Cahiers du Cercle Proudhon/3-4/Hommage à Georges Sorel/L’œuvre de Sorel et le Cercle Proudhon

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Cahiers du Cercle Proudhon/3-4/Hommage à Georges Sorel
Cahiers du Cercle Proudhoncahiers 3 & 4 (p. 125-133).

L’ŒUVRE DE SOREL ET LE CERCLE PROUDHON
précisions et prévisions


DISCOURS D’HENRI LAGRANGE


Messieurs, mes chers amis,

Les fondateurs du Cercle Proudhon ne peuvent célébrer le premier anniversaire de leur entente et du mouvement qu’elle a engendré sans une profonde émotion.

Nous ne pouvions imaginer, il y a un an, quand nous nous réunissions pour la première fois chez l’un de nous, qu’un succès aussi rapide viendrait sanctionner notre entreprise, et qu’à nous réjouir des destins heureux qui ont favorisé la naissance et le développement de notre Cercle, dans un laps de temps aussi bref, nous serions aussi nombreux. Mais cette éclosion fortunée, mais ces résultats si prompts et qui passent les espérances les plus optimistes, ce qui les a permis et ce qui les a déterminés, ce n’est pas seulement des concours fidèles et des amitiés constantes que nous ne saurions oublier, c’est, avant tout, l’affligeante maladresse des haines acharnées, qui, dès l’origine, ont poursuivi notre mouvement et ses promoteurs.

L’indignation de M. Bouglé, les protestations de M. Herriot, les brusques sursauts du Temps, les intrigues nouées dans les couloirs de la Sorbonne et qui inspirèrent les notes publiées sur Proudhon et sur le Cercle Proudhon par les journaux doctrinaires de la Démocratie, les lamentations du pauvre Maxime Leroy, dans la Grande Revue, tels sont, Messieurs, les facteurs de notre victoire antidémocratique, et les pronostics les plus rassurants pour notre avenir.

Les causes de cette levée de boucliers contre le Cercle Proudhon, les motifs de cette terreur empressée et de ces déclarations de guerre, c’est que les agents de la Démocratie et les serviteurs de la Ploutocratie internationale ont vu, dans la constitution même de notre Cercle, une défaite et une injure personnelles. D’honnêtes dreyfusiens comme M. Guy-Grand ont ressenti une colère égale à celle de professeurs brouillons, comme M. Bouglé. Les dupes et les complices furent pareillement étonnés, et semblablement irrités.

C’est que les projets nourris, la tactique observée, la ligne de conduite suivie, depuis dix ans, par les fondés de pouvoir de la Ploutocratie internationale étaient, par la fondation du Cercle Proudhon, percés à jour et anéantis. Empêcher ou, tout au moins, retarder l’inévitable jonction des nationalistes et des syndicalistes clairvoyants, c’est, en politique, la pensée dominante et la principale occupation des puissances financières, maîtresses de nos destinées nationales. Professeurs de la Sorbonne, parlementaires unifiés, et syndicalistes ministériels, émules de Métivier, frères siamois de Jaurès, et disciples de Basch, furent mobilisés à cet effet. Leurs efforts coalisés et leurs manœuvres convergentes leur permirent d’obtenir des victoires passagères et des demi-succès. Aux guichets des grandes banques, ils purent présenter, comme valeur d’échange, les bannières syndicales souillées des noms de Dreyfus et de Ferrer.

Malgré l’industrie des intellectuels, des traîtres et des politiciens, malgré la vigilance intéressée et la sévère surveillance exercée par tous les fonctionnaires et par tous les mercenaires de la Ploutocratie internationale, des citoyens français, nationalistes et syndicalistes, franchirent les barrages policiers, et, se rejoignant, connurent qu’ils étaient de même chair et de même langue, et pareillement ennemis des utopies démocratiques et de la tyrannie capitaliste. De cette rencontre naquit le Cercle Proudhon.

Il était nécessaire de rappeler aujourd’hui les efforts tentés en vue de rendre impossible l’alliance des nationalistes et des syndicalistes : à considérer les obstacles renversés, nous acquérons une plus grande conscience des services à rendre et de l’œuvre à réaliser. Qu’il me soit permis de constater que les craintes des utilisateurs professionnels des mouvements syndicalistes n’étaient pas dénuées de fondement : dès cette année, il nous a été donné de déjouer les calculs de la Ploutocratie internationale. Des policiers mêlés aux patriotes qui suivent les retraites militaires ayant insulté les militants syndicalistes présents à la Bourse du Travail, le Cercle Proudhon dénonça, dans une déclaration rendue publique, la manœuvre tentée. Nous eûmes la satisfaction de constater l’avortement de l’intrigue amorcée : le silence le plus absolu succéda aux rumeurs guerrières, et les bagarres qu’on souhaitait et qu’on préparait, les barricades qu’on commençait d’élever entre nationalistes et syndicalistes furent jugées inopportunes, et leur usage remis à une date plus favorable.

