Carnot (Arago)/02

La bibliothèque libre.
Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences1 (p. 518-519).
◄  I
III  ►


ENTRÉE DE CARNOT À L’ÉCOLE DE MÉZIÈRES COMME LIEUTENANT EN SECOND DU GÉNIE.


Lorsque Carnot quitta l’établissement de M. de Longpré, l’ordonnance en vertu de laquelle un généalogiste concourait avec un géomètre à l’examen des futurs officiers du génie n’était pas en vigueur. En 1771, tout Français pouvait encore, sans montrer de parchemins, être admis à l’École de Mézières, à la condition toutefois que ses père et mère n’eussent pas tenté d’enrichir leur famille et leur pays par le commerce ou par un travail manuel. Le jeune aspirant montra, devant l’examinateur Bossut, des connaissances mathématiques peu communes. Son père, suivant les tristes exigences de l’époque, prouva de son côté que jamais un de ses navires n’avait été en de lointains pays échanger les fruits du sol français, de l’industrie française contre des productions réservées par la nature à d’autres climats ; que ses mains n’avaient point combiné les caractères mobiles de Gutenberg, fût-ce même pour reproduire la Bible ou l’Évangile ; qu’il n’avait personnellement concouru à l’exécution d’aucun de ces instruments admirables qui mesurent le temps ou sondent les profondeurs de l’espace.

Après la preuve légale de tous ces mérites négatifs, le jeune Carnot fut déclaré d’assez bonne maison pour porter l’épaulette, et il reçut, sans retard, celle de lieutenant en second.

Décoré de cette épaulette tant désirée, Carnot, âgé alors de dix-huit ans, se rendit à l’École du génie. Là, sous les auspices de Monge, il cultiva sans doute la géométrie descriptive et les sciences physiques avec ses succès habituels ; mais, il faut l’avouer, nous en sommes réduits sur ce point à de simples conjectures ; car, en poussant à l’extrême le désir naturel de dérober aux étrangers la connaissance, alors peu répandue, de l’art d’élever et de détruire les fortifications, on avait fait de la célèbre École de Mézières une sorte de conclave dont nul profane ne pénétrait jamais les secrets.