à ce moment, exempt de toutes paſſions, elle n’avait pas même la plus légère idée de l’amour : ſa tendreſſe raſſemblée route entiere ſur le Comte, lui faiſait croire qu’il en ſerait toujours le ſeul & unique objet. Mais la beauté de ſon ame, la délicateſſe & la généroſité de ſes ſentimens, l’on peut dire, ſa vive affection pour ſon pere ; furent des écueils, où ſe perdit ſa liberté : en effet ce fut la tendreſſe qu’elle avait pour ce pere, qui lui inſpira tant de reconnaiſſance, pour celui qui le lui avait conſervé ; & l’héroïſme de ſon ame donna encore à cette reconnaiſſance une énergie qui ſervit de voile à l’amour, pour s’emparer de ſon cœur ; & ce cœur, tendre & généreux, aima, avant de s’en appercevoir. Le Comte allait voir le Marquis, autant qu’il ſe pouvait, ſans troubler ſon repos ; & y menait ſa fille une fois par jour : de dire avec quelle impatience, de Bliville attendait ce moment ; c’eſt ce qu’il me ſerait impoſſible de rendre. Plus mademoiſelle de Bricour voyait le Marquis, plus ſon cœur s’engageait imperceptiblement, ſans qu’elle s’en apperçût ; & elle ne prenait les ſentimens qui l’agitaient, que pour ceux de la reconnaiſſance : mais l’événement qui ſuit, les lui fit connaître pour ce qu’ils étaient véritablement. Le Marquis, dont les bleſſures pendant douze jours, avaient été de mieux en mieux, empirerent ſi conſidérablement, la nuit du treiziéme, que l’on craignit tout pour ſa vie. Le Comte, le lendemain de cete funeſte nuit, entrant dans la chambre de Célide : ah ! ma fille, lui dit-il : le Marquis eſt bien mal, & l’on ne me répond plus de ſes jours : que je ſuis malheureux ! continua-t-il d’un ton pénétré ! je vois le plus généreux de tous les hommes, expoſé à perdre la vie, pour avoir conſervé la mienne. Célide à ces mots, pâliſſant, prête à s’évanouir : — ah ! mon pere, s’écria-t-elle ! ſerait-il vrai ? quoi ! le Marquis, le généreux Marquis ! ſes jours ſont en danger ! ciel ! conſervez les lui aux dépens des miens ! — Célide avait dit tout cela ſans ſavoir ſeulement qu’elle le diſait ; emportée par ſa douleur, elle n’avait écouté qu’elle : enfin l’affreuſe idée de la mort du Marquis, ſe préſentant à ſon trop ſenſible cœur, & ne pouvant la ſupporter ; elle tomba ſans ſentiment dans les bras de ſon pere, qui, aſſiſté de ſa femme de chambre, qui avait été préſente à ce diſcours, lui fit reprendre ſes ſens. Le Comte, quoiqu’il n’en témoignât rien pour lors, ne laiſſa pas d’être ſurpris de l’exceſſive affliction de ſa fille ; car, la reconnaiſſance, quelque forte qu’elle ſoit, ne produit gueres de pareils effets, pour une perſonne qu’on ne connaît que depuis douze jours : mais tous les domeſtiques étaient fâchés de l’état du Marquis, qui par une ſeule parole, gagnait plus de cœurs, que d’autres, par des bienfaits : ſes gens, ſur-tout à qui il avait défendu, de faire ſavoir à ſon pere, ce qui lui était arrivé, ſe déſeſpéraient, non-ſeulement, par l’attachement qu’ils avaient pour lui ; mais par les reproches, qu’ils s’attendaient à recevoir du Duc & de la Ducheſſe de Bliville, en leur allant porter la fatale nouvelle de la perte du ſeul enfant qu’ils avaient, & dont ils étaient idolâtres.

Mais le plus affligé de tous, était la Forêt, qui, comme je l’ai dit, avait été bleſſé en le défendant ; ſa bleſſure était alors preſque guérie : il était venu ſe ranger au chevet du lit de ſon cher maître, qui ne l’eut pas plutôt vû, qu’il voulut abſolu ment qu’on le laiſſât ſeul avec lui ; ce qu’il n’obtint qu’après les plus vives instances : quand ce fidéle domeſtique eut jetté les yeux ſur le Marquis, & qu’il l’apperçut pâle, la voix à demi éteinte ; ſes yeux ſe couvrirent de larmes ; lorſque de Bliville le regardant avec beaucoup de bonté, & lui tendant la main, — mon cher la Forêt, lui dit-il, je ſuis bien ſatisfait de l’affection, que tu parais avoir pour moi ; elle me fait voir que tu étais digne de la diſtinction que j’ai toujours faite de toi. d’avec tes camarades : mais ſi tu m’aimes véritablement, regarde plutôt la mort dont je vais être bientôt la proie, non comme un mal ; mais, comme un bien : écoute-moi attentivement : tu mérites toute ma confiance, & je vais te la donner ſans réſerve. — À ces mots la Forêt redoubla ſes pleurs ; — ah ! monſieur, s’écria-t-il : quel motif peut, à votre âge, vous faire regarder la vie avec tant d’indiſſérence. — Un trop aimable poiſon ! reprit de Bliville, en ſoupirant, dont mon cœur a déja ſenti tout le pouvoir, rendrait mes jours à jamais malheureux, ſi la Parque n’en tranchait le cours. Tu ſais, continua-t-il ; que, quand mon bras eut le bonheur d’être utile au Comte de Bricour, il me fit tranſporter ici, où il a eu de moi juſqu’à préſent, tous les ſoins que le plus tendre pere pourrait prendre : mais tu ignores que l’amour s’eſt emparé de mon ame, depuis que j’ai vu ſon aimable fille ; cette paſſion, qui dans ſes commencemens, fait, dit-on, goûter tant de douceur, ne m’a fait éprouver que les plus vives inquiétudes : les penſées les plus ameres ſont venues aſſaillir mon eſprit ; ne m’ont ſait entrevoir dans l’avenir que le ſort le plus infortuné : car, enfin, pourrais-je me flatter ſans témérité, de plaire à la charmante Célide ? & quand il ſerait vrai que je pourrais avoir un jour ce bonheur, je n’en ferais gueres plus heureux. Mademoiſelle de Bricour a de la beauté, de la vertu, de l’eſprit ; elle eſt d’un ſang preſqu’auſſi illuſtre que le mien ; mais malgré toutes ſes rares qualités, mon pere conſentirait-il à ſatisfaire ma paſſion ? des richeſſes qui lui manquent ; (richeſſes mépriſables devriez-vous tyranniſer les ames nobles !) ces frivoles avantages, dis-je, y mettraient un obſtacle inſurmontable : ainſi, ne pouvant jamais poſſéder la ſeule perſonne qui me peut rendre heureux ; juge quelle ſerait la rigueur de mon ſort ! Mais ſur le bord de la tombe, pourquoi penſer à l’avenir ? dans peu, je ne ſerai plus qu’un monceau de pouſſiere : je ne défirerais qu’une choſe pour quitter le monde ſans regret ; voir encore une ſois Célide ; lui dire que je l’adore ; que j’emporte pour elle dans le tombeau la plus reſpectueuſe tendreſſe : voilà ce que je ſouhaiterais ; ce que je ne pourrais certainement obtenir ; ce que je n’oſerais même demander ! Ah ! monſieur, quelle injuſte douleur ! eh ! comment pouvez-vous penſer, que vous ne plairez point à mademoiſelle de Bricour ? quoi ! jeune, fait à peindre ; de la figure la plus charmante ; d’un rang qui ne voit que les Princes au-deſſus de lui ; avec tant d’eſprit, tant de graces ; & ſur-tout après l’important ſervice que vous avez rendu à mon- ſieur le Comte, vous craignez de n’être pas aimé de ſa fille ? ah ! que de motifs ſe réuniſſent pour toucher ſon cœur ! Quant à monſieur le Duc, ſon affection pour vous, vous donne lieu de tout eſpérer. — Flatteuſe perſpective ! dit triſtement le Marquis : ah ! je ne te verrai jamais que dans l’éloignement ! ceſſe, la Forêt, ceſſe de préſenter à mon cœur, ce bonheur chimérique dont il n’eſt que trop prêt à ſe repaître avidement. Mais, pourſuivit-il, en levant les yeux au ciel, d’un air paſſionné ! Célide ! adorable Célide ! je mourrai donc ; & vous ignorerez l’amour, que le malheureux de Bliville a pour vous ! ſi du moins, je pouvais me flatter qu’une de vos larmes honorerait ma mémoire ; je m’eſtimerais heureux : non, la forêt, ajouta-t-il, en ſe tournant impétueuſement vers lui : non, je ne ſaurais quitter la vie, ſans voir mademoiſelle de Bricour ; & c’eſt de toi que j’attends cette ſatisfaction : ne me reſuſes pas ; & s’il te reſte quelques égards, pour les derniers ordres d’un maître mourant ; exécute, ponctuellement ce que je vais te dire : quoi ?… non…, je m’égare…… dis ſeulement au Comte, que je le ſupplie, de venir me trouver. Auſſi-tôt, la Forêt obéiſſant à ſon maître, va chercher le Comte de Bricour, qu’il prie de paſſer dans la chambre du Marquis ; en lui diſant qu’il le demandait inſtamment Le Comte y vole, & lui demande ce qu’il veut lui dire. — Ah ! cher Comte, dit le Marquis je ne ſais ſi j’oſerai vous demander ce que je deſire ſi ardemment : — ordonnez : je ne puis, ni ne dois rien vous refuſer. — Ah ! Monſieur reprit de Bliville ; la parole expire ſur mes levres ; mourons, continua-t-il, après avoir réfléchi quelques minutes ; mourons, avec notre ſecret. — Que vous m’affligez ! s’écria le Comte : je vois que vos réflexions, vous ont perſuadé, que je n’étais pas digne de votre confiance. — Ah ! interrompit précipitamment le Marquis ; ce n’eſt pas cela : mais, Comte, c’eſt une grace ; elle dépend de vous ſeul ; je voudrais & je n’oſe vous la demander, je crains vos refus ! Que votre crainte eſt injuſte ! fût-ce même ma vie ! Je ſuis prêt à vous la donner. — Le Marquis, pendant que le Comte parlait, changea vingt ſois de couleur ; mais ſe déterminant tout à coup ; — Monſieur, lui dit-il ; votre généroſité me raſſure, & m’encourage : je vous dirai donc : ciel que ſais-je faire !… Comte, depuis que j’ai vu… — En cet endroit, le Marquis s’arrêta en frémiſſant. — Continuez, mon cher Marquis, dit le Comte en l’embraſſant — ciel ! s’écria le Marquis ! oſerai-je vous dire que j’adore mademoiſelle de Bricour ! que je voudrais la voir ! & expirer en le lui diſant ! — Le Comte extrêmement ſurpris de l’aveu & de la priere que lui faiſait de Bliville, fut quelque temps ſans lui répondre.