Il est donc établi que les agents de la Ploutocratie internationale, chargés de recruter des défenseurs au régime, ou d’enrôler les ouvriers français dans les bandes ferreristes et dreyfusiennes, rencontreront, aux abords des chantiers, des usines et des magasins, les membres du Cercle Proudhon. Aux abords des résidences nationalistes, où ils s’efforcent de transformer des patriotes ardents en amateurs de défense sociale, admirateurs de tel ou tel homme d’État républicain, Millerand ou Briand, esclave de la Haute Finance, les agents de la Ploutocratie internationale rencontreront de même les membres du Cercle Proudhon. Une de nos fonctions essentielles consiste, en effet, à veiller soigneusement à ce que la Ploutocratie internationale ne puisse se soustraire aux mouvements qui la menacent en France, en les détournant de leur action naturelle, et en tes opposant les uns aux autres. Impatients du règne de l’Or, nous saurons empêcher qu’il trouve sa sauvegarde dans la guerre civile.

*

Il est un homme, à qui nous devons faire hommage de ces premiers résultats, et que nous devons assurer de notre immense gratitude. Il eut été, ce me semble, indécent de le faire, il y a un an, alors que nous représentions seulement des désirs ardents, et un petit nombre de volontés résolues. Mais, aujourd’hui, il serait ingrat et profondément injuste, de notre part, de nous féliciter de notre alliance et de ses conséquences sans en reporter l’honneur sur l’œuvre qui l’a rendue possible et qui l’a faite : l’œuvre de Georges Sorel.

Il serait puéril de parler ici de fatalité, et de dire que la Force des choses conduisait les nationalistes et les syndicalistes à un accord. Cette fatalité, cet accord logique, encore fallait-il qu’une intelligence supérieure pût les découvrir inscrits dans l’ordre et dans la nature des deux mouvements.

Le bruit public, soutenu d’une légende démocratique, et qui laisse encore des racines vivaces dans les esprits, affirmait que nationalisme et syndicalisme étaient deux termes contradictoires. Nous savons, aujourd’hui, quelles puissantes affinités existent entre ces deux grands courants de l’énergie nationale : l’un et l’autre, antilibéraux et antidémocratiques, issus de fortes réalités, ennemis acharnés du régime capitaliste.

Mais cette connaissance des caractères communs aux deux mouvements, c’est à M. Georges Sorel que nous la devons. C’est lui, aussi, qui a révélé aux nationalistes que la raison profonde de l’antipatriotisme syndical résidait dans la forme capitaliste et antinationale de l’État. Quelqu’autre jour, l’occasion nous sera fournie de remercier les socialistes antidémocrates, comme Édouard Berth, les nationalistes intégraux comme Georges Valois, de la part qu’ils ont prise au rapprochement des syndicalistes et des admirateurs de l’Enquête sur la Monarchie.

Aujourd’hui, c’est à M. Georges Sorel que vont tous les témoignages de notre admiration et de notre reconnaissance. En étudiant, en analysant, en pénétrant aussi profondément la vie syndicale, il a permis à des Français qui se croyaient ennemis jurés de s’unir pour travailler de concert à l’organisation du pays français. J’aurais voulu dire de vive voix au grand philosophe et au grand historien des Réflexions sur la Violence et de la Révolution dreyfusienne, toute notre affection intellectuelle.

L’œuvre de Georges Sorel marque une date importante dans l’histoire des idées et dans l’histoire de France : elle découvre soudain aux Français qui recherchent l’ordre un magnifique terrain d’entente nationale. Sans Georges Sorel, le Cercle Proudhon ne pourrait exister : il y sera donc toujours honoré et admiré comme un maître.

Ce n’est pas notre négation des vertus démocratiques et notre alliance contre l’ordre imposé à toutes les fractions de la société française par la Ploutocratie internationale, qui a troublé, inquiété, et surpris au plus haut degré les derniers démocrates : c’est la volonté, affirmée dans la Déclaration des fondateurs du Cercle Proudhon, de faire œuvre constructive et organisatrice.

Je suis bien sûr que M. Antonelli et ses amis de la Démocratie sociale, que le règne des Poincaré et des Deschanel ne satisfait pas et qui rêvent de doter la République d’un parti nouveau et la France d’une démocratie organique, syndicale et fédérale, ont observé d’un œil attentif les premières démarches de notre Cercle. Mais, tandis que ces messieurs, qui veulent l’impossible, réclament de leurs lecteurs « un acte de foi », nous nous efforçons de prouver que notre union peut être féconde. Il importe peu que nous ne soyons pas d’accord sur le problème de l’État : ce n’est pas une conception commune de l’État qui a servi à nous assembler, mais, en aucune manière, elle ne contribue à nous diviser. Chacun de nous, dans ses travaux, envisagera l’organisation de l’État, quand il le jugera nécessaire. Cette grande question, que nous examinerons tous sous un angle antidémocratique, sera agitée entre nous : elle fera l’objet de recherches et de discussions collectives. Mais elle n’occupe et n’occupera jamais dans la vie de notre Cercle qu’une place de second ordre.

