Camées parisiens/3
e reprends ma petite œuvre inachevée, après quatre années bien plus longues que quatre siècles, car depuis le temps où je m’amusais à ces babioles, des événements affreux ont changé la face du monde, et un roi barbare, devenu empereur depuis lors, mais qui n’apprendra pas l’élégance parisienne, est venu ici coiffé d’une casquette, sur laquelle aucun statuaire, si habile qu’il soit, ne parviendra jamais à arranger congrument la couronne de laurier. L’horrible Guerre au rouge panache mouvant a dévasté nos campagnes sanglantes ; vieux, nous avons repris le fusil et le harnais du soldat ; les meilleurs d’entre nous sont morts, hommes du peuple, ouvriers des métiers, princes aussi et ducs ayant dans leurs veines le brave sang de leurs aïeux, et aussi des artistes divins, tels que celui-là, si jeunes qui accourut pour remplir son devoir d’homme et de citoyen, rapportant dans sa prunelle l’éblouissement de l’Orient, et sous son front tout le chœur impatient des chefs-d’œuvre futurs. La balle qui l’a frappé au front nous a tous éclaboussés de son sang ; et ensuite, Paris a brûlé comme une allumette, sans même servir de prétexte à quelque Domitius à barbe de cuivre rouge, désireux de chanter un poëme lyrique sur la destruction d’Ilios. Continuons cependant de créer et de vivre selon nos petits moyens ; car la meilleure vengeance que Paris puisse tirer de l’Allemagne, c’est de s’obstiner à être Paris, et le géomètre qui travaille pour le roi de Prusse n’obtiendra pas que ce monarque se fasse livrer l’esprit français, comme il s’est fait livrer, ô douleur ! la vaillante ouvrière Alsace, et le généreux pays sur lequel plane encore la figure de la guerrière Jeanne d’Arc !
el que je l’ai vu à Nice, il y a peu
d’années encore, sous le noir plafond de rosiers qui s’étendait devant sa
maison, quel visage spirituel et robuste,
tourmenté dans le calme, exprimant
bien la force herculéenne de celui sur
lequel la Sottise a toujours compté pour
tuer les monstres de ses marais et pour
nettoyer ses étables, en y faisant passer un furieux fleuve de Bon sens, qui
emporte tout dans son flot rapide et sonore ! Le large front, si ferme et hardi,
sans bosses vides ! bien découvert aux
extrémités sous une chevelure drue,
noire comme l’Érèbe et tondue de près,
les yeux non démesurément ouverts,
mais lumineux, sagaces, avec une étincelle de flamme et bien abrités sous
leurs sourcils presque droits, le nez osseux, torturé, à l’arête large, aux narines coupées très-hardiment, et s’enflant un peu au bout comme celui des
grands penseurs, les joues solides, hâlées par le soleil et le vent de la mer,
accusaient une énergie invincible, et la
bouche ironique, bienveillante, sensuelle, aux lèvres pourprées, éclatait de
vie dans une longue barbe ondoyante
et tortueuse comme celle de Clément
Marot. Ensemble heureusement accompagné par la cravate de soie blanche qui
entoure son cou, et par la veste de velours noir qui habille son corps d’athlète. — Plus vrai encore fut l’Alphonse
Karr de la première jeunesse, maigre,
nerveux, vêtu d’une blanche robe de
moine, irrité par le spectacle de la Bêtise humaine, et ne portant alors qu’une légère et noire moustache de Scaramouche, qui semblait ponctuer la poésie de
son génie railleur, venu en droite ligne
d’Aristophane. Aujourd’hui, après qu’il
a neigé sur ce chêne formidable ! Alphonse Karr ressemble au Pape des
Sages, car sa très-longue barbe, qu’il
porte en éventail, est devenue blanche
comme le plumage d’un cygne, et sur
son visage quelques légères rides sont
les coups de griffe que lui donne en
s’enfuyant l’insaisissable Chimère !