Le Marquis s’en appercevant : — ah ! je vois bien, dit-il, que je n’obtiendrai pas la grace que j’ai implorée : mais, par pitié, ne me prononcez pas le cruel mot de refus : votre ſilence me fera aſſez voir, qu’elle n’eſt pas réſervée pour homme auſſi infortuné que moi ! — N’attribuez mon ſilence, dit le Comte, qu’à l’étonnement dont j’ai été frappé, en apprenant que ma fille, avait pu vous plaire : je ſais, monſieur, qu’elle ne peut jamais être à vous ; ce n’eſt pas que ſa naiſſance y puiſſe mettre obſtacle ; mais, peu favoriſée de la fortune, elle ne ſera jamais Marquiſe de Bliville je dois donc vous reſuſer, ſi je vous conſidere ſeulement, comme amant de ma fille : mais, en vous regardant (ainſi que vous l’êtes :) comme mon libérateur, je vous dois tout accorder : c’eſt auſſi en faveur de cette derniere qualité, que je conſens qu’elle paraiſſe à vos yeux ; mais, j’exige que dans ce que vous lui direz, il ne ſoit pas queſtion de ce que vous appellez votre amour. — Ah ! monſieur, révoquez, révoquez cet arrêt ſongez que c’est un mourant qui vous en ſupplie ; ne mettez pas, je vous en conjure, à la grace que je vous demande, une ſi cruelle reſtriction : laiſſez-vous attendrir à la priere d’un malheureux, qui donnerait ſon ſang, pour obtenir ce qu’il vous demande ! — Ah ! Marquis, s’écria le Comte ; vous avez bien du pouvoir ſur moi : je ſens que je ne puis rien vous refuſer : allons, il ſaut vous ſatisfaire : vos deſirs ſont pour moi des loix. — Le Comte paſſa auſſitôt à l’appartement de ſa fille, qui était fort triſte depuis qu’elle était inſtruite de l’état du Marquis : quand ſon pere entra, il la trouva dans l’attitude d’une perſonne, qui rêve profondément : elle était aſſiſe devant une table, ſur laquelle elle avait les coudes appuyés : au bruit que fit le Comte en entrant elle tourna la tête d’un air mélancolique ; lorſqu’elle l’apperçut, — eh bien ! lui dit-elle, en pâliſſant & en rougiſſant ſucceſſivement, dans la crainte où elle était, d’apprendre de ſâcheuſes nouvelles de de Bliville : eh bien ! le Marquis, mon pere ! Le Marquis ?… — eſt ſort mal, ma fille : répondit le Comte à qui ſon émotion n’avait pas échappée : aſſeyez-vous, continua-t-il ; & écoutez-moi attentivement. — Célide, ſuivant les ordres de ſon pere, s’aſſit ; il ſe plaça auprès d’elle, & lui parla ainſi. — Le Marquis, après avoir été long-tems avec un de ſes domeſtiques, l’a envoyé me prier de paſſer dans ſa chambre : vous pouvez juger avec quel empreſſement je m’y ſuis rendu : le Marquis n’a pas plutôt été ſeul, avec moi, qu’il m’a dit, avoir une grace à me demander : mais en même tems il en faiſait difficulté, par la crainte, diſait-il, d’être refuſé ! N’en ſoupçonnant pas la nature, je l’ai inſtamment prié de me dire, en quoi je pouvais l’obliger ; lui promettant de lui accorder, tout ce qui dépendrait de moi ; encouragé par mes paroles, il m’a ſait un aveu que j’étais bien éloigné d’attendre : vous le dirai-je, ma fille ? de Bliville vous aime, voudrait vous voir, & vous le dire : je lui avais promis qu’il vous verrait, à condition qu’il ne vous dirait rien de ſon amour ; mais je n’ai rien pu gagner ſur lui : enfin, vaincu par les obligations, que je lui ai ; par la reconnaiſſance, que je lui dois ; l’état où il eſt, (car on ne compte plus ſur ſa vie :)… — La pâleur de la mort, ſe peignit dans cet inſtant ſur le viſage de Célide ; ce dont le Comte s’appercevant : — qu’avez-vous ma fille ? lui dit-il vous trouveriez-vous mal ? — Non, mon pere : non, dit-elle, en tâchant, mais vainement, de ſe remettre. — Quelques larmes même lui échapperent, & s’attendriſſant par les réflexions douloureuſes qui l’occupaient : ſes pleurs coulerent avec tant d’abondance, qu’il lui fut impoſſible de les dérober au Comte. Ah ! ma fille, s’écria-t-il ; que ſignifient ces pleurs ? ſinon que vous n’êtes pas inſenſible au mérite du Marquis ! Songez, Célide, que vous ne pouvez eſpérer, quand-même il reviendrait à la vie, de vous unir à lui : le Duc de Bliville a des biens immenſes ; & vous ſavez quelle eſt la médiocrité des miens : ainſi, ma fille, vous devez bien penſer que vous ne ſerez jamais alliée aux de Bliville banniſſez donc de votre cœur, l’amour que je vois prêt à s’y gliſſer, s’il ne l’y eſt déjà ; mais, s’il y eſt entré, il ſaut le vaincre ; & à l’aide de votre vertu & des leçons que vous avez reçues de votre vertueuſe mere, vous êtes aſſurée d’être victorieuſe. — Ah ! mon pere, ne croyez pas que mes larmes coulent pour d’autres ſentimens que pour ceux que je dois à un homme qui vous a conſervé le jour. — Ah ! Célide, Célide, reprit le Comte ; vous n’êtes pas ſincere vous cherchez à cacher votre amour ſous le voile de la reconnaiſſance ; mais vous ne m’abuſez pas : avoue, ma fille, avoue-moi la vérité, que tu ne peux me déguiſer : viens, continua-t-il, en lui tendant les bras ; viens puiſer dans le ſein d’un pere qui t’aime, la force néceſſaire pour te défendre contre la perfide paſſion, qui, je le vois, m’a enlevé ta confiance. — Ah ! mon pere, s’écria-t-elle, en ſe précipitant dans ſes bras, qu’il lui avait ouverts : vous déchirez mon cœur, en me croyant capable d’avoir la moindre réſerve pour vous ; non, mon pere ; rien ne vous enleve ma confiance, & jamais rien n’en aura le pouvoir. — Tu en manques pourtant en cette occaſion. — Ah ! mon pere ! que faut-il faire, que faut-il dire pour vous prouver le contraire ? — M’avouer les véritables ſentimens que vous avez pour de Bliville. — Tous ceux de l’eſtime & de la reconnaiſſance. Acheves, ma chere fille : — Acheves & conviens qu’un ſentiment plus vif & plus tendre te fait verſer des larmes ſur le malheureux état où il eſt réduit : pourquoi vouloir me cacher ce que je n’ignore pas ? — Le Comte parlait ainſi à ſa fille avec une douceur très-propre à la raſſurer ; cependant, elle ſe défendit encore long-tems, avant de dévoiler ce qui ſe paſſait dans ſon ame : mais à la fin ne pouvant réſiſter aux tendres inſtances de ſon pere, — Eh bien ! lui dit-elle avec le plus grand trouble ; il eſt vrai…… que…… que…… les ineſtimables qualités du Marquis…… & plus que tout cela encore…… ce que je lui dois pour avoir ſauvé une vie, à qui la mienne eſt attachée ont fait naître… ont fait naître… dans mon cœur… un ſentiment, que tout autre que lui n’aurait pû produire ; & que ma raiſon juſqu’à préſent, m’avait toujours conſeillée de ne jamais recevoir… Mon pere ! Mon tendre pere ! continua-t-elle, en ſe dégageant de ſes bras, & en ſe jettant à ſes pieds, le viſage baigné de pleurs ; pardonnez à votre infortunée fille, un amour qu’elle a combattu autant qu’il lui a été poſſible : mais de grace, ſi vous penſez que je puiſſe encore le bannir ; ne me conduiſez pas chez le Marquis : épargnez-moi une vue qui allumerait trop ardemment un feu que je dois éteindre. — Ah ! ma fille ! dit le Comte, en la relevant & en l’embraſſant ; je ne puis refuſer à de Bliville le plaiſir de te voir après le lui avoir promis ; mais je penſe que Célide a aſſez de pouvoir ſur elle-même, pour ne regarder le Marquis, que comme elle le doit. Célide, eſſuyant donc ſes pleurs, & faiſant tous ſes efforts pour reprendre un air ſerein, ſuivit, toute tremblante, ſon pere chez ſon amant. De Bliville, qui l’attendait avec la plus vive impatience, treſſaillit quand il la vit entrer dans ſon appartement. — Ah ! Comte, s’écria-t-il ; que ne vous dois-je point ! Mademoiſelle : continua-t-il, en adreſſant la parole à Célide : je meurs ſatisfait… Nuit terrible ! qui venez me ſaiſir ! Horreurs du trépas ! Lugubres images ! funeſte tombeau ! vous me paraiſſez remplis de charmes ; vous faites mes plus cheres délices ; vous êtes un bien pour moi ! Divine Célide ; je vous adore il m’eſt donc pers mis de vous le dire. Ah ! ma mort eſt mon bonheur. — Pendant que le Marquis parlait, les yeux de Célide ſe couvrirent de larmes ; tous ſes efforts pour les arrêter fûrent vains : elle voulut lui répondre ; ſa langue ſe glaça ; elle tenait ſes regards baiſſés pour dérober ſes pleurs, & quelqueſois auſſi, elle les levait ſur le viſage de l’aimable Marquis, où elle appercevait toutes les apparences de la mort : que cette vue excitait de déſeſpoir dans ſon ame ! Enfin d’une voix où l’on remarquait beaucoup d’agitation. Pourquoi, Monſieur, lui dit-elle, pourquoi déſeſpérer de votre vie ? Ah ! pour moi, je penſe que le Ciel plus juſte la conſervera au généreux libérateur de mon pere. — Ce peu de paroles, quoiqu’elle n’eut rien répondu, ſur ce qu’il lui avait dit de ſa paſſion ; ſurent un baume ſalutaire pour les plaies du Marquis ; ſa pâleur diminua, & quelques unes des brillantes couleurs, qui ornaient ſon teint quand il était en ſanté, vinrent achever d’effacer les cruelles traces de la mort, qui peu auparavant avaient porté l’alarme dans le cœur de Célide : car enfin, il ne pouvait douter qu’elle l’eut entendu ; il avait même apperçu quelques-unes de ſes larmes ; & il penſa que la modeſtie, & la préſence de ſon pere, étaient les ſeuls motifs qui l’empêchaient de s’expliquer plus favorablement.

Le Comte fort ſurpris, du changement qu’il remarqua, dans l’inſtant ſur le viſage du Marquis, appella les Chirurgiens qui étaient dans une autre piéce, pour qu’ils ſuſſent témoins de cette heureuſe révolution. Les Chirugiens voulant voir en quel état étaient ſes plaies : Célide ſe retira ; & le Comte eut la ſatisfaction, après qu’on eut viſité ſes bleſſures, qui ſe trouverent fraiches & vermeilles, de recevoir la plus forte aſſurance, que le Marquis n’était plus en danger. Mais je ne puis rendre qu’imparfaitement, la joie dont Célide fut tranſportée, en apprenant ce que je viens de dire : elle n’oſa pas la faire paraître toute entere, devant ſon pere, qui ne laiſſa pas d’en connaître toute l’étendue, & qui la quitta, en ſoupirant de la grandeur de ſon amour pour de Bliville.

Mais quant à lui, il ne ſut pas plutôt ſeul, que la Forêt, ravi du ſubit & ineſpéré changement qui lui était arrivé, fut le trouver avec autant de marques de joie, que peu auparavant, il en avait données de triſteſſe. Quand il eut fait éclater toute ſa ſatisfaction ; — Eh bien ! lui dit le Marquis, j’ai vu Mademoiſelle de Bricour : elle ſait de ma propre bouche que je l’adore : elle l’a appris, à la vérité, ſans me répondre à ce ſujet ; mais elle m’a parlé de l’état où j’étais, dans des termes, (que peut-être la reconnaiſſance ſeule lui a inſpirés ;) mais qui m’ont cependant paru très-obligeants ; je crois même que ſes yeux ont verſé quelques larmes ; qu’elle s’eſſorçait de dérober aux miens. Ah ! Monſieur, — Que dit la Forêt ; j’ai quelque choſe à vous apprendre, qui, je penſe, ne vous laiſſera aucun doute que vous êtes aimé. m’as-tu dit ? s’écria de Bliville : elle m’aimerait, ah ! quelle douce illuſion préſentes-tu à mon cœur ? — Ce n’eſt point une illuſion, Monſieur ; & vous allez bien-tôt en être perſuadé. Et la Forêt l’inſtruisit alors de la vive douleur de Mademoiſelle de Bricour, en apprenant, que l’on craignait pour la vie ; il n’omit, ni les paroles qu’elle avait dites dans ſon effroi, ni ſon évanouiſſement, qui en avait été la ſuite : ainſi que la ſombre triſteſſe où elle avait toujours été plongée, depuis ce moment. Ce garçon tenait toutes ces circonſtances d’Angélique, qui les lui avait appriſes, fort ingénuement ; ignorant les ſentimens de ſa maîtreſſe pour le Marquis ; car Célide avait l’ame trop élevée, pour donner à une ſuivante la plus légère part en ſa conſiance ; — Quoi ! S’écria de Bliville, je pourrais me flatter ! je pourrais croire ! je pourrais penſer !… Mais, non, tu me trompes, ou, ſi tout ce que tu viens de m’apprendre, eſt vrai ; je ne puis l’attribuer qu’à la reconnaiſſance, dont l’exceſſive généroſité de ſon eſprit, la rend capable. — Mais, Monſieur, conſidérez un peu, je vous en ſupplie, que la reconnaiſſance, quelque forte qu’elle ſoit, ne produit pas de pareils effets ; & il n’y a que l’amour, qui ait pû produire ceux que je viens de vous raconter. — Ah ! la Forêt, dit le Marquis ; qu’on ſe perſuade aiſément ce qu’on ſouhaite ! Que je me plais à me flatter, que je ſuis aimé de la charmante de Bricour ! Tous les obſtacles dont je t’ai parlé, diſparaiſſent à mes yeux : toutes mes inquiétudes ceſſent ! fuyez ſiniſtres ennemis de mon repos : laiſſez-moi goûter à long-traits le charme de poſſéder le cœur d’un objet que j’adore. Ah ! Célide ! aimable Célide ! ai-je pû vous faire un inſtant l’injuſtice de penſer que mon pere balancerait à approuver la paſſion que j’ai pour vous. Quel délire ! car puis-je nommer autrement ; l’inſtant où cette idée a trouvé place dans mon eſprit. ? Quel égarement ! Pardonne-le-moi, ô amour ! Auteurs de mes jours ! Quand vous aurez vu Célide vous donnerez des éloges à ma flamme ; & ſon mérite vous paraîtra préférable à toutes les richeſſes de l’univers. — La Forêt n’était pas dans les mêmes ſentimens que le Marquis, dont l’amour troublait pour ainſi dire la raiſon, & la lui faſcinait par des preſtiges enchanteurs : mais il feignit d’entrer en ſes penſées ; dans l’eſpoir que ces agréables chiméres, tranquilliſant ſon eſprit, contribueraient à ſon rétabliſſement. En effet, le Marquis ayant l’imagination remplie de ſi riantes idées, ſut les réaliſer pour quelques inſtants dans les bras du ſommeil par des ſonges flatteurs ; mais, laiſſons-le goûter le repos dont il jouir, & revenons à notre Héroïne.

