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Caleb Williams/03

La bibliothèque libre.
Traduction par Amédée Pichot.
Michel Lévy frères, libraires éditeurs (tome 1p. 36-48).
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III


Du moment où M. Falkland entreprit l’exécution de ce projet, probablement dicté par un principe de devoir, il put dater le cours de ses malheurs. Dans tout ce qui me reste à raconter de son histoire, on verra une fatale destinée s’attachant sans relâche à le poursuivre ; une suite d’aventures qui prennent leur source dans divers accidents, mais qui toutes paraissent tendre au même but. Elles l’ont accablé de cette douleur qu’il était de tous les hommes le moins propre à supporter. Cette destinée n’a pas fait tomber sur lui seul sa funeste amertume ; d’autres ont senti l’atteinte de ses poisons : et, de toutes les victimes qu’elle a faites, c’est moi qui suis la plus infortunée.

Celui qui fut la première origine de cette chaîne de calamités était un gentilhomme nommé Barnabas Tyrrel, le plus proche voisin de M. Falkland, et son égal en titres et en fortune. À voir cet homme, on aurait dû croire, d’après son éducation première et toutes les habitudes de sa vie, qu’il était l’être le moins propre et le moins disposé à contrarier les jouissances d’un esprit aussi richement doué que celui de M. Falkland. M. Tyrrel eût pu passer pour un type des squires anglais. Il était resté de très-bonne heure sous la tutelle de sa mère, femme d’un esprit fort étroit et qui n’avait d’autre enfant que lui. La seule personne de la famille dont il soit nécessaire de parler était miss Emily Melville, fille orpheline d’une tante paternelle de M. Tyrrel, demeurant dans la maison, et qui dépendait entièrement de la bienveillance des maîtres.

Mistress Tyrrel se figurait qu’il n’y avait rien au monde d’aussi précieux que son charmant Barnabas. Rien ne lui était refusé ; chacun devait obéir servilement à ses volontés ; il n’était pas fait pour être assujetti à aucune gêne, à aucune règle pour son instruction : aussi ses progrès furent-ils fort lents, même pour la lecture et l’écriture. Il était né très-robuste et très-brutal ; tant qu’il resta confiné dans la ruelle de sa mère, il avait tout l’air d’un petit lionceau qu’un sauvage amoureux donnerait en place d’épagneul à sa maîtresse.

Mais il rompit bientôt ses lisières, et il se lia intimement avec le groom et le garde-chasse. Sous ces deux instructeurs, il montra d’aussi heureuses dispositions qu’il avait fait voir d’indocilité et de répugnance sous le pédant qui lui servait de précepteur. Il était dès lors bien évident qu’il ne fallait pas attribuer à un défaut d’intelligence son peu de progrès dans les belles-lettres. On ne put lui refuser une sagacité peu commune dans l’art des maquignons. Distingué par une habileté supérieure à la chasse et à la pêche, le jeune Tyrrel ne borna même pas là tout son savoir ; car il y joignit non-seulement la théorie, mais encore la pratique de l’art de boxer et le talent de jouer du bâton. Ces exercices ajoutaient à toutes ses autres qualités une force de corps extraordinaire.

Sa taille, quand elle eut acquis tout son développement, passait cinq pieds huit pouces, et ses formes athlétiques eussent pu servir de modèle à un peintre pour ce héros de l’antiquité, dont le plus bel exploit consistait à tuer un bœuf d’un coup de poing et à l’engloutir dans son estomac en un repas. Sentant bien tous ses avantages, M. Tyrrel était d’une arrogance insoutenable, tyrannique envers ses inférieurs et insolent avec ses égaux. C’était de ce côté que s’était jetée toute l’activité de son esprit. Repoussé des occupations intellectuelles, il s’attacha donc à briller par toutes les grosses malices d’un vrai rustre. Sur ce point, comme sur tout le reste, il l’emportait sur ses émules ; s’il avait été possible, en écoutant ses saillies, d’oublier un moment la dureté et l’insensibilité de cœur où elles prenaient leur source, on n’aurait pu se défendre d’applaudir à la vivacité d’imagination qu’elles annonçaient et au sarcasme dont elles étaient assaisonnées.