alzac, si obstiné à trouver l’Allégorie moderne, eût vu chez cette
Parisienne, à qui la pureté de son rêve
a conservé l’air aimable de la jeunesse,
l’image même de la Volonté unie à la
Résignation. Il eût admiré que cette
chevelure châtain foncé aux reflets doux,
que ces magnifiques sourcils, que ce
front tourmenté par des violences de
pensée, que ces yeux bruns expressifs,
si brillants et si mobiles, souvent fermés à demi, que cette coupe de visage
d’où une expression ineffable de bonté
et de douceur exclut la vulgarité, que
cette bouche où la lèvre très-prononcée
et la mâchoire large rappellent que
Saint-Vincent-de-Paul faisait ses œuvres charitables avec sensualité, et que
ce menton qui timidement se retire,
aient pu s’harmoniser dans le calme obtenu par un constant effort, et aient
reçu de la majesté du devoir infatigablement accompli une grâce délicate et
suprême. Car ce visage de poète, comme
celui de certains prêtres, a quelque
chose de l’ingénuité de l’enfance, récompense d’un ordre surnaturel et presque divin que Dieu accorde à ceux de
ses serviteurs qui humblement tracent
un droit sillon, sans songer un moment
à se parer de leurs souffrances et à se
glorifier de leur génie !
u’il y a de bonté, de naïveté, de
folie, d’intrépidité, et quels trésors de tendresse dans cette tête inquiète de Don Quichotte, modelée à la diable, fine, maigre, osseuse, un peu
grêlée, au vaste front haut et bombé,
à la légère barbe noire enfantine, aux
moustaches minces, à la haute chevelure noire, crêpée, touffue et furibonde,
au nez arrondi, mollement régulier, à
la bouche incisive, nette et songeuse. aux yeux flamboyants et obscurs, cachés dans des cavernes noires ! Tel
Shakspere avait vu son Mercutio, si
follement spirituel, si insoucieux, et
qui cependant appartenait, marqué d’avance, à la Fatalité tragique. Et c’est
sans doute à propos de ces destinées-là
que pendant les longues nuits au bord
de la mer, on entend le vent aigu et
les flots tumultueux que sillonne un
invisible fouet, rire de leur rire épouvantable.
lle est la seule Comédienne que le
Statuaire ait faite exprès pour exercer l’art de la Comédie, car elle est
grande comme Rosalinde, et assez mince
pour pouvoir porter tous les costumes !
De plus, elle est si bien faite pour exprimer la Poésie que, même lorsqu’elle
est immobile et silencieuse, on devine
que sa marche, comme sa voix, obéit à
un rhythme lyrique. Un statuaire grec,
voulant symboliser l’Ode, l’eût choisie pour modèle. Une véritable actrice doit
pouvoir jouer Juliette et Lady Macbeth, Iphigénie et Ériphile, Chimène et Pauline, et par conséquent ne doit être ni
blonde ni brune. Aussi Sarah Bernhardt,
avec son beau teint de Hollandaise, n’est-elle ni blonde ni brune ; car ses
cheveux sont blonds si elle les mouille,
et bruns si elle les pommade ! et, de plus,
si bien frisés, ondés et crespelés naturellement en tignasse idéale et en divine
crinière de Déesse, à la façon de la chevelure de Diane de Poitiers emmêlée
par Jean Goujon, qu’il n’y a qu’à y
fourrer le poing et à y planter une
épingle pour leur imposer la plus élégante et la plus compliquée de toutes
les coiffures. Que Henri Heine ne l’a-t-il connue lorsqu’il a peint dans Atta Troll son Hérodiade ! Avec quel amour
il eût copié sur son visage de reine de
Cappadoce ou de Néréide, qui fait songer à la nacre des mers, son front étroit
avec la peau très-tendre et très-luisante,
ses sourcils un peu rapprochés et plus
touffus à la naissance du nez, ses yeux
bruns très-longuement fendus et peu ouverts, ordinairement langoureux,
mais quand elle s’anime, s’éveillant et
sautillant comme des diamants noirs ;
et cette prunelle excessivement petite,
qui, lorsque la Comédienne dit un mot
ironique, semble se jeter hors de l’œil et
vous percer ; le nez hébraïque et pourtant très-gracieux par un bridage de la
narine, qui semble enlevée par la petite
bosse qui est au milieu du nez et qui signifie poésie et lutte ; et, sans oublier
le menton bien arrêté, résolu, la bouche
gracieuse aux lèvres rouges, très-fines,
qui laisse voir un magnifique et terrible éblouissement de dents blanches !