La joie qu’elle avait éprouvée en apprenant que de Bliville était hors de danger, ne fut pas plutôt amortie, qu’elle rentra dans l’affliction qui lui avait tous jours été aſſez ordinaire depuis la mort de la Comteſſe de Bricour : & qui s’était encore renouvellée par la paſſion, dont ſon cœur était atteint ; elle ſe rappellait l’effrayant tableau que la mere lui en avait ſait : — mais, diſait-elle enſuite ; croirai-je que le Marquis ſoit comme les hommes que ma mere m’a dépeints ? Non, ſans doute : je ne puis, ſans lui faire injuſtice, en avoir le plus léger ſoupçon : mais inſenſée ! reprenait-elle ; que peux-tu te promettre de ſon amour ? Un pere ambitieux & riche conſentirait-il jamais à le ſatisfaire ? Et ſais-je auſſi, ſi le Marquis m’aime véritablement ? Mais, quoi ! s’écriait-elle, il l’a dit à mon pere, à moi-même ; & prêt d’expirer, ſon ſeul ſouhait était de me voir ! C’eſt moi, (j’en ſuis certaine,) qui l’ai rappellé à la vie ; & je peux encore douter de ſa tendreſſe ! mais hélas ! plût au ciel que je n’en euſſe jamais été convaincue ! j’aurais moins de peine à bannir la mienne. En continuant ce triſte ſoliloque, Célide deſcendit au jardin où était le Comte de Bricour, occupé des ſentimens que ſa fille, & de Bliville avaient l’un pour l’autre, il y rêvait triſtement dans un cabinet de verdure ; il entendit marcher, & appercevant au travers des feuillages Célide, il ne ſortit point de ce lieu, pour obſerver ſur ſon viſage, (preſque toujours fidèle interprête de la ſituation de notre ame, quand nous ſommes ſans témoin,) pour obſerver, dis-je, les ſentimens qui l’agitaient : il la vit s’avancer d’une démarche lente & d’un air mélancolique. Quand elle fut proche du cabinet où était le Comte, elle s’aſſit ſur un gaſon qui était à côté, & ſe croyant ſeule, elle ſe livra à toute l’amertume de ſes penſées : & jettant des regards ſombres, ſur une grande quantité de fleurs, dont la variété des nuances, formait un ſpectacle des plus agréables : — Où eſt le tems, dit-elle ; l’heureux tems, où la liberté. de mon eſprit, me permettait, de conſidérer avec tant de plaiſir, les dons dont nous ſommes redevables au printems ? fleurs ! qui autrefois répandiez dans mon ame, une ſi douce gaieté ; aujourd’hui, l’émail de de vos brillantes couleurs, y ſéme de la triſteſſe ; & je ne peux voir toute la nature refleurir, lorſque mon cœur eſt en proie au déſeſpoir : tendre mere ! depuis le fatal moment qu’un ſort cruel me ſépara de vous ; je ne me nourris plus que de douleur, & je ne m’abreuve plus que de larmes. Quel nouveau ſujet, & ciel ! d’en répandre mon pere eſt en danger de perdre la vie ; Dieu la lui ſauve : mais, par qui ? Par un homme dont la funeſte connaiſſance ſera pour moi une ſource éternelle de regrets ! Pourquoi faut-il que le libérateur de mon pere ſoit ſi accompli ! funeſte amour ! pourquoi t’envelopais-tu, du voile de la reconnaiſſance, pour ſurprendre mon cœur ? Tu ſeras le malheur de mes jours ; & ce qui m’afflige bien plus ſenſiblement, ceux d’un pere que j’adore ! En lui apprenant l’égarement de ma raiſon, j’ai lu ſa peine dans ſes yeux ; quoique ſon indulgente tendreſſe, ne m’en ait rien témoigné. Fille ingrate ! s’écria-t-elle, en verſant des pleurs ; au lieu d’être ſa conſolation, de lui aider à ſupporter l’irréparable perte de ton adorable mere, tu empoiſonnes ſes jours, lorſqu’il déſire d’aſſurer le bonheur des tiens ! —

Le Comte l’entendant parler ainſi, s’attendrit extrêmement ; & ne pouvant ſe contenir davantage, il ſortit précipitamment de l’endroit où il était. Quel fut l’effroi & la ſurpriſe de Célide, quand elle l’apperçut ! Pâle, tremblante, elle embraſſa ſes genoux, ſans pouvoir proférer une parole : quoi ! lui dit-il ; en la relevant avec beaucoup de bonté, & en l’embraſſant : la vue d’un pere qui t’aime auſſi tendrement que moi, te réduit dans cet état ! Va, ma chere fille, ne crains pas que ce que j’ai entendu m’ait irrité contre toi ; au contraire, ta paſſion m’afflige ; il eſt vrai, mais les nouvelles vertus qu’elle me fait découvrir en toi, répandent dans mon ame une ſatisfaction bien douce. — Ah ! Mon pere, dit Célide, en prenant une de ſes mains, qu’elle arroſa de ſes larmes, & qu’elle couvrit de ſes baiſers ; votre indulgence, me fait encore mieux ſentir, combien je ſuis coupable, d’avoir un ſentiment dont vous n’êtes pas l’objet : mais, ne croyez pas que le tyrannique amour puiſſe m’empêcher d’avoir pour vous la plus reſpectueuſe tendreſſe : ah ! Si cela était, il ne ſerait jamais entré dans mon cœur, qui vous chérira tant que je reſpirerai. Va, je connais ton cœur, mieux que tu ne le connais toi-même ; & je ſais que la paſſion qui le poſſéde, ne te fera jamais oublier tes devoirs ; je ſais auſſi que nous ne maîtriſons pas notre cœur à notre gré : & je ne t’impute rien : mais, c’eſt à moi que je dois reprocher ton malheur. Sans mon imprudence, tu n’aurais jamais connu de Bliville ; fatal moment ! s’écria-t-il, en pouſſant un profond ſoupir. Ah ! Mon pere, lui dit Célide, en voulant ſe rejetter à ſes pieds ; mais il la retint dans ſes bras ; ceſſez, je vous en conjure, de vous affliger : je vous promets de faire tous mes efforts, pour vaincre un amour, qui, je le vois, ne nous préſente que des ſujets de douleurs : ceſſez donc, continua-t-elle, de vous affliger d’un ſentiment qui bientôt n’exiſtera plus. Je ſouhaite, reprit le Comte, que tu puiſſes remporter cette victoire ; mais je ne l’eſpere pas. En ne voyant plus le Marquis…… — Ah ! Ma fille, comment eſt-il poſſible, que tu ne voyes plus un homme, qui eſt dans ma maiſon, & à qui je ſuis redevable de la vie : ne trouverait-il pas cette conduite fort étrange ? & peut-être penſerait-il, que tu redoutes, en le voyant, d’engager ton cœur : non, Célide, non : une telle conduite ne nous eſt pas permiſe : & il ſaut abſolument continuer d’agir, comme nous avons commencé. Célide étant tombée d’accord de ce que diſait le Comte, regagna ſon appartement, où elle connut, après un mur examen, qu’elle avait fait à ſon pere, une promeſſe qu’il n’était pas en ſon pouvoir de tenir.

Tels étaient les divers ſentimens, qui occupaient le Comte de Bricour, ſa fille, & le Marquis, qui ſeul en avait d’agréables. Quand il fut en état de ſe ſervir de ſa main droite, il écrivit à un de ſes amis, qui était à *** : il l’inſtruiſit de l’accident qui lui était arrivé : & dans cette lettre, il en inſéra une pour ſon pere, avec priere au Chevalier de Seminille, (c’eſt le nom de cet ami, dont il ſera parlé dans la ſuite,) de la mettre à la poſte, ſans faire ſavoir au Duc ſon état, afin qu’en recevant de ſes nouvelles, par lui, & de l’endroit où il le croyait, il ne ſut pas ce qu’il voulait lui cacher, dans la crainte de lui cauſer de l’inquiétude ; il l’ignora effectivement par cette voie, juſqu’à ce que le Marquis le lui apprit lui-même, comme on le verra dans le cours de cette hiſtoire.

Au bout de deux mois de Bliville put ſe promener dans les Jardins du Château : pendant qu’il avait été alité, il ne s’était pas paſſé un jour, ſans que Mademoiſelle de Bricour, n’eût été le viſiter : mais comme elle avait toujours été accompagnée de ſon pere, il ne lui avait jamais été poſſible, de lui parler en particulier ; ce dont il ſe mit à chercher l’occaſion, avec autant de ſoins, qu’elle en apportait à l’éviter : mais, malgré toutes ſes précautions, il la trouva un jour vers le ſoir, ſeule dans un boſquet : — Je viens peut-être, Mademoiſelle, lui dit-il en l’abordant, troubler une rêverie qui vous occupait agréablement. — Je n’en ai point, Monſieur, qui puiſſe m’empêcher de n’être pas charmée, de trouver de nouvelles occaſions, pour vous témoigner toute la vivacité de ma reconnaiſſance, que je ne puis jamais à mon gré vous exprimer que faiblement. — Ah ! Mademoiſelle, le léger ſervice que j’ai rendu à Monſieur le Comte… Le léger ſervice ! Ah ! Monſieur, appellez-vous un léger ſervice d’avoir expoſé vos jours, pour conſerver ceux d’un pere que je chéris ſi tendrement : auſſi, me ſuis-je plainte bien ſouvent de ne pas trouver, dans les termes de notre langue, aſſez d’énergie, pour vous perſuader combien j’y ſuis ſenſible. — Ah ! Mademoiſelle, vous m’en dites trop pour une choſe que l’honneur exigeait de moi : mais, s’il eſt vrai que votre généroſité, vous ai fait croire, que vous m’êtes redevable de la vie de Monſieur votre pere, vous avez un moyen bien facile de vous acquitter. — Quel eſt-il ? je le ſaiſirai avec empreſſement. — En ſouffrant que je continue de vous adorer, répondit le paſſionné Marquis, en ſe jettant à ſes genoux : vous me rendrez le plus heureux de tous les hommes, & vous récompenſerez au centuple le faible ſecours que j’ai donné à Monſieur le Comte… — Ah ! Monſieur, dit Célide, en rougiſſant, je croyais que ce que vous aviez à me demander, était en mon pouvoir, & je te me ſuis pas engagée à l’impoſſible. — À l’impoſſible ! s’écria de Bliville, en voulant ſe ſaiſir d’une de ſes mains, qu’elle retira promtement : quoi ! je ne vous ſupplie que de ſouffrir que j’aye pour vous le plus tendre amour, & vous me refuſez ! Ah ! Vous ne traitez ma priere d’impoſſible, que par la haine (je le vois bien) que j’ai eu le malheur de vous inſpirer. — La haine, lui dit-elle, en le forçant de ſe lever, n’eſt pas un ſentiment que je puiſſe avoir pour le généreux libérateur de mon pere ; & je ſerais bien coups ble, ſi je n’avais pour lui, la plus grande eſtime & la plus vive reconnaiſſance. C’eſt beaucoup, Mademoiſelle : mais, c’eſt trop peu, pour ſatisfaire les ſentimens d’un homme, qui ne peut vivre, ſans vous parler de la paſſion, que vous avez fait naître dans ſon cœur : de grace…… — Briſons là, Marquis : & ſi vous voulez m’obliger, ne me tenez jamais de diſcours pareils à ceux-ci : que je ne veux, ni ne dois entendre : — le Marquis voulut eſſayer de la fléchir ; il ſe rejetta à ſes pieds, il verſa des larmes ; mais ce fut inutilement. Mademoiſelle de Bricour, ſans écouter les murmures de ſon cœur, lui impoſa ſilence, & ſe diſpoſait à le quitter, lorſque de Bliville, qui n’étant pas encore parfaitement remis de ſes bleſſures, était encore faible, & à qui cet entretien avait cauſé la plus grande altération, changea de couleur, & ſentant ſes genoux ſe dérober ſous lui, il ſut contraint de s’aſſeoir ce dont Célide ne ſe fut pas plutôt apperçue que pâliſſant auſſi bien que lui, elle s’en rapprocha au lieu de fuir ; tenant entre les mains un flacon, dont elle ſe ſervit pour le faire revenir de ſa faibleſſe, en lui demandant d’une voix tremblante, comment il ſe trouvait ? Eh ! Pourquoi, Mademoiſelle, lui répondit-il : pourquoi, voulez-vous me faire revenir à la vie, pour me la faire perdre encore plus cruellement, par vos rigueurs ? La mort eſt un bien, ajouta-t-il, pour un malheureux, qui, en vous adorant, aura toujours la douleur, de voir que vous le haïſſez. — Que vous êtes injuſte, reprit-elle, ſi vous penſez ce que vous dites ! Mais, ne me ſoupçonnez pas plus long-tems, ſi vous ne voulez m’offenſer, d’avoir pour vous, un ſentiment, dont vous ne pouvez m’accuſer, ſans me croire capable de la plus horrible ingratitude : non Marquis, non : je n’oublierai jamais tout ce que je vous dois : mais je peux, ſans manquer à la reconnaiſſance, vous réitérer une ſeconde ſois, la priere que je vous ai faite : puiſque vous n’avez eu aucun égard pour la premiere. — Eh ! bien, donnez-moi donc la mort, s’écria-t-il ! Quelle barbare pitié, vous engage à conſerver des jours, que vous avez deſſein de rendre infortunés. — Mais, Marquis, reprit Célide, ſongez que je ne puis vous accorder ce que vous me demandez : penſez donc que j’ai un pere, qui eſt maître de toutes mes actions, & de toutes mes volontés. Ah ! il ne l’eſt pas de vos ſentimens ! reprit de Bliville : mais, j’en ſuis certain ; Monſieur le Comte ſe laiſſerait attendrir par la violence de mon amour ; puiſqu’il m’accorda le bonheur de vous voir, quand j’étais aux portes du tombeau : & il n’ignorait pas alors, puiſque je l’en avais inſtruit moi-même, que je vous adorais ; je vous le dis à vous-même, lorſque, conduite par Monſieur le Comte, vous vîntes acquitter la promeſſe qu’il m’avait faite de me procurer votre vûe, avant mon dernier ſoupir. Mais vous ne daignâtes pas me répondre : & il parait aſſez que vous n’y avez pas donné plus de place dans votre ſouvenir, que vous ne m’en donnez dans votre cœur. — J’ignore, répondit Célide, qui ne put s’empêcher de rougir, en ſe rappellant le jour dont le Marquis ſui parlait ; & je ne comprends pas ce que vous me dites. — Quoi ! vous avez oublié cet inſtant où je vous inſtruiſis de ma reſpectueuſe tendreſſe. Il ſe peut que je ne vous aye pas entendu ; vous aviez la voix preſqu’éteinte, & je n’étais occupée que du danger que votre vie courait. Ah ! Mademoiſelle, que ne puis-je croire pour mon repos, que vous vous intéreſſiez véritablement à la conſervation de mes jours ! — Je m’y intéreſſais beaucoup ; & je m’y intéreſſerai, tant que les miens dureront : la reconnai… — Ah ! Mademoiſelle, n’allez pas en-core me dire, que c’eſt à la reconnaiſſance, que je dois, l’obligeant intérêt, que vous daignez prendre à ma vie, ſi vous ne voulez y répandre la plus grande amertume ; ſouffrez, continua-t-il, en ſe précipitant malgré elle à ſes genoux, qu’il me ſoit permis de l’attribuer à quelque choſe de plus, qu’à cette froide reconnaiſſance, qui, je vous le répéte, ne peut ſatiſfaire un cœur auſſi paſſionné : que le mien : — Eh bien, attribuez-le à mon amitié. J’y veux bien conſentir. — Eh ! vous croyez donc, Mademoiſelle, que mon tendre amour, ſe contentera de votre indifférente amitié ? non : non : & je n’ai plus qu’à mourir, puiſque j’ai le malheur de vous déplaire : mais du moins ne m’accablez pas de votre courroux ; & ſongez, ſi vous me trouvez coupable de vous adorer, que vous ne devez pas m’en accuſer, mais votre beauté ſeule, & vos graces ; & ne vous en prenez qu’à vous-même, ſi je n’ai pas conſervé une liberté, que vous m’avez ſait perdre. — Ah ! Marquis, vous faites trop peu de cas de mes prieres, pour me perſuader ce que vous dites mais, je me reproche d’avoir écouté vos diſcours ; & pour rectifier ma ſaute, je ne les ſouffrirai pas plus long-temps. — Mademoiſelle de Bricour en achevant ces mots, le quitta, & regagna ſon appartement, en lui défendant de l’accompagner, quelques inſtances qu’il lui en fit. — Que je ſuis malheureux s’écria de Bliville auſſi-tôt qu’il fut ſeul ; quoi ! l’unique perſonne que j’aime, que je pourrai jamais aimer, eſt inſenſible à mon amour ! cruelle, trop cruelle Célide ! —