M. Tyrrel n’était nullement d’humeur à laisser rouiller des talents aussi rares. Il y avait toutes les semaines, à la ville la plus voisine, un cercle qui était le rendez-vous de tous les gentillâtres du comté. Jusqu’alors il y avait figuré avec tout l’avantage possible ; et, comme il n’y avait là personne qui l’égalât en opulence, que même la majorité de l’assemblée, quoique prétendant comme lui à la noblesse, lui était de beaucoup inférieure sur cet article essentiel, il était le grand-maître de la coterie. Tous les jeunes gens, reconnaissant ses droits incontestables à la supériorité, ne regardaient qu’avec circonspection et timidité cet insolent pacha qui maintenait son rang avec une jalousie despotique. Il est vrai que souvent ses traits s’adoucissaient et prenaient une teinte passagère de familiarité, mais on savait par expérience que, si quelqu’un, encouragé par condescendance, venait à oublier un moment la déférence que M. Tyrrel regardait comme lui étant due, il était bientôt traité de manière à se repentir de sa présomption. C’était un tigre qui jugeait à propos de jouer quelques instants avec une souris, mais qui voulait que le petit animal eût toujours la conscience du danger qu’il courait sous les griffes monstrueuses du féroce compagnon de ses jeux. Comme M. Tyrrel avait une assez grande facilité à parler, et qu’il était doué d’une imagination très-fertile, toute désordonnée qu’elle était, il était toujours sûr d’un auditoire. Ses voisins faisaient cercle autour de lui, et ses paroles étaient bientôt suivies d’un rire universel, dû en partie aux égards qu’on lui portait, et en partie aussi à une véritable admiration. Il arrivait souvent, néanmoins, qu’au milieu de cette bonne humeur, un raffinement de tyrannie bien caractéristique venait se présenter à son esprit. Quand ses sujets, excités par sa familiarité, commençaient à négliger de se tenir sur leurs gardes, tout à coup il lui prenait un accès d’humeur, un nuage soudain se répandait sur son front, le ton de sa voix passait du plaisant au terrible, et il s’ensuivait aussitôt une querelle sans motif avec le premier homme dont la figure avait le malheur de lui déplaire. Ainsi, le plaisir que les autres pouvaient trouver dans les saillies de son imagination n’était jamais sans un mélange de crainte. On croira sans peine que son despotisme n’avait pu arriver jusqu’à cet excès sans quelque opposition. Mais notre Antée rustique avait renversé tout ce qui s’était trouvé sur son passage ; au moyen de l’ascendant que lui donnaient sa fortune et la réputation qu’il s’était faite parmi ses voisins, il réduisait toujours son adversaire à la nécessité de lui abandonner le choix des armes, et, quand il avait pris ses avantages, il ne le quittait plus sans lui avoir bien fait sentir, dans tous ses membres, la peine de sa présomption. On n’aurait pas enduré aussi patiemment la tyrannie de M. Tyrrel, si ses talents pour la parole ne fussent pas continuellement venus au secours de cette autorité que lui avaient originairement obtenue son rang et ses prouesses.

Notre squire était près du beau sexe dans une position encore plus digne d’envie que celle qu’il avait conquise parmi les hommes. Il n’y avait pas une mère qui n’enseignât à sa fille à regarder la main de M. Tyrrel comme l’objet le plus élevé de son ambition. Il n’y avait pas une fille qui ne jetât un coup d’œil favorable sur ses formes athlétiques et sur la gloire de ses prouesses. Comme il n’y avait pas d’homme assez hardi pour lui contester la supériorité, il n’y avait pas non plus de femme dans ce cercle provincial qui se fît scrupule de préférer son hommage à celui de tout autre soupirant. Son esprit rodomont avait pour elles un charme tout particulier ; et voir cet Hercule troquer à leurs pieds sa massue contre une quenouille, était le spectacle le plus séduisant pour leur vanité. Elles étaient enchantées de sentir qu’elles pouvaient en toute sécurité folâtrer avec les griffes terribles de ce lion qui portaient l’épouvante dans le cœur des plus vaillants.