Et, jusqu’à la fin des âges, toujours l’image de Sarah Bernhardt sera évoquée
lorsque Ruy Blas dira : Elle avait un petit diadème en dentelle d’argent !
u’il fut beau ! c’est avec une
tête d’Apollon, avec la chevelure
d’un dieu et avec un corps d’Antinoüs
souple comme celui d’Arlequin Protée
qu’il jouait Edgard de Ravenswood et
Robert-Macaire, et il n’avait eu qu’à
s’habiller en Napoléon, sans rien changer à son visage réel, pour réaliser un
Napoléon plus antique et plus idéal
que celui de Gros et pareil à une
pure médaille, car sa beauté était si prodigieuse qu’elle pouvait même être
portée avec emphase ! Plus tard, l’ironie
que ce grand railleur avait dans l’esprit
modela son propre visage, éclaircit ses
cheveux sans rien leur ôter de leur élégante furie, ouvrit ses paupières toutes
grandes, releva démesurément l’arc des
sourcils, tira le nez en avant et en releva le bout, et des deux côtés de ce nez
creusa deux rides violentes et railleuses ;
douloureusement abaissa les deux coins
de la bouche, dont parfois un des coins
se relève sans attendre l’autre, de sorte
que cette bouche, alors tordue, a l’air
de dire, comme celle de Marguerite
d’Écosse mourante : « Fi de la vie !
qu’on ne m’en parle plus ! » Et par instants, dans un rapide éclair, on voit redevenir olympien et héroïque ce visage
fatigué par mille créations, mais qui
d’ailleurs, même dans les contorsions
et dans l’accablement, ne peut pas exprimer autre chose que la poésie et le
génie, car avec lui comme avec Balzac,
les galériens et les portiers eux-mêmes
ont du génie !
otelée et bien faite pourtant, et
avec de beaux bras et une poitrine
et des épaules, car le corsage de cette
miniature n’a rien à enlever à celui de
bien des femmes dont les puissantes dimensions atteignent à la peinture d’histoire,
elle est plus petite et plus mignonne
que Déjazet, qu’elle a modernisée, et que
l’oiseau colibri et que l’oiseau-mouche.
C’est — n’y cherchez rien autre chose ! —
une bouche fine et lumineuse, d’où la chanson et le bon mot s’envolent, ou
plutôt elle est une Épigramme de l’Anthologie traduite par Henri Meilhac et
faite femme. Très-femme, par exemple.
Si l’ovale du visage, d’une ligne trop
rapide court au petit menton arrondi ; si la chevelure à la mode cache
un front puissant ; si les yeux ne laissent voir que leur étincelle, s’enfoncent
et n’ont qu’un point de lumière, comme
les sourcils n’ont qu’un point d’ombre ;
si le nez malicieux et arrondi au bout
semble un peu large et court, c’est qu’il
faut que tout laisse le premier rôle à
ces lèvres spirituelles, enfantines et féroces, d’où la Raillerie ailée
s’enfuit victorieusement comme une flèche rapide !
ans ce large visage d’airain aux
lueurs cuivrées, dans ce front
chauve orné seulement de quelques
cheveux blancs et plats, il y a certainement une volonté indomptable. Les
sourcils se relèvent ; les yeux demi-fermés, habitués à contempler la figure
des batailles, regardent au loin ; le nez
est osseux et hardi sans tourner à l’aquilin ; la moustache, encore noire,
n’ombrage que les coins des lèvres et
laisse voir la bouche nette et rusée. comme cela est indispensable chez un
chef qu’on doit non-seulement entendre,
mais voir commander. La longue,
claire et légère impériale ne cache que
très-peu la largeur du menton et des
mâchoires, exprimant les vastes appétits,
et qui se retrouve dans les têtes de tous
les rois et de tous les chefs triomphants,
comme dans celles des capitaines d’aventure. L’oreille est très-petite chez ce
soldat, comme celle d’une Impéria ou
d’une Cléopâtre. Le torse qui est de
bronze, comme le visage, porte bien
l’uniforme de maréchal de France et les
broderies, et l’on admire combien le
fondateur de la Légion d’honneur a
été ingénieux en mettant sur la poitrine des Grands Officiers, à côté du
cordon rouge dans lequel les Grecs auraient vu le ruisseau de sang que fait
couler la Guerre implacable, la plaque
étincelante, diamantée, ruisselante de
calmes feux comme les froides étoiles,
qui du moins représente les mystérieuses joies et les éblouissements vertigineux de la Victoire.