Comme il achevait ces paroles, le Comte de Bricour parut : ayant entendu prononcer le nom de ſa fille, il s’était avancé avec précipitation. — je croyais, dit-il à de Bliville, que ſon abord avait interdit, je croyais avoir entendu le nom de Célide ? — Il eſt vrai, Comte ; je ne vous diſſimulerai pas, qu’ayant trouvé ici Mademoiſelle de Bricour, j’ai eu la témérité de lui parler de la paſſion qu’elle m’a inſpirée ; & elle m’a répondu dans des termes, qui m’ont donné la trop cruelle certitude, que je ſuis l’objet de ſa haine. Dans mon déſeſpoir, je me plaignais : je l’accuſais de cruauté, pendant que je devrais reconnaître, en conſidérant mes défauts, qu’elle agit avec juſtice. Ah ! Marquis, dit le Comte vous vous prévalez de la faibleſſe, (je le vois bien,) que j’eus dans un temps, de vous accorder la vue de Célide, malgré les ſentinens que vous diſiez avoir pour elle : mais ce tems eſt bien changé : votre vie au danger pour avoir ſauvé la mienne, vous a ſait obtenir de moi, ce que j’aurais refuſé à tout autre, & à vous-même, dans une occaſion différente ; mais à préſent que je ne crains plus pour vos jours, je vous dirai que je vous blâme extrêmement d’avoir conſervé dans votre cœur, un amour, qui, s’il eſt véritable,) ne vous offre que des malheurs : car penſez-vous, mon cher Marquis, que le Duc de Bliville puiſſe jamais l’approuver ? — Quand il connaîtra votre adorable fille, reprit vivement le Marquis, je ſuis certain qu’il penſera comme moi. — Ah ! Monſieur, que vous vous abuſez ! Monſieur le Duc ne verrait pas Célide, avec les mêmes yeux que vous : c’eſt-à-dire, avec des yeux prévenus : mais quand, il ſerait vrai, qu’elle aurait tout ce que votre paſſion lui prête, conſentirait-il qu’un fils unique, en qui il a mis ſes plus cheres eſpérances, dérangeât les projets d’alliance, qu’il a peut-être déja formés pour l’accroiſſement de ſa grandeur, pour une fille, d’une naiſſance, il eſt vrai, preſque auſſi illuſtre que la ſienne ; mais à laquelle ſa fortune ne répond pas : & vous-même, Marquis, il viendra un jour, qui peut-etre n’eſt pas bien éloigné, où vous ne vous ſouviendrez plus de cette Célide…… — Ah ! arrêtez : vous me faites entrevoir un ſoupçon, qui outrage trop l’amour, pour que je puiſſe le ſupporter : dites-moi toute autre, choſe : mais, ne me dites pas, que je changerai de ſentimens pour votre charmante fille : & ſachez que votre haine, la ſienne, le courroux de mon pere irrité, & l’eſpoir éteint pour toujours dans mon cœur, ne m’empêcheraient pas de l’adorer, tant qu’il plairait au ciel de conſerver ma malheureuſe vie : c’eſt de vous, mon cher Comte, continua-t-il, en l’embraſſant, que dépend mon bonheur : ne vous oppoſez pas plus long-tems à une paſſion, que je ne peux vaincre ; que je chéris trop pour l’entreprendre : recevez la promeſſe que je vous ſais, de n’être jamais uni à d’autre qu’à Mademoiſelle de Bricour ; & ſoyez perſuadé, que quand mon pere m’offrirait une perſonne dont les perfections égaleraient par impoſſibilité celles de votre aimable fille, & dont les richeſſes ſeraient au-deſſus, de tout ce que je peux prétendre ; que quand, dis-je, je devrais m’attirer toute ſa colere en le reſuſant ; je le ferais ſans héſiter, pour conſerver à Mademoiſelle de Bricour, un cœur ſur lequel elle regnera éternellement — Non, Marquis, non ; je ne reçois pas votre promeſſe ; & je vous prie au contraire, de ne pas objecter pour motif de vos refus, au Duc de Bliville, lorſqu’il vous propoſera une alliance, votre amour pour ma fille ; ſi tant eſt, que dans ce tems il ſubſiſte encore. — Ah ! Monſieur, vous me déſeſpérez, s’écria le Marquis ; en levant les yeux au ciel d’un air, qui exprimait toute la violence de ſon déſeſpoir ; vous voulez ma mort, ajouta-t-il ; eh bien ! il faut vous ſatisfaire ! adieu, Monſieur, je pars, & je vais dans des lieux ignorés, mettre fin à mes infortunes, en tranchant le cours d’une vie qui m’eſt à charge, & que vous pouviez rendre heureuſe ; peut-être que, quelque jour, vous vous reprocherez d’avoir cauſé la mort d’un homme, qui aurait conſacré ſes jours à vous aimer à vous reſpecter ; & qui n’eſt coupable à vos yeux, (ſi cependant c’eſt, l’être,) que d’adorer votre aimable fille. — Le Marquis ſe diſpoſait effectivement à exécuter ce qu’il diſait ; mais le Comte le retint, & le prenant entre ſes bras ; — cruel homme, s’écria-t-il ! Que vous me rendez odieuſe la vie que vous m’avez conſervée ! quoi ! vous pouvez penſer que je me réjouirais de la ſin de la vôtre. Ah ! Marquis, je ne puis ſoutenir un tel reproche ; il m’accable ; il déchire mon cœur, ah ! mon cher Marquis, bien loin de deſirer, ce que vous dites, je donnerais mon ſang pour conſerver le vôtre : je voudrais que ma ſortune ſût dix ſois plus conſidérable que celle du Duc de Bliville ; & je vous l’offrirais toute entiere, avec ma fille, comme un faible gage de l’eſtime, de la tendre amitié, & de la reconnoiſſance que j’ai pour vous : mais le ſort a voulu que j’euſſe la douleur de ne pouvoir reconnaître ce que je vous dois. Ah ! vous le pouvez ; laiſſez-vous attendrir ; ſongez que c’eſt Mademoiſelle de Bricour, qui peut ſeule faire mon bonheur ; & non des biens que je mépriſe : permettez enfin que j’emploie auprès d’un pere qui m’aime, les plus preſſantes ſupplications (s’il en eſt beſoin,) : pour l’engager à conſentir à un lien, qui vous donnera le ſils le plus ſoumis & le plus reſpectueux. — Ah ! Monſieur, que me demandez-vous ? Mon cœur vous l’accorde, & ma raiſon vous le refuſe. — Eh ! Bien, ne l’écoutez pas, dit de Bliville, en lui ſerrant tendrement les mains & continuant ſon diſcours avec une nouvelle ardeur, que l’eſpoir qu’il voyait luire, lui donnait : ſuivez, cher Comte continua-t-il, les mouvemens de votre cœur ; & aſſurez la félicité d’un homme, qui vous chérit autant qu’il adore votre aimable fille ! C’en eſt trop, s’écria le Comte ; Marquis, vous l’emportez : les ſentimens que je découvre en vous, ne me permettent pas de vous réſiſter plus long-temps ; oui, mon cher Marquis, ajouta-t-il, en l’embraſſant, je conſens que vous parliez au Duc de Bliville, de votre paſſion pour ma fille ; & que vous mettiez en uſage vos prieres, pour qu’il conſente à accomplir, ce que vous voulez bien nommer l’objet de vos ſouhaits, & qui le ſerait auſſi des miens, ſi la fortune m’avait autant favoriſé de ſes dons, que vous l’êtes de ceux de la Nature. Quand le Comte eut achevé ces mots ; le Marquis hors de lui-même, les yeux remplis d’amour & de raviſſement, ſe jette à ſes genoux. Ah ! mon pere, lui dit-il, en les embraſſant, malgré tous les efforts que le Comte fit pour l’en empêcher : mon pere ! recevez ce nom que mon cœur vous a déja donné, & qu’il vous doit, à préſent que par votre aveu, vous m’avez rendu le plus heureux de tous les mortels, Ne me parlez plus de fortune, ajouta-t il avec tranſport ; ah ! ſi je poſſéde Célide, ſût-ce dans un déſert, je jouirai d’un bonheur, que celui des plus puiſſans Potentats, ne pourra jamais égaler. — Pendant que le Marquis remerciait le Comte, d’une maniere ſi paſ ſionnée, Célide revint au jardin, ne croyant plus l’y trouver ; car ſa femme de chambre avait cru avoir entendu dire à la forêt qu’il était rentré, & le lui avait aſſuré. Dans cette confiance, elle y deſcendit, ſachant que ſon pere y était : ne l’ayant pas trouvé dans les allées, ni dans les cabinets de verdure, elle entra dans ce même boſquet où elle s’était entretenue avec le Marquis. Quelle fut ſa ſurpriſe, quand elle l’apperçut à genoux devant le Comte ; elle reſta comme immobile ; mais, de Bliville, en la voyant, quitta les pieds du Comte, & fut ſe mettre aux ſiens ; il lui prit la main, la baiſa, ſans qu’elle y fit réſistance, tant elle était troublée ; de Bliville profitant de ſon étonnement qui ne lui permettait pas de l’interrompre ; — enfin, Mademoiſelle, lui dit-il, je ſerai heureux ſi vous daignez y conſentir ; le généreux Comte le permet ; &, ſi je ne ſuis pas l’objet de votre mépris, & de votre haine, j’oſe me flatter que la vivacité, & la tendreſſe de mon reſpectueux amour, vaincront votre indifférence, qui ſait tout mon déſeſpoir. Célide de de plus en plus étonnée, regardait tantôt ſon pere, & tantôt ſon amant comme pour chercher dans les yeux de l’un & de l’autre, l’explication de ce qu’elle avait entendu : enfin, re venant à elle, &retirant avec précipitation ſa main, qu’elle apperçut entre celles du Marquis, & qu’elle n’avait pas remarquée juſqu’à lors ; — ce que vous me dites, lui répondit-elle, eſt pour moi ſi enigmatique que je ne puis y répondre : — & elle ſut ſe ranger auprès du Comte, qui les regardait en ſe taiſant. — Vous ne m’entendez pas, s’écria le Marquis ! Ah ! Mademoiſelle, en vous diſant, que j’eſpere d’être un jour heureux ; n’eſt-ce pas vous dire, que votre reſpectable pere conſent d’être le mien, en me faiſant l’honneur, de me permettre, d’aſpirer à la main de l’adorable Célide, ſans laquelle je ne peux jamais l’être. — Ah ! Marquis, Marquis, dit le Comte, qui les avait conſidérés d’un air attendri ; mon conſentement ne vous ſervira de rien ; car je ſuis bien aſſuré, que le Duc de Bliville ne le ratifiera pas. — Il ne le ratifiera pas, s’écria le Marquis : ah ! Comte, comment pouvez-vous croire, vous qui connaiſſez ſi bien Mamoiſelle de Bricour, que mon pere ſoit aſſez injuſte, en la voyant, pour refuſer de contracter une alliance, qui lui ſera ſi honorable : non, Monſieur, non ; mon pere ne vous eſt pas connu ; mais, moi qui connais la nobleſſe de ſon ame, & toutes les vertus, je ne fais nul doute, que quand il ſera inſtruit de celles de la charmante preſonne que j’adore, il preſſera autant qu’il lui ſera poſſible, l’union que je deſire avec tant d’ardeur. Célide ne comprenait rien à tous ces diſcours ; mais quand ſon amant lui en eut donné l’explication ; mon pere a bién raiſon, dit-elle, de penſer que ſa promeſſe ne ſervira de rien : c’eſt apparemment parce que j’ai le malheur de vous déplaire ; interrompit de Bliville : eh bien ! Mademoiſelle, prononcez donc ſans différer mon arrêt ; ne me tenez pas davantage dans la cruelle incertitude où je ſuis : ſi vous me haïſſez, de grace, dites-le-moi mais auſſi, ſi votre cœur n’a pas un ſentiment ſi déſeſpérant pour le mien, je vous en ſupplie, ne me le cachez pas : Célide conſulta dans ce moment les yeux de ſon pere, comme pour lui demander quelle devait être ſa réponſe ; mais, comme ils ne pouvaient gueres s’expliquer intelligiblement elle la détermina elle-même, dans ces termes : — je vous dirai, Monſieur, que ſi vous avez à vous louer de mon pere, vous n’aurez point à vous plaindre de moi, qui ſuis ſes volontés exactement. — Mais, Mademoiſelle, ſi ce n’eſt que par ſoumiſſion pour Monſieur le Comte mon cœur n’en ſera pas ſatisfait, — Comme c’est toujours ſans murmurer, que le mien ſe ſoumet aux ordres de mon pere, le vôtre ne doit point avoir à ſe plaindre, de ce que j’ai dit. — En achevant ces mots, elle baiſſa les yeux, & ſon viſage ſe couvrit d’une aimable rougeur, qui lui prêtait encore de nouveaux charmes. — Adorable Célide, dit le Marquis en ſe précipitant à ſes genoux ; vos paroles ont mis dans mon eſprit, une douce ſatisfaction qu’il ne peut exprimer : oui Mademoiſelle, oui, elles y reſteront gravées à jamais : mais permettez que je vous ſupplie de ne pas les oublier ; & ſouffrez dans la crainte où je ſuis que vous n’en perdiez le ſouvenir, je vous les rappelle quelqueſois, pour vous en demander la confirmation. Célide confuſe de la joie de de Bliville, rougit encore plus qu’elle n’avait fait ; & ſe reprocha de lui avoir parlé dans des termes trop obligeans : ſes regards n’oſaient rencontrer ceux de ſon pere, dans la crainte d’y lire l’improbation de ſa conduite : elle évitait auſſi les yeux du Marquis, ſans faire attention qu’il était à ſes pieds : le Comte qui juſqu’alors avait gardé le ſilence : s’appercevant de l’embarras de ſa fille, le rompit pour le faire ceſſer ; & relevant le Marquis : épargnez-vous, lui dit-il, des remercimens ſi vifs ; & penſez que, quelque ſoient mes ſentimens & ceux de Célide, vous n’avez rien à vous en promettre ; puiſqu’il eſt certain que le Duc de Bliville, ne conſentira pas à ſatisfaire les vôtres. — Quel plaiſir prenez-vous, dit le Marquis, à vouloir me jetter dans l’alarme, par la cruelle image que vous me preſentez ? — Vous ne ſauriez trop l’enviſager, dit le Comte, d’un air extrêmement ſérieux, qui glaça le cœur de de Bliville ; s’il eſt vrai que le refus du Duc, ſur ce ſujet, vous touche : car en vous y préparant, vous le recevrez avec plus de fermeté, que ſi vous attendiez un ſuccès favorable de vos prieres, que je vous conſeille encore une fois de ne pas mettre en uſage. — ordonnez-moi plutôt de quitter le jour, reprit le Marquis, & je vous obéirai : mais n’exigez pas de moi un pareil ſacrifice ; pourquoi donc, continua-t-il, d’un ton de voix douloureux, vouloir m’ôter le conſentement que vous m’avez donné ? Ah ! Monſieur, que ne pouvez-vous voir ce qui ſe paſſe dans mon cœur ! vous le verriez, tantôt déchiré par les maux les plus cuiſans, tantôt animé par l’eſpérance, & toujours anéanti par la crainte, que vous y répandez vous ne voulez donc plus, ajouta t-il d’un air ſombre & attéré, que je ſaſſe ce que vous m’aviez permis, il n’y a qu’un moment ? Réfléchiſſez, Monſieur, ſur ce que vous allez répondre, & ſoyez aſſuré, que ſi vous perſiſtez dans votre barbare réſolution, je ſaurai terminer des jours, que je ne pourrai plus ſupporter, quand l’eſpoir de poſſéder ce que j’adore, me ſera ôté. — Mais, Marquis, répondit le Comte, je ne me ſuis point rétracté ; je vous ai ſeulement conſeillé de ne point vous ſervir de mon conſentement, dans lequel je perſiſte toujours, puiſque ma parole y eſt engagée. — De Bliville raſſure par ces paroles ; remercia vivement le Comte, & ils reprirent tous trois le chemin du Château, remplis de penſées bien diverſes.