Tel était le rival que la fortune eut le caprice d’opposer à un homme accompli comme Falkland. Cette sorte de brute, farouche, mais non sans intelligence, eut le pouvoir d’empoisonner pour jamais l’avenir de l’homme le plus fait pour goûter et répandre le bonheur. La haine qui s’éleva entre eux fut nourrie par le concours de différentes circonstances, jusqu’à ce qu’enfin elle devînt extrême ; et c’est parce qu’ils ont été l’un pour l’autre ennemis mortels que je me suis vu moi-même un objet de misère et d’aversion.

L’arrivée de M. Falkland porta un terrible coup à l’autorité de M. Tyrrel dans le village. Le premier n’était nullement disposé à s’éloigner des lieux de rendez-vous de la bonne compagnie ; mais lui et son rival étaient comme deux astres que l’ordre de la nature a destinés à ne jamais paraître à la fois sur l’horizon. Il est évident que la comparaison était tout à l’avantage de M. Falkland ; mais quand il en eût été autrement, les sujets de son rustique voisin n’étaient que trop disposés à secouer son joug insupportable. Ils s’étaient soumis à lui jusqu’à ce moment par crainte et non par amour ; s’ils ne s’étaient pas encore révoltés, ce n’était que faute d’avoir pu trouver un chef. Les femmes mêmes regardèrent M. Falkland avec une complaisance particulière. La politesse de ses manières était parfaitement en harmonie avec la délicatesse de leur sexe. Ses saillies l’emportaient de beaucoup sur celles de M. Tyrrel par une portée plus grande et plus de variété ; ajoutez à cela qu’elles étaient toujours réglées et adoucies par le bon goût d’un esprit cultivé. Les agréments de sa personne étaient relevés par les grâces et l’élégance de toutes ses manières ; la bonté et la noblesse de son caractère se manifestaient dans toutes les occasions. C’était, il est vrai, une qualité commune à M. Tyrrel et à M. Falkland d’être fort peu accessibles à la timidité et à l’embarras ; mais cette qualité, M. Tyrrel la devait à une effronterie contente d’elle-même et à un verbiage tranchant dont il avait coutume d’accabler ses adversaires, tandis que M. Falkland, avec un esprit noble et franc, savait à merveille, par sa grande connaissance du monde et une juste appréciation de ses propres ressources, juger en un instant ce qu’il devait faire pour en tirer parti.

M. Tyrrel voyait avec dépit et inquiétude les progrès de son rival. Il en raisonnait souvent avec ses confidents particuliers comme d’une chose impossible à concevoir et à expliquer. Il dépeignait M. Falkland comme un être au-dessous même du mépris. « Selon lui, Falkland, avec sa taille de nain, aurait voulu changer toutes les proportions de l’espèce humaine, et persuader aux gens que l’homme avait été créé pour passer sa vie cloué sur un fauteuil, à pâlir sur des livres. À l’entendre, ajoutait-il, on ferait fort bien de laisser là tous ces exercices, qui procurent tant de distraction pour le moment, et qui donnent pour l’avenir une santé si robuste, afin de se livrer au noble travail de se creuser la tête pour trouver une rime et scander un vers sur ses doigts. Autant vaudrait un peuple de singes que des hommes de cette espèce. Pour mettre en fuite une pareille nation, il ne faudrait qu’un régiment de nos vieux Anglais nourris de bœuf et de pudding. Il terminait ces diatribes en déclarant n’avoir jamais vu le savoir servir à autre chose qu’à rendre les gens pleins de fatuité et d’impertinence. Un homme sensé ne pourrait rien désirer de pire aux ennemis de son pays que de les voir tous se livrer à ces dangereuses absurdités. Était-il possible qu’on eût sérieusement quelque estime pour une espèce aussi ridicule que ces Anglais d’outre-mer, de fabrique étrangère ? Mais il n’ignorait pas ce qui en était. On jouait là une mauvaise pièce pour le vexer, et il jurait de s’en venger sur tous de la belle manière.