ée impératrice, reine et duchesse,
et même comédienne, ce qui est
plus difficile, il n’y a pas dans Paris, à
la comédie ni dans la vie, une figure
plus aristocratique et plus souveraine
que celle-là, qui, par sa ferme, délicate
et élégante beauté, où triomphent à la
fois la ligne et la couleur, met à néant
la vieille querelle de la Peinture et de
la Statuaire. Façonnée, encore mieux
que Sarah Bernhardt, pour être une actrice, elle peut être à son gré, et toujours avec style ! une vierge ou une
courtisane, ou, ce qui est le dernier
mot de l’art et de la vie, une dame parisienne. Lorsqu’elle joua dans La Princesse Georges le rôle de Madame de
Terremonde, elle avait mis sur elle des
tas de diamants et des tas de grosses
fleurs de toutes les couleurs, comme
pourrait le faire une dame de la Halle
deux ou trois fois millionnaire qui
voudrait étonner ses voisines, et avec
cela elle était simple ! Les cheveux d’un
blond célèbre ; le front large et lisse ; les
sourcils droits, plus foncés que les cheveux ; les yeux bleus, pleins de regards
et de profondeur, malgré ce bleu, qui
est non pas froid et mort comme le pâle
azur des prunelles de dompteur, mais
étincelant comme le soleil dans la mer
Tyrrhénienne ; le nez droit et fin, projeté en avant, avec les narines très-fines,
transparentes et d’un rose nacré, et (caractère très-remarquable et délicieusement étrange !) une petite fente sur le
bout du nez, très-nette et très-accusée ;
la bouche discrète et rose ; les dents très-belles et d’un blanc doux et bon ; le
menton petit, mais ferme ; l’oreille allongée, merveilleusement bien ourlée ;
tel est le froid programme d’un spectacle que pourrait seul reproduire le Vinci,
du pinceau dont il peignait la Joconde.
Mais quant à cet impérieux, délicat et
presque invisible duvet qui si tendrement estompe d’une ombre vague et légère la lèvre supérieure, ne demandez
pas ce qu’il signifie, car vous forceriez
le frivole artiste de ces caprices à se pencher sur l’inconnu formidable et sur les
attirants abîmes de la Physiologie !
e visage apparaissait olivâtre mais
lumineux dans le farouche encadrement de cette barbe noire, touffue et
légère, et de cette chevelure noire naturellement frisée, demi-courte et relevée comme dans un buste antique. Le
front ferme, large, où tout est équilibré,
éclatant de génie, était d’un créateur ;
les yeux droits, profonds, embrasés,
pensifs, rapprochés des sourcils ; le nez
impérieux et tranquille ; la bouche calme, reposée, dessinée d’une ligne
puissante et pure, exprimaient à la fois
la volonté furieuse et la résignation indomptée de l’ouvrier dont la pensée
visionnaire contient des mondes, et sur
le torse élégant et fin du dompteur de
chevaux, naturellement le paletot rejeté
en arrière formait le revers d’un de ces
habits du seizième siècle que peint Titien. Sur le si jeune et mâle visage de
ce héros qui revivra dans de blanches
statues, il y avait la sereine tristesse de
l’artiste qui doit emporter avec lui la
moitié de son œuvre, mais aussi l’inconsciente et formidable joie des pures
victimes destinées à une mort sanglante !
marquise de saint-marc
l aurait fallu reproduire sa charmante image il y a quelques années,
alors qu’elle offrait le mélange curieux
et contrasté d’une très-grande dame et
d’une piquante beauté brune. Sur son
front si beau, on croyait voir passer les
pensées. Ses yeux noirs, spirituels et
bons comme des yeux qui ont tout vu
et qui ne se sont lassés de rien, étaient
d’une mobilité étrange qui ne fatiguait pas, tant les regards avaient de douceur, et le visage doré, couleur d’ambre,
le nez petit, mutin, gracieux, la bouche
d’un beau rouge, creusée aux extrémités
de petites fossettes, le petit menton d’un
ferme et joli dessin, étaient divinement
aimables. Deux lourdes nattes noires
encadraient alors cette chaude et lumineuse pâleur. Plus tard, la comtesse
Dash portait deux grosses touffes poudrées, et ses joues dont la coloration
s’était modifiée et adoucie, apparaissaient roses dans cette neige. Avec ses
jolies petites dents qu’elle avait gardées, elle a été une des rares femmes
dont la vieillesse s’éclaire de la tranquille et heureuse lumière d’un beau
sourire.
h ! refus des directeurs, envie des
rivaux, haine des imbéciles, travail dans les chambres froides, misère,
souffrances de ceux qu’on aime affreusement mêlées à la fièvre de la création, emportements, délires, amours,
efforts surhumains, démons acharnés
contre le génie de l’homme, malheurs,
accidents, ennuis ridicules, crimes du
sort ! non, impuissants que vous êtes,
vous n’êtes pas non plus parvenus à enlaidir celui-là, et c’est même en vain
que vous avez essayé de dénuder son
vaste front de poète, sur lequel il y
avait une telle chevelure crespelée et
farouche que, malgré tout ce que vous
en avez arraché, elle est encore inextricable et profonde comme une forêt.