Le Comte n’était pas ſatisfait de l’amour du Marquis pour Célide, par les obſtacles qu’il prévoyait que le Duc de Bliville mettrait à celui du Marquis ; & par les chagrins dont il préſageait que ſa fille ſerait accablée : quant à elle, elle ne pouvait ſe défendre de quelque joie, en voyant la violente paſſion du Marquis ; & l’eſpérance s’introduiſait en ſon cœur, ainſi que dans celui de de Bliville qui, ſe repoſant ſur la tendreſſe que ſon pere avait pour lui, & ſur le mérite de Mademoiſelle de Bricour, ſe flattait que dans peu ſon bonheur ſerait ſolidement établi. Le Marquis reſta encore près d’un mois, chez le Comte de Bricour, toujours empreſſé à montrer à Célide les ſentimens qu’il avait pour elle ; & il eut lieu de penſer que ceux qu’elle avait pour lui, approchaient un peu des ſiens ; car quoique ſa bouche ne lui en exprimât rien, ſes yeux, dont les mouvemens ne purent échapper à ceux de l’amour, lui laiſſerent entrevoir, ce qu’elle voulait lui cacher.

Mais au bout de ce tems il penſa (ſa ſanté étant parſaitement rétablie) à aller à *** où était ſon Régiment, ainſi que je l’ai déjà dit : mais, quelle fut ſa douleur, quand il fallut quitter le lieu qu’habitait ſa chere Célide ! Deux heures avant que de partir, ayant trouvé un moment pour l’entretenir en particulier. — Enfin, Mademoiſelle, lui dit-il d’un ton pénétré, voici l’inſtant fatal, où il faut que je m’éloigne de vous : je vais être pendant cinq mois, qui ſeront pour moi cinq ſiecles, privé du plaiſir de vous voir ; & je n’aurai pas même la conſolation, de penſer que pendant mon abſence, vous daignerez vous occuper quelquefois d’un homme qui ne reſpire que pour vous. Vous devez croire que je n’oublierai pas ainſi le généreux Marquis de Bliville, à qui je dois la vie d’un pere que je chéris ſi tendrement ; & vous devez être aſſuré, que je m’occuperai ſouvent de la reconnaiſſance que je lui dois ; & dont la vue de mon père me retracera ſans ceſſe le ſouvenir, en penſant que ſans lui, je pleurerais actuellement ſa perte. Ah ! Mademoiſelle, occupez-vous plutôt de l’amour que vous m’avez inſpiré ; & permetez-moi de penſer que, lorſque le cruel tems, que je vais paſſer loin de vous ſera expiré, & que je viendrai vous rendre mes reſpectueux. hommages, ma vue ne vous ſera point odieuſe. Il s’en ſaut bien ! allez, Marquis, & ſoyez aſſuré que je vous reverrai avec plaiſir. De Bliville tranſporté des paroles obligeantes que Célide venait de lui dire, ſe jetta à ſes pieds, & lui baiſa la main ; mais entendant du bruit, il ſe releva, & vit entrer le Comte, qui lui témoigna auſſi qu’il ſerait charmé de le revoir à ſon retour : ils s’entretinrent encore, pendant une heure & demie ? lorſqu’on vint avertir de Bliville, que ſa chaiſe était prête ; ce peu de mots fut pour lui comme un coup de foudre ; il pâlit, il embraſſa, les larmes aux yeux, le Comte de Bricour, & il baiſa encore une ſois, la main de Célide, qui fut obligée de raſſembler toute ſa fermeté pour empêcher ſes pleurs de couler mais, ſi de Bliville faiſait un pas pour s’éloigner ; il en faiſait deux pour ſe rapprocher : enfin, ſe ſurmontant lui-même, il ſe précipita dans ſa chaiſe, & quitta le Château de Bricour, l’ame abſorbée de triſteſſe.

Mais, quant à Célide, auſſitôt qu’elle eut perdu le Marquis de vue, il parut un ſi grand changement ſur ſon viſage, que le Comte s’en appercevant : — ah ! ma fille, lui dit-il êtes affligée, je le vois, du départ de de Bliville ; & la compagnie de votre pere, ne ſuffit plus comme autrefois à votre cœur. — Ces paroles firent fondre Célide en larmes. — Ah ! mon pere, s’écria-t-elle ! quel cruel reproche ! Quoi ! Vous croyez, que votre préſence m’en laiſſe encore une autre à deſirer ! non, mon pere, non : & quelqu’eſtime que j’aye pour le Marquis, ſon entretien ne pourra jamais me tenir lieu du vôtre. — Le Comte touché de ſes pleurs, l’embraſſa, & lui dit : — je penſe bien, que quelque cher que te ſoit de Bliville, les ſentimens de l’amour n’ont rien uſurpé ſur ceux de la nature : mais conviens, ſi tu veux être ſincere, que l’abſence du Marquis te touche ſenſiblement ; cependant, pour t’épargner cette confuſion, je conſens de prendre ton ſilence, pour un aveu tacite, que tes lévres n’oſent prononcer. — Célide ſe tut en rougiſſant ; mais lorſqu’elle fut retirée dans ſon appartement, elle s’abandonna à à la mélancolie, que l’éloignement de de Bliville répandait dans ſon ame. Il n’y avait que trois heures qu’il était parti ; & elle aurait déja voulu recevoir de ſes nouvelles : mais, malgré toute ſon impatience, ce ne fut qu’au bout de quinze jours, que le Comte reçut deux lettres du Marquis dont une pour lui, & l’autre pour ſa fille, à qui il la remit ; elle ne voulait la lire qu’en ſa préſence mais il lui ordonna d’en faire la lecture, pendant qu’il ſerait celle de la ſienne. Célide lui obéiſſant, la décacheta d’une main tremblante ; y jetta les yeux avec empreſſement ; & y lut ce qui ſuit. Depuis le ſuneſte jour, que je ſuis éloigné de vous, je ſuis en proie aux plus aſſreux tourmens ; je ne puis penſer ſans déſeſpoir, qu’il me reſte encore quatre mois & demi, ſans que mes yeux puiſſent voir ceux que j’adore les heures ſont pour moi des années. Ah ! Mademoiſelle, ſi vous pouviez connaître, combien il eſt cruel d’être privé de la vue d’un objet chéri, je pourrais me flatter, d’avoir droit à toute votre pitié ; mais l’indifférence de votre cœur, vous empêchera ſans doute d’être ſenſible aux douleurs du mien, qui ne penſe & qui ne s’entretient que de vous : oui, charmante Célide, oui : depuis l’amour que vous m’avez inſpiré, mes plus chers amis me ſont devenus à charge ; je les ſuis, & je cherche les lieux les plus ſolitaires, pour vous conſacrer toutes mes penſées. En un mot, tout ce qui n’eſt point vous, m’ennuie, me déplait ; & je ne puis ſouffrir, que l’amitié, que je trouve à préſent importune, veuille prendre la moindre place, dans une âme, que vous rempliſſez toute entiere. Permettez, Mademoiſelle, que je prenne la liberté, de vous rappeller la promeſſe que vous me fîtes à mon départ, de ne pas me bannir entierement, de votre ſouvenir : & daignez, je vous en ſupplie, me donner quelqu’aſſurance, que joccupe quelquefois votre loiſir ; je m’eſtimerai moins malheureux, ſi je puis obtenir cette grace, que je recevrai, avec une joie égale, la reſpectueuſe paſſion, avec laquelle je ſuis,

Mademoiſelle,

Votre &c.