Si M. Tyrrel avait cette opinion de M. Falkland, il trouvait ample matière à exercer sa patience dans les discours de ses voisins sur le même sujet. Tandis qu’il ne voyait rien en M. Falkland qui ne fût digne de mépris, ceux-ci semblaient ne pouvoir se lasser de chanter ses louanges. Que de dignité, que d’affabilité dans toutes ses manières ! quelle attention continuelle pour les autres ! quelle délicatesse de sentiments et de langage ! Instruit sans ostentation, poli sans fadeur, gracieux sans afféterie ! Occupé sans cesse à prendre garde que sa supériorité en fortune et en talents ne pesât sur les autres ! Qu’en résultait-il ? Qu’on la reconnaissait d’autant mieux, bien loin d’y porter envie.

Il n’est pas besoin de remarquer ici que cette révolution qui s’était faite dans les idées de cette société rustique est une des conséquences les plus ordinaires de la nature des choses. Les essais les plus grossiers, les premières ébauches de l’art excitent d’abord l’admiration, jusqu’à ce qu’on nous présente un travail plus fini, et alors nous nous étonnons nous-mêmes de la facilité avec laquelle nous nous étions laissé charmer. M. Tyrrel se figurait que ce subit enthousiasme n’aurait point de terme, et d’un moment à l’autre il s’attendait à voir tout le voisinage tomber aux pieds du nouveau-venu comme devant une idole. Le moindre mot d’éloge échappé par hasard en faveur de son rival lui faisait subir la torture des démons ; son dépit était une sorte de convulsion ; ses traits s’altéraient et ses regards devenaient effrayants. Un pareil état de souffrance aurait aigri le caractère le plus doux. Que ne dut-il pas opérer sur une âme de la trempe de celle de M. Tyrrel, toujours hautaine, bouillante et implacable ?

Les avantages de M. Falkland ne diminuèrent point en perdant même le relief de la nouveauté ; tous ceux qui avaient à se plaindre de la tyrannie de M. Tyrrel venaient aussitôt se ranger sous la bannière de son adversaire. Les femmes mêmes, quoique traitées par ce galant campagnard avec plus de douceur que les hommes, étaient pourtant exposées de temps à autre aux écarts de son humeur insolente et capricieuse. Elles ne pouvaient s’empêcher de remarquer un contraste entre ces deux champions rivaux, dont l’un semblait uniquement occupé de ses plaisirs, tandis que l’autre était tout générosité et complaisance. Ce fut vainement que M. Tyrrel chercha à tempérer la rudesse de son caractère. Il était dominé par un sentiment d’impatience et tourmenté par les idées les plus sombres ; ses politesses étaient lourdes et brutales, sa grâce ressemblait aux gentillesses d’un éléphant. On aurait dit qu’il y avait plus d’humanité dans son caractère quand il le laissait aller à son penchant naturel que lorsqu’il faisait des efforts pour l’enchaîner et le contraindre.

Parmi les dames qui fréquentaient cette société, aucune ne paraissait avoir plus de droits aux attentions de M. Tyrrel que miss Hardingham. Elle était aussi du petit nombre de celles qui n’avaient pas encore passé à l’ennemi, soit qu’elle préférât réellement celui des deux qui était sa plus ancienne connaissance, soit qu’elle eût calculé qu’une telle conduite réussirait mieux à le lui assurer pour mari. Avec cela, peut-être uniquement pour en faire l’épreuve en passant, elle jugea un jour à propos de montrer à M. Tyrrel qu’elle pourrait bien, comme une autre, prendre l’attitude hostile s’il lui arrivait jamais de la provoquer. En conséquence, un soir elle s’arrangea de manière à se faire prier pour la danse par M. Falkland, sans que de la part de celui-ci, qui n’était nullement au fait des anecdotes de la coterie, il y eût la plus légère intention d’offenser M. Tyrrel.