Ce que nous voulons, c’est rechercher dans quelles conditions, selon quels principes, et par quels moyens il sera possible de substituer à la féodalité financière un ordre social français.

Nous sommes tous d’accord sur ces points :

1o À la faveur des institutions démocratiques, la Ploutocratie internationale fait subir aux provinces, aux classes, aux familles françaises, dans leur vie politique et économique, religieuse, intellectuelle et morale, un régime qui contrarie en elles le sens même de la vie : c’est le régime de l’or.

2o Pour le salut de la vie française, il est absolument nécessaire de créer, dans tous les ordres français, des institutions qui conservent et protègent la force qui est aux sources mêmes de l’existence : le sang.

3o Le Cercle Proudhon comprend des représentants de la noblesse, de la bourgeoisie et des classes ouvrières françaises. Ses membres se proposent de rechercher quels organismes permettront aux républiques qui tendent à se substituer aux divisions administratives établies par la Ploutocratie internationale de remplir, dans les meilleures conditions, l’office national qui leur est assigné par l’intérêt suprême du sang français.

4o Ces recherches ne seront pas effectuées dans une intention de paix sociale. Les membres du Cercle Proudhon n’ont pas davantage le désir de s’ériger en docteurs orientant les citoyens français, cherchant à s’organiser, vers une solution quelconque. Nos particularismes multiples n’auront pas à souffrir de notre travail commun. Au contraire, la diversité de nos origines et de nos caractères nous autorise à nous faire connaître les uns aux autres quels services nationaux les classes peuvent se rendre mutuellement. En maintenant les classes distinctes, notre volonté est, au nom de nos intérêts de famille, de province et de classe, d’affirmer l’existence et de provoquer les manifestations de la solidarité nationale française en face du régime capitaliste, qui nous est imposé par la Ploutocratie internationale.

Si je n’ai pas exprimé d’une manière trop inexacte les idées qui se sont dégagées de nos entrevues et de nos conversations, si j’ai bien saisi les termes précis de notre entente en vue d’une action nationale, ce que vous voulez, Messieurs, ce que nous voulons, c’est chercher la vertu nationale des institutions que la société française produit spontanément, dans ses réactions contre le régime capitaliste. Filles du Sang, les amitiés et les protections nationales peuvent seules s’opposer avec efficacité à la conquête et à l’invasion des puissances de l’Or. Un exemple, une œuvre déjà illustrent notre pensée. Georges Valois, ne connaissant pas les sentiments qui animent les classes nobles, eût été incapable d’examiner les titres et les devoirs de la Noblesse : il a su, dans une conférence magnifique, définir son office national. Mais ceux de nos amis qui appartiennent à la Noblesse sont seuls qualifiés pour déterminer leurs parents et leurs amis à mettre en pratique les vues et les conceptions exposées par Valois.

Ainsi, refusant de conseiller aux classes, aux communes, aux groupements complexes qui constituent la société française, une forme donnée d’organisation, nous nous réservons à chacun ce soin et ce droit pour les jours où nous délibérons avec nos concitoyens et avec nos camarades des disciplines que nous voulons assurer à notre travail et à notre cité. Mais nous savons que la force et l’énergie susceptibles de détruire le régime infâme de l’or, ne peuvent surgir que d’une circulation régulière du sang français. Nous ne pouvons détruire le régime capitaliste qu’on dressant contre lui les protections d’une économie française. L’œuvre qui appelle nos soins, c’est, Messieurs, l’instauration de ce régime nouveau, et de cet ordre social français, que notre illustre patron, Pierre-Joseph Proudhon, a espéré toute sa vie, et dont Charles Maurras, dans sa brochure merveilleuse, Trois idées politiques, constate qu’on l’espère vainement depuis un siècle. Toutes les classes de la société française sont ici représentées ; quand nos travaux auront abouti, comme j’en ai la ferme espérance, chacun de nous ira porter au sein des groupements dont il est membre la conscience des fonctions nationales que ces groupements doivent assumer. Ainsi, la Ploutocratie internationale se verra privée de ses colonies françaises ; au lieu de ses fiefs et de ses districts, nous verrons s’élever sur le sol français de franches et joyeuses républiques, dont nous rendrons l’indépendance durable, en les maintenant dans une alliance féconde, car notre volonté, c’est en leur rappelant qu’elles ont un office national à remplir, de graver sur leurs oriflammes innombrables le nom de la France immortelle.