Quand Célide eut achevé la lecture de cette lettre, elle fut la préſenter à ſon pere, qui après l’avoir lue : — croyez-vous, ma fille, lui dit-il, croyez-vous véritables, les ſentimens du Marquis ? — Non, mon pere, non : je n’ai pas aſſez de préſomption, pour croire ce que le Marquis m’exprime. — Penſez toujours ainſi ma fille ; & ſongez, que vous ne devez jamais faire aucun fond ſur les diſcours d’un jeune homme, qui déſavouera demain, ce qu’il dit aujourd’hui ; & à qui la vue d’un nouvel objet, fera peut-être perdre les impreſſions, que vous avez pu lui donner. Mais vous devez une réponſe au Marquis ; les obligations que je lui ai, l’exigent : — Quoi ! Vous voulez que j’écrive au Marquis ! — Oui, ma fille ; & demain pendant que je lui écrirai, vous irez dans votre cabinet, en faire de même. — Alors, il lui montra la lettre qu’il avait reçue du Marquis, qui contenait les plus vives aſſurances d’affection ; il implorait la ſienne ; il lui parlait auſſi du conſentement qu’il lui avait donné, & qu’il le priait de lui. confirmer pour le ſoutenir contre les rigueurs de l’abſence ; enfin, il le conjurait de lui faire : obtenir une réponſe de Célide, qu’il faiſait vœu d’adorer éternellement. Célide ne put voir : quelle était la tendreſſe de ſon amant, ſans quelque ſatisfaction qui parut dans ſes yeux, & au coloris de ſon viſage, qui prit un nouvel éclat. Ce que le Comte remarquant : — fatal. amour, s’écria-t-il ! en regardant le ciel triſtement ; aurais-je cru que dans cette retraite tu aurais exercé ton pouvoir. Chere Comteſſe ! continua-t-il ! jette tes regards ſur ton infortunée fille ; vois la malheureuſe paſſion, dont ſon ame eſt atteinte ; & du céleſte ſéjour de la gloire que tu habites, daigne éteindre dans ſon cœur le feu ardent qui le conſume. — Ces paroles du Comte, firent diſparaître la joie qui était dans les yeux de Célide ; ils furent à l’inſtant couverts de larmes : les roſes de ſon teint s’éclipſerent, & n’y laiſſerent plus que la blancheur des lys : elle embraſſa les genoux de ſon pere : Ah ! lui dit-elle ; quel malheur eſt le mien ! de répandre une ſi grande amertume, ſur des jours, pour la conſervation deſquels, je donnerais des miens ! Ah ! mon pere, prenez ma vie, puiſqu’elle n’eſt pour vous qu’un ſujet de douleur. — Le Comte la releve ; & la prenant entre ſes bras : — ah ! ma chere fille ! s’écria-t-il, que dis-tu ? peux-tu croire qu’un pere qui t’aime, regarde la fin de ta vie, comme celle de ſes douleurs ? Ah ! Célide, vous ne connaiſſez pas votre pere, ſi vous le croyez capable d’un ſi barbare ſentiment : hélas ! ſans toi, depuis que j’ai perdu ta reſpectable mere, mes yeux ſeraient fermés il y a long-temps ; c’eſt toi qui m’aide à ſupporter la lumiere ; tu ſais toute ma conſolation ton image, me retrace celle d’une épouſe adorée. Ah ! Célide, ſi je m’afflige, ce n’eſt que pour, toi ; je vois que l’amour t’empêchera d’être heureuſe : & je ne puis le voir ſans un viſ chagrin ; toi, qui, s’il était en mon pouvoir, jouirais d’un bonheur inaltérable : je n’ai jamais deſiré les richeſſes, ma chere fille ; mais depuis que je connais tes ſentimens pour de Bliville, l’impoſſibilité où je me trouve, de pouvoir les ſatisfaire, ſans poſſéder des biens, que juſquà préſent j’avais toujours mépriſés, me les ont ſait ſouhaiter avec une ardeur, que je ne ſaurais exprimer. Ah ! mon pere ! s’écria Célide, la voix entrecoupée de ſanglots : vos bontés me font encore mieux ſentir, combien je ſuis coupable : quoi ! ſe peut-il, que j’afflige un pere, pour qui je ne puis avoir trop de tendreſſe ? Ah ! mon pere, je ſuis indigne du jour que je reſpire, puiſque j’empoiſonne les vôtres mais je ſens, ajouta-t-elle d’un ton tranſporté, que dès ce moment, la raiſon a repris dans mon ame ſon empire, & en a banni l’amour : non : il n’aura jamais de pouvoir ſur moi : impérieuſe paſſion ! tu ne régneras plus dans mon cœur ! conſolez-vous donc, mon rendre pere, dit-elle, en l’embraſſant, & recevez l’offrande de ce cœur, (où vous avez vaincu,) qui ſe conſacre tout entier à vous ; & qui ne veut faire uſage de la liberté, que vous lui avez rendue, que pour vous reſpecter & vous adorer encore plus, s’il eſt poſſible ! — Tu t’abuſes, ma fille, reprit le Comte, en lui rendant ſes embraſſemens ; tu te crois libre, & tes chaines ſont encore bien fortes : mais je te quitte pour t’y laiſſer réfléchir ; & après un mur examen de l’état de ton cœur, tu ne reconnaitras que trop, la vérité de mes paroles. En achevant ces mots, il ſortit ſans attendre ſa réponſe.

Quand elle fut ſeule, le cœur embrâſé de l’amour filial, qui venait encore de prendre une nouvelle vivacité, par les diſcours tendres & généreux du Comte, elle s’imagina d’abord être effectivement dégagée de ſa paſſion. Mais ſes premiers tranſports étant amortis, elle reconnut bientôt le contraire : la lettre, que le Marquis lui avait écrite, était dans l’appartement ſur une table : ſa main, ſuivant les mouvemens de ſon cœur s’en ſaiſit, ſans qu’elle s’apperçut de ſon action ; & s’oubliant elle-même, & l’univers entier ; elle la lut avidement trois ou quatre fois de ſuite, ne s’occupant que de ce qu’elle contenait il lui ſemblait toujours y goûter un nouveau plaiſir : lorſque tout à coup, elle la laiſſa tomber : & regardant autour d’elle, comme ſi elle y eût voulu chercher quelque choſe : — ciel ! s’écria-t-elle, en frémiſſant ainſi qu’une perſonne qui ſort d’un ſonge funeſte : que faiſais-je ? Quoi, je liſais la lettre d’un homme, que je dois oublier : périſſe à jamais l’écrit, dit-elle, en ſe jettant deſſus avec une action déſeſpérée, qui a pu me faire violer la promeſſe que j’avais faite à l’auteur de mes jours : & elle voulut alors le déchirer ; lorſqu’appercevant les caracteres d’une main chérie, la ſienne ne put exécuter ſon deſſein ; & elle la laiſſa retomber négligemment. — Mais comment aurai-je l’audace, reprit-elle, de dire à mon pere, que mes ſentimens ſont toujours les mêmes ? Grand-Dieu ! continua-t-elle, en ſe jettant à genoux, j’implore ta puiſſante grace ! donne à mon faible cœur, je t’en ſupplie, la force de ſe vaincre : & vous, ô ma mere ! du haut des C eux, ſoutenez mon courage ; intercédez auprès de ce Dieu, qui vous a reçue dans ſa céleſte demeure, pour votre triſte fille donnez-moi les armes, néceſſaires, pour être victorieuſe d’une paſſion qui fait le malheur du meilleur de tous les peres !

Comme Célide achevait ces paroles, le Comte qui était reſté à la porte de la chambre, & qui avait tout entendu, entra. Il apperçut l’aimable Célide ; proſternée contre terre ; les yeux baignés de pleurs, & les mains jointes : quel ſpectacle pour ce tendre pere ! Il court à elle ; la releve ; l’exhorte à ſe calmer, par les paroles les plus affectueuſes il cache à ſa ſenſibilité, la douleur qui l’accable pour diminuer la ſienne ces tendres careſſes, firent reparaître ſur la phyſionomie de Célide, une douce mélancolie qui lui était naturelle, & qui la rendait encore plus intéreſſante ; enfin l’heure de ſe rétirer, étant venue, elle fut ſe mettre au lit où le ſommeil depuis un tems, refuſait de lui verſer la douceur de ſes pavots.

Le lendemain, ſon pere lui ayant ordonné de faire réponſe à de Bliville, elle fut dans ſon cabinet, où après pluſieurs irréſolutions, elle lui écrivit en ces termes.

MONSIEUR,

» J’ai reçu hier votre lettre, par laquelle, il me paraît, (quoique vous n’en diſiez rien, ni à mon pere ni à moi,) que votre ſanté eſt en auſſi bon état, que lorſque vous êtes parti d’ici ; parce que je penſe, que ſi le contraire était, vous en auriez inſtruit des perſonnes, qui, après ce qu’elles vous doivent ne peuvent manquer de s’y intéreſſer beaucoup ; car ne croyez pas que les obligations que je vous ai, puiſſent jamais ſortir de ma mémoire ; non, Monſieur, non : elles y reſteront gravées éternellement : ſoyez-en bien perſuadé, je vous prie, & ne doutez pas de la reconnaiſſance avec laquelle je ſuis,

Monſieur,
Votre, &c.

Après avoir fait cette lettre, elle fut la montrer au Comte, qui, après en avoir pris lecture, la lui rendit ſans y rien changer ; il lui lut auſſi la ſienne, qui ne contenait que des aſſurances d’amitié & de gratitude : quant au conſentement, dont le Marquis lui demandait la confirmation ; il lui marquait que puiſque ſa parole y était engagée, il ne changerait pas de ſentimens ; mais qu’il déſirait toujours qu’il n’en fit aucun uſage.

Ces deux lettres partirent le jour même, pour ***, où le Marquis, dans l’incertitude où il était, s’il en recevrait de ſa chere Célide, attendait le courier avec la derniere impatience : mais ſi le lecteur ſouhaite de connaître ſes penſées plus particulierement, il faut qu’il quitte avec moi le Château de Bricour ; & qu’il ſe tranſporte ſur les lieux que le Marquis habite ; voyage, qui, je penſe, ne le fatiguera pas beaucoup.

Quand on apporta à de Bliville ces lettres, il était ſeul dans ſon appartement, occupé de Célide, toujours l’unique objet de ſes penſées : ce ſut la forêt qui les lui préſenta : lorſqu’il on apperçut deux, il parut ſur ſon viſage une émotion bien viſible ; mais, comme il ne connaiſſait ni l’écriture du Comte, ni celle de la fille dont il voulait lire la lettre en premier lieu, on croira peut-être, qu’il ſut obligé de les ouvrir toutes deux, pour voir quelle était celle de l’objet qu’il adorait : mais l’amour eſt bien plus éclairé ; de Bliville, ſuivant ce qu’il lui inſpirait, en prit une, & bien aſſuré que ſon cœur ne le trompait pas, en lui diſant qu’elle était de Mademoiſelle de Bricour ; il la baiſa reſpectueulement, avant de la décacheter ; après cette ſorte d’hommage, il l’ouvrit d’un air, où la joie paraiſſait mêlée de crainte ; mais après qu’il eut lu ce qu’elle contenait. — Ah ! Célide, s’écria-t-il ! je ne vois que trop, que toute eſpérance eſt perdue pour moi : vous mépriſez tellement ma paſſion, que vous ne daignez pas même m’en parler ! Et vous, Comte, continua-t-il en prenant ſa lettre, vous allez certainement achever de me déſeſpérér ! — Après avoir lû. — Vous me confirmez, reprit il le conſentement que vous m’avez donné ; mais vous me conſeillez de n’en pas faire uſage. Ah ! ſi je ſuis haï de Célide, je ne m’en ſervirai point : mon cœur veut avoir le ſien avant de la poſſéder ; & ſi je ne puis l’acquérir, je l’aimerai en ſecret, & mon pere l’ignorera éternellement. Mon malheur ſera grand, il eſt vrai ; mais il ne ſera pas long : car mes douleurs ſeront bientôt finir une vie, qui, je le vois, ſera toujours infortunée. — Mais, Monſieur, dit la forêt, qui lui parlait avec aſſez de liberté, à cauſe de la confiance dont il ſavait qu’il l’honorait ; avez-vous un juſte ſujet d’être affligé ? Si j’en ai un juſte ſujet, s’écria le Marquis ! tiens, lis : continua-t-il, en lui donnant la lettre de Célide. — Quoi, Monſieur, lui dit la forêt : après en avoir pris lecture ; ce que vous écrit Mademoiſelle de Bricour vous afflige ? — Cela n’eſt-il pas auſſi déſeſpérant ? dit le triſte Marquis. — Quant à moi, Monſieur, je ne le trouve pas ; & il me ſemble au contraire qu’elle vous écrit ſort. obligeamment. — Ah ! ſi tu avais vu ma lettre, tu conviendrais que je n’ai pas lieu de me louer de la réponſe : mon cher la forêt, je lui exprimais dans les termes les plus tendres la violence de mon amour ; je lui en peignais la vivacité avec trop peu d’énergie, il eſt vrai ! Car mon cœur ſeul peut le ſentir ; mais enfin, après la promeſſe qu’elle m’avait faite à mon départ, de ne point m’oublier ; & après des paroles aſſez favorables, devais-je m’attendre à cette cruelle lettre ? Ah ! Monſieur, Mademoiſelle de Bricour vous aime ; j’en ſuis aſſuré : ſi à votre départ, vous l’aviez obſervée comme moi vous n’en douteriez pas ; lorſque je vins vous avertir que votre chaiſe était prête, elle était dans un trouble, que le vôtre ne vous permit pas de remarquer : en m’entendant prononcer les mots, qui allaient vous éloigner d’elle, je la vis pâlir ; ſa reſpiration était gênée par ſes ſoupirs, qu’elle s’efforçait d’arrêter ; ſa voix était celle d’une perſonne plongée dans la triſteſſe ; & quand vous montâtes dans votre chaiſe qu’elle la vit fuir loin d’elle je m’apperçus que le changement de ſon viſage était encore plus conſidérable ; elle paraiſſait prête à s’évanouir ; les ſanglots qui la ſuffoquaient, & la contrainte qu’elle s’était faite pour empêcher ſes pleurs de couler ; en étaient ſans doute la cauſe. — Mais comment puis-je concilier tout cela avec cette lettre ! — Vous devez, Monſieur, l’attribuer à ſa modeſtie, & penſer auſſi qu’en écrivant ſous les yeux de ſon pere, elle a pu y déguiſer ſes ſentimens. Ah ! la forêt, tu fais renaître dans mon ame un eſpoir éteint ! Mais j’ai encore plus de quatre mois à reſter ici ; pendant ce tems, peut-être, hélas ! peut-être un mortel heureux occupera dans le cœur de ce que j’adore une place que je ne puis, (malgré tes diſcours) me flatter de remplir. —