Quoique les manières de M. Falkland fussent extrêmement courtoises, cependant les discussions d’une assemblée de paroisse[1], ou les intrigues d’une élection de bourg n’occupaient pas ses loisirs, et c’était à des objets d’une tout autre espèce qu’il consacrait ses études et sa retraite.

Peu de moments avant l’ouverture du bal, M. Tyrrel aborda sa belle favorite et entra en conversation avec elle sur quelque bagatelle, pour remplir le temps et comme se disposant à lui donner la main pour danser. Il avait pris l’habitude de passer par-dessus la cérémonie ordinaire de demander préalablement cette faveur, comme ne supposant pas possible que personne osât lui disputer l’antériorité convenue de ses droits ; mais quand il n’aurait pas eu cette habitude, la formalité lui aurait toujours paru superflue dans la circonstance, parce qu’on connaissait assez la préférence générale qu’il donnait à miss Hardingham.

Pendant qu’il était ainsi engagé dans cette conversation, survint M. Falkland. M. Tyrrel ne le voyait jamais sans humeur. Toutefois, M. Falkland se mêla, sans affectation, à la conversation commencée, et la grâce avec laquelle il se présenta alors était telle que la malice la plus infernale en eût été désarmée. M. Tyrrel probablement s’imagina que cette manière d’aborder ainsi miss Hardingham n’était qu’un acte de politesse vague de la part de M. Falkland, et il attendait à tout moment que celui-ci s’éloignât.

La compagnie commençant à se mettre en mouvement pour la danse, M. Falkland avertit miss Hardingham qu’il était temps de se placer.

« Monsieur, interrompit brusquement M. Tyrrel, miss Hardingham est ma danseuse.

— Je ne le pense pas, monsieur ; miss Hardingham m’a fait la grâce d’accepter mon invitation.

— Et moi, je vous dis que non, monsieur ; je crois avoir quelque droit sur le cœur de miss Hardingham, et je ne permettrai pas que personne aille sur mes brisées.

— Il ne s’agit pas en ce moment du cœur de miss Hardingham !

— Monsieur, nous ne sommes pas ici pour parlementer. Laissez-moi passer, monsieur. »

M. Falkland repoussa doucement son adversaire.

« Monsieur Tyrrel, dit-il d’un ton ferme, il n’y a pas besoin de disputer pour régler cette affaire ; c’est au maître des cérémonies à en décider, et comme ni vous ni moi n’avons certainement l’intention de troubler la fête, ni de faire montre de notre bravoure devant ces dames, nous devons nous soumettre à sa sentence.

— Dieu me damne, monsieur, si je l’entends comme cela.

— Doucement, monsieur Tyrrel ; je n’ai nulle intention de vous offenser, mais aucune puissance sur terre ne saurait m’empêcher de soutenir un droit. »

Ce fut avec le plus grand sang-froid du monde que M. Falkland prononça ces derniers mots. Il n’y avait rien dans tout son extérieur qui eût la moindre apparence d’un défi, rien qui sentît la hauteur ou le dédain ; mais son ton, à la fois si calme et si élevé, avait quelque chose d’imposant qui réduisit son farouche adversaire à l’impuissance de répliquer. Miss Hardingham avait commencé à se repentir de son épreuve ; mais ses alarmes furent bientôt dissipées par la modération de son nouveau partenaire. M. Tyrrel se retira sans répondre un mot. Il murmura en s’en allant quelques jurements que les lois de l’honneur n’obligeaient pas M. Falkland d’entendre, et qu’en vérité il n’aurait pas été facile d’entendre bien exactement. M. Tyrrel n’aurait peut-être pas cédé si aisément, si son bon sens ne lui eût pas bien fait voir qu’avec toute l’envie possible de tirer vengeance de son rival, il n’était pas sur un bon terrain pour cela. Mais s’il ne put ouvertement obtenir satisfaction de cette atteinte portée à son autorité, il n’en garda pas moins profondément l’impression dans le secret de son âme, et il était assez évident que sa haine amassait des griefs dont il espérait bien quelque jour faire sentir tout le poids à son adversaire.



  1. Vestry : sacristie, assemblée ainsi nommée du lieu où se tient la réunion des notables de la paroisse.