C’est en vain que vous avez plongé
dans les joues de Litolff vos doigts
furieux comme ceux d’un statuaire romantique ; c’est en vain que vous avez
creusé cruellement de vos ongles ses
yeux victorieux, que vous en avez cerclé le dessous et que vous avez voulu
rapprocher l’un de l’autre son nez et
son menton ; en dépit de vous il est
beau ! Et beau d’une beauté qui n’a
rien de trop résigné, car dans ces traits
convulsés et calmes habite, cachée en
des replis imperceptibles, la rafraîchissante et vengeresse Ironie. Et comment
n’y serait-elle pas ? car lorsqu’enfin on
eût ouvert à Litolff un petit théâtre,
et qu’il y eût fait entrer (comme le cheval de bois dans Ilios) la divine Lyre
soigneusement cachée dans l’étui d’un
chapeau chinois, il se souvint alors que depuis vingt années, lui fermant obstinément leurs portes, les directeurs
avaient voulu tuer en lui la virilité de
l’art, la puissance créatrice ; mais il
borna sa vengeance contre eux à composer un chef-d’œuvre de musique
bouffe, dont le héros fut la victime de
Fulbert, Abélard !
a tête bienveillante et pensive de
l’impératrice Eugénie est merveilleusement parée d’une superbe chevelure blonde aux reflets rouges, et les deux boucles tombantes qui complètent
la coiffure sont disposées comme celle
de Marie-Antoinette. D’ailleurs, dans
le port gracieux et noble de l’Impératrice, quelque chose en effet rappelle la
démarche de la Reine, et avec l’amère
volupté qu’on ressent à accueillir les pressentiments effrayants, elle se plaisait à accentuer par des détails de costume cette vague ressemblance qui
existe seulement dans les attitudes, car
l’Impératrice a l’air mélancolique et
brisé d’une femme qui souffre et que tout
désabuse, tandis que Marie-Antoinette
était presque roide de majesté et de fermeté. Le front de l’Impératrice paraît
plus haut que large. Elle a les yeux
d’un brun rouge, très-rapprochés du
nez et bridés vers les tempes, ce qui
donne au regard quelque chose de fatal.
Ses sourcils épais, mais beaux et droits,
se rejoignent. Elle a le nez long du penseur, l’oreille belle et de forme allongée,
la bouche d’un beau dessin, presque
grande et très-gracieuse, avec un sourire contraint qui toujours accuse de
douloureuses pensées. Les joues admirables naguère, maintenant tombent un
peu, et le menton, alors trop peu saillant, s’est accentué, de même que la
Volonté, qu’il représente, a dû, en des
crises imprévues, grandir et se développer soudainement comme une fleur
hâtive. Au théâtre ou dans les fêtes, l’Impératrice adoptant la seule simplicité qui lui fût permise, portait presque
toujours un joyau unique, le plus souvent un collier de diamants, dont nul
n’a jamais songé à voir même la fastueuse richesse, tant les froides splendeurs des pierreries étaient naturellement effacées par la femme qui les portait, car le juge suprême de la Beauté
idéale et vivante, Théophile Gautier !
comparait avec raison aux harmonies
des plus belles statues grecques la magnifique ligne de son cou et de ses
épaules.
Mesdames, Cy finist la Troisième Douzaine des derniers Camées Parisiens. Les autres ont été faits sous l’Empire, et je cisèle ceux-ci sous la République, dont volontiers j’eusse donné ici l’image brillante de force, de jeunesse et de joie, que j’eusse à mon gré coiffée du laurier invincible, ou de la blonde couronne d’épis, ou du casque d’airain de la guerrière Antiope, si je n’eusse craint qu’une lettre de M. Barthélémy Saint-Hilaire ne vînt me désavouer, et que le Président de la République n’annulât brusquement la décision que j’aurais prise, comme il a fait souvent pour celles des conseils municipaux. Et de sa fière lèvre écarlate, pareille à celle de la déesse Athèna, elle eût semblé dire : « France ! ne désespère jamais, puisque tu es le pays de la cithare et de l’épée ; puisque tu es la terre de ceux qui savent travailler industrieusement, et qui tous, pour que tu ne meures jamais, veulent bien verser à flots leur rouge sang, et mourir ! »
- Novembre 1872.