Comme la forêt allait lui répondre pour ranimer de plus en plus ſon eſpérance ; le Chevalier de Séminille entra. (C’eſt celui dont le Marquis s’était ſervi, pour faire ignorer à ſon pere ſon accident, ainſi qu’on l’a vu plus haut.) Après que la forêt ſe fut retiré : — En vérité, Marquis, dit Séminille, à ſon ami qui paraiſſait rêveur malgré ſes efforts pour prendre un air enjoué ; on ne te reconnaît plus, & tu n’es plus toi-même, depuis le fâcheux événement qui a privé tes amis, & moi en particulier, du plaiſir de te voir plutôt. — De Bliville ne lui répondit que par un ſoupir. — Ah ! mon cher ami, lui dit le Chevalier en l’embraſſant, tu as du chagrin : c’eſt cette raiſon, je le vois, qui te ſait fuir toutes tes connaiſſances ; mais, mets-tu Séminille, ſeulement au nombre de tes connaiſſances ? Ah ! Mon cher de Bliville, c’eſt faire un outrage bien ſenſible à mon cœur, ſi tu ne me regardes pas comme l’ami le plus affectionné : mais, je le vois bien, puiſque tu me caches la ſecrette triſteſſe qui s’eſt emparé de toi : & tu crois donc, cruel, pourſuivit-il avec toute la chaleur de l’amitié, que je puis être content, tandis que je te ſaurai dans la douleur ? que j’en ignorerai la cauſe ? Ah ! ſi elle m’était connue, que ne ſerais-je point pour la faire ceſſer ! inſtruis-m’en, mon cher ami : ſi je ne puis te conſoler je goûterai du moins la douceur de m’affliger avec toi : car ne me crois pas capable de prendre des amuſemens, lorſque je vois mon cher de Bliville ne pas les partager ; & m’eſtimer aſſez peu, pour craindre de me confier les motifs d’un changement ſi ſurprenant en lui. — Ah ! mon cher Séminille dit le Marquis en le ſerrant dans ſes bras, ne croyez pas que de Bliville vous connaiſſe aſſez peu, pour manquer de confiance en vers vous : non non je ne vous confonds point dans la claſſe de mes ſimples connaiſſances ; je fais trop la différence que je dois faire d’elles, au généreux de Séminille, que j’eſtime, & que j’aime. — Il faut me le prouver par un aveu ſincere des peines qui vous accablent. Ah ! Chevalier, ſi vous les connaiſſiez, vous ne les plaindriez guères ; & avec l’indifférence dont vous faites profeſſion, elles ſeraient plutôt pour vous, un ſujet de raillerie, que de pitié. — Ah ! Marquis ; je t’entends : tu aimes, & il eſt vrai que je ne te plaindrai pas ; parce que tu es trop aimable pour être haï : mais je ne te blâmerai pas non plus, car je penſe qu’il ſaut que l’objet de ton amour, ſoit bien accompli, puiſqu’il a captivé un homme qui l’eſt autant que de Bliville. — Ah ! s’il ne ſaut, reprit vivement le Marquis, que le mérite de cet objet, pour te faire approuver ma paſſion ; je. ne crains plus que tu la déſapprouves : oui, mon cher ami, oui : continua-t-il avec feu, Mademoiſelle de Bricour, (c’eſt ainſi que s’appelle la charmante perſonne que j’adore,) eſt mille fois plus accomplie, que tu ne ſaurais imaginer, & que je ne pourrais l’exprimer. Mais, mon cher Chevalier il s’en faut bien, que je ſois aimé : au contraire, j’ai tout lieu de croire que je ſuis haï. — Haï ! interrompit de Séminille. Ah ! Marquis, je ne puis te croire, & il faudrait que je fuſſe inſtruit de tous les événemens qui ont précédé & ſuivi ton amour, pour me le perſuader. —

De Bliville fit pendant quelque tems difficulté de les lui apprendre ; mais enfin, vaincu par ſes preſſantes ſollicitations, il lui fit l’analyſe de tout ce qui lui était arrivé, ſans en rien omettre, & finit ſa narration par lui dire qu’il avait écrit au Comte & à ſa fille ; & lui préſentant les lettres, qui étaient en réponſes aux ſiennes ; voyez, lui dit-il, ſi je ne ſuis pas le plus infortuné de tous les hommes ! Le Chevalier après a voir lu, s’efforça de le convaincre du contraire, & de lui perſuader que Mademoiſelle de Bricour avait pour lui des ſentimens fort tendres ; enfin, par l’agrément de les diſcours, il calma l’eſprit du Marquis. Mais après s’en être ſéparé, les alarmes de de Bliville recommencerent ; & malgré toutes les inſtances que lui faiſait de Séminille, pour l’engager à voir ſes amis, comme il faiſait à l’ordinaire ; il ne put rien gagner ſur lui : & ne pouvant voir ſa chere Célide, il fuyait toutes les compagnies pour ne s’occuper que d’elle. Mais c’eſt aſſez parler du Marquis ; & il eſt tems de revenir à l’aimable Célide, que nous avons laiſſée dans une ſituation d’eſprit ſort mélancolique.

Mademoiſelle de Bricour ne jouiſſait pas du bonheur que ſes vertus méritaient ; la paſſion dont elle était la proie, était véritablement, comme le lui avait dit ſa mere, un poiſon mortel, qui détruiſait tous ſon repos : tantôt ſa raiſon s’oppoſait à ſon amour, & ſon amour à ſa raiſon. Quand elle penſait aux obſtacles, qu’il aurait à eſſuyer, elle ſe blâmait beaucoup de l’avoir laiſſé introduire dans ſon ame : mais, lorſque les charmantes qualités de ſon amant, les obligations qu’elle lui avait, & la tendreſſe qu’il avait pour elle, ſe préſentaient à ſon ſenſible cœur ; elle n’avait pas la force de condamner celle qu’elle avait pour lui. Les réflexions qui l’occupaient à ce ſujet, lui faiſaient couler ſes jours bien triſtement ; il n’y en avait pas un ſeul, qui ne fût marqué par ſes larmes. Quand elle était ſeule, elle s’abandonnait aux affligeantes idées, qui venaient en foule dans ſon imagination ; & lorſqu’elle était avec le Comte, elle faiſait tous… ſes efforts, pour lui dérober ſa triſteſſe, qu’il ne laiſſait pourtant pas de remarquer. Car, comme il ne voyait perſonne, il pouvait s’en appercevoir plus facilement, que s’il avait été dans le tumulte du grand monde, qui, en nous arrachant à nous-mêmes, ne nous permet guères de diſtinguer ce qui ſe paſſe autour de nous. Mais dans une ſolitude, que l’on n’habite qu’avec un petit nombre de perſonnes cheres ; toutes leurs actions, leur joie, leur douleur, la plus légere émotion qui parait en elles ; en un mot, tout ce qui les touche, nous attache, nous intéreſſe ; & rien ne nous en échappe. Qu’on juge donc, ſi un pere qui aimait ſa fille, auſſi tendrement que le Comte ; qui ne voyait qu’elle, & en qui toutes ſes affections étaient concentrées, pouvait négliger d’examiner ſon viſage pour connaître ce qui ſe paſſait dans ſon cœur ! Auſſi y lut-il clairement : mais il arriva un événement, qui les rendit un peu moins ſolitaires, qu’ils avaient été juſqu’à lors.

Un Gentilhomme nommé de Blémigni, vint avec ſa ſœur dans ce pays, acheter un Château qui était vacant, depuis trois mois, par la mort de ceux qui l’avaient habité. Quelque tems après s’y être établi, il s’informa des perſonnes qui demeuraient près de lui, à quelques-uns de ces gentillatres, qui fourmillaient dans cet endroit, & qui ne pouvaient ſe vanter que de leur nobleſſe, ſans avoir les qualités qu’elle exige : titres vains ! qui n’attirent que du mépris à ceux qui s’en énorgueilliſſent ! Auſſi leur peu d’urbaniré, avait-elle été cauſe en parti, que le Comte de Bricour, n’avait pu allier la délicateſſe de ſon eſprit, avec la groſſiereté des leurs ; & comme ils étaient irrités contre lui, du peu de cas qu’ils voyaient bien qu’il faisait deux ; ils dirent à Monſieur de Blémigni, après lui avoir fait une ample & pompeuſe énumération de toutes leurs connoiſſances, (qui étaient ſemblables à eux,) qu’il y avait au Château de Bricour, un Comte avec ſa fille, qui fuyait tous ſes voiſins, & qui ne daignait pas ſeulement les regarder. Ce n’eſt pas que le Comte, n’eût toujours été fort civil envers eux ; mais, comme il ne les avait pas choiſis pour ſa ſociété ; (ce qu’ils ne pouvaient lui pardonner,) ils en firent un portrait très-déſavantageux à Monſieur de Blémigni, qui n’ayant pas une grande opinion de ceux qui lui parlaient, réſolut, pour s’éclaircir de la vérité, de faire une viſite au Comte avec ſa ſœur : mais, avant de les introduire, je penſe qu’il eſt à propos de tracer leur portrait.

Monſieur de Blémigni avait trente ans, il était d’une figure aſſez aimable, quoi qu’il parût, comme il l’était en effet, très-ſérieux : ſes manieres avaient tout-à-la-fois, quelque choſe, de ſimple & de noble ; & ſon eſprit était tel, que les ſujets les plus inſipides, prenaient dans ſa bouche une forme agréable : il était né ſenſible, ſans avoir jamais rien aimé ; n’ayant pu trouver d’objet digne de toucher. ſon cœur : mais le moment approche, où il va faire l’épreuve de ſa ſenſibilité.

Quant à Mademoiſelle de Blémigni, elle avait dix-neuſ à vingt-ans ; ſa phyſionomie était des plus charmantes ; & ſa converſation avait tant de charmes, qu’on la quittait avec peine, & qu’on la rejoignait toujours avec plaiſir : une âme grande, un cœur généreux… mais la ſuite de cette hiſtoire, la fera mieux connaître, que tout ce que j’en pourrais dire. Tels ſont ceux que, je vais introduire chez le Comte Bricour qui, par l’habitude qu’il s’était faite de ne voir perſonne, fut en quelque ſorte fâché quelque aimables que fuſſent celles qui ſe préſentaient à lui : fut fâché, dis-je, ainſi que ſa fille, de voir ſes ſombres rêveries interrompues ; cependant il les reçut avec beaucoup de politeſſe : Célide y joignit toute la ſienne : & Monſieur & Mademoiſelle de Blémigni, ne tarderent pas à reconnaître, combien la deſcription qu’on leur avait faite d’eux, était infidéle : & de Blémigni ne put voir Célide, ſans des ſentimens, qui, par leur nouveauté, lui parurerent d’abord inextricables : mais on verra, qu’ils ne le furent pas long-tems.

Quant au Comte, il conçut beaucoup d’eſtime pour Monſieur de Blémigni, & pour ſa ſœur, qui de ſon côté, ſut enchantée de Mademoiſelle de Bricour, qui ne ſe ſentit pas moins d’inclination pour elle. Enfin ces quatres perſonnes ſe ſéparerent fort ſatisfaites les unes des autres : & ſi le Comte & Célide ne regretterent pas le tems, qu’ils avaient paſſé, à s’entretenir avec Monſieur & Mademoiſelle de Blémigni : ceux-ci en furent charmés, & réſolurent de cultiver, autant qu’ils le pourraient, leur connaiſſance : ſur-tout, Monſieur de Blémigni, qui, ſans ſavoir encore pourquoi, ſentait pour Mademoiſelle de Bricour un penchant invincible qui l’attirait vers elle. Quelques jours après, le Comte, pour répondre à la civilité de de Blémigni, réſolut de lui rendre ſa viſite ; & il y fut en effet avec Célide, qui, connaiſſant encore mieux Mademoiſelle de Blémigni, par cette ſeconde entre-vue, commença d’avoir pour elle, une amitié fort tendre, que cette aimable fille paya de toute la ſienne. Mais, ſi l’amitié ſe déclara dans le cœur de Mademoiſelle de Blémigni pour notre héroïne ; l’amour ſe développa dans celui de ſon frere, qui depuis ce jour, vit très-ſouvent le Comte de Bricour, dont il acquit tellement l’eſtime, qu’il devint ſon intime ami. Mais quant à Célide, quel qu’agrément qu’elle trouvât dans l’entretien de Mademoiſelle de Blémigni, il ne pouvait la diſtraire du ſouvenir de de Bliville, qui l’occupait preſque toujours ; quoiqu’elle entreprit de le bannir de ſon cœur : elle reliſait ſouvent ſes lettres, car il lui avait toujours écrit ; mais elle ne lui avait répondu que la premiere fois, ainſi qu’on l’a vu. Le Marquis en était déſeſpéré ; enfin le cruel tems, qu’il devait paſſer loin d’elle, étant expiré, il était dans une ſatiſfaction inexprimable : avant de partir, il lui écrivit cette lettre.

MADEMOISELLE,

Voici enfin le moment arrivé où je dois partir d’ici. Grand Dieu ! Que n’ai-je pas ſouffert, pendant le cruel tems, que j’ai été privé du bonheur de vous, voir ; vous que je ne voudrais jamais quitter. Réduit, pour comble d’infortune, à penſer que ſi vous ne me haïſſez pas vous avez du moins pour moi, la plus grande indifférence : & que vous ne regardez l’inſtant, où j’irai vous réitérer ma reſpectueuſe tendreſſe, que comme une importunité qui vous offenſe : quelles penſées déſeſpérantes, Mademoiſelle, pour un homme auſſi paſſionné que moi ! Ah ! quelque ſoient vos ſentimens, l’amour que j’ai pour vous ſubſiſtera toujours. Mais, ciel ! avant de recevoir de votre bouche mon arrêt, dix jours vont encore me laiſſer dans l’incertitude où je ſuis ! que ne puis-je les abbréger ! que ne puis-je dans ce moment implorer votre pitié ; & jurer à vos pieds que je vous adorerai éternellement : c’eſt là, Mademoiſelle, le ſouhait que forme votre malheureux amant,

de Bliville

Après avoir écrit cette lettre, le Marquis partit de ***, accompagné du Chevalier de Séminille, avec autant de joie, qu’il avait eu de douleur en quittant le Château de Bricour. Mais laiſſons le continuer ſon voyage, & revenons à Célide,

Elle apprit avec plaiſir, que dans peu elle verrait de Bliville ; mais quant au Comte, s’il en eut de la ſatisfaction, elle fut mêlée de triſteſſe ; parce qu’il penſait, que la vue du Marquis, ne ferait qu’augmenter la tendreſſe qu’elle avait pour lui : ce que Célide remarquant, elle tâcha de renfermer dans ſon cœur la joie dont elle était pénétrée. Elle n’eut beſoin pour cela, que de ſe rappeller les ſentimens qu’elle avait inſpirés à Monſieur de Blémigni : car, quoiqu’il ne l’en eût pas encore inſtruite, ils paraiſſaient ſi clairement par la façon dont il lui parlait, par l’air dont il la regardait, qu’il aurait été impoſſible, qu’elle ne l’eût pas remarqué. Le Comte de Bricour en était auſſi apperçu, ainſi que de l’attention que Célide apportait, pour ne pas ſe trouver ſeule avec lui ; de ſorte qu’il ne douta pas qu’elle n’eût fait la même obſervation : Monſieur de Blémigni effectivement, aimait beaucoup Mademoiſelle de Bricour, & deſirait ardemment de lui plaire, pour unir ſa fortune à la ſienne ; car il penſait que le Comte ne refuſerait pas ſon alliance. Mais avant de ſavoir de lui ; s’il l’agréait, il voulait être aſſuré du cœur de celle qui lui avait enlevé le ſien : la délicateſſe ne pouvant ſupporter, qu’une femme l’épouſat ſeulement pour ſa fortune, & par obéiſſance pour ſes parens, ſans avoir, la moindre inclination pour lui : c’eſt pourquoi, n’ayant encore pu l’entretenir en particulier, il en attendait le moment, avec une impatience difficile à repréſenter. Il en trouva enfin l’occaſion, la veille du jour, que de Bliville arriva.

Le Comte de Bricour étant l’après-midi de ce jour à la chaſſe, Célide ſe trouva ſeule ; & pour favoriſer entierement Monſieur de Blémigni, la haſard permit que ſa ſœur, ; qui allait toujours avec lui chez le Comte, ſe trouva un peu indiſpoſée ; ainſi ſon ſrere, qui ne pouvait paſſer un jour, ſans voir ce qu’il aimait, vint chez le Comte, ſans ſavoir qu’il fût ſorti ; mais, il fut bien : ſatisfait, de ne trouver que Mademoiſelle de Bricour, qui en le voyant ſeul : — Eh ! pourquoi, lui dit-elle, ne vois-je pas Mademoiſelle de Blémigni ? — Sans une légere indiſpoſition, qu’elle a aujourd’hui, elle n’aurait pas manqué ; de venir jouir du plaiſir, que les charmes de votre perſonne, & ceux de votre entretien procurent. — C’eſt à moi à regretter celui, que l’agrément de ſon eſprit, donne à ceux qui ont le bonheur de la voir ; & je ſuis d’autant plus fâchée, d’en être privée, que c’eſt par une cauſe affligeante, dont je ne me conſole, que dans l’eſpoir ; qu’elle ceſ ſera bien-tot. — Qu’elle eſt heureuſe ! reprit-il vivement ; puiſque vous l’aimez, & que vous plaignez les maux qu’elle reſſent ! Que je le ſerais, continua-til ſur le même ton, ſi vous daigniez compatir aux miens ! Oui, Mademoiſelle ; ceux que je ſouffre, méritent bien plus votre pitié, puis qu’ils ſont bien plus violens, & que vous en êtes l’auteur. — Moi, s’écria Célide en rougiſſant. — Oui, vous, Mademoiſelle, reprit-il : depuis le moment, que mes yeux vous ont vue mon cœur vous adore : j’ai cherché depuis ce tems, mais inutilement, l’inſtant de vous le dire : juſqu’à préſent, j’ai ignoré & ignore encore, ſi je doit craindre, ou eſpérer ; c’eſt à vous, Mademoiſelle, ajouta-t-il, en ſe jettant à ſes pieds, de décider de ma vie, ou de ma mort : car je ne vous déguiſe pas, que ſi l’arrêt, que je vous ſupplie de prononcer, ne m’eſt pas favorable, je finirai bientôt, des jours qui me ſesont inſupportables, ſi vous me défendez d’eſpérer, que ma reſpectueuſe paſſion, puiſſe vous engager à me permettre, de m’adreſſer à monſieur le Comte, pour obtenir de lui l’honneur de ſon alliance. —

Célide interdite, étonnée, ne ſavait que lui répondre ; elle y réſléchiſſait, ſans faire attention à la poſture où il était, & où il demeurait toujours : lorſque s’en appercevant, elle l’obligea de ſe lever : & après l’avoir fait aſſeoir : — Monſieur, lui dit-elle, l’étonnement où m’a jettée votre diſcours, n’a empêché d’y répondre plutôt : en effet ; il eſt facile de s’imaginer qu’une perſonne, qui ſe connaît aſſez pour ſavoir qu’il n’y a rien en elle, qui puiſſe inſpirer les ſentimens ; que vous dites avoir pour moi, n’en ſoit très-ſurpriſe… — Ah ! Mademoiſelle ; que dites-vous ? interrompit de Blémigni ; non : vous ne vous connaiſſez pas, ſi vous croyez qu’il ſoit poſſible de vous voir, & de conſerver la liberté de ſon cœur : C’eſt préciſément, parce que je me connaîs, que je ſuis perſuadée du contraire ; mais ſans entrer dans une diſcuſſion, que votre politeſſe ſerait durer long-tems, je vous dirai, Monſieur, que, quelqu’eſtime que j’aye pour vous, la tendreſſe que j’ai pour mon pere, fait que depuis le cruel moment, où il plut au ciel, de m’enlever ma mere, je réſolus de paſſer ma vie avec lui, pour lui aider autant que je le pourrais, à ſupporter une perte, qui n’eſt que trop irréparable. Ah ! Mademoiſelle, reprit de Blémigni, d’un air pénétré de douleur ; croirai-je que c’eſt le ſeul motif, que vous alléguez, qui vous porte à refuſer la main d’un homme qui a pour vous l’amour le plus reſpectueux & le plus rendre ? & ne dois-je pas plutôt penſer, que le malheur de vous être odieux en eſt la véritable cauſe ! Comme il achevait ces mots, le Comte de Bricour entra, & rompit cette converſation, au grand contentement de Célide, & au grand regret de Monſieur de Blémigni, qui étant tout déconcerté, ſortit, pour empêcher le Comte de remarquer ſon trouble : mais, cependant il ne lui échappa pas, ſur-tout, lorſqu’en regardant ſa fille, & la voyant rougir, il ſe confirma encore dans {on premier ſoupçon. — Quel était donc, dit-il à Célide, l’entretien que vous aviez avec Monſieur de Blémigni, quand je ſuis entré ? Qui peut avoir cauſé l’embarras où je l’ai vu, & où je vous vois ? Parlez, ma fille ; & ne me déguiſez rien : — Alors Célide, qui, n’était pas accoutumée à la diſſimulation avec ſon pere, lui raconta tout ce qui s’était paſſé entre elle, & Monſieur de Blémigni. — Ah, ma fille ; lui dit le Comte, lorſqu’elle eut achevé ſon récit ; ſans la paſſion, dont ton cœur eſt rempli pour de Bliville, : je t’aurais vu heureuſe, avant ma mort : & en fermant les yeux ; j’aurais eu la conſolation de penſer que ton bonheur était ſolidement établi. — Mon bonheur ! interrompit-elle, le viſage inondé de pleurs : Ah ! ſi j’étais aſſez infortunée pour vous perdre, en ſerait-il pour moi ! Mon pere ! ah ! quelle horrible image préſentez-vous à votre fille ! La croyez-vous capable de vous ſurvivre ? quelle faible idée, vous formez-vous donc du tendre attachement, que mon cœur a pour vous ? Quoi, ſeule ſur la terre, iſolée privée pour jamais des Auteurs de mes jours ; & je ne mourrais pas de douleur ! Ah ! mon pere, ne ſoyez pas inquiet, en quittant la lumiere, du ſort de votre fille ; puiſqu’elle n’en jouira pas longtems après vous. — Ah ! ma chere Célide, lui dit le Comte en l’embraſſant, ſe peut-il qu’un pere qui t’aime, ne puiſſe te parler, ſans faire couler preſque toujours tes larmes ! ô amour ! enchanteur & cruel poiſon ! tu ſais tous nos malheurs : ſans roi, nous coulerions des jours tranquilles : ma chere fille, le généreux de Blémigni, aurait rendu heureux les tiens ; & aurait aſſuré ma félicité par la tienne. — Ah ! mon pere, quand je n’aimerais pas le Marquis, je n’épouſerais pas Monſieur de Blémigni ; & ſoyez aſſuré, que ſi je puis vaincre, (ce que je ne déſeſpere pas,) la paſſion qui trouble votre repos & le mien ; heureuſe, d’être rendue à moi-même, je me conſacrerai entierement à paſſer ma vie avec la vôtre à jouir du bonheur, que je goûterai par le contentement, que ma liberté recouvrée vous donnera ; & par mes tendres ſoins, par mon reſpect, je parviendrai peut-être, à vous faire oublier les ſujets de plaintes, que mon amour vous cauſe aujourd’hui : ainſi, je ne ſerai jamais à de Blémigni, ni à nul autres & ma félicité conſiſtera, à vous convaincre de plus en plus, de la tendreſſe que j’ai pour vous.. — Arrête, s’écria de Comte, & ne me préſense pas davantage une chimérique illuſion, que tu ne réaliſeras jamais. — Quoi ! vous croyez que j’aimerai toujours le Marquis ! - Qui, je ne le crois que trop : eh ! comment puis-je penſer autrement ? Une abſence de cinq mois, les ſentimens de la nature, ceux d’un homme auſſi aimable, que Monſieur de Blémigni, n’ont point affaibli les tiens pour le Marquis ; tu vas le revoir ; & il eſt à préſumer que ſa vue, au lieu de diminuer ton amour, ne fera que l’augmenter : juges après cela ſi je puis raisonnablement me flatter, qu’un jour viendra, où l’indifférence ſuccédera à la vivacité Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/201 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/202 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/203 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/204 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/205 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/206 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/207 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/208 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/209 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/210 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/211 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/212 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/213 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/214 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/215 Page:Motte - Celide - vol 1.djvu/216 Page:Motte - Celide - 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Fin de la premiere Partie.
  1. Timanthe, natif, ſelon quelques-uns, de Cythne, l’une des Cyclades, & ſelon d’autres, de Sicyone, Ville du Péloponeſe.